Marie LaFlamme Tome 2



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  • Quand ?

  • Il y a quelques heures. Vous savez qui a voulu vous tuer? Guillaume ferma les yeux et Marie redouta un instant qu’il ne se soit de nouveau évanoui. Elle lui passa la fiole d eau-de-vie sous le nez et la porta à sa bouche. Guillaume but une gorgée.

  • C’est de la bonne! apprécia-t-il. Je vous en laisse un peu ?

    Marie secoua la tête en pouffant de rire, soulagée quant à son état. Elle lui fit signe de parler moins fort.

    • Ils sont tous endormis. Même sœur Sainte-Louise là-bas, sur sa petite chaise. Elle dodeline de la tête... Alors, c’est vrai qu’un Indien vous a frappé ?

    Guillaume Laviolette eut un mouvement d’impatience.

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    que je n’en sais rien. Mais je sais que vous êtes un ami des Sauvages et que vous seriez fâché qu’on les accuse à tort.

    • Bien des idées trottinent dans cette jolie tête, dit Guillaume en souriant. Vous vous intéressez à ce point à ma personne ?

    Marie lui tapa sur la main : elle devi­nait que Guillaume la taquinait, comme il l’aurait fait avec une sœur ou une cousine. Contrairement à la plupart des hommes qu’elle avait connus, l’aventurier ne sem­blait pas la désirer ; elle était plus soulagée que vexée, quoique assez étonnée.

    • Vous savez bien que je veux que vous m’appreniez à parler la langue de vos amis. Si ce sont toujours vos amis...

    • Je les préfère à tous les Tourangeaux !

    • Vous êtes de Touraine ? Victor m’avait parlé du Croisic.

    • Je suis bien du Croisic.

    • Comme Nanette ! dit Marie.

    • Qui est Nanette ?

    • Une personne que je connaissais là-bas. Mais pourquoi détestez-vous la Touraine ?

    • Parce que j’y ai été condamné, chu­chota Guillaume. Comme faux saulnier.

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    Je n avais pas deux cents livres pour payer l’amende, alors ils m’ont mis en prison. J’étais bahutier, mais un bahutier pas trop doué.

    Guillaume Laviolette sourit en évo­quant ses armoires mal clouées ou cham- branlantes qui lui auraient attiré maintes plaintes si les clients qui choisissaient un bahut n’avaient aussi acheté l’assurance d’avoir du sel à bon prix. La gabelle irritait plus qu’une autre taxe car les tarifs d’im­position variaient considérablement d’une région à une autre. Le Maine, l’Anjou, le Nivernais ou la Champagne, par exemple, étaient soumis à la grande gabelle et devaient acheter de Brouage ou du comté nantais un sel excessivement taxé, alors que Bayeux ou Coutances bénéficiaient d’un tarif préférentiel, le « quart-bouillon ».

    • Saint-Arnaud a fait de la contrebande durant des années sans être inquiété, dit Marie. Vous n’avez pas eu de chance.

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    Chapitre 14

    S

    aint-Arnaud ! s’exclama le coureur
    de bois.


    • Mon ma... Quelqu’un que j’ai connu à Nantes. Mais vous devriez dormir. Votre blessure.

    Guillaume se redressa d’un coup, les yeux brillants de curiosité.

    • Je me sens mieux. Dites-moi, vous avez connu beaucoup de monde... Cette Nanette et puis Geoffroy de Saint-Arnaud. Si vous avez été mariée avec lui, j’en déduis que vous êtes sa veuve ?

    • Que... Quoi? bredouilla Marie avant de dire avec du retard que Guillaume avait mal entendu et qu’il devait se reposer.

    • Saint-Arnaud... Vous le détestez aussi?

    Marie ne prit pas la peine de répondre et

    demanda à Guillaume pourquoi il haïssait l’armateur.

    • Dites-moi d’abord s’il est mort.

    • J’espère bien que non ! dit Marie d’une voix plus aiguë qu’à l’accoutumée.

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    Guillaume se rembrunit.

    • Vous ne le méprisez point ?

    Marie retint à temps une exclamation qui aurait réveillé tous les malades. Si elle méprisait l’armateur ? Oui. Cent fois, mille fois, cent mille fois oui.

    • Vous aussi, dit-elle à son patient. Que vous a-t-il fait ?

    • Il a ruiné mon père. Il était regrattier au Croisic. Geoffroy de Saint-Arnaud l’a convaincu de participer à la grosse aven­ture ; il se fournirait chez lui en agreils et le paierait au retour du trajet de mer avec la marchandise qu’il rapporterait.

