404 la norme linguistique l'occultation du caractère maternel de la langue nationale



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XXI


Activité normative, anglicismes et mots indigènes dans le Diccionario del espanol de México*

Par Luis Fernando Lara

Le problème théorique de la norme

Malgré les nombreuses recherches entreprises au cours des dernières années concernant la norme de certaines langues, tant des points de vue théorique et général qu'empirique et particulier (GRECO, 1976; Lara, 1976; Schmitt, 1979), on a l'impression, d'une part, que cette question est encore marginale relativement aux paradigmes qui caractérisent la linguistique contemporaine et, d'autre part, que l'inertie intellectuelle de beaucoup de linguistes a pour effet d'écarter le problème que pose l'existence de notions manifestement confuses en ce qui a trait à la polysémie du mot norme.

Du point de vue de la discussion de la norme dans la théorie linguistique, la pensée positiviste, scientiste et formaliste introduite dans la linguistique du XXe siècle nous a empêché de conceptualiser un sujet qui, de par sa nature propre, transcende les frontières de ce qui est « strictement linguistique » et se dirige vers le domaine plus ouvert de l'élucidation et de l'interprétation du fait social, un sujet auquel les dogmes de la description et de la recherche de modèles linguistiques ne reconnaissent aucun objet d'étude.

Cet objet d'étude a, jusqu'à maintenant, été défini à t'aide d'un double jeu de concepts, introduits par Ferdinand de Saussure et répétés de diverses façons tant dans des oeuvres visant de toute évidence à établir un programme

destiné à la linguistique, comme celles de Bloomfield, Martinet, Hockett ou Chomsky, que dans la diffusion des connaissances acquises qui, selon Thomas Kuhn, caractérise l'état normal d'un paradigme scientifique. 1 s'agit des concepts saussuriens de langue/parole et synchronie/diachronie dont la valeur est générale pour la linguistique descriptive du XXe siècle et même - en reconnaissant les différences marquées de sa conception formelle - pour la linguistique inspirée par Noam Chomsky.



* Traduit par Johanne DuchainetJuan. Révisé par Victor C. Jaar (Gouvernement du Québec, ministère des Communications, Service des traductions) et Jacques Maurais.


LA NORME LINGUISTIQUE

La première paire de concepts se caractérise par la détermination de la langue, système de rapports et de valeurs linguistiques, comme but de l'étude scientifique et, par conséquent, du rôle secondaire de la parole en tant que simple source de renseignements, en tant que lieu théorique de l'existence réelle du langage mais aussi, en raison de sa nature variable, de sa circonstance naturelle temporelle et historique, en tant qu'entité im­possible à identifier et à systématiser. Ainsi, la linguistique tente de découvrir le caractère systématique des langues humaines et cet objectif s'insère dans la recherche des traits caractéristiques de l'Homme conçu comme une entité universelle, une espèce biologique ou un être ontologique ou métaphysique.

Donc, l'intérêt pour la connaissance du caractère systématique de la langue ne devrait pas signifier l'élimination de sa nature sociale et historique au moyen de l'abstraction. Saussure nous a donné l'impression de poursuivre ce but en mettant l'accent sur le fait social dans sa définition de la langue. Pourtant, le fait social et historique a été éliminé dans la théorie linguistique moderne, sans doute en raison des limitations propres à la conception de système adoptée depuis. Les systèmes de rapports structurels et les systèmes génératifs ont un trait en commun: l'étude de l'usage dépasse leurs limites, c'est-à-dire qu'ils ne permettent pas d'établir un rapport théorique entre la pratique quotidienne de la langue, la parole, et les modifications et carac­téristiques du système de la langue. Tous les systèmes essayés dans le but de représenter la langue sont fermés et autonomes. Voilà pourquoi, depuis Saussure jusqu'à Chomsky, nous nous heurtons à un paradoxe: même si le système est autonome et, de ce fait, immuable, les langues varient et se modifient dans l'usage.

