Marie LaFlamme Tome 2



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Simon Perrot l’avait vu. Et s’était aus­sitôt enfui. Il avait disparu derrière l’église Saint-Gervais, mais quand Victor aboutit rue François-Miron Simon s’était éva­noui dans la nuit. Il devait être tapi tout proche, derrière une porte cochère, dans une encoignure, il devait voir Victor qui tendait l’oreille, faisait deux pas, se retour­nait, avançait, s’arrêtait sans deviner où il était, et il devait bien rire. Comme autre­fois, quand ils jouaient à cache-cache.

Quand Emile rattrapa Victor et lui tendit son chapeau et son manteau, celui-ci était aussi enragé qu’intrigué.

  • Il a disparu ! C’est de la magie ! Il a toujours flatté le Diable !

  • Personne n’est sorcier, tu le sais !

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  • Oui, mais Simon me fait croire le contraire. Pourquoi m’a-t-il fui? Il ne sait pas que je le hais.

  • Il t’aura confondu avec un autre homme.

Non, c’était impossible. Ils se connais­saient depuis toujours. Que tramait encore Simon ?

  • Je vais voir Michelle demain ! déclara Victor.

A bientôt, baronne, songea Emile Cléron avant de suggérer d’aller maintenant à La Fosse aux lions.
Il n’avait encore rien gagné. Il ne devait plus s’attarder car les gagnants de la bassette ou de l’impériale veillaient à ne pas traîner après neuf heures, étant donné qu’ils redoutaient d’être détroussés en ren­trant chez eux. Certains payaient pour être raccompagnés ; Emile proposait souvent ses services aux bourgeois ou aux provinciaux car c’était une bonne façon d’apprendre où ils habitaient. S’ils semblaient assez for­tunés, Emile Cléron cédait ses informations à des complices qui «visitaient» quelques semaines plus tard les demeures indiquées.

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S’il n’avait pas estimé autant Victor, Emile aurait assurément parlé de M. Beaumont à ses comparses : les fourrures valaient le déplace­ment ! Les vingt peaux avaient été bien pré­parées et elles étaient d’une grande diversité : castor, vison, renard, loup et il y avait même une peau de phoque ! C’était la deuxième fois qu’il en voyait une en cinq ans !

  • Va pour La Fosse aux lions? s’enquit Emile. Victor refusa en bâillant.

  • Le voyage entre Nantes et Paris m’a épuisé. Je vais rentrer rue des Vieilles-Etuves. Mais on se reverra demain ? J’aurai parlé à Michelle.

  • Tu ne crains pas de rentrer seul ? Je peux...

  • Ne t’en fais pas, je sais me défendre. J’ai bien échappé au scalp.

  • Au scalp ?

  • Les Indiens gardent la chevelure de leurs ennemis en guise de trophée. Toute la chevelure. Qu’ils découpent à la hache.

Emile Cléron grimaça en se passant la main dans les cheveux et s’étonna que Victor ne lui eût pas parlé plus tôt de l’at­taque des Sauvages.

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  • Je plaisantais. Québec est une ville calme, bien protégée ; les Iroquois viennent rarement. Ils tuent à l’île d’Orléans. Et à Ville-Marie.

  • Tu n’as donc pas à t’inquiéter...

Victor salua son ami sans répondre : Marie

n’était guère susceptible d’être attaquée par les Indiens à Québec, certes, mais il ne dor­mirait pas sans rêver que Boissy arrivait à ses fins et séduisait la femme qu’il aimait. Il se demanda s’il montrerait à Michelle la missive que Marie lui avait remise pour Simon. Il l’avait toujours sur lui, même s’il avait pensé mille fois à la détruire ; s’il hésitait, c’est qu’il n’avait encore jamais failli à la parole donnée. Il détestait l’idée de tromper Marie. Mais il n’avait assurément pas couru derrière Simon Perrot pour lui remettre la lettre. Il avait poursuivi Simon parce que celui-ci avait fui et que l’idée de la fuite supposait un méfait; un méfait qui le concernait, lui, Victor Le Morhier. Mais lequel ?

Victor l’apprit dès le lendemain matin quand les cris de son oncle réveillèrent toute la maisonnée. Louise Beaumont entra dans la chambre de Victor en chemise de nuit,

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échevelée, et le supplia de rejoindre son époux au plus vite.

