Marie LaFlamme Tome 2



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avec son fils. Comment un homme au sou­rire si doux avait-il pu se muer, deux lunes plus tôt, en un ivrogne braillard ?

Nombre d’indiens pensaient que le bap­tême leur apportait les maladies puisqu’il y avait eu maints décès après le séjour d’un missionnaire dans une tribu. Mani le savait, mais elle était toujours vivante, même si elle avait communié pour la première fois juste avant que la terre tremble. L’eau-de-feu, ôtant toute sa souplesse à Saouaretchi, au point qu’il ne puisse même plus enjamber un ru, était une plus grande menace ; elle se désolait qu’on puisse trouver plus commo­dément, depuis quelque temps, cet alcool maudit. Elle espérait qu’aucun des siens n’avait été vu du côté de la rivière : on ne manquerait pas de l’accuser de la mort de la Blanche.

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Chapitre 7

D

u vin, aubergiste ! tonna Antoine
Souci. A moins que tu ne veuilles


de la bière ?

Le cordonnier se tourna vers Victor Le Morhier qui secoua la tête négativement, après avoir salué Germain Picot.

  • Non, du vin, pour me faire oublier l’affreux bouillon du navire.

Antoine Souci fit une grimace comme s’il venait d’avaler une tasse de ce vin acide coupé avec de l’eau de mer qu’on servait à bord dans les derniers jours de la traversée.

  • T’as raison, on va se laver la gargoulette !

  • Elle doit être bien nette, car tu l’as lavée souvent depuis que l' Alouette mouille à l’île d’Orléans, fit l’aubergiste en appor­tant une chopine de vin.

Il n’eut même pas la peine de la déposer sur la table ; Antoine Souci s’en empara et remplit deux verres à ras bord.

  • C’est du clairet, mais il faudrait débourser bien plus pour avoir du vin

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d’Espagne. J ai comme idée que celui-ci fera autant l’affaire.

Victor acquiesça en trempant ses lèvres. Certes, ce n’était pas le vin qu’il avait pris l’habitude de boire chez ses parents, mais il lui paraissait bien doux comparativement à la piquette de l'Alouette.
Il trinqua avec Antoine Souci et Germain Picot en souriant. Il pensait pourtant à Suzanne Dion. Il était soulagé qu’on ait enlevé son cadavre de la place publique, même s’il avait envie et peur à la fois d’en savoir plus long sur le crime.

Denys de La Ronde, court et gras, vint appuyer les poings sur la table et, clignant de l’œil, demanda à Antoine Souci si son ami était aussi grand gosier que lui.

  • Je dirais que oui, répondit Victor en souriant. Je prendrai volontiers de ce potage que je vois fumer dans l’âtre.

  • Pierrot m’a trouvé des crevettes ce matin, ajouta l’aubergiste.

Antoine rugit de plaisir.

  • Comme nos salicoques ?

  • Meilleures encore !

Le tenancier ne s’était pas vanté : les petites crevettes que le jeune Pierrot leur

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servit aussitôt étaient fraîches, bien fermes, d'un joli rose et d’un goût différent de celles que Victor mangeait à Nantes ; elles étaient moins salées et n’avaient pas cette pointe d’iode qui troublait parfois leur chair.

Antoine Souci s’étonna de voir Victor engloutir les crustacés entre deux bou­chées de pain trempées dans le potage brû­lant; même s’il avait dit à l’aubergiste que son ami lui ressemblait, il ne savait pas que Victor pouvait être aussi allouvi. Il ne l’avait jamais vu manger à une telle vitesse quand ils étaient en mer. La lenteur avec laquelle Victor grugeait son pain et mastiquait son gras de lard l’avait souvent énervé. Morbleu !

S’il n’avait pas vu sourire le matelot, il aurait cru qu’il n’avait plus de dents pour sucer si longtemps son lard.

L’appétit de Victor réjouissait Antoine Souci car un homme repu est de meilleure humeur et de jugement moins sévère. Victor accepterait ses peaux, même si elles n’étaient pas de bon castor gras comme il l’avait promis. Il allait lui servir un autre verre et le matelot ne s’apercevrait même pas qu’on lui remettait du castor sec.