Par conséquent, la dichotomie synchronie/diachronie vient compléter la définition de l'objet d'étude en lui ajoutant une restriction portant sur la méthode: puisque la conception du système utilisé requiert des données homogènes qui ne peuvent fausser les rapports en introduisant des variantes temporelles, la langue doit être étudiée dans une synchronie tandis que tout fait temporel ou historique doit être considéré comme diachronie. La théorie linguistique ne pourra abandonner les doubles concepts saussuriens que lorsqu'une autre conception de ce qui est systématique nous sera offerte.

Ce qui pour Saussure représentait une nécessité même du type de description qu'il désirait postuler est devenu plus récemment l'idée maîtresse de la linguistique dont on définit l'objet d'étude comme étant un objet orienté par un but scientifique et auquel on confère une nature, un caractère ontologique définitif: les systèmes étudiés par la linguistique descriptive, d'abord considérés comme des constructions théoriques, se transforment peu à peu en réalités biologiques, mentales ou psychologiques. La langue ne s'élabore plus à partir de quelques données réelles dont la nature ne peut être évaluée. Aujourd'hui, le système de la langue apparaît comme une réalité attribuable au fonctionnement réel de l'esprit. La réalité de la parole

ACTIVITÉ NORMATIVE, ANGLICISMES ET MOTS INDIGÈNES



est demeurée au stade de pur support sonore, de véhicule perceptible d'une langue qui se manifeste, se réalise, s'actualise en elle.

Ainsi, la linguistique est dotée d'un objet d'étude de plus en plus important et qui requiert une somme croissante de travail pour se relativiser dans une perspective historique ou une pratique sociale. Se consacrant entièrement à la recherche constante de formalisations qui améliorent la description du système (la « description » postulée par Chomsky), elle par­court rapidement le chemin qui la rapproche de la logique, qui continue d'être un exemple de science, un idéal de connaissance explicite, cohérent et vérifiable. En revanche, toute question qui traite du rapport effectif entre le système et l'usage de la langue, qui met l'accent sur la parole et tient compte des aspects sociaux et historiques qui entourent son développement et la modifient, est attribuable soit à une « théorie de la parole », à une « théorie de la performance » d'un ordre différent de celui de la linguistique du système et dont les caractéristiques ne se définissent pas, soit à des disciplines marginales, intéressantes pour leur apport de données et la présentation d'une « histoire naturelle » de la parole mais incapables de contribuer à la théorie de la langue, de la compétence (Chomsky, 1977: 54-56) et encore moins de la modifier. Le sujet de la norme fait partie de questions de ce genre.

La polysémie du mot norme

Dans les langues pour lesquelles on a l'habitude de poser le problème de la norme, celle-ci revêt deux significations: selon la première, il s'agit de la règle qui dirige l'activité, le modèle de quelque chose, le « devoir être » qui marque la différence entre ce qui existe et ce qui règle l'existence. Selon la deuxième signification, elle représente ce qui est courant, l'habitude, ce qui existe et se décrit comme tel sans établir un rapport avec sa règle. Cette polysémie, aussi ancienne que son origine latine, est à l'origine des discussions de la philosophie, du droit et, naturellement, de la linguistique. La première correspond à l'idée traditionnelle de la grammaire, à « l'art de parler et d'écrire correctement une langue », au problème dont traite le présent travail; la deuxième correspond à l'observation et à la description d'une « normalité », d'un fait courant et général. La discussion de la philo­sophie et du droit est également celle de la linguistique même si, dans cette dernière, d'importants efforts ont été faits pour trancher la question en faveur de la deuxième acception du terme.

II ne pouvait en être autrement si l'on considère l'accent que la lin­guistique actuelle met sur la science. Comme science, la linguistique moderne est née à l'exemple des sciences de la nature conçues comme la description de faits observés. Au départ, la linguistique visait à décrire soigneusement le comportement régulier des langues. En tant que mouvement idéologique, la linguistique moderne est née également en réaction contre la grammaire

LA NORME LINGUISTIQUE



scolaire qui règle les usages et impose une conception particulière, d'origine classique, touchant l'intérêt porté aux langues du monde, indépendamment de leur degré de rapprochement ou d'éloignement du latin ou du grec. La norme représente, pour la linguistique descriptive et scientifique, une notion d'évaluation ascientifique; voilà pourquoi la première acception du mot norme non seulement disparait mais se voit aussi combattue. Tous les fondateurs de la linguistique moderne consacrent des pages entières de leurs oeuvres à l'élimination de cette conception avant d'aborder l'aspect scientifique.

