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Section 2 : Relance de l'expérience de politique partenariale



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Section 2 :
Relance de l'expérience de politique partenariale


Malgré cette opposition massive et cette remise en cause fondamentale de la politique menée, l'expérience de politique partenariale n'a pas été interrompue. Comment reconnaître, en effet, que l'ensemble des autorités publiques engagées dans ce programme soit stoppé dans son action par quelques riverains ? Comment reconnaître autrement que la politique conduite l'a été sur des bases erronées ou biaisées ? Très tôt l'idée s'impose donc qu'une bataille seulement a été perdue, et qu'il y a lieu de se préparer à la suivante en changeant les rapports de forces.

L'expérience de politique publique va donc être répétée en accentuant davantage encore la dimension partenariale de la démarche. Une convention originale va être passée entre l'Etat, la Région et la Semeddira ; la mise en oeuvre des principes de gouvernement partenarial va être systématisée dans la nouvelle démarche. La réédition de l'expérience permet donc de vérifier et de préciser les observations relatives aux actions concrètes traduisant un mode de gouvernement partenarial.

Les mêmes acteurs-clefs, qui étaient à l'origine ou très tôt responsables de ce projet et qui se sont vus dépossédés par la controverse publique de la maîtrise qu'ils avaient acquis du processus de délibération politique, reprennent le pouvoir en recomposant la coalition de projet et en reproduisant à l'identique la distorsion de représentation observée durant la genèse de cette politique (§1). Cette identité apparaît nettement dans l'écart croissant au cours des mois entre le renouvellement des enjeux politiques opéré par la controverse de l'hiver 1989 (§2) et la reformulation au cours des deux années suivantes du même argumentaire de projet pour conduire la même politique en renforçant le dispositif de consultation et de partenariat (§3).

§ 1 - Recomposition de la coalition de projet


A la fin de l'année 1989, le projet Semeddira est au point mort. La coalition constituée pour le conduire est défaite, au double sens du terme : mise en échec et désagrégée. L'argumentaire de projet qui justifie ce projet depuis 1987 est remis en cause. La stratégie de lobbying confidentiel qui devait assurer une implantation consensuelle n'a pas empêché le développement d'une controverse fortement médiatisée.

Un an plus tard, le 20 novembre 1990 est signée à Lyon une "Convention de maîtrise des déchets industriels en Rhône-Alpes - création d'une décharge de classe 1" entre l'État représenté par son Préfet de Région et son Ministre de l'Environnement, la Région Rhône-Alpes et la Semeddira. Les termes de cette convention peuvent surprendre :

- l'Etat prend vis-à-vis d'une Région et d'une société régionale d'économique mixte des engagements de portée nationale sur l'élaboration et la mise en oeuvre du droit ;

- la Région s'engage vis-à-vis de l'Etat (et de la SEM) à intervenir sur un secteur pour lequel l'Etat n'a encore jamais souhaité lui reconnaître explicitement de compétences ;

- la société d'économie mixte s'engage vis-à-vis de l'Etat et de la Région à réaliser pour leur compte certains objectifs de politique publique.

Quelles significations donner à cette convention dont la forme et les clauses peuvent paraître surprenantes à une lecture juridique et qui semble exprimer de nouvelles orientations politiques ?

L'hypothèse de travail retenue ici conduit à rechercher ces significations, moins dans le texte de la convention et ses rapports au système juridique, que dans les modalités de négociation de ce texte : le diagnostic de la controverse qui s'impose progressivement parmi les acteurs-clefs de la coalition est orienté par la volonté d'une relance ultérieure du projet Semeddira (A). Ce diagnostic justifie ainsi l'accumulation de moyens (matériels et symboliques) d'action collective dont la mise en oeuvre modifie les caractéristiques du système d'action (B).


A - Un diagnostic de la crise orienté par la volonté de relancer le projet

Ce diagnostic est une agrégation hétérogène de remarques, revendications, analyses diverses, formulées durant la crise par différents acteurs, promoteurs ou opposants au projet. Certains acteurs-clefs sont en mesure de pouvoir filtrer, trier et organiser ces éléments épars pour constituer un diagnostic officiel. Ainsi constitué ce diagnostic est composé d'énoncés principaux et d'énoncés secondaires. Les premiers sont au nombre de deux qui détermineront les axes stratégiques de l'action collective ultérieure : le non-engagement de l'Etat et l'erreur de communication. Ce diagnostic, officialisé et légitimé par l'expertise, débouche sur la prescription d'une nouvelle stratégie d'action collective.
1) Le thème du "non-engagement de l'État"

Dans une lettre du 4 octobre 1989, le Président de la Semeddira, Vice-Président du Conseil Régional demande le soutien du Secrétaire d'État à l'environnement à la Semeddira. De même, il écrit au Préfet de Région : "Le soutien total et entier de l'Administration Centrale nous apparaît indispensable pour aboutir"383. Cet appel lancé en pleine crise politique signifie que ce soutien ne semblait pas acquis au regard de l'attitude conciliante des Préfets de Département face aux élus locaux et de la prudence du Secrétaire d'Etat à l'environnement384.