    • Votre père n’était pas obligé d’ac­cepter, dit Marie malgré elle.

    Guillaume Laviolette dévisagea la jeune femme, puis avoua qu’il haïssait Saint- Arnaud justement parce qu’il lui avait révélé la faiblesse de son père et son manque de jugement.

    • Mon père a avalé le boniment de l’armateur si sottement ! Parce qu’il rêvait de porter lui aussi un pourpoint orné de galants. J’avais douze ans quand mon père s’est pendu. Il n’a même pas songé à se

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    noyer pour qu’on croie à un accident. Ma mère est morte de honte dans l’année.

    • Et vous, vous avez décidé d’être bahu­tier plutôt qu’agreur comme votre père.

    • Je n’ai pas eu le choix. Mon oncle m’a pris comme apprenti ; il n’a pas déboursé une livre pour avoir un esclave. Je mangeais avec le chien. Mais j’étais battu plus sou­vent que lui.

    La misérable histoire de Guillaume Laviolette ressemblait à celle de bien des apprentis et Marie se souvenait qu’Anne LaFlamme en avait soigné plus d’un pour mauvais traitements. Aussi écoutait-elle Guillaume distraitement, inquiète plutôt de ce qu’elle lui dirait concernant Saint- Arnaud. Elle savait que l’aventurier ne se contenterait pas d’une réponse évasive. Mais pouvait-elle lui faire confiance ?

    Marie regardait les malades endormis côte à côte le long du mur — sœur Sainte- Louise s’enorgueillissait que les lits soient placés à la nouvelle manière, comme dans les grands hôpitaux de France — et se deman­dait si ces patients lui seraient fidèles s’ils savaient quelle était la fille d’une sorcière,

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    qu elle avait abandonné son époux et qu elle était peut-être poursuivie pour complicité dans une affaire de meurtre. Assurément pas. Et elle devait inventer une fable pour Guillaume.

    Elle lui conta pourtant une partie de la vérité. Etait-ce parce que la respiration régu­lière des malades la réjouissait, ils étaient tous sauvés maintenant, était-ce parce qu elle avait soigné Guillaume et aimait sa manière de la regarder — il semblait tout deviner, comme Anne —, parce que la nuit attire les confidences ou parce qu elle était si contente de rencontrer quelqu’un qui abhorrait Saint-Arnaud? Elle cracha son exécration : elle revécut la machination qui avait conduit Anne au bûcher et l’avait mise, elle, dans le lit de Saint-Arnaud dès sa sortie du cachot. Elle se souvint de l’abo­minable viol, et du dégoût d’elle-même si intense qu’elle avait failli en mourir. Elle revit sa fuite obligée à Paris et l’arresta­tion de Guy Chahinian, à qui rien ne serait arrivé s’il n’avait pas voulu l’aider à quitter Nantes. A cause de Saint-Arnaud, encore et toujours Geoffroy de Saint-Arnaud !

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    Elle était assez belle pour qu’on crût un noble désireux de l’épouser, malgré sa condition sociale. Si Guillaume Laviolette s’étonna de cette seule raison, il n’en dit rien. Marie omit de parler du trésor. Et de Simon Perrot. Elle était quasiment per­suadée, après toutes ces semaines où elle avait modifié graduellement la scène de l’exécution de Jules Pernelle, que Simon avait été forcé d’arrêter Guy Chahinian, mais qu’il l’avait fait avec beaucoup de répugnance.

    • Ainsi, vous redoutiez tant d’être rat­trapée par votre époux que vous avez choisi la Nouvelle-France ? On m’avait pourtant rapporté que vous étiez veuve. D’un certain Simon.

    • J’ai menti, murmura Marie. J’ai épousé Saint-Arnaud après avoir perdu Simon. Je ne voulais pas prononcer le nom de Saint- Arnaud de peur de rencontrer une personne qui l’ait connu.

    • Vous l’avez trouvée. Et elle ne vous tra­hira pas. Je suis toutefois surpris que vous ne souhaitiez pas la mort de votre époux. Il a une fortune considérable ; vous auriez pu

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    en jouir sans trop attendre si vous ne laviez pas quitté.

    • Et s’il avait été victime d’un regret­table accident ?

    • Il aime bien la chasse, non ?

    Marie sourit et avoua à Guillaume

    Laviolette quelle préférait empoisonner l’avi- tailleur. Pour qu’il souffre plus longtemps.

