PRƒAMBULE
L’activitŽ artistique est une composante du dŽveloppement de la sociŽtŽ. Elle lui donne des reprŽsentations d’elle-mme et du monde et lui permet de se mettre en projet. Elle participe, comme l'activitŽ scientifique et l'activitŽ technologique, au processus de connaissance et de transformation du monde par l’homme.
L’activitŽ artistique suppose compŽtences, connaissances, outils matŽriels et intellectuels, actions : elle s’articule avec la science et la technologie. Cette articulation est trs ancienne. Les arts ont tirŽ parti des technologies avancŽes de leur temps, et nombre de thŽories esthŽtiques ont ŽtŽ marquŽes par des considŽrations scientifiques. En retour les savoir-faire et les exigences artistiques ont souvent suscitŽ des progrs techniques, voire stimulŽ des avancŽes scientifiques. La crŽation artistique ne peut toutefois se rŽduire ˆ l’application stricte de savoirs scientifiques ou technologiques et il ne peut exister de savoirs scientifiques ou technologiques dŽfinitifs d’o elle se dŽduirait. Parce qu’elle produit des objets matŽriels, des artefacts, l’activitŽ artistique utilise la technologie. Mais des technologies peuvent tre utiles ˆ l’art sans avoir ŽtŽ ŽlaborŽes pour l’art, et l’art peut susciter des recherches et des dŽveloppements technologiques ayant d’autres applications que l’activitŽ artistique.
L'activitŽ artistique est recherche en soi : comme la recherche scientifique, elle implique une attitude de questionnement.
L'activitŽ artistique est indissociable de l'activitŽ Žconomique. Elle est fin et moyen. Fin en soi parce qu’elle n’a pas besoin d’autre lŽgitimitŽ que celle de sa fonction de reprŽsentation et de mise en projet de l’homme et du monde. Moyen parce que, comme toute activitŽ humaine, l'activitŽ artistique s’inscrit dans un processus matŽriel producteur de biens et de valeurs, de dŽveloppements Žconomiques.
Sa fonction Žconomique ne saurait cependant la ranger au seul statut de "produit" : ce sont les produits en gŽnŽral qui doivent faire ˆ l'art et ˆ la crŽation artistique la part qui leur revient.
STRATƒGIES SCIENTIFIQUES (Musique)
Les analyses qui suivent portent le plus souvent sur la recherche musicale : celle-ci est plus instituŽe que la recherche concernant les arts visuels, trs peu reprŽsentŽe en France - notre pays prend depuis quelques annŽes un retard inquiŽtant dans ce domaine vis-ˆ-vis de nos grands voisins europŽens. La plupart des remarques faites ci-aprs ˆ propos de la recherche musicale sont transposables aux autres domaines de la recherche artistique.
I. OriginalitŽ et structure de la recherche interdisciplinaire dans le domaine AST: recherche artistique
Les recherches associant art, science et technologie souffrent du refus d'admettre le principe mme d'une science et d'une technologie ˆ finalitŽ artistique - en dŽpit de rŽussites exemplaires dans les sciences de la musique: l'informatique musicale est parvenu ˆ synthŽtiser innovation scientifique, technologique et crŽation musicale. Il y a ˆ ce refus des raisons historiques: contrairement au cas de beaucoup de pays comme les ƒtats-Unis, les pratiques artistiques et les enseignements artistiques professionnels sont en France absents de l'UniversitŽ.
Les recherches AST ne se rŽduisent nullement ˆ des prestations techniques rŽpondant ˆ des demandes explicitŽes a priori par les artistes : trs souvent, elles conduisent ˆ de nouveaux matŽriaux ou de nouvelles faons de les Žlaborer et de les combiner, bouleversant ainsi la problŽmatique artistique. Il est donc essentiel que des artistes puissent participer ˆ ces travaux ou au moins y rŽagir. Une stratŽgie de recherche trop Žtroitement appliquŽe pourrait empcher la dŽcouverte de solutions vŽritablement novatrices. Les recherches les plus significatives sont ˆ long terme. Comme dans d'autres domaines de recherche, l'invention risque d'tre inhibŽe par une planification trop serrŽe: la vŽritable innovation est celle qui dŽpasse le cadre prŽvu.
