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Deuxième partie : Des politiques "NOMOCRATIques"? Rétrospective sur le suivi des installations classées et des résidus industriels dangereux, en France (1975-1998)



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Deuxième partie :
Des politiques "NOMOCRATIques"?
Rétrospective sur le suivi des installations classées et des résidus industriels dangereux, en France (1975-1998)


Une politique nomocratique se caractérise non seulement par une activité étatique de production normative à la fois intense et très structurante pour les relations entre les agents sociaux mais de surcroît par l'omniprésence de la référence à la norme juridique dans les discours des acteurs-clefs de la politique considérée. Alors que ceux des politiques partenariales tendent à valoriser la recherche de compromis en dehors des contraintes institutionnelles, mettent en avant leurs efforts de conciliation et d'association dans des processus "innovants", de négociations informelles ou peu formalisées, ainsi dégagées des contraintes bureaucratiques, les acteurs-clefs des politiques nomocratiques font ressortir, avec satisfaction ou non, l'existence de règles juridiques censées déterminer, au moins en partie, leurs comportements.

La distinction de ces deux idéaux-types n'est pas gratuite : elle rend compte de catégories en voie de construction dans les discours et les pratiques des personnes. Ainsi, un fonctionnaire en charge des politiques de protection de l'environnement industriel observe en 1992 que "la loi, les règlements et les sanction éventuelles sont et resteront des moyens importants pour amener les industriels à travailler “proprement“. Jusqu'à récemment, c'étaient les outils essentiels pour faire prendre en compte la préoccupation de l'environnement par les industriels. Mais l'Etat considère que ce n'est pas suffisant, qu'il existe une autre façon d'agir, avec des procédures à caractère incitatif. C'est un champ d'action nouveau qui s'ouvre à nous."539 La distinction est ainsi marquée entre des politiques tenues pour nouvelles, assez indéfinies mais dont la politique Semeddira fournit un modèle - celui des politiques partenariales - et les politiques anciennes fondées sur le droit et le contrôle ; c'est sur ces dernières qu'il convient maintenant de revenir plus en détail.

Le domaine des résidus industriels dangereux offre d'excellentes illustrations de ce que l'on désigne avec la notion de politique nomocratique. Marquées par le poids de la loi qui façonne tant les institutions que les mentalités et les discours de justification, les politiques que nous abordons concernent en outre des enjeux multiples liés à la production, aux manipulations et aux stockages de ces résidus. Alors que la politique Semeddira poursuivait une mission spécifique orientée par le seul objectif affiché d'implanter de nouvelles décharges, celles qui nous intéressent dans cette partie s'inscrivent dans une perspective de régulation d'ensemble du domaine  ; elles embrassent un plus large éventail de questions relatives aux stocks et flux de déchets spéciaux, effluents toxiques et sites pollués. Trois législations servent conjointement de références centrales à l'action publique dans ce domaine : l'une date de 1964 (loi n°64-1245 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution)  ; les deux autres sont élaborées en parallèle et adoptées respectivement en 1975 (loi n°75-633 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux) et 1976 (loi n°76-663 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement). Dans la suite du texte, nous les nommerons respectivement loi de 1964, de 1975 et de 1976 tout en conservant à l'esprit que ces lois ont fait, depuis leur adoption, l'objet de modifications nombreuses et parfois importantes ce qui oblige, pour chaque période de l'histoire, à se référer au régime juridique alors en vigueur. Par ailleurs, ces trois lois ne se situent pas, du point de vue notre objet, sur le même plan  : celle de 1976 constitue le cadre général de référence qui englobe tous les aspects de la protection de l'environnement des industries ; les autres législations, pour ce qui nous concerne, ne font que préciser certains aspects de la gestion des déchets industriels (loi de 1975) et des rejets industriels dans l'eau (loi de 1964). Enfin, ces trois législations et l'ensemble des textes réglementaires qui en découlent délimitant également des domaines de compétences, la mise en relation de ces lois constitue un enjeu important des confrontations entre les acteurs.

L'intérêt de ces politiques au regard du diagnostic global du phénomène partenarial

Les politiques publiques540 de suivi des installations classées en matière de gestion des résidus industriels dangereux peuvent être présentées à partir de quatre de leurs caractéristiques qui en font alors d'excellentes illustrations de cette forme ancienne d'interventionnisme étatique, marquée par les idéologies fondatrices de l'Etat-providence et que le diagnostic global du phénomène partenarial entend démarquer fondamentalement des nouveaux modes d'action publique basés sur l'information, la coopération, le dialogue, la négociation, l'auto-régulation de la société civile, etc. A l'opposé de ces "innovations", les politiques auxquelles nous nous intéressons se caractérisent par la prégnance de la règle de droit dans la formation des institutions et des discours - ce qui les désigne comme politiques nomocratiques - mais aussi par une forte centralisation des instances de décision, une structuration bureaucratique des processus de mise en oeuvre et certains traits auxquels renvoie la notion de technocratie.

