Marie LaFlamme Tome 2



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Boissy plaqua ses deux mains sur la poi­trine de Marie, la bloqua au mur en tendant une cuisse contre son ventre, et allait écraser ses lèvres sur les siennes quand il sentit une pointe acérée le piquer au cou.

  • Vous devriez retirer vos mains, sinon j’enfonce le stylet. Et sachez que je ne vous manquerai pas.

Appuyant cette déclaration, Marie aug­menta la pression sur la nuque.

  • Si je continue, vous ne bougerez plus jamais.

Boissy sourit; il n’avait qu’à lever les bras d’un coup pour que Marie perde son stylet. Cette fille était décidément très drôle.

  • Et prenez garde de faire un mouve­ment brusque, continua Marie. La pointe du stylet est empoisonnée : si vous essayez de vous dégager trop vite, vous ressentirez bientôt un méchant engourdissement, vous aurez ensuite des convulsions, vous vomirez du sang, beaucoup de sang. Et vous

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mourrez. C est vous qui demandiez à être distrait de votre ennui ?

Boissy descendit lentement ses mains le long de son corps et s’écarta précautionneu­sement de Marie.

  • Espèce de garce ! Sors d’ici !

Marie secoua la tête, désigna une chaise à Nicolas de Boissy.

  • Je ne crois pas que ce soit une bonne chose que je quitte cette demeure. Nous pourrions nous entendre...

Boissy fronça les sourcils ; Marie avait le même sourire qu’une renarde convoitant une poule.

  • Vous allez malheureusement perdre votre pari avec votre ami d’Alleret : je ne peux vous permettre de ruiner ma réputation. Mais vous allez peut-être gagner une alliée.

  • Une alliée ?

  • Une alliée qui sait garder le silence sur votre trafic.

Marie expliqua qu’elle avait compté les barriques dans le cellier et conclu qu’il se livrait au commerce de l’alcool avec d’Alleret qui revendait sans doute l’eau- de-vie aux Indiens.

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  • Mais je ne vous dénoncerai pas à Mgr de Laval car vous consentirez assu­rément à me donner, en plus de cette jolie bourse bien garnie, quelques peaux pour me remercier de mon silence.

  • Des pelleteries ? fit Boissy, ahuri.

  • Les Indiens ne vous paient pas en livres !

Marie eut un sourire coquet en avouant quelle voulait posséder un manteau aussi beau que celui de son maître. Boissy sourit à son tour : les femmes étaient des créatures dune grande naïveté ! Marie n’avait aucune idée des profits qu’il réalisait depuis des mois pour se contenter d’un manteau, fût- il en vison !

  • Un manteau? C’est ce que tu veux?

  • Et une couverture pour ma fille. Et vous augmenterez mes gages. Naturellement, je continuerai à travailler ici; on s’interro­gerait si je vous quittais soudainement. J’ai assez répété combien j’aimais être à votre service. Combien vous étiez un bon maître. Combien vous payiez largement. Personne ne s’étonnera que j’aie un manteau chaud. Nous

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dirons même que nous sommes restés ici ce soir car vous avez ressenti de telles douleurs à la poitrine que vous étouffiez. Je vous ai donc soigné. Et vous me remerciez en me donnant de bonnes peaux de castor. Nicolas de Boissy jura : elle n’était pas si naïve !

  • Tu as pensé à tout !

  • Une pauvre veuve doit songer à se protéger, ricana Marie. Les loups ne vivent pas tous dans les bois.

« Il faut la faire taire ! songea Boissy en fixant Marie qui ne cessait de sourire. Elle demande déjà des peaux et de l’argent ! Elle voudra toujours plus ! Sans rien donner en échange. » Il voulait plus que jamais la pos­séder; sa ruse l’avait encoléré. Et excité : il aimait les duels et celui-ci était d’un genre nouveau. Il serait vainqueur. Il ferait sem­blant de se soumettre à la volonté de Marie mais il savait déjà qu’il lui proposerait de lui montrer les peaux dans un endroit éloigné de la ville. Personne n’entendrait ses cris quand il la violerait. Personne n’entendrait ses derniers soupirs quand il l’embrocherait.

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Avec la neige, on ne trouverait pas son corps avant le printemps. A moins que les loups ne le dévorent.

