404 la norme linguistique l'occultation du caractère maternel de la langue nationale


elles chevauchent Le second cas est



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elles chevauchent Le second cas est le plus fréquent et la tâche du séman­ticien comparatiste s'en trouve alourdie d'autant.

Comme exemples du premier cas, nous donnerons versatile et éven­tuel/eventual. Versatile s'écrit de la même façon dans les deux langues, mais les deux signifiés n'ont aucun point commun. En français ce mot désigne l'inconstance du caractère, alors qu'en anglais il est toujours pris en bonne part et se dit d'une personne douée pour plusieurs choses. En principe, il ne devrait y avoir aucune confusion, mais il arrive que des sujets parlants, à cheval sur les deux langues, donnent au mot anglais le sens du mot français ou vice versa.

Le cas d'éventuel, de son paronyme anglais et des adverbes qui en dérivent, est plus délicat parce que, de part et d'autre, il est question de pé­riodes de temps dont l'une est postérieure à l'autre. Eventual et eventually se rapportent à ce qui est postérieur, aussi bien dans le passé que dans l'avenir. Éventuel et éventuellement regardent uniquement vers l'avenir et, de plus, sont contingents aussi bien que temporels. Son départ éventuel signifie: son départ aura lieu dans l'avenir, s'il se produit, ce qui n'est pas sûr. Avec eventual/eventually le verbe peut être au passé et au futur: Eventually he moved (will move) to Paris signifie que par la suite, il s'est fixé ou se fixera à Paris. Cette distinction se révèle difficile à saisir pour l'usager moyen, surtout en pays bilingue où les interférences sont particulièrement fréquentes. Il en résulte que souvent l' usager se récuse, préfère ne pas employer un mot dont il n'est pas sûr. Un cas semblable se présente avec l'expression Vitesse vérifiée par radar. Vérifiée n'est pas fautif, mais le mot qu'on attend est contrôlée. Seulement l'auteur de cet avis aux automobilistes n'est pas sûr du sens exact de contrôler. Redoutant de commettre un anglicisme, il l'évite. Quand le signifié prête à confusion, on délaisse le signifiant En français la distinction entre rien de moins que et rien moins que n'est plus sentie par l'usager moyen. Le Dictionnaire des difficultés de la langue française conseille d'éviter ces deux locutions purement et simplement.

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Ici nous touchons à un point important de notre propos, point qui a déjà été évoqué dans les pages qui précèdent, à savoir l'incidence des emprunts sur l'intégrité du français; l'emprunt le prive-t-il d'une de ses ressources? 1 se trouve que l'adjectif éventuel (ainsi que son adverbe éventuellement) est remarquable par son efficacité. Il dit beaucoup en peu d'espace. Une phrase aussi simple que Votre candidature éventuelle devra me parvenir avant le I er mars signifie que si vous décidez de vous présenter vous devrez m'en faire part avant le 1er mars. Éventuel suffit à marquer la contingence de la situation, rôle qu'eventual n'est pas susceptible de remplir, parce que, justement, il n'exprime qu'un rapport temporel sans restriction contingentielle.

Un autre aspect du problème des faux amis est d'ordre diachronique. La langue évoluant constamment, il arrive que les rapports entre l'anglais et le français varient d'une décennie à l'autre. Un exemple clair et simple de ce phénomène est celui de viscéral. ll y a une quinzaine ou urie vingtaine d'années, le sémanticien comparatiste eût noté comme différence essentielle que cet adjectif n'avait en français que le sens propre (« qui a rapport aux viscères », disait le Petit Larousse), alors que maintenant et certai­nement depuis les événements de mai 68, il a aussi, comme son paro­nyme anglais, un sens figuré: une peur viscérale. 1 est difficile de dire si cet ajout sémantique s'est fait seul ou sous l'influence de l'anglais. Ce qui est sûr, c'est que ces deux mots sont maintenant à égalité et cessent d'être des faux amis.