    • Si j’avais idée de retourner en France, je tiendrais volontiers la coupelle dans laquelle vous mettrez le poison.

    • Vous resterez toujours ici ?

    -—-J’étais condamné aux galères et je

    me suis échappé. Mais s’ils me reprennent, ils me pendront. De toute manière, j’aime mieux traquer le caribou, poursuivre un loup ou un renard, trapper le petit gibier que d’être enfermé dans une pièce sombre et enfumée à raboter le bois. Ici, personne ne sait que j’avais un métier d’artisan au Croisic.

    • Il y en a déjà de très habiles, dit Marie, complice. Tenez, Boulu, qui a fait ce petit banc sur lequel je suis assise : il vous a porté à l’hôpital avec Michel Dupuis et Marcel Toussaint.

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    Après un court silence, Marie ajouta que ce trio prétendait qu’il avait été attaqué par des Indiens. Guillaume haussa les épaules.

    • Je ne le saurai probablement jamais : certains Indiens me détestent autant que certains colons. On m’envie mes couteaux ou ma liberté, ma fiole d’eau-de-vie ou mon adresse. La plupart des habitants savaient que, plus tôt dans la journée, j’étais allé vendre des peaux au magasin : on aura cru que j’avais une escarcelle bien garnie.

    • C’était faux?

    L’intérêt que Guillaume vit luire dans le regarde de Marie l’amusait.

    • C’était faux.

    • On n’a pas voulu de vos peaux ?

    Guillaume ne put retenir une sorte de

    hennissement qui attira l’attention de sœur Saint-Louise, mais Marie était décidément trop drôle.

    • Personne n’a encore refusé mes peaux. C’est moi qui refuse parfois de les vendre.

    • Même à moi ? minauda Marie.

    • Oui, si vous me le demandez sur ce ton. Vous savez bien que je ne suis pas Victor Le Morhier.

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    Marie allait rétorquer quelle se moquait bien de Victor quand l’arrivée de mère Catherine l’empêcha de mentir. La jolie reli­gieuse s’approcha d’eux et Marie constata une fois encore la vertu calmante de son sourire ; Guillaume perdait même son air narquois tandis qu’il écoutait les paroles apaisantes de mère Catherine. Marie en fut légèrement vexée : après tout, c’était elle qui avait recousu Guillaume ! C’était elle qu’il aurait dû regarder avec autant de gratitude.

    Elle se tourna vers sœur Sainte-Louise qui accourait vers celle qui devait la relayer : son expression apeurée l’intrigua mais elle n’eut pas le loisir de l’interroger, cette der­nière entraînant mère Catherine à l’écart.

    Que lui cachait-on? Elle regarda Guillaume pour le prendre à témoin, mais celui-ci s’était endormi. Marie rageait; tout le monde l’abandonnait Après tout ce qu’elle avait fait!

    Elle marcha jusqu’au bout de la pièce et s’empara de la chaise ou sœur Sainte-Louise avait somnolé; elle ne la laisserait pas à mère Catherine comme chacune le faisait. On verrait bien si elle la lui réclamerait !

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    Mère Catherine s’approcha de Marie LaFlamme qui ronflait légèrement; elle détacha sa cape de laine et l’en couvrit avant de retourner s’asseoir auprès de Guillaume Laviolette. Elle était heureuse d’avoir pris son tour de garde car elle avait l’idée que le diable ne pouvait l’assaillir devant les malades. Elle soupira : ferait- elle croire encore longtemps à des cau­chemars? Sœur Sainte-Louise lui avait confessé qu’elle redoutait d’être bientôt la proie de ces mauvais songes. Elle l’avait ras­surée. Provisoirement. Elle pria et remercia le Très-Haut de l’avoir choisie pour cette épreuve, même si elle lui semblait insur­montable. Le renoncement au monde alors quelle n’avait que douze ans, le trajet de mer en 1649, si long, si pénible, où elle craignait la peste, l’incendie du monas­tère l’année suivante, la maladie qui mul­tipliait ses atteintes au point qu’on lui avait conseillé de rentrer à Bayeux, les alarmes iroquoises et même le récent tremblement de terre étaient moins terribles que les atta­ques des démons. Quand les anges du mal élisaient demeure en son corps, elle offrait

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    ses souffrances à Dieu, en rémission des crimes commis dans la colonie, mais sentir ces êtres sataniques en elle, alors quelle éprouvait depuis sa naissance une profonde aversion pour l’impureté, était la pire des tortures. Tout en l’appréhendant, elle la souhaitait afin d’accroître son sacrifice.