Le trop faible engagement de l'Etat est implicitement reconnu par les représentants de l'Etat lors du Conseil d'Administration du 22 novembre 1989 avec, néanmoins, des nuances marquées entre les représentants du Ministère et ceux de l'ANRED : le Chef du Service des Technologies Propres et des Déchets rappelle que sous l'impulsion du Secrétariat d'Etat à l'environnement a été créé un fond de garantie à long terme des CET de classe 1. Le Directeur de l'ANRED "souligne que si les pouvoirs publics se sont engagés dans la démarche (...) il faut reconnaître que les garanties apportées ne sont pas encore de nature à convaincre un maire"385.

Une note préparatoire à ce Conseil d'administration "de crise" résume le diagnostic naissant. Les problèmes rencontrés seraient de deux sortes dont celle-ci : "Le cadre législatif et réglementaire actuel est d'inspiration libérale (lois du 15 juillet 1975 et du 19 juillet 1976), et la Semeddira a été dans ce cadre, aussi loin que possible dans les garanties et les sécurités à apporter aux collectivités d'accueil. Cela est insuffisant - dans le contexte actuel - pour établir la confiance dans ce type d'installation. En effet, on constate dans la population une attente forte et clairement exprimée d'intervention de l'Etat, garant de l'intérêt général".386

Ce constat général va ensuite être décliné pour différents enjeux : revoir le concept de CET (la notion d'enfouissement, les déchets admissibles, les déchets étrangers, le contrôle), les problèmes de maîtrise foncière, les garanties pendant l'exploitation de la décharge, les garanties après l'exploitation (à long terme), les retombées économiques pour les collectivités d'accueil... autant de thèmes perçus, face aux blocages locaux, comme devant faire l'objet d'une intervention de l'Etat.


2) Le thème de "l'erreur de communication"

La mise en cause de la partie information/communication est d'abord le fait des opposants au projet. L'ASSEN indique s'être constituée durant l'été 1989 d'abord pour réunir des informations qu'elle n'arrivait pas à obtenir auprès des acteurs publics. A l'Assemblée Nationale, le député Bayard se fait l'écho de cette critique dans une question au gouvernement :"ce dossier ne semble pas avoir fait l'objet d'explications, d'informations suffisantes. Cette attitude peut d'ailleurs parfaitement expliquer l'opposition qui se manifeste à son endroit"387.

Revue par les promoteurs du projet, cette critique devient progressivement une remise en cause technique du plan de communication. Suite à leur rencontre avec le Président de la Semeddira, des conseillers régionaux indiquent : "Il est reconnu aujourd'hui que le plan de communication prévu autour de ce projet est un échec"388. Cet élément de diagnostic permet implicitement de transférer les responsabilités sur les exécutants et notamment sur le Bureau d'étude chargé de la communication.

La mise en cause du plan de communication s'accompagne d'une dénonciation du rôle des médias. Quatre jours après l'émission télévisée incriminée, le directeur de l'ANRED transmet une télécopie au cabinet du Ministre : "“Ciel mon mardi !” a manifestement perturbé le relatif équilibre qui tendait à s'établir dans l'affaire Sury-le-comtal"389. De même, la Semeddira souligne dans une chronologie rétrospective : "A l'occasion des graves problèmes de la décharge de Montchanin: série d'articles et d'émissions de radio et de télévision faisant le procès des décharges."390

Retrouvant ainsi les termes de l'analyse NIMBY, le diagnostic évoque "l'état de l'opinion" en soulignant les éléments "phobiques" et "la sous-information totale du public"391. Ce qui fut interprété par les opposants comme un manque d'information lié à l'opacité administrative, apparaît progressivement aux yeux des promoteurs comme une incapacité intrinsèque du public à s'approprier des évidences admises par "tous".


3) Légitimation du diagnostic politique : la "science" des experts

L'ANRED confie au début de l'année 1990 à l'Agence Groupe 7 le soin de mener une enquête, au niveau national, sur le thème de l'acceptabilité des décharges de classe 1.Ce type d'étude occupe dans le débat politique une fonction très précise : celle de produire un discours objectif, censé être valable pour tout le monde, indépendamment des intérêts et des convictions de ceux qui l'expriment ou de ceux qui l'écoutent. On ne consulte pas un bureau d'étude comme on le fait d'un partenaire social, pour connaître sa sensibilité, son opinion, la position qu'il adoptera.

La présentation que le Directeur national de l'ANRED fait de l'enquête, devant le Conseil d'Administration de la Semeddira, souligne, en insistant sur la méthode, cette fonction d'objectivation :



"Le Groupe 7 a réalisé l'analyse de la configuration nationale : analyse du discours de la presse sur les déchets, interviews de différents intervenants (pouvoirs publics, élus locaux, exploitants, industriels, 16 interviews), entretiens en profondeur auprès du Public (Paris/province - 32 entretiens), analyse du discours de l'ANRED à travers ses déclarations et documents, le cas à Montchanin à "Ciel mon mardi" (TF1 - 19/09/89), ainsi que l'analyse de configurations locales : étude de trois sites "à problèmes" : Sommauthe (Ardennes), Opevotz (Rhône), Retzviller (Alsace) ; observation ethnologique, étude des circuits organisationnels locaux,... ont permis de constater l'état de l'opinion publique, des médias et le niveau auquel se situe le débat autour de l'élimination des déchets industriels. Ces études ont montré clairement : (...)."392

