Marie LaFlamme Tome 2



Yüklə 4,13 Mb.
səhifə17/39
tarix08.01.2019
ölçüsü4,13 Mb.
#92707
1   ...   13   14   15   16   17   18   19   20   ...   39

  • Je n’ai jamais entendu parler de la famille Lumière.

    Et si elle disait vrai ? Pourquoi avait- elle les coupelles sacrées en sa possession ? Comment les récupérerait-il? Cette fille avait l’air plus butée que lui encore. Du Puissac, qui mesurait son propre entête­ment, comprit qu’il lui faudrait montrer plus de souplesse pour parvenir à ses fins.

    334




    • Je ne sais pas si je dois vous faire con­fiance, commença-t-il. Mais je n’ai guère le choix. Il est vrai que je divaguais à l’hôpital.

    • Ah ! fit Marie.

    • Mais je n’ai pas rêvé la petite coupelle d’argent; j’ai mis seulement bien du temps à me souvenir, puisque j’ai sombré ensuite dans le délire. J’avais un souvenir d’argent, mais aussi de cuivre et d’ardoise. Le cuivre, c’était vos cheveux, l’ardoise, votre robe de soignante. A force de revoir ces couleurs, j’ai deviné que c’était vous qui m’aviez soigné et fait boire avec la coupelle. Je veux savoir d’où vous les tenez ! C’est...

    • Je n’ai rien du tout.

    • Cessez de mentir ! gronda Julien du Puissac. Je suis patient mais je n’aime pas qu’on se moque de moi.

    • Et moi, je n’aime pas qu’on me trompe, qu’on m’insulte et qu’on me retienne contre mon gré. Adieu, monsieur !

    Marie se leva sans un regard pour le che­valier, rattacha son manteau, atteignit la pièce voisine où elle ordonna à Alphonse Rousseau de lui ouvrir la porte. Comme il

    335




    demeurait immobile, du Puissac cria qu’il pouvait la laisser partir. Mais elle reviendrait bien le voir.

    Marie n’était pas aussi outrée qu’elle l’avait dit au chevalier mais elle ne pou­vait accepter ses méthodes discourtoises sans réagir même si elle était dévorée par la curiosité. Qu’aurait pensé Julien du Puissac si elle avait toléré ses agissements ? Comment aurait-il pu la respecter ensuite? Il disait quelle devait lui faire confiance. Mais cette confiance devait être réciproque. Et méritée : s’il l’avait laissée partir alors qu’il aurait pu la fouiller, c’est qu’il voulait assurément se faire pardonner sa ruse.

    Ils pourraient peut-être se parler à leur prochaine rencontre. Pourvu quelle ne tarde pas trop ! Le mystère qui entourait les cou­pelles finirait par obséder Marie. Quand elle rentra chez Boissy, Paul Fouquet l’attendait, l’air mauvais.

    • Où étais-tu donc? Monsieur a des invités ce soir et Lison ne fournit pas à la tâche.

    • Mais il a dit qu’il soupait à l’auberge avant que je sorte ! protesta Marie.

    336




    • Il a le droit de changer d’idée. Et toi, tu as le devoir de le servir. Monsieur était furieux !

    Marie se dirigea vers la cuisine sans dire un mot. En enlevant son manteau, elle s’ex­cusa auprès de Lison qui haussa les épaules : le valet exagérait toujours tout.

    • Hâtons-nous maintenant, M. de La Chesnaye ne tardera pas à arriver.

    • Tu sais qu’il va épouser Catherine Couillard ?

    • A quand la noce ?

    • Au début de février. C’est vrai qu’il possède de nombreuses terres ?

    • Plus que nous n’en aurons jamais ! s’écria Lison. Va me chercher la farine et des œufs. Et demande de la liqueur de prunes à Fouquet.

    Marie baissa les yeux quand elle pria le valet d’aller au cellier car elle avait grand- peine à le regarder sans avoir envie de rire : elle imaginait sa déconfiture quand il constaterait le lendemain qu’il avait perdu ses clés.

    Pendant qu’elle aidait Lison à démouler un pâté en croûte, Marie l’interrogeait sur