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Antoine s’apprêtait à tirer les peaux de son sac quand un rire tonitruant fit sur­sauter tous les clients du cabaret : Guillaume Laviolette poussait devant lui un grand sac d’où débordaient des queues de raton laveur, de loup, de chat sauvage, de renard et des paquets de peaux roulées.

  • J’en ai assez pour te rembourser, auber­giste ! Et je boirai donc encore cette fois ! T’as eu peur que je ne revienne jamais, à ce que m’a conté Jérôme Tardieu? T’inquiète pas, je vais aller tantôt au magasin et je te rapportai ton dû.

Denys de La Ronde protesta mais il riait autant de soulagement que pour amadouer son bruyant client. Il fit signe à Pierrot de lui servir une pinte de bière.

  • Tiens, avale ça. C’est mieux que le bouillon de ta voisine !

  • Ma voisine réussit mieux sa soupe, admit le coureur des bois, mais son bouillon est tout de même alimenteux. Sauf aujourd’hui, elle n’a rien préparé. Elle a eu un coup de sang en apprenant le meurtre !

  • On en sait plus astheure ? demanda Antoine Souci.

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  • Non, rien.

  • Ça doit être un Iroquois, dit Germain Picot.

  • Il y a bien longtemps qu’on en a vu dans le coin, objecta Guillaume Laviolette.

Il but la moitié de sa chopine, la déposa en faisant claquer sa langue.

  • Eh! Donne-moi une pinte, j’ai la gorge sèche ! J’ai trop parlé du meurtre aujourd’hui ! Tout le monde m’a questionné parce que j’arrivais de Sillery. Mais j’ai rien vu. Ni hier ni avant. Je commence juste à me rafraîchir.

  • C’est que... oh ! ce n’est pas pareil pour toi, après tout ! Et puis le Gouverneur...

L’aubergiste haussa les épaules avant de retourner à son fût tandis que Victor se pen­chait vers Antoine Souci, sans cesser d’ob­server discrètement le coureur de bois qui s’assoyait près de l’unique fenêtre.

  • Qu’est-ce que notre hôte veut dire ?

  • Il parlait de la vieille querelle entre Davaugour, Lav... Mgr de Laval et le père Lalemant.

  • Une querelle ?

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  • Monseigneur excommunie tous ceux qui vendent de l’eau-de-vie aux Indiens et...

  • Les Jésuites doivent l’approuver, fit Victor. C’est donc le Gouverneur qui... ?

  • Qui rentrera bientôt en France ! s’ex­clama Guillaume.

Il se leva et s’attabla sans plus de façons auprès de Victor.

  • Le Monseigneur et le Gouverneur s’en­tendaient pour interdire le commerce de l’eau-de-vie avec les Sauvages et il y a même des hommes qui ont été arquebusés pour avoir désobéi. On a restreint la vente de boissons aux habitants de Québec jusqu’à ce que le pauvre père Lalemant s’en mêle. La pitié lui aura coûté cher !

  • Qu’entendez-vous par là ?

  • Le père Jérôme a voulu protéger une femme qui avait vendu de l’eau-de-vie à des Indiens. Le Gouverneur a déclaré que les Jésuites ne savaient pas ce qu’ils voulaient et que si cette femme pouvait vendre et être excusée, tout le monde le serait.

  • Davaugour a levé l’interdiction, dit Antoine Souci, mais s’il repart, comme

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tu las annoncé, cest que Mgr de Laval a gagné ! Vaut mieux boire pendant qu’on le peut encore, il serait capable de nous inter­dire le vin à nous aussi ! Aubergiste !

Antoine tendait son verre en direc­tion de Denys de La Ronde. Celui-ci sou­pira : Antoine n’avait pas la corpulence de Guillaume mais semblait vouloir boire autant que lui. Il serait bientôt ivre et lui ferait une bien mauvaise réclame s’il quittait l’établisse­ment dans cet état. Il suffisait que la femme d’un notable l’aperçoive ainsi pour qu’on vienne ensuite le tracasser, lui, La Ronde, qui buvait si modérément. Etait-ce sa faute si les marins ou les coureurs de bois étaient si déraisonnables ? Quelle journée ! Avec ce meurtre, il n’avait pas encore eu le temps de s’asseoir ! L’aubergiste cherchait une manière de refuser de servir du vin à Antoine Souci qui s’impatientait quand Victor poussa son verre à moitié plein devant lui.