  • Il est en train de devenir fou ! Les fourrures ont disparu !

  • Quoi ?

  • Nous avons soupé après ton départ avec ton ami, puis nous nous sommes cou­chés. C’est alors quon nous a volés ! A quelle heure es-tu rentré hier soir ?

  • Bien avant minuit.

  • As-tu vu les ballots de peaux?

Victor se dressa tout à fait dans son lit.

Il se souvenait maintenant : il avait été sur­pris de voir que son oncle les avait changés de place.

  • On nous a donc volés après ton départ et avant ton retour !

  • Par Morgane ! s’écria Victor en enfi­lant son haut-de-chausse. On aurait profité de mon absence ?

Louise Beaumont resta quelques secondes dans la chambre après que Victor fut sorti : son neveu persuaderait-il son mari qu’il n’était pour rien dans cette affaire? Que son ami Emile Cléron, qui semblait si bien s’y connaître en fourrures, n’était

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pas un filou? La coïncidence était mal­heureuse! Louise Beaumont ne voulait pas entendre une accusation contre Victor, mais elle comprenait le désespoir de son mari. Elle nosait pas imaginer la réaction de son frère Martin s’il apprenait qu’on avait soupçonné son fils. Elle avait tenté de calmer son époux, mais il répétait qu’il avait bien vu qu’Emile Cléron convoitait les fourrures.

Comme elle l’appréhendait, Octave Beaumont accusa Cléron du crime et ordonna à Victor de lui révéler où il habitait.

  • Nous irons le cueillir avec le lieu­tenant de police! Quelle rue? Quel quartier ?

Victor, suffoquant d’indignation, refusa tout net de répondre à son oncle. Puis il vit sa tante qui le suppliait du regard et il déclara qu’il prouverait l’innocence d’Emile Cléron et trouverait le coupable.

  • Tu sais qui m’a volé! dit Octave Beaumont furieux, prêt à se jeter sur Victor.

  • Je crois savoir. Mais j’ignore où se trouve le voleur.

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  • Tu viens d’inventer cette fable pour protéger ton ami ! Dehors ! Je ne veux pas nourrir plus longtemps celui qui me trahit.

  • Mon ami ! gémit Louise Beaumont. Victor ne nous a jamais menti !

  • Merci, ma tante, dit Victor. Je pourrai dire à mon père que vous n’avez pas mis ma parole en doute. Mais comme votre époux saute rapidement aux conclusions, je pré­fère quitter votre demeure.

  • Ne reviens pas sans les peaux ! tonna son oncle tandis que Victor remballait le maigre bagage qu’il avait apporté de Nantes.

Quand il sortit de sa chambre, son oncle était retourné à l’atelier. Sa tante, qui pleu­rait, lui tendit une petite bourse.

  • Tu pourras te loger dans une auberge en attendant de retourner à Nantes.

Victor embrassa Louise Beaumont en lui jurant qu’il ne lui gardait aucune rancune et qu’ils se reverraient bientôt.

  • Je vous prie seulement de dire à Michelle Perrot que je la retrouverai en face de l’église Saint-Louis après le dîner.

Refermant la porte du logis des Beaumont, Victor était ahuri de la rapidité

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avec laquelle cette triste scène s’était déroulée et de la spontanéité de ses affirmations : serait-il capable de retrouver les peaux?

Ou Simon Perrot les avait-il déjà toutes vendues ?

Victor était si furieux contre Simon et contre son oncle qu’il marcha durant cinq minutes avant de se rendre compte qu’il avait neigé. Ce phénomène ne lui était pourtant pas familier ! Il réussit à rire de sa distraction et décida de chercher un hôtel rue des Blancs-Manteaux ou rue des Rosiers afin d’être près de la rue du Bourubourg. Il rencontrerait plus facilement Michelle.

Les flocons tombaient avec une si douce régularité que Victor en fut apaisé. Il pen­sait à Marie quand il se présenta à l’hôtel du Cerf qui rit.
Neigeait-il à Québec comme à Paris. Il aurait aimé écrire à Marie pour lui raconter Paris endormi sous la pous­sière glacée. Il lui aurait parlé des pâles îlots dans les jardins, des rires des Enfants rouges, plus cristallins qu’à l’accoutumée, d’un gant turquoise perdu par une élégante rue Audry-de-Boucher, des massifs de gui parés d’opales, du chien qui avait profité

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de la chute dun volailler pour lui prendre son poulet et de la balle de neige qu’il avait lancée sur une statue pour l’égayer.