    337




    Charles Aubert de La Chesnaye. Elle avait entendu dire qu’il avait un sens aigu du commerce; elle commençait à s’intéresser au fonctionnement économique de la colonie et tendait l’oreille quand elle allait au magasin. Elle enviait Eléonore de Grandmaison, Guillemette Couillard ou Marie Favery, la veuve de Pierre Legardeur de Repentigny, de posséder une maison. Elle économi­sait ses gages en espérant qu’elle trouverait bientôt à les faire fructifier. Elle ne gagnait pas beaucoup chez M. de Boissy mais elle ne dépensait rien car ses malades la payaient en nature : on lui cousait une jupe, on lui tricotait des mitaines, on lui donnait un chapon ou des fruits que lui achetait aussitôt Lison. Marie rêvait souvent à son trésor mais Victor ne reviendrait pas avant l’été. Et s’il lui apportait la clé des énigmes et la preuve quelle pouvait retourner en France sans craindre Saint-Arnaud, elle n’était pas encore partie pour Nantes et encore moins revenue ! Il valait mieux songer à s’enrichir mainte­nant, afin de pouvoir acheter le terrain sur lequel elle bâtirait sa maison à son retour de France avec Simon. Anne LaFlamme n’avait

    338




    jamais songé à l’argent, mais elle aurait dû le faire : si elle avait eu quelque fortune, elle aurait pu acheter ses juges, Marie en était persuadée. On ne l’aurait peut-être même pas accusée ! Boissy avait bien tué des hommes en duel et n’avait mérité que l’exil. Et dans des conditions qui n’avaient rien d’atroce. Anne, pour avoir été femme et pauvre, avait été soumise à la gêne et condamnée.

    Marie était femme, certes, mais elle refu­sait d’être misérable.

    • Charles Aubert s’entend bien avec Mgr de Laval, continuait Lison. C’est plutôt rare.

    • Denis Malescot m’a dit que notre évêque était déjà fâché avec le Gouverneur ? C’est pourtant lui qui l’a choisi?

    Lison haussa les épaules.

    • Ils se sont entendus en ce qui concer­nait la vente de boisson aux Sauvages mais ils se sont chicanés sur les gages de Mézy : notre Gouverneur trouvait qu’il n’était pas assez payé. Il a bien fini par accepter ce que lui donne le Conseil souverain. Mais il doit moins aimer l’évêque qu’avant... Pourtant, i I ne fait pas pitié ; il paraît qu’il touche plus de vingt mille livres !

    339




    • Vingt mille livres ! s’exclama Marie. Il pourrait bien me payer pour soigner les malades !

    • Soigne la poule en attendant, fit Lison. Coupe-la en morceaux, je vais la désosser pour la tourte.

    • Il en restera pour nous ?

    Lison la rassura : elle aurait sa part après la soupe de racines. Marie servirait les invités puis trouverait une assiette bien garnie près de l’âtre.

    • Je me coucherai avant toi car je me lèverai bien avant l’aurore ; je veux être la pre­mière au marché. Monsieur veut du faisan pour Noël. Je dois le préparer avant d’aller chez mon frère. Fouquet t’aidera à ranger.

    • Oh, non, laissa échapper Marie.

    • Allons, il n’est pas si méchant.

    • Tu crois ?

    • Il rangera la cuisine avec toi.

    • On verra, dit Marie pour qui c’était tout vu. Fouquet ne l’aiderait pas car il dor­mirait profondément. Elle mêlerait de la sève de renouée ponctuée à sa soupe de racines : elle avait réussi à en obtenir la semaine pré­cédente en échange de la composition du

    340




    basilicon que désirait connaître Mani, après que Guillemette Couillard lui eut décrit les merveilles opérées par longuent royal. Marie était étonnée que la Huronne n’ait pas deviné comment on fait le basilicon ; les Indiens connaissaient pourtant l’usage de la poix, de la résine, de la cire, de l’huile, mais tant pis, tant mieux, elle avait bien besoin de narcotiques et le frère Bonnemère lui en délivrait trop peu.

    Elle croyait s’en servir uniquement pour soulager les malades ; voilà qu’elle parfu­mait la soupe de Fouquet. Elle avait envie de rire à chaque bouchée qu’il portait à ses lèvres et à chaque fois qu’elle venait cher- cher un plat à la cuisine pour les invités : elle vérifiait alors l’efficacité du datura.

    fouquet bâillait de plus en plus souvent, s’étirait, écarquillait les yeux sans succès. Quand Marie apporta aux invités les poires au vin, Fouquet imitait Lison et se cou- chait. Il n’était pas le seul à s’endormir; le baron de Boissy, le vicomte d’Alleret et charles-Aubert de La Chesnaye avaient bien arrosé leur souper. Boissy dit à Marie d’aller se coucher.


    • Nous boirons un peu d eau-de-vie. Nous n’avons plus besoin de tes services.

    Une heure plus tard, Marie, qui s’im­patientait au côté de Lison, entendit son maître descendre au cellier — il devait aller chercher une autre cruche de vin ! —, saluer ses amis, puis monter à l’étage. Boissy dor­mirait bientôt. Marie quitta le lit-alcôve et se frotta les mains : le moment était venu d’emprunter les clés du laquais. Elle pénétra sans grande inquiétude dans la chambre de Fouquet car il ronflait puissamment. Elle attendit d’être habituée à l’obscurité puis s’approcha du dormeur. Il s’était couché tout habillé et portait les clés à sa ceinture. Marie les décrocha avec une facilité qui l’étonna.