S'il était envisagé dans une perspective scientifique, un diagnostic objectif de la crise politique de 1989 ne serait pas chose aisée. Il dépendrait avant tout des questions que l'on se pose, de leurs contenus et de leurs formulations or les termes de la commande ANRED sont confidentiels ainsi que les contreparties financières. Il dépendrait aussi des méthodes d'objectivation employées pour obtenir des réponses à ces questions or les efforts d'investigation paraissent bien modestes au regard des canons actuels de la recherche sociologique. Les problèmes épistémologiques et méthodologiques seraient très probablement comparables à ceux rencontrés dans l'évaluation des politiques publiques or le texte intégral de l'étude est confidentiel 393 interdisant tout espèce de contrôle sur le sérieux du travail. Du point de vue des sciences sociales, un tel diagnostic se rapprocherait davantage de l'interprétation argumentée que de l'explication causale or les conclusions sont non seulement explicatives mais aussi prescriptives contredisant ainsi des règles fondamentales de la méthode sociologique.

La présentation de l'étude a beau emprunter à la terminologie et aux méthodologies des sciences sociales, les précautions les plus élémentaires de la recherche en sciences sociales amènent à émettre quelques réserves sur la validité des conclusions ainsi obtenues. Cette "science" des cabinets-conseils s'autorise des résultats qui n'engagent finalement que ceux qui veulent bien y accorder crédit, au sens propre et au sens figuré. Habilement utilisées par leurs commanditaires, ces conclusions arrivent quand même, par des mises en formes pseudo-scientifiques, à paraître plus objective que celles produites par telle ou telle personne ou organisation particulière. Dans un certaine mesure, elles s'imposent mieux qu'un discours politique assumant sa propre subjectivité.

Or ces conclusions d'experts reflètent très exactement les choix politiques et les éléments du diagnostic officiel élaborés antérieurement par les commanditaires. Elles paraissent même d'autant plus pertinentes qu'elles reprennent, en des termes sophistiqués, les éléments d'une analyse déjà énoncée394 : L'expertise confirme ainsi : la nécessité d'une campagne nationale d'information demandée depuis plusieurs mois par les acteurs régionaux, la mise en cause du rôle de l'Etat central et la nécessité de son implication accrue réclamée dès novembre 1989 par les promoteurs de la Semeddira, l'idée formulée dès le début des années 1980 et présente dans l'argumentaire de projet de 1987 qui justifie le programme Semeddira, le diagnostic NIMBY lié à la sous-information totale du public et à l'état pathologique de l'opinion, la mise en cause du rôle pervers et irresponsable des médias, diagnostic formulé dès septembre 1989. Le seul élément véritablement nouveau est l'annonce des démarches exercées ultérieurement par l'ANRED pour réintroduire les industriels dans le système d'action collective.

4) Du diagnostic à l'énoncé d'une stratégie d'action

Le diagnostic en deux points - non engagement de l'Etat et erreur de communication - débouche directement sur une stratégie d'action en deux axes dont la formulation est aussi précoce que le diagnostic lui-même ; dès novembre 1989, les promoteurs du projet Semeddira demandent :

1. "Implication de l'Etat dans la démarche pour qu'il définisse et exprime une politique, un cadre et des normes, qu'il fasse appliquer cette politique et qu'il en contrôle rigoureusement l'application"395

2. "Une campagne d'information grand public sur le problème des déchets, leurs traitements et l'explication de la politique de l'Etat dans ce domaine."396

B - L'accumulation des moyens d'action collective

La plupart des discours et des actes relatifs à la Semeddira, observables en 1990 et même au delà, prennent un sens lorsqu'on les rapporte à une stratégie implicite de renforcement de la puissance sociale mobilisable au profit du projet Semeddira. Trois démarches convergent vers ce résultat : élargir et renforcer la coalition d'acteurs soutenant la politique publique (1); accroître la légitimité de la démarche Semeddira en l'insérant plus visiblement dans un dispositif national et global (2); doter la Semeddira de moyens d'action et de transaction supplémentaires (juridiques, financiers, politiques) (3).
1) Recomposition et élargissement de la coalition d'acteurs

La crise politique de 1989 s'est traduite sociologiquement par une désagrégation du système d'action dont la reconstitution, longue et difficile, passe d'abord par un retour à la normalité des délibérations politiques. Dans le nouveau système d'action, le ministère de l'environnement est directement représenté et occupe une place croissante au détriment des organisations patronales ; des scientifiques sont aussi associés. Ce nouveau système d'action se met en place à l'occasion de la négociation de la Convention E.R.S.

De la controverse médiatique aux délibérations confinées. La controverse s'épuise durant le mois de décembre 1989. La fréquence des articles relatifs à la Semeddira ou à Sury-le-Comtal diminue rapidement dans la presse régionale. Suite à la décision de suspendre les activités "de terrain" de la Semeddira397 , de nombreux acteurs se retirent du débat public, certains se prévalant d'une victoire ou rappelant leur vigilance, d'autres sans bruit.