Après avoir déposé son sac dans une chambre, Victor paya soixante sols pour dîner d’une soupe de haricots, d’une cuisse de dinde et d’une part de tourte d’abattis, puis il sortit en relevant le col de son man­teau et emprunta la rue Sainte-Croix; il avait le temps de voir Emile Cléron avant de rencontrer Michelle Perrot.

En traversant la cour de la rue de la Verrerie où habitait son ami, Victor se souvint du soir où il l’avait repêché dans la Seine et ramené à son logis : la cour enneigée offrait peu de ressemblances avec le souvenir qu’en gardait Victor. Il avait cru alors s’enfoncer dans un couloir de suie, dans les entrailles de la terre, vers les enfers. Il avait vite oublié sa peur en dis­cutant avec Emile Cléron : celui-ci avait une vie tellement mouvementée ! Il venait d’échapper à une tentative de meurtre et ne semblait pas autrement secoué. Il avait avoué son métier à Victor pour lui mon­trer sa confiance et lui avait juré d’être un

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ami fidèle. Comment aurait-il pu voler son oncle Octave ?

Victor frappa à la porte de la chambre une fois, puis deux, puis trois. Nobtenant aucune réponse, il entra et trouva son ami fort occupé avec une jeune femme blonde. Victor s’immobilisa, embarrassé, mais Emile, nullement gêné, lui proposa de pro­fiter de l’aubaine.

  • As-tu déjà vu aussi blonde ? Elle vient du Nord. Et je l’ai gagnée au jeu. Pour une nuit.

  • Je reviendrai, fit Victor.

  • Il fait déjà jour ?

  • Il a même neigé.

Emile Cléron fit un clin d’oeil à la fille qui cherchait à remonter les draps, lui claqua une fesse.

  • Tu es libre.

La Flamande se leva et se rhabilla à une vitesse qui stupéfia les deux hommes et dis­parut aussi prestement.

  • Je devrais en faire autant, dit Emile Cléron en attrapant sa culotte.

Victor commençait à s’habituer à l’obs­curité qui régnait dans la pièce ; il pourrait

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jurer à son oncle qu’il n’avait jamais vu de fourrures chez son ami. Il se reprocha cette pensée et sourit à Cléron.

  • J’ai besoin de ton aide.

  • Ce que tu veux ! Je te dois la vie.

  • Je n’en demande pas tant : je veux que tu essaies de retrouver des fourrures. Je vais t’expliquer.

Emile Cléron finissait d’enfiler ses bas quand Victor se tut.

  • C’est peut-être pour ça que ce maudit Perrot t’a fui hier soir? Il venait de dépouiller ton oncle ?

  • Il a même sûrement guetté notre départ. Il ne se serait pas introduit chez les Beaumont si nous étions restés là. Il a cru qu’il pourrait se battre contre mon oncle si c’était nécessaire, mais pas contre nous en plus. Il a probablement songé aussi que notre absence nous désignerait comme coupables.

  • Me désignerait ! corrigea Emile Cléron.

  • C’est pareil.

  • Merci, mon ami. Je finirai par détester aussi ce Perrot !

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  • Pas autant que moi, dit doucement Victor. Mais aide-moi à retrouver les peaux. Après m’avoir pris ma femme, Simon Perrot ne me volera pas mon honneur !

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Chapitre 19

L

ison observait Marie qui chantonnait
en tisonnant les braises dans l’âtre :


depuis le Nouvel An, ou même avant, elle
était de si joyeuse humeur que la cuisinière
lui soupçonnait un galant. Elle avait dressé
mentalement une liste des prétendants
possibles mais ne parvenait pas à deviner
de qui il s’agissait. Ce n’était pas Guillaume
Laviolette, même s’il l’avait invitée au
mariage d’Eléonore de Grandmaison, car il
n’était pas encore revenu de son expédition.
Ce n’était pas Jules Malescot, quelle avait
visité trois fois depuis qu’il s’était cassé le
poignet. Ce n’était pas non plus le fils Jobin
qu’elle trouvait trop vieux. Alors ? Lison ne
devinerait jamais, à moins de suivre Marie.