Des exemples de ce genre montrent que la situation de l'emprunt sé­mantique est plus fluide que celle de l'emprunt lexical, qui a l'avantage d'être nettement tranché, justement parce que, au début tout au moins, il fait tache,

il reste à la surface de la langue, au lieu de disparaître dans son tissu. n est localisable et datable. Il a son propre développement, morphologiquement et sémantiquement, complètement séparé de son origine étrangère. Il est relativement aisé de remonter à son insertion dans sa langue d'adoption et même au-delà. Il l'est beaucoup moins de dessiner le profil d'un emprunt de sens. Disons que la substance d'un signifiant est plus concrète que celle d'un signifié, et cela vaut pour la langue en général. Un fait de lexicographie le montre bien. Nous sommes maintenant assez bien documentés sur les datations de mots. Il est beaucoup plus difficile d'attester les dates des annexions de sens.



Tandis que se poursuit cette réflexion sur l'emprunt linguistique en fonction de la normalisation, il importe de ne pas perdre de vue qu'il existe sur ce point deux attitudes possibles et opposées. L'une accepte les change­ments, quels qu'ils soient, dans un parti pris de complète objectivité. L'autre, qui suppose une conception entièrement différente de la langue, considère que puisque, indéniablement, celle-ci est un fait humain, l'homme peut agir sur son parier. La question est de savoir s'il le peut délibérément Le raison­nement qui sous-tend cette attitude peut se reconstruire comme suit la langue est modifiée petit à petit, de génération en génération, par ceux

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qui la parlent. Inconsciemment, chaque génération ne parle pas exactement comme celle qui l'a précédée. Mais il n'est pas exclu que les hommes ne puissent pas faire consciemment ce qu'ils font depuis si longtemps incon­sciemment. On n'a pas d'exemple cependant d'une nouvelle orientation voulue et réalisée par la collectivité à une époque donnée. Tout au plus peut-on parler de poussées affectives qui impriment à la langue une autre direction. Ainsi le statut des mots crus n'est pas le même aujourd'hui qu'en 1880 (v. Cellard et Rey, 1980). On pense aussi à l'administration qui, grâce à ses moyens de diffusion, peut assurer, dans un domaine donné, la prédo­minance d'un mot sur un autre. Mais justement on pourra objecter non sans raison qu'il s'agit de faits isolés: les mots sont des unités discrètes. Conten­tons-nous, pour rester dans les limites de notre domaine, qui justement est celui des mots, de rappeler qu'il y a souvent un homme derrière un néolo­gisme, mais souvent aussi il reste anonyme. Cependant nous savons que Alfred Mahan a créé le concept de sea power, que celui de géopolitique a été élaboré par plusieurs savants de nationalités différentes, et pas seulement par Haushofer, que Gaston Berger nous a donné le mot prospection. Voici maintenant un cas de normalisation linguistique individuelle dûment attesté.

En 1916 furent expérimentés, sur le front ouest, les premiers tanks. Le mot était anglais comme la chose qu'il désignait et il aurait pu rester le terme officiel du vocabulaire militaire français sans la volonté d'un homme, le général Estienne, grand maître de l'artillerie d'assaut. Le général Estienne décréta que le tank serait appelé, d'un mot qu'il avait lui-même créé, char d'assaut ou char de combat. Au mess auquel il lui arrivait de prendre ses repas, il entreprit une lutte farouche pour assurer le triomphe de sa création, allant jusqu'à infliger des amendes à ceux qui se laissaient aller à employer des mots anglais et surtout le mot tank. L'histoire raconte qu'il fut lui-même pris à ce petit jeu - et s'exécuta de bonne grâce - pour avoir laissé échap­per le mot bluff.

C'est un fait qu'entre les deux guerres, les règlements de l'armée fran­çaise n'ont connu que le mot char pour désigner le tank, et le concept anti­char (fossé anti-char) en dérive. C'est un bon exemple d'un mot qui a triom­phé par la volonté tenace d'un homme, lequel, il est vrai, était bien placé pour obtenir ce résultat

En rapportant ce fait, dont l'aspect anecdotique ne diminue pas l'im­portance, nous avons voulu souligner deux choses: l'importance du facteur individuel lorsque les circonstances sont favorables, et aussi une certaine conception du langage qui défend deux valeurs: les droits de la pensée et le respect de la langue. On remarquera que ces deux choses ne sont pas toujours en symbiose. Il y a des cas où les exigences de la pensée peuvent porter atteinte à l'intégrité de la langue, où il faut sacrifier celle-ci pour pro­mouvoir celle-là.