Un droit pléthorique et omniprésent - L'identification de ces politiques par les acteurs renvoie toujours aux trois législations que nous avons évoquées. Ces lois ont été modifiées, complétées des dizaines de fois durant les deux dernières décennies et sont mises en application par un nombre considérable de décrets, arrêtés et circulaires ministérielles. Le suivi statistique du volume des textes de droit positif dans ce domaine aboutirait à tracer une courbe approximativement de forme exponentielle dont l'accélération se situerait au milieu des années 1970. Cette prolifération normative semble correspondre à ce que désignent certains juristes critiquant "l'inflation législative"541, mais aussi les circulaires ministérielles appelant à combattre "l'excès de réglementation" ou le Conseil d'Etat dénonçant la "logorrhée législative et réglementaire" comptée en mètres de formulaires administratifs à remplir par les entreprises542. Il n'est pas rare de retrouver ce type de discours dans la bouche des entrepreneurs industriels se plaignant de la quantité excessive de normes en vigueur, de l'extrême complexité et variabilité de la réglementation sur les résidus industriels543. Par ailleurs, les inspecteurs d'installations classées interrogés sur les motifs de telle ou telle de leurs actions, renvoient toujours à l'existence d'une norme de droit. Dans le même sens, les différents projets de réforme de l'administration territoriale de l'environnement avancés entre 1988 et 1992 soulignent le caractère essentiellement réglementaire de l'action publique dans ce domaine  : "le pouvoir réglementaire de contrôle et de sanction, est en effet le principal outil formel d'intervention des inspecteurs d'installations classées. Il demeure la référence centrale de tous les projets. A l'image du Ministère de l'environnement, les services liés à l'Industrie confèrent une place importante au contrôle a posteriori des décisions et des actes des assujettis"544.

Une action étatique centralisée - Ces politiques publiques, même après les lois du début des années 1980, n'ont fait l'objet d'aucune mesure de décentralisation. L'introduction prudente d'une disposition relative aux Régions dans la loi du 13 juillet 1992 est essentiellement symbolique  : de portée très limitée, elle perpétue la situation observable depuis plusieurs années en Rhône-Alpes. Pour l'essentiel, l'action de l'Etat est conduite par une administration publique comprenant un service ministériel central - le Service de l'environnement industriel (SEI) au sein de la Direction de la prévention de la pollution et des risques (DPPR)545 du Ministère de l'environnement -, une administration territoriale spécialisée - les Divisions environnement (DEN) au sein des Directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE)546 - et, sur le plan local, des fonctionnaires subordonnés aux structures précédentes - les inspecteurs d'installations classées pour l'environnement (IIC). Alors que la politique Semeddira se caractérisait par un haut degré de décentration 547 en associant trois formes de déplacement du pouvoir de décision548,les politiques formées par les lois de 1976, 1975 et 1964 laissent localement au Préfet le statut formel de responsable exclusif de ces politiques  ; la direction déconcentrée de ces politiques demeure donc centralisée.

Une structure bureaucratique. Les fonctionnaires en charge de ces questions - que l'on nommera, par commodité de langage, fonctionnaires de l'environnement industriel549 - sont intégrés dans un système fonctionnant sur le mode rationnel-légal du type idéal wébérien de la bureaucratie550  : l'étude des institutions551 laisse apparaître un appareil centralisé au service de l'Etat, fondé sur une hiérarchie des statuts de fonctionnaires recrutés sur concours ou sur titres et promus selon des procédures contraignantes, garantissant leur indépendance, dans le cadre de leurs corps d'appartenance  ; ces fonctionnaires exercent des activités définies en fonction d'une double compétence technique et juridictionnelle sous le contrôle de supérieurs (Ministres, Directeurs, Préfets...) qui assurent, de l'intérieur, une coordination de l'appareil administratif. Ce caractère bureaucratique devrait marquer d'autant plus nettement les relations entre les entreprises industrielles assujetties et ces fonctionnaires que ces derniers ont pour mission de définir des normes juridiques, de contrôler et d'obtenir leur respect par les industriels. Tous les "cercles vicieux" et "dysfonctionnements"552 de la bureaucratie devraient ressortir nettement de cette intrusion de l'Etat dans le fonctionnement des entreprises privées, d'autant plus que cette intrusion est censée accroître les contraintes pesant sur les entreprises en les amenant à internaliser certains coûts.