Mais on ne peut pas non plus cesser d'observer qu'il y a des usages constants, répétés et généraux de la parole qui identifient les signes d'une langue particulière avec une substance et une précision matérielle plus grandes que ce que requiert son identification systématique. Les façons dont une communauté particulière prononce une langue, par exemple celle du Québec par rapport à celle de la France, celle du Mexique en contraste avec celle de l'Espagne, le vocabulaire particulier à une région ou les préférences syntaxiques de deux communautés géographiques distinctes qui parlent la même langue, ne sont pas pertinents pour l'étude systématique du français ou de l'espagnol mais ces traits donnent une certaine couleur, une nuance spéciale aux parlers de régions et de communautés particulières. Dans un mouvement conceptuel intéressant, la linguistique européenne moderne a adopté le second sens du mot norme pour créer un concept descriptif qui rende compte de cette normalité des parlers correspondant à une langue et pour établir un intermédiaire entre la langue et la parole saussuriennes (Coseriu, 1952). Dans ce sens, la norme représente l'usage plus général et habituel d'un système linguistique dans une communauté. Norme signifie ce qui est normal. S'il s'agissait purement d'un problème de terme technique pour un concept nécessaire, s'il suffisait d'obtenir l'accord nominal des linguistes, son importance serait moindre; mais la difficulté réside dans le fait qu'on ne peut séparer une partie du sens d'un mot et oublier le reste; ainsi, le terme norme constitue toujours un conflit conceptuel.

Du point de vue descriptif, la linguistique semble avoir gagné le niveau requis de fonctionnement et d'abstraction, particulièrement important pour des langues telles que l'anglais, le français ou l'espagnol qui doivent être considérées comme des systèmes uniques dotés d'une pluralité non pas de paroles - celles-ci n'étant que des accidents individuels et temporels du système-mais plutôt de normalités de paroles caractérisant l'anglais d'Angleterre, d'Amérique du Nord ou d'Australie, le français de France, du Québec ou d'un pays d'Afrique, l'espagnol d'Espagne ou d'Amérique latine. U s'agit d'un système dans lequel se trouvent diverses normes, d'un objet d'étude de la linguistique scientifique avec diverses modalités de réalisation normales et générales, mais nécessairement accidentelles et transitoires pour la recherche du système.

La norme de la théorie linguistique s'établit à partir de l'enregistrement objectif d'un fait observé et en ne valorisant pas ce qui est commun ou


ACTIVITÉ NORMATIVE, ANGLICISMES ET MOTS INDIGÈNES

traditionnel dans une société particulière; elle constitue nécessairement un phénomène statistique.

Mais le sens du vocable demeure; il reste à savoir si le choix du terme norme n'obéissait qu'à son acception claire de la normalité ou si s'est diffusée de façon inconsciente sa première acception qui continue de prévaloir au sein des sociétés dans lesquelles vivent les linguistes.

