Marie LaFlamme Tome 2



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Serais-tu jalouse ?

  • Moi? s’écria Lison en s’efforçant de sourire. Moi? Jamais je ne voudrais d’un homme qui a traîné chez les Sauvages ! Car lui ne veut pas des Françaises.

  • On verra ! fanfaronna Marie.

    Puis elle soupira et dit à Lison qu’elle avait raison, qu’elle était idiote de rêver à un tel homme, mais elle l’aimait plus que tous les autres colons.

    • Mon rêve était si beau! Les biches venaient manger dans ma main. Et les loups se couchaient à mes pieds. Nous habitions la terre voisine de celle de Legardeur de Tilly.

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    • C’était bien un rêve. Car tu n’habi­teras jamais la seigneurie de Villeray. Ni aucune autre d’ailleurs.

    • Et pourquoi pas ? Les veuves des sei­gneurs possèdent plus de la moitié des terres !

    • Tut, tut, tut! Tu n’es pas en deuil d’un seigneur que je sache? Et Guillaume n’a aucun titre. Il ne possède aucune terre. Et il ne connaît ni le mot « censive » ni le mot « roture » ! Il ne suffît pas d’avoir envie d’un lieu pour s’y installer. Il faut que la Compagnie le concède. Et les terres près du cap ont toutes été cédées.

    • Mais la Compagnie des Cent-Associés a été dissoute et il paraît que le Roi va révo­quer les concessions qui n’auront pas été exploitées dans les six mois.

    • Et alors ? Tu crois que tu seras assez riche pour racheter quelques arpents? Tu rêves tout éveillée maintenant ! Tu pourras peut-être songer à la tenure dans quelques années.

    • La tenure ?

    • Tu vois ! Tu n’es pas mieux que ton Guillaume, fit Lison. C’est simple : une

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    seigneurie comprend le domaine, ou la réserve. Celui à qui la seigneurie a été con­cédée y tient feu et lieu et l’exploite. Mais il y a aussi les tenures ; là, c’est les colons qui les exploitent. Ils les tiennent par censive.

    • L’impôt du cens? Comme en France? Je ne veux pas avoir à payer un seigneur à la Saint-Martin.

    • Épouse un noble ! railla Lison. Il n’y a pas d’autre solution. Maintenant, va rajouter ces os dans le chaudron.

    Marie s’exécuta tout en récapitulant ce que la cuisinière lui avait dit.

    • M. de Boissy pourrait dire au Conseil souverain que je voudrais installer une sorte de boutique où je soignerais les gens avec des plantes et des poudres. On me concéde­rait un lieu, comme aux Hospitalières. Mais moins vaste, évidemment.

    • Tu n’es ni Mme d’Aiguillon ni Mlle Mance. Tu n’es ni très pieuse ni très riche. Contente-toi d’aller voir tes malades chez eux.

    Se contenter? Les gens n’avaient que ce mot à la bouche ! A les croire, si l’on était né dans la misère, il fallait subir ce mauvais

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    sort jusqu’à sa mort sans broncher. Il n’en était pas question! Avec les peaux que lui donnerait Boissy et qu’elle revendrait ensuite à Guillaume, elle ferait un joli béné­fice. Elle achèterait des herbes, des poudres, des pierres médicinales, des onguents, des fioles, des balances, et elle pourrait vendre ses propres médications au lieu d’aller les chercher chez l’apothicaire Bonnemère. Elle gagnait un peu avec les plantes qu elle avait préparées durant l’été et soigneusement mises de côté, mais si elle parvenait à guérir les effets de l’eau-de-vie, elle amasserait une véritable fortune ! Elle sourit en pen­sant que Nicolas de Boissy, grand buveur, serait un de ses plus fidèles clients. Il chopi- nait presque tous les soirs avec Louis-André d’Alleret, et si Marie le craignait assez pour dormir avec un couteau, elle se réjouis­sait de ne pas être un homme car Boissy l’aurait assurément provoquée en duel : dès qu’il était ivre, il cherchait un ennemi à pourfendre. Il disait qu’il sortirait dans les rues, qu’il irait au fort des Hurons pour leur donner une leçon d’escrime ; il criait qu’il tuerait son père pour l’avoir exilé en

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    Nouvelle-France et Mgr de Laval pour avoir promulgué de stupides lois sur l’eau-de-vie. Lorsqu’il se levait, Paul Fouquet lui resser­vait un verre — pour que Boissy supporte mieux le froid du dehors —, il se rassoyait et finissait par s’endormir. Marie admettait que Fouquet savait manœuvrer son maître, mais n’était-ce pas son intérêt? N’était-il pas complice du trafic d’alcool ?