Nous n'en sommes pas encore là. Un premier reproche que l'on peut faire à l'emprunt sémantique, auquel nous revenons après une légère di-

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gression concernant un emprunt lexical, c'est qu'il engendre souvent une certaine confusion et nuit alors à la précision du langage.

Ainsi le Grand Larousse de la langue française accepte réaliser au sens de se rendre compte, nonobstant l'opposition des puristes (le mot puriste figure dans l'article). C'est un fait que depuis le début du siècle et l'époque où Proust faisait dire à Odette de Crécy « Je n'ai pas réalisé », cette annexion de sens s'est largement répandue dans l'usage contemporain. A n'en reste pas moins qu'on rencontre des contextes dans lesquels on ne sait plus s'il faut prendre réaliser au sens anglais ou au sens français, et la clarté du discours en pâtit. On cite un communiqué officiel français pendant laguerre de 1914, annonçant une offensive allemande et ajoutant que l'État-Major avait « réalisé » les intentions de l'ennemi et pris les mesures qui s'imposaient Sans doute était-ce là un cas exceptionnel, mais on peut critiquer de la même façon l'emploi actuel de contrôler. Ce verbe, on le sait, pgut s'employer tantôt avec son sens français traditionnel, tantôt avec le sens anglais. Cepen­dant incontrôlable n'a - pour le moment - que le sens français de non vérifiable. En outre, il y a des situations où le sens de vérification coïncide avec celui de volonté imposée, comme dans l'expression le contrôle des changes: l'État est tenu au courant de vos opérations de change (vérification) et peut les restreindre ou les interdire à son gré en exerçant son autorité (contrôle au sens anglais).

L'ambiguïté actuelle, qui résulte de ce que le sens français et le sens anglais cohabitent à l'intérieur du même mot, apparaît dans des énoncés tels que « le contrôle des retombées atomiques » qui a figuré dans le titre d'un article du Monde. Fallait-il comprendre: observation et mesure du phéno­mène ou mesures prises pour y remédier (sens anglais que l'on retrouve dans flood control)? La première hypothèse était sans doute la plus vraisem­blable; n'empêche que le lecteur hésite parce que la pensée du rédacteur ne s'impose pas avec toute la clarté désirable.

On peut donc considérer que parmi les anglicismes sémantiques il y en a toute une catégorie qui se caractérise par la gravité de la distorsion que subit le sens des mots ainsi affectés, et par la confusion de pensée qui en ré­sulte, et qui va au-delà de l'impropriété. Contrôle pourrait servir d'exemple type si son aire sémantique ne coïncidait pas avec celle de control sur quelques points (cf. plus haut). Nous donnerons à titre d'exemples caractérisés quatre autres mots, avec chaque fois, entre parenthèses, un rappel sommaire du sens français.

consistant (pâte consistante), au sens de conséquent avec soi-même; diète (jeûne médical) au sens de régime alimentaire;

disposer de (avoir à sa disposition) au sens de se débarrasser de ...

;

initier (apprendre à qqn) au sens de commencer un projet



Et pour la bonne mesure, un dernier exemple emprunté au français

général et qui est celui d'admettre au sens d'avouer. Nous risquons désormais

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de confondre la notion de tolérance avec celle d'aveu, et cela malgré le fait que nous avons déjà trois verbes au service de l'idée d'aveu: avouer, confesser, reconnaître. C'est donc le type de l'anglicisme non seulement inutile mais nuisible.