Dans un esprit d'objectivité caractéristique de la science, on recueille des données linguistiques soit de façon empirique, soit de façon intuitive, et on en fait des normes. Mais ces normes passent de leur fonctionnement descriptif à leur valeur prescriptive; ce qui est normal devient norme dans une espèce de démocratisation à outrance du droit de parole, dans une certification objective de ce qu'emploie réellement une communauté. La description acquiert la valeur scientifique de la vérité et cette nomme devient vraie; elle s'impose. Règle et coutume se compriment dans le terme; la norme apparaît comme simple légitimité d'un usage; l'usage se présente comme une véritable nonne. La distance, la tension entre « devoir être » et « être » disparaît sans donner de fruit. Au Mexique, on en est arrivé à proposer que, puisque la « nomme » mexicaine de l'espagnol ne tient pas compte de l'usage européen de la deuxième personne du pluriel dans la conjugaison verbale et dans les pronoms personnels (ce n'est que dans les sermons ou dans certains édits officiels qu'on dit vosotros cantdis « vous chantez », la forme habituelle étant ustedes cantan), on élimine les para­digmes correspondants dans l'enseignement scolaire. Mais, fait contradictoire, nul ne défend la nécessité de s'en remettre à la norme dans le cas de l'usage généralisé du morphèmes qui indique la deuxième personne du singulier du prétérit dans les conjugaisons comme cantastes « tu as chanté », comistes « tu as mangé » ou venistes « tu es venu' » qui n'en reste pas moins « in­correct » par rapport à l'usage cantaste, dijiste, viniste. Le morphèmes est plus courant dans la langue parlée; il est ajouté par une bonne partie de la population qui possède moins d'instruction que certains groupes intellectuels et qui, pour cette raison, est considérée comme étant « sans culture » (pour des cas semblables dans le français européen, cf. GRECO, 1976). Pour des fins de cohérence recherchée par les linguistes, cette normalité est acceptée comme une norme appartenant à un vaste groupe social désigné par les vocables « à demi cultivé » ou « populaire »; toutefois, elle n'est pas considérée comme une norme valable par rapport à ce qu'on appelle la « norme cultivée » mexicaine. En d'autres mots, devant l'impossibilité « scientifique » d'évaluer un usage particulier comme le fait la grammaire scolaire (« l'usage de la cour de Tolède », « l'usage des bons écrivains »), on agit de la façon suivante: d'abord, il faut déclarer l'esprit scientifique qui précède toute observation de ce qui est normal pour en arriver ensuite

1. Officiellement, l'équivalent du prétérit de l'espagnol en français est le passé simple, toute­fois, vu l'usage restreint de cette forme en français et la signification du prétérit au Mexique, j'ai préféré le traduire par le passé composé.

LA NORME LINGUISTIQUE



à privilégier une de ces normalités, celle des « gens cultivés », comme une norme délimitée de façon objective. On se trouve ainsi devant un phéno­mène typiquement idéologique parmi d'autres qui sous-tendent la linguistique. Ne pouvant évaluer l'usage, le linguiste défend l'objectivité de sa science et tente malgré tout de faire une évaluation qui, loin d'être orientée par ses données, est plutôt fondée sur le rôle qu'il joue au sein de la société dans laquelle il évolue. La rupture forcée entre la théorie et la pratique du linguiste engendre une dichotomie infranchissable et caractéristique de nombre d'autres sciences actuelles.

Voilà pourquoi la polysémie du vocable est à l'origine des deux prin­cipaux conflits relatifs à l'étude linguistique de la norme. Les compromis, tant d'ordre épistémologique qu'idéologique, empêchent non seulement la recherche d'une solution qui, comme j'espère le montrer plus loin, est pratiquement impossible, mais jusqu'à l'élucidation du problème que posent le rôle de la théorie et la profession du linguiste dans sa pratique sociale.

Norme et langue

Les faits exposés plus haut font ressortir la nécessité d'établir une dis­tinction nette entre les deux significations du mot norme, de préférence en faisant appel à des termes différents. Comme on a surtout l'habitude d'entendre par norme une « règle », un « devoir être de quelque chose », je ne conserverai que cette signification. En revanche, pour désigner ce qui est « normal » ou « habituel », j'emploierai sans distinction deux termes descriptifs, soit la parole, à l'instar de Saussure, et l'usage selon la conception de L. Hjelmslev (Lara, 1976: 38-46) ainsi qu'un terme ayant trait à l'activité verbale: la pratique.

Dans mon ouvrage El concepto de norma en lingüistica, la norme était définie comme « un modèle, une règle ou un ensemble de règles, dans une certaine mesure obligatoire, puisque c'est la communauté linguistique qui l'impose aux sujets parlants d'une langue et détermine les modalités d'actualisation de son système linguistique en choisissant, parmi les possi­bilités illimitées de réalisation dans l'usage, celles qu'elle juge acceptables » (Lara, 1976: 110). Mais peu de temps après la publication de cet ouvrage, les membres du colloque sur la norme qui s'étaient réunis à Rouen (GRECO, 1976) ont proposé une série de réflexions et de façons d'aborder le pro­blème que je ne connaissais pas jusque-là et que je souhaite maintenant inclure dans la théorie, vu le progrès qu'elles représentent