    Et elle ?

    Est-ce que les peines prévues par le Conseil souverain étaient les mêmes pour les hommes et les femmes ? Après tout, elle se livrait au chantage parce qu’elle voulait soigner les colons; au moins, ce n’était pas pour payer des dettes de jeu comme Boissy ! Ou amasser du bien comme Fouquet ! Marie fulminait en se souvenant comment celui-ci se lamentait sur sa pauvreté quand il était à l’Hôtel-Dieu : quel hypocrite !

    Et ce naïf Alphonse Rousseau le croyait et l’encourageait de son mieux. En repensant à l’épi de blé d’Inde, Marie s’empara du tisonnier et fouilla nerveuse­ment les braises ; elle avait seulement voulu s’amuser un peu. Elle ne pensait pas vrai­

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    ment se moquer d’Une Patte. D’ailleurs, elle l’avait remercié de son aide auprès de Guillaume avant qu’il ne quitte l’Hôtel- Dieu et elle lui parlait souvent après la messe dominicale. Il l’avait invitée à dîner chez le chevalier, mais Marie avait répondu quelle était trop occupée. Malgré sa curiosité, elle hésitait encore à visiter M. du Puissac. Elle ne voulait pas être ini­tiée à certains secrets de la Confrérie de Lumière ; on ne pardonnait rien aux héré­tiques et Marie avait entendu jaser au sujet du chevalier. Il allait à l’église, certes, mais il tenait des propos d’une grande liberté et son audace déplaisait à Mgr de Laval. Marie approuvait intérieurement les idées du chevalier, mais le fait de le recon­naître aurait mis en péril ses espoirs d’être acceptée comme sage-femme.

    • As-tu l’intention de faire des éclisses avec cette bûche? Marie sursauta; elle n’avait pas entendu Boissy arriver. Son sou­rire disait le plaisir qu’il avait eu à lui faire peur. Il s’approcha d’elle lentement et s’es­claffa quand elle pointa mollement le tison­nier vers lui.

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    • Petite sotte ! Veux-tu brûler mon manteau ?

    • Il est trop beau, dit Marie en déposant le tisonnier. Quand j en aurai un semblable, je ne m’approcherai pas du feu. Mais il fau­drait d’abord qu’on me donne les peaux. Avant le Carême.

    Boissy fit un pas vers Marie ; elle se raidit mais soutint son regard. Elle voulait des peaux? C’est la sienne qu’elle perdrait !

    • Viens tantôt au moulin, chuchota-t-il.

    • De la Trinité ?

    • A la fin du jour.

    Marie, insolente, fit une courbette à Boissy avant d’aller retrouver Lison ; elle lui dit que leur maître la remerciait encore de ses bons soins. La cuisinière lui donna en maugréant un poulet à plumer.

    La lumière éblouissante de cette journée de janvier désespérait Marie; il lui semblait que le jour ne ferait jamais place à la nuit. Dès que la neige prit une teinte irisée, elle s’habilla et se dirigea vers le moulin même si elle savait qu’il était trop tôt ; Boissy la rencontrerait la nuit, de façon que per­sonne ne les reconnaisse. Il régnait un

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    froid meurtrier et Marie songea un instant à garder les peaux pour en faire un man­teau. Depuis une semaine, elle comprenait ce que les habitants de Québec lui avaient expliqué à son arrivée : plus pur est le ciel, plus dur est le gel. Elle savait maintenant qu’on se brûlait la poitrine en respirant à fond et qu’il fallait empêcher les enfants d’appliquer leur langue sur du verre ou du métal de peur qu’elle n’y reste collée. Elle était mystifiée par les parélies et les aurores boréales mais préférait les foudrilles. Elle se promettait de glisser bientôt dans un de ces longs traîneaux et elle essaierait d’améliorer les traitements pour les engelures. Elle se félicitait de n’avoir pas eu encore à amputer. Elle était ravie d’écouter les crissements de la neige sous ses mocassins ; elle conterait plus tard à Noémie une fable où des paires de souliers parleraient entre eux de leurs propriétaires. Les siens se plaindraient de rester immobiles dans la neige, à attendre la nuit, le nez contre les pierres d’un moulin !

    Nicolas de Boissy arriva enfin. Malgré l’obscurité, Marie vit une lueur triomphante dans son regard. Elle serra les poings dans

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    son manchon ; s’il croyait la rouler, il se trompait !