  • Bois mon vin, Antoine, j’en ai assez. Et donne-moi donc ces peaux que tu me promets depuis si longtemps.

Guillaume eut un large sourire mais se tut tandis qu’Antoine ouvrait grande sa

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besace. Il tendit une fourrure aux poils d'un marron foncé et la flatta avant de la déposer sur les genoux de Victor.

  • C est doux, ces bêtes-là.

  • C’est sûr, fit Victor.

  • Il s’agit seulement de savoir préparer la peau, commença Guillaume.

  • Que voulez-vous dire ?

  • Il veut dire que tu dois maintenant te trouver un tailleur qui saura coudre ces pelleteries.

  • Après avoir travaillé la peau, insista Guillaume. Tu devras débourser davantage. D’un autre côté, tu paies cette peau moins cher...

  • Moins cher ?

  • Le castor sec est moins recherché... Combien vends-tu ces peaux, Antoine ?

  • Je ne les vends pas, je... je les ai échangées...

  • Plutôt pariées, précisa Victor.

Il conta à Guillaume Laviolette qu’il avait battu Antoine au jeu et que ce dernier le remboursait en pelleteries.

  • Tu devrais avoir honte, Antoine Souci, se moqua Guillaume.

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  • Honte... Mais je...

  • Tu allais lui laisser des peaux que tu dois avoir eues contre une vieille couverte de ratine, pas vrai ?

  • Elle était neuve !

  • Mais ne vaut pas ce que tu dois, bandit ! Tu devrais rajouter au moins deux peaux de gras pour payer ta dette.

Victor, tout d’abord embarrassé par l’in­tervention de Guillaume, commençait à s’amuser : si Antoine avait essayé d’abuser sa confiance, il méritait bien qu’on se moquât de lui. Le coureur de bois n’y man­quait pas et parlait d’une voix si puissante que tous les autres clients entendaient les reproches qu’il adressait à Antoine. Celui-ci ne tarda pas à quitter l’auberge en promet­tant à Victor de lui rapporter dans l’heure d’autres peaux.

  • A moins que je ne doive aller voir le Gouverneur avec Dupuis pour lui parler encore du meurtre. Tu ne savais pas que c’est nous qui avons découvert la Suzanne ?

Le cordonnier passa la porte et Victor sourit à Guillaume Laviolette.

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  • Je vous remercie, monsieur. Je ne connais rien à la fourrure et croyais le marché honnête.

  • Si vous voulez des fourrures, des belles, allez plutôt au magasin général : les cou­reurs y déposent toutes leurs prises. J’y vais moi-même.

Victor pinça les lèvres et haussa les sour­cils en signe de doute. Se penchant vers son interlocuteur, il murmura :

  • Toutes les prises ? Vraiment ?

Guillaume cligna de l’œil avant d’ad­mettre à voix basse qu’il lui arrivait de vendre ses peaux à des particuliers.

  • Il faudrait savoir à quel usage vous destinez les peaux. Un chapeau ou un man­teau ? Pour vous ou votre épouse ?

Victor, qui souriait, se figea aussitôt. Guillaume, bien que curieux de nature, savait qu’il était souvent plus opportun de se taire que de questionner et il but une longue rasade, rompit son pain lentement afin de donner à Victor le temps de retrouver sa contenance.

  • J’en veux d’abord pour mon oncle, à Paris. Il est chapelier. Je lui ai promis de lui rapporter de belles peaux.

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  • J’ai ce qu’il vous faut, mais permettez- moi, puisque nous passerons peut-être un marché, de me présenter. Je suis Guillaume Laviolette, du Croisic.

  • Je suis nantais! s’exclama Victor. Topons ensemble !

Leurs paumes se heurtèrent à peine une seconde, mais Guillaume eut le loisir de constater que la main de son nouvel ami était sèche, ce qu’il tenait pour un signe d’assurance et de probité. Il remarqua éga­lement que Victor était plus solide qu’il ne le paraissait; mince et jeune, et ses cheveux de la couleur d’un louis d’or lui donnaient un air si aimable qu’on ne l’imaginait guère soulevant de lourdes charges ou terrassant un ennemi d’un seul coup de poing, mais il en était probablement capable car il était fort souple.

  • T’es un trente-six mois? demanda Guillaume. Victor fit non de la tête.

  • T es de l'Alouette alors ?

  • Oui. C’est mon premier long trajet de mer.