Les douze maires du canton de Saint-Just-Saint-Rambert se réunissent à Sury-le-Comtal le 4 décembre 1989 sous la présidence du Conseiller Général Alligier pour signer un "Manifeste cantonal" dont la première revendication est "d'exiger fermement qu'aucune référence, citation, action administrative ou technique afférente à ce C.E.T., que ce soit à titre d'étude, d'enquête ou autre n'apparaissent sur les documents à venir"398. Les Maires tentent ainsi de clore définitivement le débat public pour éviter toute remise en cause des positions qu'ils ont acquises399.

Les 8 et 9 mars 1990, ont lieu les "1ères rencontres Internationales sur l'environnement" au Conseil Régional Rhône-Alpes. L'atelier "Déchets urbains et industriels"400 porte notamment sur la démarche Semeddira : les débats ne présentent plus aucun caractère polémique. Les "grands élus" n'interviennent pas dans la partie relative aux déchets industriels. Les divergences de vues sont limitées et feutrées.

Mais ce débat est partiel voir superficiel. Il révèle l'écart qui recommence à se creuser entre l'espace public et l'espace de délibération politique dont l'accès est réservé à certains acteurs : les 8 et 9 mars 1990, lors de ces rencontres organisées au Conseil Régional, les éléments récents et actuels relatifs à la démarche Semeddira ne sont pas évoqués. En particulier les conclusions de l'étude commanditée par l'ANRED à l'Agence Groupe 7 donnant une analyse de la crise politique et d'autre part le texte du "Manifeste pour l'implantation d'installations de traitement" orientant les stratégies ultérieures étaient l'un et l'autre connus de certaines des personnes participant 401 à cet atelier. Or, non seulement il ne sont pas discutés, mais il n'est même pas fait mention de leur existence.

L'implication directe du Ministère de l'environnement. A quelques semaines d'intervalle, sont lancées par l'ANRED et la Région deux initiatives convergentes qui visent à impliquer personnellement le Ministre de l'environnement B. Lalonde dans la démarche Semeddira :

- C. Mettelet,Directeur national de l'ANRED, rédige un "Manifeste pour l'implantation d'installations de traitement - Les déchets industriels existent, il faut les maîtriser". (nb. :, la notion de décharge est "enfouie" dans la nouvelle catégorie des "installations de traitement").Ce texte daté du 2 mars 1990 est formulé comme une déclaration du Ministre de l'environnement (s'exprimant à la première personne du singulier) confiant conjointement à M. Mousel402, et à C. Mettelet lui-même, le soin de définir sur quatre thèmes donnés un programme d'action nationale (avec les moyens humains et financiers correspondants), avant septembre 1990. Ce manifeste s'appuie sur l'étude conduite par l'Agence Groupe 7 pour le compte de l'ANRED et entend apporter des réponses aux différents points recensés par cette étude. Il est proposé au Ministre par C. Mettelet403 en mars 1990.

- La seconde initiative paraît plus tardive, on n'en trouve trace qu'à partir de la mi-mai 1990 sous la forme d'une note interne de la Semeddira pour préparer une réunion prévue entre R. Fenech et B. Lalonde (12 juin 1990). Dans cette note de la Semeddira, c'est la Région qui s'exprime et propose à l'Etat un partenariat étroit pour mettre en oeuvre un programme pilote en matière de création et de suivi de décharges de classe 1. Cette proposition se fonde sur un constat : "La Région n'a actuellement pas compétence pour s'impliquer dans la gestion des déchets industriels et en particulier la création et le suivi des décharges de classe 1"404. L'incompétence juridique, qui jusqu'alors n'avait politiquement guère bridé la Région, justifie désormais l'implication visible de l'Etat dans un partenariat fondé par une convention. Contraintes de calendrier ou prudence politique ? Le rendez-vous à ce sujet (12 juin) demandé par R. Fenech est décommandé au dernier moment par le Ministre (pour la deuxième fois). Celui-ci répond par une lettre (26 juin) pour indiquer être "prêt à signer un tel contrat".

Ces deux initiatives ne se réduisent ni l'une ni l'autre à leur objectif commun (impliquer le Ministre dans la démarche régionale). Chacune correspond aussi à des objectifs spécifiques : la Direction nationale de l'ANRED ouvre une perspective de politique nationale qui élargirait le champ d'intervention et les ressources de l'Agence et surtout pourrait conforter sa position dans les négociations de grande ampleur qui préparent la création de la future ADEME ; le Vice-président chargé de l'environnement au Conseil Régional, propose une convention qui officialiserait le rôle et renforcerait la légitimité de la Région en matière d'environnement industriel.

Les deux initiatives se répondent : la proposition de C. Mettelet n'a pas été retenue par le Ministre, mais les principaux points de son texte se retrouvent dans celui envoyé par R. Fenech et, par voie de conséquence, dans la réponse favorable que donne le Ministre à ce dernier ainsi que dans le texte final de la Convention E.R.S. On peut donc supposer que l'ANRED faute de pouvoir atteindre ses objectifs par la voie nationale (Direction nationale -> Cabinet ministériel -> Ministre), les a poursuivis par une voie régionale (Direction nationale -> Délégation régional -> Semeddira -> Région -> Cabinet ministériel -> Ministre). L'implication du Ministre est rendue officielle par sa lettre du 26 juin 1990 qui ouvre la négociation de la Convention E.R.S.