    • Viens, nous devons rencontrer mon Sauvage près du cap, fit-il en lui enserrant les épaules.

    Marie se dégagea prestement.

    • Je vais vous attendre ici.

    • Non ! Il faut que tu viennes avec moi ! Sinon tu n’auras rien. Je veux que cet Indien puisse dire qu’il t’a cédé des peaux; si jamais je suis accusé de trafic, je m’ennuierai moins dans ma geôle. J’aurais même du plaisir à la partager avec toi ! Tu es bien jolie avec ces joues aussi rouges que...

    • Je ne vous suivrai pas. Longer le cap est dangereux.

    • Que veux-tu dire ?

    • Que je pourrais débouler la falaise. Me rompre les os. Et que vous ne pleureriez pas ma disparition.

    Boissy secoua Marie si fort qu’elle en perdit son bonnet.

    • Garce, catin, sorcière !

    • Arrêtez ! cria Marie en donnant un coup de pied à son agresseur. Voulez-vous qu’on nous entende ?

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    • Il n’y a personne et tu le sais !

    Marie eut un mouvement de recul mais

    sa voix était assurée quand elle dit à Boissy quelle avait prévu qu’il songe à se débarrasser d’elle. Et quelle avait presque tout raconté à sœur Sainte-Louise à l’Hôtel-Dieu.

    • S’il m’arrivait de décéder ces jours-ci, cette femme aviserait aussitôt les autorités.

    • Tu as parlé de notre marché à cette maudite nonne ? rugit Nicolas de Boissy. Tu es folle ! Elle va tout répéter à Mgr de Laval.

    • Je n’ai pas parlé du trafic d’eau-de-vie. Je lui ai seulement laissé entendre que vous vouliez abuser de moi. Que vous acceptiez mal ma résistance et que vous vous fâche­riez peut-être. J’ai ajouté que j’avais peur de vous et souhaiterais travailler ailleurs, cependant vous payiez si bien... Je crois que le viol est puni de mort, non ? Robert Hache sera bien arquebusé ou pendu pour ça ?

    • C’est un Sauvage !

    • Il mourra comme n’importe quel Français quand il sera exécuté ! Sachez que sœur Sainte-Louise agirait s’il m’arrivait malheur. Et avec un certain plaisir; vous n’êtes pas le meilleur exemple de la colonie !

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    Allez, donnez-moi ces peaux que vous me devez !

    Boissy était muet, trop furieux pour parler : cette femelle méritait bien son sobri­quet avec ses ruses déloyales ! Il l’aurait volontiers étranglée sur place ! Il tendit les mains vers son cou, elle croisa les bras dans une attitude de défi, qui humilia plus que tout Boissy. Elle marquait des points ce soir, mais elle paierait bientôt son impudence !

    • Voyez-vous réellement un Indien tantôt ou rentrez-vous rue Saint-Louis ?

    • Je vais boire chez Boisdon pour t’oublier !

    • N’oubliez pas mes pelleteries, c’est tout ce que je vous demande !

    Marie se hâta malgré la gêne que lui causaient ses raquettes. Elle ne reprit une allure normale qu’en touchant la terre de Godefroy, quand elle vit une petite boule sombre remuer faiblement dans la neige. Elle s’approcha du jeune lièvre : il était blessé à une patte et à une oreille. Marie savait qu’elle terroriserait l’animal si elle l’emmenait avec elle, mais elle ne pouvait le soigner dans ces conditions. Enlevant

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    son bonnet de laine, elle y coucha douce­ment lanimal. Elle tenait le chapeau fermé et n’apercevait qu’un petit nez acajou qui frémissait de peur, de froid et de douleur.

    En atteignant la rue Saint-Louis, Marie avait décidé de garder le lièvre. Elle préten­drait qu’il fallait l’engraisser avant de le manger, mais dès qu’il serait guéri, elle le ramènerait dans les bois. Elle pénétra dis­crètement dans la cuisine où s’affairait Lison et déposa son précieux paquet sur la table.

    • Il est blessé, dit simplement Marie. Je vais le soigner.

    • T’as pas assez des gens? se moqua Lison. Tu ferais mieux de l’achever, on le mangerait en ragoût dimanche !

    Marie sourit du mieux qu’elle put et déclara que c’était bien son intention, mais elle l’aimerait plus gras.

    • Et puis il faut s’assurer qu’il n’est pas malade ! Sinon, on pourrait tous périr après l’avoir mangé.