Ma définition de norme était encore inspirée du structuralisme linguis­tique pour deux raisons: premièrement, je n'avais pas encore remis en ques­tion la valeur de la dichotomie saussurienne entre langue-système et parole; par conséquent, je continuais de définir la norme comme un modèle sans tenir compte de ce rapport et sans approfondir son caractère linguistique et social. Deuxièmement, je conservais, ne ftlt-ce qu'implicitement, une optique

ACTIVITÉ NORMATIVE, ANGLICISMES ET MOTS INDIGÈNES



descriptive et formaliste selon laquelle la norme constitue en quelque sorte un système qui agit sur les modalités d'actualisation d'une langue. En peu de mots, cette définition correspond à une notion de la norme selon laquelle elle représente un produit, un modèle terminé, en parallèle avec le concept de système 2.

Cependant, pour mieux comprendre ce qu'est une norme, il faut l'envisager de deux manières différentes: d'une part, comme une activité normative qui établit un rapport entre la pratique linguistique et les membres de la société, et, d'autre part, comme un produit fini pouvant être décrit à l'aide d'une technique propre à la linguistique.

La norme ne représente certainement pas un phénomène semblable à ceux dont traite la linguistique descriptive moderne. Jusqu'à maintenant, la linguistique s'est penchée sur l'organisation du langage qui s'exprime par les sons, éléments matériels qui peuvent être décrits. Au contraire, la norme n'est pas une manifestation physique directe mais plutôt un concept ou un ensemble de concepts qui reposent sur le caractère matériel du son ou qui en acquièrent leur intelligibilité. D'une certaine façon, la norme est un concept abstrait comme la langue ou le système; ils diffèrent en ce sens que ces derniers s'insèrent dans une théorie linguistique tandis que la norme demeure un concept dont la pertinence pour la linguistique est mise en doute. De plus, dans la mesure où les éléments du système sont des constructions appropriées aux faits physiques qu'ils décrivent, pouvant faire l'objet d'expé­riences, la norme ne décrit pas ces données mais plutôt, lorsqu'elle est établie, les prescrit après les avoir évaluées. Lorsqu'elle constitue une activité qui s'exerce dans la parole, la norme les oriente d'une manière différente de celle de leur qualité purement linguistique. Par conséquent, la norme, de par sa définition, n'est pas un concept descriptif approprié aux signes réels.

Donc, le concept de norme doit évidemment être distinct des concepts descriptifs de la linguistique et c'est pourquoi la norme semble représenter en quelque sorte une opinion concernant la langue ou une activité orientée par la pratique du discours dans une société (cf. Guespin, 1976: 147).

Considérée comme une opinion, la norme constitue la cristallisation ou la réunion d'un ensemble complexe de concepts idéologiques et sociaux dans un ordre précis, orientée vers une activité particulière. Toutefois, tandis que les opinions se forment habituellement à partir de la compré­hension globale d'un fait historique, politique ou social donné, la norme devient peu à peu un modèle prospectif pour l'activité verbale. Fondée sur l'expérience passée, elle finit par se proposer comme modèle pour les expériences linguistiques subséquentes. Ainsi, la norme conserve toujours un usage qu'elle impose à titre de modèle pour l'avenir.

2. La distinction établie par W.v. Humboldt entre produit et activité, ergon et energeia, adop­tée par Coseriu et utilisée par Kari Bühler dans sa Théorie du langage, explique et précise le caractère épistémologique de la notion de système (cf. Lara 1976: 54-66).

LA NORME LINGUISTIQUE



Ce qu'il faut retenir de ce type d'opinion sur la langue, c'est son arti­culation fonctionnelle avec la pratique linguistique d'une société.

Voilà pourquoi il faut étudier la façon dont s'articulent la norme et la langue. Le caractère accidentel de la norme en ce qui a trait au paradigme dichotomique de Saussure ressort lorsqu'on constate le rôle qu'elle joue tant dans les caractéristiques de la parole que dans l'idée qu'une société se fait de sa langue.