L'effacement du lobby industriel. Très vite après la controverse de 1989, les industriels entament une campagne de lobbying qui vise aussi à obtenir le soutien direct du gouvernement dans l'expérience régionale. Le Président de l'Union Patronale Rhône-Alpes (UPRA, branche régionale du CNPF), contacte le cabinet du Ministre de l'Industrie, l'informe de la situation et lui demande, au nom de la Semeddira un entretien avec le Ministre Le réseau syndical (CNPF) et le réseau consulaire (AFCCI) sont mobilisés pour exercer des pressions "au plus haut niveau"405.

Mais les objectifs du lobby industriel sont strictement limités à la concrétisation de l'argumentaire de projet de 1987406. Pour atteindre cet objectif deux moyens sont proposés : la propagande et la coercition. Les industriels réclament "une campagne nationale de sensibilisation de l'opinion publique, au besoin vital, pour notre société, de centres d'enfouissement techniques" et "la mise en place d'un dispositif réglementaire, opposable au tiers, permettant de se doter, en dernier recours via D.U.P. s'il le fallait, des moyens de concrètiser nos travaux". Ces revendications coincident, en les caricaturant, avec celles de l'ANRED-Rhône-Alpes et de la Région Rhône-Alpes telles qu'elles s'expriment dans les premières moutures de la Convention Etat-Région-Semeddira (mai-juin 1990) mais elles n'ont que peu d'écho auprès du ministère de l'environnement407.

En fait, plus le ministère de l'environnement s'implique dans la négociation de la Convention E.R.S., notamment durant le deuxième semestre de l'année 1990, plus les représentants des producteurs de déchets perdent de leur capacité à orienter l'action collective. Ils sont tenus informés des avancées décisives408 mais le programme qu'ils avaient impulsé leur échappe. Ultérieurement, en 1991, certains acteurs publics devront même tenter de les réintégrer plus au coeur de l'action collective.

Au triangle ANRED-Région-APORA se substitue donc un triangle ANRED-Région-Ministère de l'environnement (la rencontre au sommet prévue le 12 juin 1990 à Paris illustre ce changement : elle devait réunir C. Mettelet, R. Fenech et B. Lalonde). L'implication plus forte du Ministère de l'environnement dans la coalition s'accompagne d'une marginalisation relative des lobbies industriels, eux-mêmes devenus plus circonspects depuis que la controverse médiatisée de 1989 a porté le problème des déchets industriels à la "une" des journaux régionaux avec toutes les conséquences éventuelles que cela peut avoir sur l'image locale des installations industrielles de la chimie, de la métallurgie, de la plasturgie, etc.

L'enrôlement des experts dans la coalition. Très tôt, avant même l'ouverture des négociations relatives à la convention, la coalition Semeddira s'élargit de nouveaux membres par la voie des commandes d'études et expertises : moyennant rétribution financière, de nombreux experts se trouvent ainsi enrôlés, dans la démarche collective de la Semeddira.

L'ANRED confie à l'Institut d'Epidémiologie de Lyon (Université Lyon 1), notamment au Professeur J. Fabry, une étude sur le suivi épidémiologique des populations vivant à proximité des décharge de classe 1 (février 1990) ; cette étude sera l'occasion de constituer un "réseau santé-déchets" associant notamment le Professeur D. Zmirou du C.H.U. de Grenoble. Ce réseau fut constitué à l'initiative du réseau RE.CO.R.D. (Réseau coopératif de recherche sur déchets) créé par le Professeur A. Navarro (directeur à l'INSA de Lyon du Laboratoire de Chimie Physique Appliquée et Environnement) pour réunir les financements d'une dizaine des plus gros groupes industriels nationaux (Rhône-Poulenc, Elf, Société Générale, E.M.C., Générale des Eaux, SITRA...) et dont L'ANRED est membre. La Semeddira confie à l'Institut du Droit de l'Environnement (Université Lyon 2), et notamment au Professeur Untermaier, une étude relative aux garanties et sécurités susceptibles d'être apportées aux collectivités d'accueil ainsi qu'aux pouvoirs des maires face à une décharge de classe 1 (mars 1990). La Semeddira confie aussi à un économiste du CNRS rattaché l'Université Lyon 1, G. Bertolini, une étude sur les conditions économiques d'implantation d'une décharge de classe 1 (avril 1990).

Or certains de ces mêmes experts prestataires de services font aussi parti du Comité scientifique de la Semeddira : on y retrouve, en juin 1990, notamment Mrs Fabry, Zmirou, Navarro, Bertolini... A ceux-là s'ajoutent trois autres scientifiques, deux représentants de la FRAPNA, un représentant de l'APORA et huits fonctionnaires ou agents de l'Etat (SGAR, DRIR, ANRED, Agence de l'Eau, DRAE...).