    Tout en palpant l’animal, elle raconta une fable à la cuisinière où il était question d’une perdrix qui avait avalé de l’ancolie

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    avant d’être abattue par un chasseur et dont la chair avait empoisonné toute une famille.

    • Si ce lièvre survit et profite bien, il sera pour nous. Autrement, j’aurai au moins la peau.

    • Tu pourrais te faire une belle paire de mitaines, fit Lison avec envie.

    • Tiens-le pendant que je lui fabrique une attelle, dit Marie en essayant de cacher son indignation.

    Elle sauverait la bête des pièges, de la neige et de la marmite ! Elle saupoudra le linge qui servirait à maintenir l’attelle de poudre de pied-de-loup, espérant calmer la douleur du petit animal. Il ne tremblait plus mais Marie n’était pas apaisée pour autant : il lui semblait que les yeux s’épaississaient, que les longues oreilles étaient plus molles, que le nez s’asséchait. Malgré les protesta­tions de Lison, elle retira une carotte du potage pour tenter le lièvre : ce n’étaient pas des poireaux ou des cardons bien frais, mais si les lapins de Nanette aimaient ce légume, peut-être le lièvre y goûterait-il? Il lui sembla que le nez frémissait de nouveau,

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    mais au bout de quelques minutes l’animal épuisé n’avait rien grignoté. Boissy, qui était rentré, se moqua du zèle de Marie pour sauver la petite bête.

    • Tu ferais mieux de le tuer tout de suite !

    • C’est ce que j’ai dit, Monsieur, dit res­pectueusement Lison. Surprise du ton obsé­quieux de la cuisinière, Marie évita cependant de la regarder. A quel jeu jouait Lison?

    • Tu as raison, Lison. Cet animal est moribond, mais en civet il sera bon !

    Boissy rit de sa rime et priait déjà Lison d’ajouter du lard à son ragoût quand Marie, désespérée, eut recours à un dernier argument.

    • Je peux guérir ce lièvre !

    • Il est déjà mort !

    • Je le ressusciterai !

    • Je n’en crois rien. Nous mangerons bientôt de ce lièvre ! Foi de Nicolas de Boissy!

    • Voulez-vous parier que je peux le sauver ?

    • Parier ?

    Boissy se pencha sur le lièvre, lui toucha le museau et sourit de toutes ses dents à Marie.

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    • Que veux-tu parier ?

    • Mais ce lièvre ! Si je le sauve, il est à moi. S’il meurt, il est à vous. Vous aurez un repas et une peau.

    Boissy fit une moue dédaigneuse.

    • Que veux-tu que je fasse d une misé­rable pelleterie ? J’ai toute l’eau-de-vie qu’il faut pour...

    • C’est une belle peau, l’interrompit Marie.

    L’homme la dévisagea; elle l’avait empêché de se trahir. Pour cacher son trouble, il leva la main et topa avec Marie.

    • J’accepte ton pari.

    • Bien, Monsieur.

    Il y eut un silence désagréable et Marie ne fut pas très surprise quand Boissy ajouta quelle devrait manger le civet avec lui si elle perdait.

    Elle accepta en se disant qu’elle finissait par détester autant Boissy que Geoffroy de Saint-Arnaud. Est-ce que tous les nobles étaient semblables à eux ?

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    Chapitre 20

    L

    e lièvre Janvier survécut à sa blessure.
    Moins d une semaine après que Marie


    leut soigné, il sautait avec entrain d’un bout
    à l’autre de la cuisine et Lison ne cessait de
    pester contre l’animal.


    • Il mange autant qu’une personne ! La réserve de racines n’est pas inépuisable !

    Marie rétorqua que bien des herbes, bien des pains et plus d’un poulet provenaient des dons de ses malades. Ce n’était pas une si petite bête qui affamerait la maisonnée. Elle adorait Janvier et avait grand hâte de le montrer à Noémie; la petite serait sub­juguée ! Il est vrai que ce lièvre était un animal dépareillé : il suivait Marie comme le font les chiens, sautait sur ses genoux quand elle l’appelait et mangeait dans sa main. Lison disait qu’il restait immobile quand Marie s’absentait, mais il se frot­tait furieusement les oreilles l’une contre l’autre cinq minutes avant le retour de sa maîtresse.

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    Si Marie était heureuse d’avoir Janvier auprès d’elle, elle devinait néanmoins que Boissy ne lui pardonnerait jamais d’avoir perdu un second pari par sa faute. Il lui avait remis cinq peaux de castor en lui disant qu’il y aurait encore autant de peaux pour elle à la mi-février. Il ne lui donnerait plus rien ensuite.
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