Dans la société mexicaine et dans nombre d'autres sociétés occidentales modernes, la langue est maintenant conçue comme une entité établie, héritée de nos ancêtres et toujours, sous une forme ou sous une autre, faite, achevée. Ce n'est pas pour rien qu'on se reporte à « l'espagnol du XII" siècle » ou à « l'espagnol du Me siècle », car on se fonde ainsi sur un prin­cipe d'identité fixe selon lequel on conçoit les changements, notoires et reconnus, comme des mouvements à l'intérieur de la même langue. Abstrac­tion faite de la croyance fondée sur les théories évolutionnistes et les con­ceptions historiques précédentes, selon lesquelles les langues sont des orga­nismes au même titre que les êtres biologiques - croyance qui règne d'ail­leurs toujours, notamment parmi les académiciens français et espagnols - la langue n'en demeure pas moins identifiée encore de nos jours comme une unité établie et invariable.

La pensée grammaticale actuelle qui, comme le signale Baggioni (1976: 68), « répond à un besoin de rationalisation et de justification du processus d'unification linguistique », contribue à cette conception moderne de la langue et en est même le fruit. La grammaire, avant d'être un modèle de la capacité verbale de l'individu, représente le développement historique des cultures linguistiques occidentales. Lorsque la grammaire traditionnelle et les grammaires modernes s'affirment comme le reflet ou la découverte de la capacité de parler d'un individu, elles affirment l'idée d'une langue égale à elle-même et, comme on l'a déjà dit, enfermée dans son propre système.

Mais l'histoire montre que notre idée actuelle des langues et de leurs grammaires est le fruit de processus sociaux et idéologiques complexes: la formation des États européens modernes, la conception de l'Homme issue de la Révolution française, les doctrines du libéralisme économique, la diffu­sion de l'idéal que représente la démocratie et, plus récemment, la techno­logie en étroite relation avec l'évolution de la cybernétique. Diverses études consacrées à l'idée de la langue à différentes époques et dans des langues comme l'espagnol, le français ou l'italien, amènent à la conclusion que ce que fon croit aujourd'hui au sujet de ces langues est un résultat historique et non la découverte d'une entité permanente et atemporelle (Bahner, 1966 et 1977; Niederehe, 1975; Auroux, 1973; mais également Alonso, 1942; Menéndez Pidal, 1945 et Lapesa, 1942).

Voilà pourquoi le locuteur adulte, celui qui ne s'intéresse pas de près à l'histoire de la langue, réservée aux spécialistes, considère la langue comme

ACTIVITÉ NORMATIVE, ANGLICISMES ET MOTS INDIGÈNES



un produit fini qui constitue tout au plus un objet de perfectionnement indi­viduel et non une activité à laquelle il participe de façon créatrice. D objective sa langue par un substantif: le français, l'espagnol. Celle-ci lui est étrangère dans la mesure où son idéal est fondé sur un âge d'or révolu, inaccessible. Il suffit de citer à titre d'exempte le cas du Mexicain contemporain pour qui la langue idéale est celle de Cervantes ou, dans un esprit nationaliste, celle de Soeur Juana Inés de la Cruz et de Juan Ruiz de Alarc6n. Car il n'existe aucune évaluation populaire et acceptée, ni de l'espagnol actuel, ni même des écrivains modernes qui sont appréciés pour des motifs d'ordre esthétique, politique ou idéologique et non linguistique.

Plusieurs savants ont signalé une époque importante de changement dans la conception que la communauté hispanophone se faisait de la langue. ll s'agit de la fondation de rAcademia Espanola (1713), qui apparaît au moment où l'absolutisme bourbonien commence à exercer son pouvoir sur toute la péninsule, en réduisant l'autorité ecclésiastique et en introdui­sant des institutions scientifiques dont les bases reposent sur l'idéal fran­çais de la connaissance. Même si l'Academia Espanola a donné le signal du modernisme dans l'Espagne du XVIIle siècle, les actions visant à normaliser la langue, à s'opposer à la norme de la cour dans un esprit scientifique et dans le but de rendre la langue plus efficace en la purgeant des excès verbaux baroques (Henschel 1969: 1-13), ont fini par donner l'impression d'une langue fixe, établie et isolée du parler populaire, contraire à celle qui, jus­que-là, faisait preuve de vitalité. Comme l'écrit Amado Alonso (1943: 93): « Jadis, la langue évoluait constamment et nous l'admirions dans les clas­siques; aujourd'hui, elle constitue un outil, un produit achevé. Cette con­ception de la langue découle de la conscience générale qui veut qu'elle ait atteint la perfection au Siècle d'or et selon laquelle, en la retouchant, on risque de la mettre en péril. »