    Elle sortit promptement de la chambre en serrant les clés contre son cœur; elle les regarda à la lumière de l’âtre, se deman­dant où elle les cacherait. Comme elle jouait avec la clé du cellier, elle eut envie d’y des­cendre : un mois de loyaux services dans cette demeure, cela valait bien un petit verre de vin d’Espagne. Elle en avait assez du bouillon ou du vin clairet auquel elle avait

    342




    droit le dimanche, elle allait goûter un vin de meilleure qualité ! Elle s’empara d’une bougie et enfonça la clé dans la serrure. Elle trembla quand elle entendit des grincements mais poussa tout de même la porte. Elle des­cendit prudemment les quelques marches et regarda les tonneaux empilés devant elle : il y en avait des dizaines et des dizaines. M. de Boissy pouvait rester à Québec jus­qu’à la fin de ses jours sans jamais man­quer de vin ! Elle s’avança vers le tonneau de frêne et tendit la coupelle d’argent sous le petit robinet. Elle goûta, grimaça, et aurait tout craché si elle n’avait craint de laisser des traces de son passage. Le tonneau contenait non pas du vin, mais un alcool encore plus raide que celui que Marie avait goûté à l’Hôtel-Dieu. Elle en avait la gorge enflammée. Ça devait être de cette eau- de-feu dont Mgr de Laval avait interdit la vente aux Indiens.

    Cette eau... Celle qui était dans les caves de M. de Boissy : Marie venait de comprendre pourquoi son patron recevait si souvent des hommes à souper et pourquoi il insistait pour que Lison et elle se couchent avant leur

    343




    départ. Fouquet était dans la confidence, et touchait sans doute un bénéfice sur les opé­rations. Ce n’était pas seulement pour le plaisir de dominer les deux femmes qu’il contrôlait les allées à la cave. Il devait pré­parer les barriques, les gourdes avec les­quelles les invités repartaient. Si M. de Boissy lui avait semblé heureux au jeu récemment, s’il parlait d’héritage, c’était pour expliquer l’argent qu’il tirait de la vente de l’alcool.

    Marie compta les barriques avant de remonter du cellier puis décida de rendre ses clés à Fouquet ; il ne devait pas se douter quelle avait visité la cave. Ce qu’elle avait appris était bien plus précieux qu’une farce à un vilain laquais. Marie se coucha en se demandant ce qu’elle pouvait exiger de M. de Boissy pour son silence.

    Elle regrettait Guillaume ; il aurait pu lui dire combien de fourrures valait une fiole d’eau-de-vie.

    A qui pouvait-elle bien s’adresser? Elle s’endormit en se répétant que la chance tournait enfin ; elle verrait Noémie à Noël et parlerait ensuite à Boissy. Elle amasserait de l’argent plus vite qu’elle ne l’avait espéré !

    344




    Elle dormit mal, car elle était surexcitée, mais s’éveilla d’humeur joyeuse et le resta jus­qu’à ce que Lison et Fouquet s’en aillent fêter Noël. Boissy avait proposé à Marie de faire route avec elle jusque chez les Blanchard puis­qu’il se rendait jusqu’à Sillery avec Charles Aubert de La Chesnaye et sa promise ; il y avait une heure qu’elle l’attendait quand il rentra enfin de chez son ami d’Alleret.

    • Lison et Paul t’ont abandonnée ? Alors que tu es si joliment coiffée? s’enquit Nicolas de Boissy.

    Marie fut contente qu’il ait remarqué la coiffe de dentelle que lui avait donnée Eléonore de Grandmaison. Elle alla cher­cher son manteau.

    • Tu es si pressée de partir ? Nous pour­rions nous restaurer avant d’entreprendre la route ; ce n’est pas tout à côté !

    • Je sais. J’ai fait le trajet plus d’une fois. C’est justement pour ça que nous devrions y aller sans plus tarder. Et M. de La Chesnaye qui vous attend...

    • Tu n’aimes pas ma compagnie? la taquina Boissy. Marie sentit les battements de son cœur s’accélérer, le sang palpiter à

    345




    ses tempes : pourquoi Nicolas de Boissy s’intéressait-il à elle soudainement? Avait-il deviné quelle avait découvert son secret ?

    • Vous êtes un bon maître, répondit prudemment Marie.

    • Alors, tu seras heureuse de partager le dîner avec moi ?

    • Mais je dois voir ma fille...

    Boissy se dirigea vers la cuisine.

    • Viens. Lison a fait cuire un faisan.