Un formalisme technocratique - Les fonctionnaires de l'environnement industriel sont principalement des ingénieurs formés dans des écoles spécialisées (ex. : l'Ecole Polytechnique, les Ecoles des Mines, l'INSA ...). Ils peuvent ainsi tirer ressource d'une double compétence technique et administrative pour asseoir un pouvoir que l'on peut qualifier de "technocratique", suivant un usage classique de la notion553 qui désigne, en ce sens, et non sans connotation péjorative et polémique, une concentration excessive de ressources de pouvoir aux mains de techniciens fonctionnaires de l'Etat. En France, l'idée de technocratie est également associée à l'existence de grands Corps techniques de la fonction publique554 dont les deux plus prestigieux sont le Corps des Mines555 et le Corps des Ponts et Chaussées556. Or c'est précisément dans le premier que se recrutent la plupart des hauts fonctionnaires en charge de l'environnement industriel qui exercent au sein du Ministère de l'environnement (SEI) ou au sein des services déconcentrés du Ministère de l'Industrie  : les DRIRE. Ces grands corps illustrent une des significations de la notion de technocratie lorsqu'elle qu'elle pointe la formation exclusivement technicienne des membres d'une bureaucratie publique. Est évoqué ainsi le "moulage" des ingénieurs du corps des Mines dans "le rationalisme abstrait, le formalisme, le généralisme de la formation grande école" d'une élite qui "ferait davantage preuve de brio et de grands desseins que de gestion et de sens de marché"557. Michel Crozier s'en prend ainsi à l'Ecole polytechnique et au "raisonnement technique incarné par les grands corps" formés dans cette école, incapables, selon lui, "de prendre sérieusement en compte les apports éventuels des différentes parties à la décision"558

Des politiques nomocratiques propices aux AGC

Présentées sous ces traits officiels, les politiques de l'environnement industriel semblent correspondre à une forme d'intervention publique prescriptive et coercitive apparemment peu à même d'impulser entre les fonctionnaires et leurs interlocuteurs des rapports autres que bureaucratiques. Cette interprétation cependant, issue d'une connaissance superficielle ou trop étroitement juridique des processus concrets de formation et d'évolution des politiques publiques, ne résiste pas une analyse approfondie des modalités d'intervention de l'Etat dans la gestion des résidus industriels dangereux.

Cette analyse met en évidence au contraire l'absence d'incompatibilité entre les caractéristiques apparentes des politiques nomocratiques et la mise en place d'un système de gouvernement sectoriel essentiellement partenarial. Dans la configuration des politiques de l'environnement industriel en effet, les négociations entre fonctionnaires et entrepreneurs pour prendre des décisions éminemment politiques ne se développent pas à côté ou à l'extérieur de l'ensemble des relations sociales juridiquement encadrées  ; elles n'apparaissent pas seulement pour combler des vides juridiques ou simplement comme des illustrations de la nécessaire adaptation des règles générales aux situations particulières  ; elles sont fondées, impulsées et en partie définies par le droit public lui-même c'est à dire par les choix politiques formulés à travers les législations centrales de cette configuration. Ce droit rend possible la prolifération des AGC mais ne suffit pas à l'expliquer, des normes infra-juridiques - politiques et professionnelles - interviennent également en ce sens. (Chapitre 1)

En étudiant ces politiques nous sommes donc confrontés à un cas de gouvernement partenarial dont une des qualités essentielles, selon le diagnostic global du phénomène partenarial, serait de faciliter la communication entre les acteurs559. Les stratégies de délégation, de coordination et de négociation ainsi que tout la gamme des instruments fondés sur l'information sont mis en oeuvre depuis au moins vingt ans en France dans le domaine des politiques de l'environnement industriel. Or, loin de faire émerger un espace public de délibération politique ou de favoriser le dialogue entre les différents intérêts qui s'opposent dans ce domaine, le partenariat se traduit au contraire par une situation prononcée de "confinement" des délibérations politiques et d'incommunication entre une "communauté gouvernante de politique publique" et le reste de la société. La distorsion de représentation formée dès l'origine de la politique partenariale, apparaît dans la configuration des politiques nomocratiques de suvi des installations classées des résidus industriels dangereux sous une forme plus institutionnalisée et plus officieuse. (Chapitre 2)


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