Avant-gardiste à (époque des Bourbons, l'Academia Espanola est devenue peu à peu le symbole du conservatisme; les écrivains du Siècle d'or, caractérisés par leur liberté linguistique, servent aujourd'hui de mo­dèles figés qu'il faut suivre, mais nul ne peut rivaliser avec eux en ce qui a trait à la créativité linguistique. L'Académie impose ses nommes: elle codifie l'orthographe, rédige le Diccionario de Autoridades pour montrer, à l'aide d'exemples, le « bon usage » de l'âge classique et s'attaque à la grammaire. Mais puisqu'elle est une institution, elle passe de l'action à la conservation et se transforme en un cénacle pour des motifs plus souvent d'ordre poli­tique que linguistique.

La norme académique s'érige en langue; une fois fixée, elle devient règle prescrite. Peu à peu, on en vient à concevoir la langue comme un système figé, statique, contraire à l'idée de la créativité. La norme et la langue ne restent pas distinctes; au contraire, la norme définit les limites de la langue. La systématicité de la grammaire est considérée comme la systéma­ticité de la langue. Pour les académiciens, la norme c'est la langue.

LA NORME LINGUIS11QUE



Or, le parler, l'activité verbale d'une communauté, diffère de la langue, c'est-à-dire de la conception qu'on en a. Pour le commun des mortels qui, au cours de la majeure partie de l'histoire, a été analphabète, l'exercice verbal est fondé sur les modèles traditionnels et correspond aux intérêts et aux besoins de la vie quotidienne. Cette langue qui ne manque pas d'étonner le linguiste qui étudie le parler du paysan, en perçoit la vitalité et, malgré le passage des ans, la permanence des traditions, des tournures et des sens, n'est ni représentée, ni conçue dans la pensée linguistique. Elle est considérée comme « rurale », « rustique », « populaire », « fami­lière », « vulgaire », « non instruite », « archaïque », « limitée », etc. et, les théories contemporaines l'estimant marginale, elle est reléguée aux domaines de la dialectologie et de la sociolinguistique. Le linguiste laisse peu à peu entrevoir son parti-pris pour le normatif.

Norme et unité linguistique

Le parler, à son état naturel, a l'habitude d'être considéré comme un chaos dans lequel les éléments linguistiques vont et viennent, les émotions soudaines s'exprimant de façon aussi aléatoire que les émissions des locu­teurs, les erreurs de tout genre se commettent, traduisant des influences extérieures au monde verbal. Le linguiste descriptif ou le grammairien doit de plus en plus faire appel à l'abstraction et à la technique pour réduire ce chaos. Sa recherche est toujours axée sur ce qui est commun, sur ce qui est constant dans ce chaos dans le but d'en sortir et d'établir un certain ordre. C'est pourquoi le phonème, le morphème et la distribution ou fonction syntaxique constituent des entités invariables autour desquelles s'élabore la langue. En revanche, c'est cette langue même qui s'exprime dans le chaos et s'individualise chez les locuteurs. Par conséquent, le phonème, le mor­phème et la distribution ou fonction syntaxique sont des réalités mentales qui appartiennent à tous les hommes et se voient traduites, voire trahies, par l'appareil phonateur dont le rôle consiste à exécuter l'idéal mental. Les membres d'une communauté linguistique se comprennent parce qu'ils partagent une idée invariable et abstraient de leurs fautes et de leurs varia­tions ce qui est nécessaire à leur modèle mental.