Voici maintenant des anglicismes d'un faible effet sur la clarté du discours (ils laissent passer le message) mais qui portent atteinte à l'intégrité de la langue parce qu'ils en modifient l'économie, et ces modifications lui sont imposées du dehors plutôt qu'elles ne sont le résultat de son impulsion interne. Et pour en juger, il faut se rappeler qu'il y a une grande part d'arbi­traire dans la façon dont une langue évolue. La propriété des termes, qui est en cause ici, est déterminée par des choix arbitraires que l'usage nous im­pose sans que nécessairement la logique y trouve son compte. 1 n'y a aucune raison, par exemple, pour que nous disions grièvement au lieu de gravement blessé.

C'est un fait que l'anglais dit lecture des épreuves alors que nous disons correction, qui est sans doute plus logique puisqu'on peut lire sans corriger. La faute qui consiste à dire lecture pour correction sous l'influence de l'anglais est bien légère, elle n'en est pas moins une atteinte à nos habitudes, et l'usage est fait d' habitudes. C'est une bonne règle de respecter ce que le français a dit spontanément et de respecter la valeur des mots, même lorsqu'ils sont pro­ches par le sens. Depuis quelque temps, concerné fait concurrence à inté­ressé au sens administratif: adressez-vous au service intéressé. Mais ces deux mots ne sont pas interchangeables et il faut garder concerné pour les cas où il ne s'agit pas d'une simple démarche mais d'une situation qui est beaucoup plus importante. Par exemple nous sommes concernés par le résultat d'une élection ou d'un référendum. L'anglais marque moins facile­ment cette distinction que nous devons garder.

II y a au Canada une anglicisation subtile qui fait que l'anglais à distance détermine la fréquence de mots français et ainsi change leur valeur. Sous l'influence de to eliminate, éliminer devient plus fréquent que supprimer, or ces deux verbes ne sont pas interchangeables, car le premier suppose un processus d'élimination que le second n'implique pas. Dans les sciences sociales, acquises aux méthodes américaines et par conséquent à leur voca­bulaire, répartition fait de plus en plus place à distribution. Nous risquons de perdre répartition et en même temps la distinction que ce mot permet par rapport à distribution. Traditionnellement, la répartition se fait en circuit fermé, à l'intérieur d'une quantité déjà fixée, limitée, alors que la distribution se fait en circuit ouvert quand il n'y en a plus, il y en a encore.

On remarque que quand un mot français s'aligne sur un mot anglais pour des raisons de parenté, il adopte sa syntagmatique, ce qui peut avoir pour conséquence d'écarter de l'usage les mots qui jusque-là figuraient dans ce secteur. Si nous disons référer chaque fois que l'anglais dit to refer, nous finirons par oublier faire allusion à, se rapporter à, renvoyer à. Il en va de même d'émettre, aligné sur to issue et se substituant à prendre (un décret),

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publier (un communiqué), délivrer (une pièce d'identité). Parce que oriental en anglais ne s'applique qu'à l'Extrême-Orient, son paronyme français oriental a à peu près perdu la faculté de désigner la partie est d'une région dans un pays occidental. On peut se demander si les Québécois sont peu familiarisés avec assesseur à cause de la proximité du mot anglais assessor qui relève d'un autre domaine d'emploi. Et sans doute contentious a-t-il retardé l'émergence de contentieux pour désigner ce qui s'appelait naguère le « département légal ».

Le moment est venu de considérer les calques. Ce sont dés emprunts de structure, syntagmatique le plus souvent et quelquefois syntaxique. lis sont généralement nés de traductions mal faites. Il risque d'y avoir calque chaque fois que le traducteur, professionnel ou simple amateur, a traduit mot à mot, sans tenir compte des affinités qui groupent les mots dans le discours. Le calque peut être très léger et ne pas gêner la compréhension. Le francophone avisé rétablira facilement l'alliance de mots correcte: trottoir roulant au lieu de « trottoir mobile », agence de presse au lieu « d'agence de nouvelles ». Il est déjà plus grave de dire « je suis sous l'impression de. . . » alors qu'avoir l'impression suffit Ce l'est plus de traduire littéralement « to pave the way » par « paver la voie » sans soupçonner que l'expression idiomatique est préparer le terrain. Les calques syntaxiques sont plus rares. C'en est un que celui qui place un superlatif après un adjectif ordinal, séquence qui ne passe pas en français. Il faut dire la France est le second pays d'Europe pour la superficie et non la France est le deuxième plus grand pays d'Europe.