La négociation de la Convention E.R.S. La lettre du Ministre (26 juin 1990) acceptant l'idée d'un accord cadre ouvre une voie de communication entre son Cabinet ministériel et certains membres de la coalition Semeddira. Deux chargés de mission du Cabinet suivent "en direct" les affaires de Rhône-Alpes. S'informant auprès des acteurs locaux, ils les informent en retour sur les délibérations du niveau national. Les échanges d'informations s'accélèrent notamment avant les réunions officielles.

La lettre du Ministre autorise aussi politiquement la Direction de l'Eau, de la Prévention des Pollutions et des Risques du Ministère à se saisir de ces questions Semeddira/Rhône-Alpes : le 3 juillet 1990, a lieu une réunion de trois heures à ce sujet entre le Directeur (DEPPR), le chef du Service des Technologiques Propres et des Déchets et son adjoint (STPD subordonné au DEPPR) et les deux membres du Cabinet. Il s'agit de faire le point sur les grands axes d'une négociation déjà avancée, de s'informer réciproquement de l'avancement du dossier. Le Directeur fixe en fin de séance un échéancier approximatif pour la signature de la Convention E.R.S. Le 9 juillet a lieu à Lyon une rencontre médiatisée entre B. Lalonde, R. Fenech et le Préfet de Région Monestier : un communiqué de presse publie le diagnostic officiel de la situation et annonce la signature d'une convention pour novembre 1990.

Le 1er août est diffusé par la Délégation régionale de l'ANRED un projet de "contrat-cadre" : bénéficient de la diffusion, le STPD du Ministère et le Cabinet du Ministre, la Direction nationale de l'ANRED, l'APORA, la Direction environnement de la DRIRE et le bureau de l'environnement (services administratifs) de la Région. A partir de septembre 1990, soit deux mois après l'ouverture "officielle" (lettre du Ministre) des négociations (et quatre mois après la première formulation connue de l'idée d'accord-cadre) sont consultés plus largement les autres membres de la coalition Semeddira et notamment les experts du "Comité scientifique", les administrateurs de la Semeddira... Au sein même de la coalition Semeddira les acteurs ne sont pas égaux. Selon leurs ressources propres, selon l'importance que les autres leur accordent pour la réussite du projet et selon la date de leur entrée dans l'espace de négociation ils ont pu influer plus ou moins fortement sur l'orientation des délibérations.


2) Accroître la légitimité de la démarche Semeddira en l'insérant dans un dispositif global et national

Un diagnostic implicite de l'échec de 1989 - parmi d'autres rationalités alors à l'oeuvre - guide la relance de la Semeddira en 1990 : la Semeddira a manqué de légitimité politique pour imposer ses choix. Ce diagnostic n'est pas explicité par les acteurs sociaux, mais il est apparaît dans les nouveaux objectifs qu'ils se fixent. Deux voies de légitimation sont explorées : [1] l'une vise à situer la recherche d'une décharge dans une approche plus globale des problèmes de déchets industriels spéciaux ; [2] l'autre à positionner la démarche régionale dans une politique publique nationale. Ces deux modes de légitimation son étroitement imbriqués : la politique de l'environnement n'étant en rien décentralisée, la définition d'une approche globale des problèmes de déchets industriels ne pouvait valablement se faire qu'à partir du niveau national. Cette imbrication correspond aussi à celle des stratégies de trois acteurs-clefs : le Directeur national de l'ANRED, le Vice-président de la Région et le Délégué régional de l'ANRED.

Première voie de légitimation : définir la recherche d'une décharge comme l'élément indispensable d'une dispositif global de gestion des DIS. L'instrument de cette globalisation est la planification. L'idée n'est pas nouvelle : elle est inscrite dès l'article 10 de la loi de 1975 sur les déchets ; mais formulée en 1975 comme une simple possibilité, elle ne fut jamais mise en oeuvre pour des raisons, dit-on, de "lourdeurs administratives". Début 1990, l'idée du plan d'élimination des déchets industriels est en voie de réactivation par la Commission européenne qui prépare de nouvelles directives. Cette idée est alors exprimée sous une forme nationale par l'ANRED ("Schéma national de traitement des déchets industriels" dans le Manifeste rédigé par C. Mettelet). Elle peut s'interpréter tout à la fois comme l' anticipation d'une agence publique nationale sur les évolutions de la règlementation communautaire, comme une réponse nationale apportée aux difficultés régionales rencontrées par la Semeddira et/ou comme la volonté du Directeur national de l'ANRED d'élargir l'argumentaire de projet de l'activité gouvernementale en s'appuyant sur la coïncidence de l'évolution communautaire et des problèmes régionaux.

La Région Rhône-Alpes fait écho à cette avancée en se proposant comme "région pilote" pour la mise en place du dispositif de plannification. Les préoccupations régionales sont alors clairement exprimées dans une note Semeddira du 15 mai 1990 ; il s'agit moins de rationaliser la gestion publique et politique des déchets industriels que de légitimer la démarche de la Semeddira : "Ce plan serait entre autre le moyen d'impliquer davantage les industriels producteurs de déchets, ainsi que les élus et les populations (sensibilisation, information, participation, concertation). La Semeddira cadrerait alors son action dans ce plan régional."409 Autrement dit l'objectif de la "réalisation d'un schéma Rhône-Alpes de traitement et de stockage des déchets industriels" est bien de "positionner l'action de la Semeddira comme un élément indispensable d'un dispositif global de gestion des déchets industriels dans la Région"410.