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Chapitre 18

victor Le Morhier souriait à Emile

Cléron, mais ce dernier n’était pas dupe : son ami n’avait pas le cœur à fêter. Si le Nantais s’efforçait de plaisanter, c’est qu’il ne voulait pas gâcher la soirée de leurs retrouvailles.

  • Veux-tu rentrer? demanda le Parisien. Je vois bien que tu ne t’amuses guère.

  • Ce n’est pas par ta faute ! soupira Victor. Tu as fait tout ce que tu pouvais pour me distraire.

  • Evidemment, ce n’est pas en hantant les lieux où Marie a vécu que tu l’oublieras ! Faut-il être idiot pour s’enticher d’une femme alors qu’il y en a des dizaines qui te tendent les bras !

Victor haussa les épaules, se pencha devant la vitrine d’un poupetier; il appor­terait un ourson à Noémie quand il retour­nerait en Nouvelle-France. Elle parlerait peut-être déjà?



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  • La brune, Aux bons enfants, j’ai bien vu comment elle te regardait. Son compa­gnon le lui a même reproché. Sais-tu qui c’était?

Victor haussa les épaules.

  • M. Molière en personne ! Les acteurs et les danseurs fréquentent beaucoup ce cabaret. J’aime les femmes qui jouent la comédie au théâtre; il me semble qu’elles la joueront moins en quittant les planches. Pas toi ?

  • Je n’en ai jamais connu.

Ils marchèrent en silence jusqu’aux jar­dins du Palais-Royal. Emile se demandait s’il devait bousculer Victor et le forcer à l’accompagner à La Fosse aux lions ou le quitter maintenant. Ils arrivaient rue des Vieilles-Etuves-Saint-Honoré où habitait son oncle, M. Beaumont.

  • Viens donc rue du Pas-de-la-Mule, je sens que je vais gagner !

  • Je vois que tu n’as pas changé tes habitudes.

  • C’est le bon moment; les mauvais joueurs ont commencé à perdre et veulent reprendre leurs mises. S’ils croient qu’ils

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peuvent me rouler à la guerre, au creps ou au quinquenove, je ne les en dissuaderai pas.

  • Pour mieux les plumer ensuite. Le hasard est si bon pour toi... J’aurais bien aimé que tu rencontres MM. de Boissy et d’Alleret pour leur donner une leçon.

  • Quand tu veux, fit le fripon.

  • Ils vivent à Québec.

  • Punaise ! C’est un peu loin.

Victor hocha la tête; oui, c’était loin.

Très loin, trop loin de Marie. Emile Cléron lui secoua le bras.

  • Tu y retourneras.

Victor n’avait pas envie de jouer, mais encore moins de converser avec son oncle qui lui parlait sans cesse du commerce des fourrures depuis qu’il lui avait dit qu’il son­geait à en rapporter de Nouvelle-France, connaissant un coureur de bois réputé pour la beauté de ses prises.

  • Ton oncle t’ennuie à ce point? demanda Emile.

  • Je veux bien faire du commerce de pelleteries mais il voudrait que je le félicite d’avoir acheté ici des fourrures. Celles qu’il

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t’a montrées. Moi, je répète quelles sont belles, mais qu’ajouter de plus?

  • Tu ne t’y connais pas ?

Victor raconta comment le coureur de bois lui avait évité de se faire rouler par Antoine Souci.

  • Je distingue maintenant le castor gras du demi-gras, mais je ne m’y connais pas comme Laviolette. Comment aurais-je appris en si peu de temps ! Et mon oncle vou­drait tant que je le rassure ! Heureusement que tu l’as complimenté pour ses achats. Je suis content de lui avoir rapporté quelques peaux. J’en ai aussi donné une à Marie.

  • Marie, Marie, Marie ! Tu es ici, et foi de Cléron le Marmiton, tu vas l’oublier cette nuit !

Victor soupira avant de s’étonner.

  • Tu étais vraiment tournebroche ?

  • Plutôt gâte-sauce, avoua gaiement Emile Cléron. Je n’étais pas doué et je lais­sais tout brûler. Le patron du Cheval blanc, qui fut le plus patient avec moi, m’a gardé sept jours.