    Elle implora aussi le Seigneur de l’aider à honorer de son mieux son nouveau poste de première Hospitalière. On l’avait élue le 4 octobre, après avoir nommé mère Marie Forestier de Saint-Bonaventure-de-Jésus. Mère Catherine estimait cette religieuse mais hésitait à lui confier ses doutes au sujet de Marie LaFlamme : la place de cette femme n’était pas dans un couvent. Elle voyait en Marie une biche toujours prête à bondir vers une des fenêtres de l’hôpital pour fuir une existence trop rangée. Si elle ne se plaignait jamais d’un travail trop ardu, c’est qu’il la distrayait. Elle serait morte d’ennui si elle n’avait eu qu’un ou deux malades à soigner. Sans s’en réjouir, elle avait dû apprécier l’ac­cident qui était arrivé à Laviolette. Mère Catherine regardait Marie dormir en s’inter­rogeant sur son présent. Et son avenir. Elle

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    savait que Marie mentait sur son passé en France, mais elle n avait jamais essayé de la prendre en défaut; à quoi bon l’indisposer? Chose certaine, elle avait dit la vérité sur ses talents de médecin et mère Catherine rechi­gnait à la voir quitter l'Hôtel-Dieu. Toutefois, elle savait que Marie avait des choses à accomplir dans le monde et quelle devrait bientôt l’affronter. Après Noël, peut-être?

    Mère Catherine s’étira; elle avait prié avec tant de ferveur qu’elle était demeurée quasiment immobile durant des heures. Elle secoua ses membres ankylosés, fit quelques pas avant de se rasseoir près de Guillaume Laviolette. Un mince rai de lumière cha­touillait la barbe du blessé ; mère Catherine se félicita encore une fois que l’hôpital soit situé à l’est, car elle considérait que les malades avaient bien besoin de ce chaud réconfort. Certes, elle aurait aimé que le soleil inondât la chapelle dès l’aube, mais celle-ci, qui jouxtait l’hôpital, bénéficiait plutôt des rayons de midi. Mère Catherine sourit ; la lumière divine n’avait pas d’heure pour luire dans son cœur, c’est tout ce qui importait.

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    Guillaume Laviolette éternua comme si la caresse du soleil l’agaçait et mère Catherine alla éveiller Marie. Traitant ses patients avec un soin jaloux, celle-ci apprécierait d’être la première à parler au blessé. Elle ne s’était pas trompée : Marie se leva d’un bond, prit juste la peine de ramasser la cape qu’elle avait laissée tomber, la jeta dans les bras de mère Catherine en la remerciant et courut vers Guillaume Laviolette.

    L’homme mit quelques secondes à recon­naître le lieu où il se trouvait, puis il se sou­vint et sourit à Marie.

    • Je suis toujours ici ? Je vous plais tant que vous voulez me garder ?

    Marie lui sourit à son tour.

    • Je vais refaire votre pansement. Nous ver­rons ensuite. Vous n’aimez pas vous reposer?

    • Il y a trop de péril à rester allongé et se faire gaver comme une volaille ; si j’y pre­nais goût, je ne pourrais jamais retourner chasser. Le moindre portage m’effraierait !

    • Un portage ?

    • C’est passer d’un lac à un autre en por­tant vivres et canot. Il faut être en bon état pour ça. J’espère que vous m’avez bien soigné !

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    Il tâta son pansement et fit une grimace.

    • Pardieu ! Si je tenais celui qui...

    Marie mit un doigt sur sa bouche

    desséchée.

    • Chut ! Comment pouvez-vous blas­phémer ? Vous avez connu le fouet pour la contrebande du sel, vous pourriez y goûter de nouveau pour vos paroles imprudentes.

    Guillaume reconnut quelle avait raison et promit de se surveiller tant qu’il serait à Québec.

    • Vous repartez bientôt? dit-elle sans chercher à cacher sa déception.

    • Je le souhaite !

    • Je m’ennuierai bien !

    Elle souleva d’un coup une partie du pansement et arracha un cri de surprise à l’aventurier.

    • Ce n’est pas parce que vous êtes fâchée que je parte qu’il faut me punir ainsi !

    • Je croyais que vous étiez habitué à une vie rude, dit-elle d’un ton moqueur.

    • Plus que vous ne sauriez l’imaginer. Quoique vous n’ayez guère été épargnée si je n’ai pas rêvé ce que vous m’avez dit hier.

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