Deuxième voie de légitimation : justifier l'action collective régionale en y adaptant la politique publique nationale. Lorsque le 3 juillet 1990 le Directeur de la DEPPR réunit au Ministère de l'environnement deux responsable du STPD (Service des technologies propres et des déchets) et les deux chargés de mission au Cabinet pour préparer la rencontre entre B. Lalonde et R. Fenech, on s'interroge sur les objectifs que poursuit R. Fenech en proposant cette convention. Le compte-rendu que fait un des participants à la réunion est sans ambiguïté : "Au travers du Contrat Etat-Région-Semeddira, Fenech cherche surtout à donner du poids à la démarche engagée, à la légitimer, à confirmer son importance et son urgence"411. Dans une note au Secrétaire d'État préparatoire à sa rencontre avec R. Fenech, le Directeur de l'eau et de la prévention des pollutions et des risques reprend cette interprétation : "par ce contrat, Monsieur Fenech souhaite conforter (...) la démarche de la Semeddira en légitimant ses activités par la confirmation de l'importance et de l'urgence de la recherche de site de classe 1 ; la principale préoccupation de Monsieur Fenech est d'apporter des garanties aux collectivités locales et aux populations sur la sécurité à court et à long terme du site de décharge, garanties que la Semeddira ne peut donner"412.

C'est bien en partie en réponse à cette demande régionale, que les acteurs du niveau national vont se mobiliser et apporter leurs réponses aux questions qu'on leur pose mais aussi... aux questions qu'ils se posent. A partir du début de l'été 1990, s'ouvre alors une période assez confuse durant laquelle fusent de toutes parts les propositions, projets, contre-projets, idées nouvelles et anciennes réactualisés... L'analyse, sous l'angle national, de cette période est trop lourde pour ne pas faire l'objet d'une étude spécifique (cf : chapitre 2). Il s'agit en effet d'étudier sur trois années (1990, 1991, 1992) une activité intense d'élaboration de normes nationales (plans, études, lois, décrets, arrêtés, circulaires...). Dans cette étude, la place particulière des acteurs de la région Rhône-Alpes est à prendre en considération, tant il est évident que leur rôle a été particulièrement important dans la définition d'un certain nombre de choix politiques et juridiques nationaux.

3) Doter la coalition Semeddira de moyens d'action et de transaction

Une crise ouvre toujours des opportunités. Celle de l'automne 1989 permet à la Région, à l'ANRED et à la coalition dans son ensemble de faire préciser, élargir, reconnaître, renforcer leurs domaines d'interventions et leurs moyens d'action.

• L'attribution politique de champs de compétences. Dans un courrier de juin 1990 au Secrétaire d'État, R. Fenech lui transmet une note de la Semeddira commençant par cette phrase : "Une Région n'a actuellement pas compétence pour s'impliquer dans la gestion des déchets industriels et en particulier la création et le suivi des décharges de classe 1"413. Ce constat n'est pas nouveau ; ce qui est nouveau c'est qu'il soit exprimé et immédiatement suivi d'une offre de services : "La Région Rhône-Alpes est disposée, dans le cadre de la Semeddira et d'un partenariat étroit avec l'Etat à être pilote en la matière"414.

En demandant une "définition des compétences respectives de l'Etat et de la Région dans le traitement et le stockage des déchets industriels"415, la Région recherche notamment une reconnaissance et une légitimation étatique de son intervention dans ce domaine. Comme le prévoient les hauts fonctionnaires du ministère de l'environnement, lors de sa rencontre avec le Ministre, "Fenech évoquera aussi le problème des transferts possibles de compétences -> Région, pour la gestion des déchets industriels et d'autres problèmes environnementaux"416.

Finalement, le texte définitif de la Convention réaffirme que "la dimension régionale constitue le niveau privilégié pour l'élaboration de programmes d'actions relatifs à la maîtrise des déchets industriels"417. En outre l'Etat s'engage à "définir les compétences respectives de l'Etat, de la Région et des autres collectivités territoriales dans le traitement et le stockage des déchets industriels"418.

• Les dotations en moyens financiers et humains. Depuis 1987, Le personnel mobilisé par le suivi quotidien du projet Semeddira est celui de l'ANRED (Délégation Centre-Est, Lyon). La redéfinition du programme d'action de la Semeddira, en juin 1990, est l'occasion de demander "une personne, recrutée par “l'ANRED-Les Transformeurs” ou le Cabinet Conseil, et placée auprès du Président pour la mise en oeuvre de la démarche politique jusqu'au choix définitif des sites."419

D'une manière plus générale, le problème du financement de la démarche Semeddira est reposé à l'occasion des négociations de l'été 1990. Le problème est double : il y a d'une part celui de l'estimation globale du budget et d'autre part celui de sa ventilation entre les partenaires. Les premiers projets chiffrés font état d'un montant de 3 millions de Francs répartis à parts égales entre l'État, la Région et la Semeddira (août 1990). Sans que l'on puisse connaître les tenants et aboutissants précis des négociations, elles aboutissent dans la version finale de la convention à un montant de 5 millions de Francs, dont 2 pour l'État, 2 pour la Région et 1 pour la Semeddira. La contribution de l'Etat transitant par le budget de l'ANRED.