  • Tu as pourtant un bel avaloire ! J’ai vu comment tu faisais suivre les tanches

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des gelinottes et les gelinottes dun rôti ! Tu manges autant que Guillaume Laviolette qui est un colosse !

Emile Cléron se tapota les côtes en riant : il avalait quatre repas et buvait plusieurs chopines de vin par jour sans engraisser; il était né court et mince, il le restait. Emile aurait aimé avoir une stature qui en impose aux femmes, mais sa petite taille lavait souvent servi depuis qu’il s’était découvert une passion pour le jeu... Un fripon doit parfois quitter bien rapidement le cabaret ou l’hôtel particulier où il travaille, sous peine d’être malmené par ses victimes ou arrêté par le guet. Emile Cléron courait très vite, connaissait toutes les issues d’une demeure et les ruelles attenantes : on ne l’avait jamais arrêté. Il modifiait réguliè­rement son allure, sa coiffure, et ne jouait pas deux soirs de suite dans le même lieu. Enfin, il travaillait en solitaire, persuadé que c’était la plus élémentaire prudence. Il ne se confiait à personne. Hormis Victor. Mais Victor lui avait sauvé la vie. Et Victor ne s’intéressait pas au jeu; il ne lui ferait jamais concurrence car il ne comprenait

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pas la moitié des pièges qu’il lui révélait. Il le regarda du coin de l’œil : Victor avait toujours l’air soucieux, les sourcils froncés. Il pensait à Marie LaFlamme, évidem­ment. Comment pouvait-il être aussi sot ? S’éprendre d’une fille qui le menait au bout du monde en affirmant qu’elle en aimait un autre ! Cette Marie devait être une vraie sorcière pour avoir enchanté ainsi Victor.

Rue de la Grande-Truanderie, Victor s’ar­rêta devant la boutique d’un patenostrier : Marie lui avait déjà parlé de cet artisan.

  • Il semble qu’il tourne les plus jolis boutons de bois.

  • Et bien des chapelets! Tu devrais peut-être prier pour oublier cette Marie !

  • Non, je prie pour qu’elle oublie Simon Perrot. Comment peut-elle être assez idiote pour aimer pareil bandit ?

Emile Cléron leva les yeux au ciel, l’implorant de le garder à l’abri des pas­sions amoureuses qui ôtent tout bon sens aux hommes : Victor ne voyait même pas qu’il s’entêtait à aimer Marie comme elle s’entêtait à aimer Perrot. Il faudrait pourtant que chacun retrouve un peu de

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lucidité; ils gâchaient leur vie à la rêver au lieu d’en jouir pleinement! Victor n’était pourtant pas plus âgé que lui; il pour­rait s’amuser de la naïveté des bourgeois qui venaient au Marquis doré
éprouver de grands frissons en lançant des dés souvent pipés sous le regard d’une femme de petite vie. Chaque soir, Emile Cléron plumait joyeusement son pigeon. Un, pas plus, il ne fallait pas être trop gourmand. Mais il gros­sissait ses gains en achetant et revendant les montres, bagues, boutons qui servaient parfois à payer une dette.

  • L’autre soir, j’aurais pu m’offrir un pourpoint de drap de Londres tout neuf, mais il était trop grand. Si j’avais su que tu reviendrais à Paris, je te l’aurais gardé.

Victor esquissa un salut en guise de remerciement, mais il était soulagé que son ami ne lui ait pas donné le pourpoint ; sans réprouver le mode de vie d’Emile Cléron, il ne voulait pas être mêlé à ses tra­fics. Il le suivait volontiers dans ses expé­ditions, toutefois, il ne restait pas à ses côtés quand il flouait un joueur. Il préfé­rait se promener dans la salle, s’étourdir

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des cris des vainqueurs, des plaintes des perdants, des airs des musiciens, des tinte­ments de timbales et d’écuelles. Ce bruyant remous le fatiguait sans l’énerver; Victor avait remarqué qu’il dormait plus aisément quand il rentrait d’une visite au cabaret.

  • On arrive bientôt, fit Emile Cléron. C’est au bout de la rue. Qu’est-ce qu’il y a?

Victor s’était soudainement arrêté et regardait vers la droite.