En un sens on peut estimer que « rue Principale » représente une plus sérieuse emprise de l'anglais sur le français que le STOP des panneaux de signalisation. L'auteur de ces lignes n'a trouvé cette appellation de rue dans aucun pays de l'Europe francophone, ni en France, ni en Belgique, ni en Suisse, où l'expression consacrée est Grand'Rue ou Grande Rue. Il semble bien qu'au Canada francophone « rue Principale » vienne tout droit de Main Street. C'est un bon exemple de calque.

Il convient également de s'arrêter un instant à la catégorie des images, qui est à part Chaque langue a ses images et les images s'empruntent Nous disons encore « Je m'en lave les mains ». De plus, à l'intérieur d'une même communauté linguistique, par exemple la francophonie, on peut s'attendre que les images varient avec les pays de cette communauté et ne soient pas comprises partout Ce qui au Québec est mettre la pédale douce se dit en France y mettre une sourdine. Ces deux images ont le même sens (il faut y aller doucement), ont la même origine, la musique, mais l'une évoque les instruments à cordes et l'autre les instruments à vent De toute façon elles sont compréhensibles dans les deux pays. Par contre parler à travers son chapeau est une image perdue pour un Français non prévenu, qui se représentera une situation réelle et non figurée et ne débouchera sur rien.

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Il reste une catégorie d'anglicismes assez délicate à définir et qui est celle des anglicismes de pensée. fi arrive en effet que l'anglicisation soit dans la pensée plutôt que dans les mots. Nous en donnerons deux exemples.

Les Québécois ont longtemps appelé « set de chambre » le mobilier d'une chambre à coucher. Pris de scrupule, ils ont, certains d'entre eux, remplacé « set » pas « ensemble ». L'expression paraît dès lors entièrement française. Ce n'est qu'une apparence, les mots sont français mais non la pensée. La langue française laissée à elle-même particularise beaucoup moins que l'anglais. Ayant un vocabulaire plus restreint, elle a une polysémie plus développée. Il y a en anglais quatre mots pour traduire billard, suivant qu'il s'agit du jeu, de la partie qu'on joue, du meuble ou du local. II n'est donc pas surprenant que chambre à coucher puisse désigner le mobilier aussi bien que la pièce. C'est le contexte qui décide.

Le second exemple tourne autour de la dichotomie générique/spécifique. Le français n'a pas gardé officier au sens civil, à part quelques exceptions. La réunion du président, du vice-président, du secrétaire et du trésorier s'appelle le bureau dans le cas des associations. Mais certains organismes n'ont pas de bureau tout en ayant ces quatre titres. En pareil cas le français les nomme séparément et les sujets parlants ne semblent pas gênés du fait que leur langue ne leur offre pas un générique du type « office-holders », que les francophones du Canada rendent par « officiers ». Ce faisant, ceux-ci suivent un schème de pensée qui est anglais et non français.

Conclusion

Dans quelle mesure peut-on exercer une activité normative dans le secteur des anglicismes? L'une des raisons qui expliquent l'exposé détaillé que l'on vient de lire est que le problème varie avec chaque catégorie

d'anglicismes envisagée. Les obstacles à la normalisation augmentent quand on passe des signifiants aux signifiés. La catégorie qui fait le moins difficulté est celle des anglicismes morphologiques. On peut d'un trait de plume écarter « estimé », « contracteur » et même « déodorant ». Ensuite viennent les anglicismes lexicaux. Le champ est vaste mais il a été répertorié à plusieurs reprises et tout dernièrement dans le Dictionnaire des anglicismes de Mmes Rey-Debove et Gilberte Gagnon. En outre il est relativement facile de se tracer une ligne de conduite. Les anglicismes lexicaux les plus anciens sont maintenant assimilés et on ne saurait les remettre en question. Quant aux plus récents, on peut se demander s'ils sont utiles, s'ils comblent une lacune. Il est évident que nous n'avons pas besoin des « charters » et des « travel­lers », qui, d'ailleurs, ne semblent pas menacer l'usage québécois. Les anti-anglicismes que nous avons mentionnés constituent une ressource. Pourquoi s'encombrer de « car-ferry » quand nous disposons de traversier? Et il est facile de privilégier nettoyeur(s) pour barrer la route à « pressing ».


