Thèse pour l’obtention du diplôme de Docteur de l’Université Paris VII spécialité : Géographie



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2 Le rôle des acteurs.


La recherche du rôle de l’espace dans les phénomènes sociaux nécessite de porter particulièrement attention aux lieux, et donc aux pratiques sociales des acteurs. Le rapport de l’homme au monde est spatial : les hommes et les sociétés sont inscrits dans l’espace, plus précisément dans des espaces spécifiques, qu’ils habitent et pratiquent quotidiennement. Tout fait social, tout processus social est spatialisé, et ainsi constitue aussi un fait géographique. Ce constat est à l’origine de nombre de recherches géographiques visant à « réconcilier le monde spatial et le monde social49 ».
Une analyse géographique de l’innovation sociale s’inscrit ainsi dans une volonté forte d’identifier et d’analyser espaces et acteurs, tout autant que la nature de leur relation. Le concept de « territoire » permet ce type d’approche, en tant qu’il permet une mise en perspective des pratiques sociales comme rapports sociaux à l’espace, territorialités médiatisant la relation espaces/sociétés. L’innovation sociale s’inscrit alors comme pratique dans un système complexe reliant l'espace et la société.

La notion a certes été largement utilisée voire usée, et a pu devenir parfois une notion « fourre-tout », au même titre que le terme d’« espace ». L’étymologie fonde une base de définition commune autour de laquelle s’articulent de multiples approches, qui se combinent, se complètent ou se contredisent : « territoire », forme génitive latine de « terre », est la terre de quelqu’un, d’un groupe. La notion d’appropriation est ainsi centrale et introduit une distance sémantique entre « espace » et « territoire ». Cependant les définitions sont multiples, soulignant l’appropriation symbolique et/ou physique de l’espace, mettant en valeur sa dimension « juridique, sociale, culturelle ou même affective50 ».

Cette polysémie de la notion ne nous invite nullement à y renoncer ; au contraire il s’agit pour nous d’énoncer clairement ce que nous entendons ici par « territoire », et de montrer que ce concept est pertinent pour une recherche qui vise à l’analyse de l’innovation sociale. « Territoire », « système territorial » et « territorialité » seront des outils conceptuels nous permettant efficacement de nommer et de comprendre le système dans lequel s’inscrivent les acteurs et au sein duquel émergent des innovations sociales.

2-1 Territoire.


Le territoire, « terre de », terre appropriée, se doit pour être un concept pertinent et résolument neuf51, d'échapper à la mise en opposition/complémentarité d'hypothétiques instances sociales et spatiales. Il ne s'agit pas de les mettre en présence, mais de construire une figure qui intègre sociétés et espaces comme éléments d’un même système.

Le territoire tel qu’il est défini par Guy Di Méo, notamment dans Géographie sociale et territoires52, et auquel cette thèse voudrait se référer, se construit entre « économie, idéologie et pouvoir inscrits dans l'espace géographique53 ». C’est un système au sein duquel se combinent dans « un écheveau complexe de relations socio-spatiales dynamiques, multidimensionnelles et multiscalaires54 », l'espace géographique, la réalité économique, une culture et des croyances, soit un ensemble de représentations et des relations de pouvoir. Ces différents éléments s'inscrivent dans l'espace par les pratiques55 des individus et des groupes.

Ces pratiques construisent le territoire comme système en mettant en mouvement et en relation les différents éléments. Pratiques concrètes et quotidiennes des lieux et représentations individuelles et collectives du social dans l'espace produisent à leur tour des représentations et des pratiques dans un mouvement dynamique et dialectique.

Le territoire n'est pas seulement le lieu-support de pratiques sociales : il est une construction sociale, un « rapport spatial doté de l'aptitude de modifier et de médiatiser en retour l'ensemble des relations sociales qui lui ont donné naissance56 ». Plus qu'un rapport dialectique social-spatial, il met en jeu une correspondance entre idéel et matériel, et constitue un système qui « imbrique un espace géographique structuré par les principes de contiguïté et de connexité et un monde symbolique construit à l’aide de synecdoques et de métaphores57 ». Guy Di Méo souligne ainsi que « son édification combine les dimensions concrètes, matérielles, celles des objets et des espaces, celles des pratiques et des expériences sociales, mais aussi les dimensions idéelles des représentations et des pouvoirs. Ces différents registres trouvent leur principe unificateur et leur cohérence dans le sens que les individus confèrent à leur existence terrestre, au travers de l’espace qu’ils s’approprient et dont ils font une valeur existentielle centrale58 ».

Le territoire épouse la forme et la taille des combinaisons spatiales que pratiquent les collectivités humaines : ses limites sont celles de l’expérience concrète et symbolique, individuelle et collective, de ses lieux. Le territoire est ainsi multiforme, ouvert et se doit d’être pensé comme une organisation systémique multidimensionnelle où se retrouvent, articulées et indissociables, toutes les dimensions de l’expérience sociale des individus et des groupes, dimensions sociale, économique, politique, mais également spatiale et temporelle. Tout système territorial croise et combine diverses échelles spatiales, sociales, et temporelles.