Celle-ci perçut le regard de Lison et la dévisagea à son tour. Elle aurait aimé lui raconter ce qui s’était passé entre elle et Nicolas de Boissy. Elle avait envie qu’on la félicite de sa ruse, qu’on se réjouisse avec elle, mais comment pouvait-elle se confier

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sans révéler ce quelle avait découvert dans la cave ?

  • Tu m’as l’air bien gaie depuis quelques jours, commença Lison.

Marie cligna de l’œil en poussant des braises sous le lantier. Accrochant les pin­cettes au manteau de la cheminée, elle s’avança vers Lison.

  • Je vais voir ma Noémie bientôt ! Et M. de Boissy réussira peut-être à faire accepter ma demande par le Conseil souverain.

  • Il fait ça pour gagner son ciel ou son pari? A moins qu’il ne l’ait déjà...

Marie serra l’avant-bras de Lison au point de la faire crier.

  • Lâche-moi ! Je plaisantais ! Mais cer­tains ont dit que d’Alleret avait perdu à la Noël, quand tu es restée ici avec Monsieur.

Lison se frotta le bras en gémissant.

  • Excuse-moi, fit Marie, mais personne n’aime entendre pareilles pouilles !

  • Mais pourquoi Monsieur parlerait-il de toi au Conseil souverain ?

  • Parce que je l’ai bien soigné. A Noël, jus­tement. Il a dit d’ailleurs qu’il me donnerait une peau pour me remercier de mes services.

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  • Toi, fit Lison en agitant son index, tu me caches autre chose. Tas l’air d une poule qui aurait pondu un œuf d’or.

Marie nia avec véhémence puis retourna activer le feu : elle résistait difficilement à l’envie de révéler son secret. Si elle n’avait craint d’être blâmée, elle serait allée conter son histoire à sœur Sainte-Louise. Mais elle savait que la religieuse la sermonnerait : elle lui dirait qu’étant complice d’un trafic d’al­cool, elle désobéissait à Mgr de Laval et ris­quait d’être excommuniée. Sans compter tout le mal qu’elle causerait aux Indiens. Sœur Sainte-Louise la prierait de pardonner à ceux qui l’avaient offensée.

Marie ne pardonnerait jamais à un homme d’avoir voulu abuser d’elle. Elle ne s’était pas encore vengée de Saint-Arnaud, mais Boissy paierait en attendant... Il avait dit qu’il lui donnerait deux peaux la semaine suivant les Rois. Il aurait alors ren­contré des Indiens désireux d’échanger les castors contre son eau-de-feu. Marie espé­rait que ses clients n’étaient pas les Hurons du fort de Québec : même si elle avait très peu de contacts avec eux, elle aurait déploré

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qu’ils soient malades à cause de l’eau-de-vie de Nicolas de Boissy. Ce qui ne manquerait pas d’arriver ! Elle se souvenait très bien de l’horrible goût !

  • Allons, insista Lison. Dis-moi donc la vérité ! Je sais que tu as un galant !

Marie n’hésita guère; si Lison croyait qu’elle était joyeuse à cause d’un homme, elle n’allait plus la détromper. Quand la cuisinière aurait semé cette rumeur, elle aurait la paix; Guillemette Couillard ou Emeline ou même sœur Sainte-Louise ne lui parleraient plus de mariage ! Elle pour­rait rêver en paix à Simon. On cesserait de jaser à son propos. Et elle avait un pseudo- prétendant tout trouvé; Guillaume Laviolette ne reviendrait pas avant le printemps. Elle lui raconterait alors la farce qu’elle avait inventée pour se protéger; elle l’entendait déjà rire !

  • Je crois que Guillaume Laviolette me plaît.

  • Guillaume Laviolette ? Mais il est parti depuis des mois.

  • Je sais. Mais j’ai rêvé de lui le jour de Noël. Comme dans les contes de fées, il

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venait vers moi portant un long manteau d’hermine, à la façon d’un roi, et me ten­dait une couronne de diamants. Il disait qu’il allait faire de moi la reine de la Forêt et que j’allais régner sur mille sujets...

Lison ne put se retenir de glousser.

  • Tu te fies à des songes pour croire que Guillaume va t’épouser au retour du bois ! Il ne veut pas se marier ! Il l’a répété souventes fois ! Ce n’est pas parce qu’il t’a invitée au mariage qu’il veut de toi !


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