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Pour ce qui est des anglicismes sémantiques et des calques, la difficulté n'est pas tant de les corriger que de les déceler. Pour la plupart des Québécois, ils sont invisibles, et il faut bien posséder la sémantique des mots anglais d'origine romane pour les dépister. Rien, à première vue, n'indique que le fait de placer le magistrat au-dessous du juge dans la hiérarchie judiciaire reflète une confusion sémantique entre magistrat et son paronyme anglais, de moindre prestige, ou encore que « grève de sympathie » est un calque, comme l'est aussi cette gxpression encombrante « ils ne s'arrêtent pas à penser » (they don'tstop to think) là où notre simple verbe réfléchir suffirait

Quant aux anglicismes de pensée, ils représentent la forme la plus subtile de la contamination du français par l'anglais. C'est dire qu'il faut avoir une connaissance approfondie des deux langues pour les reconnaître. Comme nous l'avons déjà signalé à propos de « set de chambre » c'est au niveau de la pensée, plutôt qu'à celui des mots, que s'est pris le pli de choisir et de combiner certains mots selon des schèmes anglais qui ne tiennent compte ni du provignement sémantique, ni de l'importance de l'implicite dans l'usage du français. Ces deux caractéristiques expliquent que billard ait quatre sens, chacun servi par un mot anglais distinct, et que, dans un usage non influencé par l'anglais, ce « coffret de sûreté » soit tout simplement un coffre, que l'on loue justement, et cela va sans dire, pour mettre son argent en sûreté.

Il semble que la normalisation ne puisse guère incomber qu'à deux institutions: l'administration (c'est-à-dire l'État) et l'école (qui représente indirectement l'État). Un organisme comme l'Office de la langue française peut facilement établir une liste de termes à proscrire.

Mais c'est plutôt au cours de sa scolarisation que la génération montante pourrait apprendre, plus systématiquement que ce n'est le cas, à reconnaître les anglicismes de sens et de calque, qui sont les plus insidieux et menacent le plus l'intégrité de la langue. Notons en passant que les analyses de sens nécessaires à ce décrassage sémantique sont en même temps excellentes pour la formation de l'esprit Cependant nous voyons que M. Fishman est sceptique quant au rôle de l'école comme agent de normalisation, et son scepticisme s'appuie sur des exemples précis (l'Indonésie, Israël, l'Irlande). A cela l'auteur de ces lignes est tenté d'objecter que dans son cas l'école a déterminé des normes de son français langue' maternelle dont il ne s'est guère départi par la suite. A est vrai - et ici nous rejoignons M. Fishman - que cette action de l'école était encadrée par les systèmes sociaux dans lesquels celui-ci place sa confiance.

C'est comme on le voit une question qui se discute, et il n'est peut-être pas inutile d'invoquer ici l'opinion de M. Michel Plourde, président du Conseil de la langue française à Québec, qui, à Sassenage en septembre 1981, a déploré l'absence de conscience linguistique chez les jeunes et regretté que le monde de l'enseignement ait été beaucoup moins touché que celui des affaires par la loi 101.

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A cela on peut ajouter que les tendances qui prévalent actuellement dans l'enseignement ne favorisent guère l'application d'une norme. La possession d'une langue est affaire de rigueur beaucoup plus que de créativité. Une activité normalisatrice ne peut s'inscrire que dans une étude méthodique des ressources de la langue et de leur aménagement en fonction des besoins de la pensée, besoins qui restent le critère essentiel de cette activité. Et à un niveau plus général, il ne faut pas perdre de vue que toute normalisation reflète nécessairement, qu'on le veuille ou non, une certaine conception de la langue, donc un acte de jugement

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