Le temps des sociétés de la même façon que leur espace se produisent et se construisent à l’aune des conditions d’existence ou « d’habitation » pour employer le terme de Jean-Paul Ferrier, de tous les individus qui la composent. La notion de rythme est particulièrement intéressante en ce sens, en ce qu’elle intègre à la fois la dimension temporelle et spatiale de l’expérience territoriale : l’organisation temporelle des pratiques sociales quotidiennes, hebdomadaires, ou plus rares, commande l’utilisation des territoires, et inversement. Les territoires se construisent ainsi par une combinaison originale d’une pluralité de temporalités ou de rythmes, associant les différentes strates de son histoire et l’actualité de sa création et de son utilisation ; il implique tout autant diverses échelles spatiales, celles de localités, de régions, de la nation, du monde, qui participent de son identité, de sa construction et de son organisation.



2-2 Territorialités.


Le rapport spatial au monde pilote les relations aux lieux, aux personnes, aux choses et aux idées que chacun se fait de soi et du monde, c’est-à-dire qu’il guide l’ensemble des pratiques sociales quotidiennes, adoptées, rejetées, modifiées par les individus et les groupes. Jean-Paul Ferrier évoque cette idée avec le terme d’homo géographicus, « habitant, producteur de lui-même et des lieux, acteur privilégié des transformations territoriales59 ». Ainsi l’homme est géographique parce que les espaces régissent sa vie sociale qui est habitation du monde ; il est géographique aussi parce qu’il modifie son inscription dans les espaces et les territoires, parce qu’il a la capacité de modifier les espaces et les territoires.

Ce double lien espace-société qui est l’objet même de la science géographique doit être mis au centre d’une analyse géographique du changement social, parce que ce changement social est intimement lié à la nature des inscriptions de l’homme dans son ou ses espaces, et les modifie. Les individus appartiennent à un espace, qu’ils pratiquent et créent tout à la fois.

Différents concepts permettent de révéler le rôle majeur des acteurs, ou « habitants », dans l’analyse géographique. Le concept d’« habitant », créé par Jean-Paul Ferrier, désignant « à la fois l’Homme concret et l’ensemble des relations qu’il entretient avec les « enveloppes » sensibles du territoire où se déroule sa vie quotidienne », est indispensable au discours géographique en ce qu’il « constitue le référentiel qui détermine le niveau d’étude des phénomènes de différenciation spatiale selon les pratiques effectives de la personne humaine60 ».

Le concept de « territorialité » permet d'évoquer cette relation dynamique des individus au territoire, relation par laquelle se construisent dans un même mouvement systémique, le territoire, et les acteurs.

La dialectique « d’intériorisation de l’extériorité » et « d’extériorisation de l’intériorité » telle que l'évoque Pierre Bourdieu61, et qui nous rappelle les principes de la pensée complexe d'Edgar Morin, produit ainsi en permanence territorialisation et territorialité. « En somme, si les structures sociales, renforcées et modifiées par leur procès territorial, conditionnent les structures de la subjectivité, celles-ci à leur tour s’autonomisent, créent de la variété et agissent par rétroaction sur des structures socio-spatiales dont la stabilité et le poids à certains moments nous donnent l’illusion de leur objectivité. Or de telles structures n’ont pourtant rien d’immuable, elles se bâtissent en permanence62 ».

Cette mise en correspondance des lieux et des hommes à travers l’expérience territoriale est aussi à entendre dans une conception plus existentielle. C’est l’idée sous-tendue par le concept de « géographicité » fondé par Eric Dardel, qui souhaite explorer la dimension phénoménologique de l’acte géographique, cette « relation concrète qui se noue entre l’homme, la Terre, mode de son existence et de son destin63 ».

Il n’y a ainsi aucune distinction à opérer entre lieux et hommes, pratiques et représentations. Les pratiques, actions des hommes dans les territoires, à travers lesquelles s’opère ce mouvement de construction territoriale, sont l’expression concrète de l’expérience territoriale des acteurs, réalité complexe impliquant les conditions concrètes de leur existence et de leur action, les représentations collectives, culturelles et sociales, tout autant que le rapport très personnel de chaque individu au monde. Le terme de « pratiques » évoque ainsi tout à la fois les dimensions réelle, idéelle, et phénoménologique imbriquées de la territorialité, « combinaison inextricable d’objectivité et de subjectivité ».

Les pratiques des acteurs, face émergée de la territorialité, émergent ainsi au sein des territoires, systèmes complexes, loin de l’unique composante spatiale, à l'organisation spécifique. Expériences spatiales et expériences sociales se font écho. Les pratiques qui sont autant de rapports sociaux au territoire s’inscrivent ainsi dans une combinaison complexe du social et du spatial que les concepts de « territoire » et de « territorialité » traduisent pertinemment. En outre, ils permettent une prise en compte globale des sociétés dans leur relation à l’espace.



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