  • Nous sommes tout près de la rue Vieille-du-Temple !

  • Et alors ? Marie y a habité ? railla Emile Cléron.

Victor se renfrogna, vexé par le ton de son compagnon. Celui-ci s’excusa, comprenant qu’il ne pouvait même pas taquiner Victor sur son amitié pour Marie LaFlamme.

  • Michelle Perrot habite à côté, rue du Bourubourg.

  • La sœur de Simon ?

Victor quitta la rue des Francs-Bourgeois et courut comme s’il était attendu place aux Veaux.

  • Eh ! Attends-moi, cria Emile en s’élan­çant derrière lui.

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Il le rattrapa au coin de la rue des Mauvais- Garçons et constata avec orgueil qu’il n’était même pas essoufflé alors que Victor hale­tait. Entre deux respirations, il lui désigna une fenêtre où on devinait de la lumière entre les fenêtres mal closes.

  • C’est là qu’elle habite.

Emile Cléron jura, dévisagea Victor pour voir s’il se moquait de lui, puis éclata de rire en songeant que le hasard lui était décidé­ment favorable : le Nantais lui désignait la demeure d’Armande de Jocary. La baronne !

  • Pourquoi Michelle Perrot habite-t-elle chez la baronne ?

  • La baronne de Jocary est sa tutrice ; elle permet à Michelle de pratiquer son art. Michelle est flûtiste.

  • Et pendant qu’elle donne son concert, on échange les cartes. Ou les dés. Je veux pénétrer chez la baronne !

  • Mais je n’y suis jamais entré, protesta Victor. C’est Michelle qui venait chez mon oncle, craignant que je ne rencontre Simon : elle sait que je le déteste.

  • Et si tu demandais à voir Michelle ?

  • Astheure ?

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Emile Cléron hocha la tête en poussant fermement son ami vers la porte de la cour.

  • Tu diras que c’est ton premier soir à Paris, que tu voulais lui signaler ta présence de suite et lui donner des nouvelles de ses parents.

  • Elle sait que je suis à Paris. Elle a vu ma tante hier, qui lui a dit que j’arrivais aujourd’hui. Elle doit me visiter demain.

  • Mais personne ne dort, s’obstina Emile Cléron. N’entends-tu pas ces exclamations ? On ne gênera guère !

Le Parisien entendait parler de la baronne depuis six mois et il l’admirait sans la connaître. Armande de Jocary était très forte : cette femme avait réussi à persuader son monde qu’elle était noble, à garder ce monde chez elle pour jouer, à le faire dépenser, à le faire revenir, et cela sans jamais être inquiétée par la police. Ni par des inconnus. Quand Victor demanda à voir Michelle au valet qui lui avait ouvert, celui-ci lui répondit que Madame ne recevait personne à cette heure, surtout pas des étrangers, et il referma la porte brutalement.

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  • Punaise ! On nous jette comme des malpropres !

Victor haussa les épaules, prit Emile par le bras.

  • Je parlerai demain à Michelle. C’était ton idée mais il vaut mieux que je ne sois pas entré. Si j’avais vu Simon Perrot, je crois que je l’aurais massacré.

  • Je t’en aurais bien empêché ! On ne se débarrasse pas d’un homme devant vingt témoins, mais si tu...

Victor interrompit Emile : il ne voulait pas savoir s’il connaissait des sicaires prêts à commettre un assassinat, fût-il celui de Simon Perrot.

  • J’ai froid. Si nous allions plutôt à La Croix de Lorraine? Cléron approuva. En marchant vers le cabaret, il renseignait son ami au sujet de la baronne de Jocary. Alors qu’ils s’attablaient, Victor essayait toujours de comprendre pourquoi Emile prétendait qu’Armande de Jocary usurpait son titre de noblesse.

  • Je le devine, c’est tout. Et je la trouve très douée. Michelle doit me présenter à elle!

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  • Je vais... Par Morgane !

  • Quoi ? Qu’est-ce que...

Victor repoussa son tabouret si vite qu’il tomba sur le sol de pierre avec fracas, et avant qu’Emile eût le temps de réagir, il dévala l’escalier et se rua vers la porte comme si mille diables le poursuivaient.

Il avait vu Simon Perrot.

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