• La mise à disposition de moyens juridiques. La contribution de l'Etat à l'action régionale va se traduire aussi par une dotation en ressources juridiques. C'est là un aspect particulièrement original de cette Convention E.R.S. par laquelle l'Etat s'engage à édicter des normes de portées nationales nécessaires à l'avancement d'une démarche régionale. Sur le plan formel, l'Etat répond à des requêtes régionales qui font suite à la crise de 1989 et s'engage à élaborer certains dispositifs susceptibles d'appuyer la démarche régionale :

"- définir le cadre juridique permettant de conférer aux décharges de classe 1 le bénéfice de l'utilité publique comme équipements collectifs.

- définir le contenu et la méthodologie d'élaboration des Plans d'élimination (...) pris en application de l'article 10 de la loi du 15 juillet 1975 (...)

- élaborer un nouvel arrêté ministériel sur les décharges de classe 1, en s'appuyant sur les travaux du comité scientifique de la Semedirra (...).

- mettre au point un système d'intéressement des collectivités territoriales d'accueil (...)" (Convention ERS, version finale)420.

Comment interpréter de tels engagements ? Les dispositifs annoncés ont-ils été pensés exclusivement par référence à l'expérience régionale ? En s'engageant ainsi à réglementer voir à légiférer, le Ministre et le Préfet, co-signataires de la Convention, n'ont ils pas court-circuité les procédures institutionnelles ou habituelles pour l'élaboration de normes nationales ? Deux interprétations semblent s'opposer : celle des juristes et celle des fonctionnaires.




Le point de vue des juristes ou plutôt de certains d'entre eux, amène à considérer une telle convention comme une aberration remettant en cause toute la rationalité du système institutionnel de l'Etat-nation. L'Institut du Droit de l'Environnement, consulté sur le projet de Convention, exprime son étonnement :

"L'article 2 précise que l'Etat s'engage à prendre un décret et à élaborer un arrêté. Sans doute faut-il distinguer les conventions par lesquelles une autorité aliène sa compétence par un engagement à l'égard de son comportement futur général de celles par lesquelles elle assume un engagement particulier, par exemple de prendre ou de ne pas prendre telle ou telle décision. Mais l'exercice du pouvoir réglementaire est une compétence régalienne et il ne semble pas qu'il puisse faire l'objet d'une telle convention."421


Le point de vue officiel exprimé par la haute administration et, publiquement, par le Ministre tend à relativiser l'impact de l'expérience régionale et de la Convention E.R.S. sur les sources du droit. L'État ne se serait engagé dans cette Convention que sur des projets de textes déjà bien avancés et constaterait a postériori l'adéquation entre ses propres objectifs et la démarche régionale. Ainsi le DEPPR ne propose-t-il au Secrétaire d'Etat que de "faire part des travaux en cours relatifs au projet d'arrêté ministériel sur les décharges de classe 1 (...), faire état du projet de décret relatif au contenu et à l'élaboration des plans d'élimination (...)"422. Dans son allocution publique du 20 novembre 1990, lors de la signature de la Convention, B. Lalonde respecte très strictement cette présentation officielle, selon laquelle il n'évoquerait dans cette convention que des objectifs élaborés antérieurement.

Ces deux interprétations nous semblent être aussi peu pertinentes l'une que l'autre et entretenir, sans doute pour des raisons différentes, les mêmes illusions. La première interprétation ignore le caractère politique de cette convention sans statut qui n'engage pas plus l'Etat que n'importe lequel des innombrables discours publics de ses Ministres et Préfets ; cette interprétation exprime en creux une vision étroitement institutionnelle des modalités pratiques d'élaboration de normes en ignorant les combinaisons multiples et les usages divers qui peuvent être faits de procédures et principes juridiques généraux. La présentation officielle, tout en valorisant l'expérience régionale par une implication directe, préserve les mêmes schémas institutionnels en minimisant l'importance de cette expérience sur les initiatives et les procédures nationales d'édiction de normes politiques et juridiques.

Une autre interprétation peut être avancée : un certain nombre de dispositifs nationaux sont issus directement de l'expérience Rhône-Alpes ; élaborés dans le cadre de réseaux d'acteurs (répartis sur plusieurs niveaux territoriaux d'organisation administrative et sociale), ils visent à satisfaire des besoins spécifiques liés à la démarche Semeddira. Pour autant les engagements étatiques dans la Convention E.R.S. ne correspondent pas tous à des dispositifs ad hoc conçus pour Rhône-Alpes ; nombreux sont ceux dont la généalogie ramène aux débats nationaux et européens sur l'environnement qui s'accélèrent depuis 1989. En outre certains acteurs du Secrétariat d'État à l'environnement ont su utiliser la négociation de cette Convention E.R.S. pour faire avancer, dans les débats du niveau national, en tirant parti du caractère pilote et des difficultés de la démarche rhônalpine, certaines idées qu'ils souhaitaient faire avancer de toute façon et qui, incidemment, coïncidaient avec les voeux de la coalition Semeddira.


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