  • Vous repartez bientôt, pas vrai ? T’as pas envie de rester à terre? Tu trouverais

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vite un maître, et dans trois ans tu pourrais acheter ton lot.

  • C est ce que tu as fait ? dit doucement Victor.

  • Non, reconnut Guillaume. Je ne suis pas du bois dont on fait les colons. J ai besoin de courir, de chasser, de partir au loin durant des mois. J aime la neige qui efface l’horizon, j’aime le silence du froid... Tu souris, Victor, mais un silence d’été n’est pas un silence d’hiver. Le silence d’été, c’est une pause entre deux jeux, entre deux tâches ; le silence du gel est celui de la soli­tude, de la peur et de la paix. Je...

Guillaume rougit, confus d’avoir confié ses pensées secrètes à un homme qu’il ne connaissait pas une heure plus tôt, mais Victor continua son étrange discours.

  • Le silence en mer, c’est le silence de la profondeur des ténèbres, du temps qui passe et de ce moment où on scrute son âme et sa conscience car l’éternité ne nous semble pas si lointaine. C’est le silence du doute... Tu dois croire aux étoiles, croire qu’elles te guideront vers la rive, mais tu entends, dans ce silence, et seulement dans ce silence, les

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plaintes des créatures de la mer. Morgane t’appelle, les sirènes te défient, les vagues t’attirent comme des aimants, comme des amantes.

Victor regardait vers la fenêtre comme s’il pouvait voir le fleuve en s’étirant un peu le cou. Un demi-sourire flottait sur ses lèvres, il battait plus lentement des paupières. Guillaume comprit, en observant ce visage soudainement illuminé d’une joie sereine, que Victor était un vrai marin. Il était trop épris de cette plaine liquide pour le suivre en forêt; jamais le coureur ne l’entraînerait sur les territoires montagnais et plus haut encore. Il ne le retrouverait pas non plus, à ses retours de voyage de Métabetchouan, à bêcher la terre, la retourner ou l’ensemencer. Victor ne serait pas le nouveau boulanger, ni le maréchal-ferrant de la colonie.

  • Pourquoi t’es-tu embarqué pour la Nouvelle-France ? J’aurais plutôt choisi les Indes ou les îles des mers du Sud.

  • Je n’ai pas eu tellement le choix, avoua Victor.

  • As-tu signé ton engagement après avoir bu ?

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  • Je n ai pas eu le loisir de boire... Je me suis engagé de mon plein gré même si j' y fus forcé. Guillaume se frotta la barbe, plissa les yeux.

  • Qu est-ce que tu veux dire ?

Victor hésitait à parler, mais comme il cherchait quelqu’un à qui confier Marie avant de repartir, et comme il savait que ce n’était pas le couple Blanchard, fraîche­ment arrivé, qui pourrait être d’un grand secours, il devait s’ouvrir à Guillaume. Ce dernier lui avait montré sa droiture, et s’il avait voyagé, comme il le prétendait, dans ces lieux aux noms aussi jolis qu’impronon­çables, il avait dû souvent faire la preuve de son ingéniosité. Il serait de bon conseil pour Marie. Si toutefois elle consentait à l’écouter.

  • Tu es marié? demanda Victor qui vou­lait s’assurer, avant de se livrer à Guillaume, que celui-ci ne tenterait pas de séduire Marie.

  • Non. Pourquoi est-ce que je prendrais une épouse ? Je ne suis jamais plus d’un mois à la même place. Et puis... les filles indiennes me plaisent davantage que nos femmes. Elles sont plus gaies ! Il y en a même une que je

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revois chaque fois que je vais à Tadoussac. Ce n’est pas sage mais je crois bien quelle ma envoûté ! Elle est plus remuante qu’une loutre ! J’aime comme elle se tortille quand je la prends ! Et comme elle rit. Elle a des dents comme je n’en ai jamais vu en France. Je me laisserais dévorer tout cru !

Guillaume eut un rire joyeux à cette évo­cation et un petit spasme au ventre ; sou­dain, il lui tardait de revoir Klalis. Comme Victor souriait poliment, Guillaume com­prit qu’il n’avait sûrement pas autant de chance en amour qu’au jeu. Et qu’il aurait préféré rendre ses peaux à Antoine Souci et être plus heureux avec les femmes. Ou une femme ?
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