Il y a tout lieu de croire que c'est ainsi que cela se passe. Toutefois, l'idée actuelle de la façon dont cela se produit ne nous permet pas de faire face au chaos avec de meilleurs outils. La réduction continue d'être extrême et les théories biologiques comme celles de René Thom (1972) ou de Henri Atlan (1979) n'ont toujours pas de partisans parmi les linguistes.

C'est là l'idée de l'unité d'une langue comme condition préalable à la communication entre ses locuteurs. Dans les sociétés qui évoluent sans acquérir ni parfaire une instruction formelle qui freine la tendance au chaos,

il est normal que les langues se fragmentent et finissent par disparaître com­me l'histoire du monde l'a montré et comme elles continueront de le faire. On


ACTIVITÉ NORMATIVE, ANGLICISMES ET MOTS INDIGÈNES



ignore quelles pourront être les dimensions spatiales et temporelles dans lesquelles une langue, non contrôlée, restera homogène ou intelligible. Dans le monde indigène mexicain, il y a des langues comme celles du groupe zapotèque qui, théoriquement, devraient être homogènes et mutuellement intelligibles. Pourtant, en réalité, elles peuvent être distinctes les unes des autres pour des locuteurs habitant parfois à seulement 30 kilomètres les uns des autres. L'unité d'une langue est donc plus mystérieuse qu'on ne le pense et dépend de facteurs sociaux à peine connus.

On a toujours justifié l'existence de la norme en disant qu'elle constitue un outil d'unification nécessaire aux sociétés sans écriture où les risques de fragmentation sont les plus importants. Mais on postule aussi l'existence de mécanismes d'unification plus ou moins naturels qui nient la nécessité d'une conscience de l'unité exprimée à l'aide d'une norme, de telle sorte que, pour Baggioni, il est abusif d'assimiler l'idée de la nomme « à la relative tendance unificatrice qui existe pour chaque variété linguistique d' une langue donnée référée à un groupe social ou à un ensemble de conditions de pro­duction du discours » (1976: 56-57). C'est là un des points d'interrogation auxquels il faudrait répondre dans le cadre d'une théorie linguistique qui traiterait entre autres de la norme. Il y a diverses possibilités: la norme existe dans toute pratique linguistique ou seulement sous certaines conditions de conscience qui permettent de rétablir explicitement; il y a des « nommes objectives » (Rey, 1972; Lara, 1976: 85 et suivantes) réelles et inconscientes pour une communauté ou bien seulement « prescriptives » et conscientes. Dans le premier cas, la norme engloberait la notion de langue au point d'en devenir le synonyme. Dans le second cas, la norme et la langue auraient leurs propres champs et une interaction spécifique. Le problème ne peut pas encore être résolu, peut-être parce que l'exposé en est trop simple.

On pourrait penser qu'une société n'est pas tenue d'objectiver sa langue de la même façon que l'a fait la civilisation européenne et que, par consé­quent, l' unité linguistique qui rend intelligibles deux usages au sein d'une même société découle davantage de la pratique que de la réflexion. Habi­tuellement, dans la pratique, on ne met pas l'accent sur les signes lin­guistiques proprement dits; ceux-ci s'insèrent dans le discours dont le sens dépend des intérêts et du travail de la société. Que le rôle de la langue ne soit pas restreint à un certain type d'actions sociales mais s'applique plutôt à toutes les actions nous permet de croire que la pratique verbale est soumise à (ensemble des obligations sociales qui se manifestent avec elle ainsi qu'aux restrictions et libertés que la société donne aux actes qui f utilisent. Une vision anthropologique de la langue devrait montrer les relations sociales qui se manifestent normalement dans le discours - « l'ethnographie de la pa­role » de Hymes, la « sociologie du langage » de Cohen - de pair avec les limites pratiques et légales qui leur sont imposées dans une communauté particulière pour pouvoir comprendre (origine et le rôle de la norme.

D est donc plus intéressant d'amorcer une étude sur ce qui est sous­jacent à la norme ou fait qu'elle existe dans une communauté linguistique

LA NORME LINGUISTIQUE



donnée que de déterminer si elle constitue un trait linguistique universel. Pour ce faire, il faudra donc analyser la fonction du discours linguistique dans l'ensemble des pratiques sociales.

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