    • Mais vous deviez aller chez les Jésuites !

    • J’irai demain, dit l’homme d’un ton insouciant.

    • Mais, M. de...

    • Il va neiger ce soir ; il vaut mieux être ici pour souper. Nous n’y verrions rien sur la route.

    Il avait d’abord parlé de dîner, puis de souper, puis de rester rue Saint-Louis. Marie devina que les choses tourneraient à son désavantage si elle ne réagissait pas rapide­ment. Elle sourit gracieusement à Boissy.

    • Si nous demeurons ici, vous me per­mettrez d’aller mettre des souliers.

    Nicolas de Boissy, qui avait prévu plus de résistance de la part de Marie, chantonnait

    346




    en allant chercher du vin au cellier. Devait- il rapporter aussi de l’eau-de-vie? Oui, ça lui éviterait de redescendre plus tard et d’inter­rompre de charmants ébats. Il avait bien vu comme elle battait des paupières quand il lavait invitée à manger avec lui ; elle serait à lui bien avant que le soleil se couche. Et le soleil déclinait tôt, le 25 décembre...

    Marie avait glissé un stylet dans son chignon et resserré sa coiffe : elle avait lu le plaisir dans le regard de Nicolas de Boissy, une lueur quelle avait vue trop souvent dans les yeux de Geoffroy de Saint-Arnaud. Alors, c’était vrai? Il avait parié qu’elle se donnerait à lui ?

    Il allait perdre.

    Mais elle aurait goûté avant au faisan ; elle avait trop salivé en voyant Lison le préparer. Durant le repas, elle s’efforçait de ne pas mon­trer sa répulsion quand Nicolas de Boissy lui effleurait la main pour lui tendre un plat, mais elle n’avait aucune difficulté à s’inté­resser à ce qu’il lui contait. Il se vantait de ses exploits de bretteur et de joueur en France.

    • Après une existence aussi tumul­tueuse que la vôtre, la vie doit vous paraître

    347




    bien fade à Québec ? Pourquoi ne vous êtes- vous pas installé à Ville-Marie ? On dit que les Iroquois distraient souvent les colons.

    • Parce que cette île compte plus de reli­gieux que de jolies femmes. Les Sulpiciens, Jeanne Mance, Marguerite Bourgeoys, les Récollets, la Société Notre-Dame...

    • Il paraît qu elle a été dissoute.

    • Il en reste encore trop pour moi ! N’as- tu pas quitté l’Hôtel-Dieu pour les mêmes raisons ? Parce que la vie monacale te pesait ?

    Marie tenta de nier sans conviction.

    • Non, je me plaisais à l’hôpital. Mais j’ai besoin d’argent pour ma fille.

    • Et ici ? Tu es contente de ton sort ? Tu gagnes assez ?

    • Vous êtes très généreux, dit Marie. Mais on n’est jamais assez riche.

    Boissy rapprocha sa chaise de celle de Marie.

    • Je pourrais te donner plus, murmura-t-il.

    • A quel titre ? demanda Marie d’une voix volontairement hésitante.

    • Au titre que tu me plais, belle amie, sourit Boissy.

    348




    Il avait noté le tremblement de la voix : Marie était impressionnée, subjuguée. Il en était sûr ! Si elle continuait à poser des questions pour lui résister, c est qu elle savait qu elle était près de succomber.

    Boissy prit la main de Marie, tira une petite bourse de sa poche et en vida le contenu dans la paume ouverte : des pièces d’or tintèrent en tombant dans une assiette d’argent.

    • Mais je ne mérite pas cet or ! protesta Marie.

    • Mais si... Si tu me guéris.

    • Vous guérir ? De quoi souffrez-vous ?

    • D’ennui. Ton amitié saurait assuré­ment me distraire.

    Tandis qu’elle tendait sa main vers lui pour lui rendre ses pièces, Nicolas de Boissy attrapa Marie par le cou, l’amena à lui et l’embrassa brutalement. Suffoquée, elle le repoussa en lui martelant la poitrine de ses poings fermés. Boissy la laissa s’échapper. Elle courut au fond de la pièce.

    • Tu es délicieuse en vierge effarouchée ! dit-il en marchant vers elle. Mais tu connais pourtant ces jeux puisque tu as été mariée. Ils te manquent, non ?

    349


    • Comment osez-vous ?

    • Comment? Très simplement : je suis le maître, je suis chez moi. Et tu as très envie de me donner un petit baiser.

      Yüklə 4,13 Mb.

      Dostları ilə paylaş:
  • 1   ...   13   14   15   16   17   18   19   20   ...   39




    Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©muhaz.org 2024
    rəhbərliyinə müraciət

    gir | qeydiyyatdan keç
        Ana səhifə


    yükləyin