Interdisciplinaires par nature, les recherches AST sont ŽtouffŽes par les cloisonnements entre disciplines et par l'organisation de la recherche, qui ne facilite pas l'interdisciplinaritŽ. C’est pourtant ˆ une problŽmatique de l’interdisciplinaritŽ qu’est suspendu le dŽveloppement de la recherche artistique, qui doit ˆ la fois se dŽmocratiser et mieux s’articuler ˆ la production artistique et aux industries culturelles.
La recherche artistique ne peut ignorer les rapprochements entre les disciplines scientifiques. Ainsi la recherche musicale se fonde sur l’entrecroisement de plusieurs disciplines - informatique, traitement du signal, acoustique instrumentale, acoustique des salles, psychologie cognitive de la musique, composition assistŽe par ordinateur - de mme elle se nourrit du renouvellement mutuel de disciplines scientifiques qui elles-mmes se recoupent - optique, micro-Žlectronique, propagation radio, techniques de codage et de compression, traitement du signal, systmes d’information, matŽriaux, interfaces homme-machine, interconnexion des rŽseaux.
La dimension trop importante des unitŽs de recherche peut reprŽsenter une entrave ˆ la logique mme de la recherche artistique. Les grands organismes n’ont de regard que pour les trs grandes unitŽs : ils tendent ainsi ˆ mal traiter les disciplines naissantes. La concentration aboutit ˆ une division du travail qui rŽtablit les cloisonnements et qui fait prŽvaloir le dŽveloppement et l'utilisation des moyens techniques de la recherche sur les finalitŽs de la recherche elle-mme. Pour permettre ˆ la recherche artistique de se renforcer, il conviendrait d’Žviter les sectorisations excessives et de resserrer les liens interdisciplinaires.
En France, la place des arts ˆ l'UniversitŽ se limite gŽnŽralement ˆ des Žtudes historiques ou analytiques d'Ïuvres du passŽ. La recherche artistique est trop souvent rŽduite au commentaire acadŽmique et coupŽe de la production artistique. Mme la recherche musicale, nŽe et vivante en France, n'a pas suffisamment essaimŽ, faute de relais institutionnels et pŽdagogiques. Elle a subi des attaques mal documentŽes, qui l'ont fait voir comme une discipline subalterne, sans portŽe thŽorique rŽelle et sans incidence Žconomique. Ces prŽjugŽs tenaces, desquels la sociŽtŽ savante tire des arguments pour nourrir son hostilitŽ ˆ l'art, freinent l'essor d'un domaine artistique et technologique aux implications Žconomiques non nŽgligeables. Ne disposant que d’un trs petit nombre de chercheurs et de crŽateurs dans ce domaine d’ailleurs tenu ˆ bout de bras par le Ministre de la Culture, l'ƒtat ne s’est pas donnŽ les moyens de faire face aux besoins sans cesse croissants en matire d’art, de techniques de l’art, de mŽtiers de l’art, de formation ˆ la recherche et d’Žducation esthŽtique du plus grand nombre.
Alors qu’elle devient un enjeu dŽmocratique, la recherche musicale ne conna”t qu’une audience confidentielle et demeure l’apanage d’une minoritŽ. ConfinŽe dans un domaine Žtroit et ne disposant que d’une marge d’initiative rŽduite, elle s’Žpuise en justifications et devient l’otage de ceux-lˆ mme qui ont pour charge de la promouvoir. Ainsi les ingŽnieurs et les chercheurs sont-ils trop Žtroitement assujettis ˆ des impŽratifs d’ailleurs contradictoires de recherche proprement dite et de valorisation, qui entrent eux-mmes en conflit avec les nŽcessitŽs de la production musicale et les exigences de la formation ˆ la recherche. Peu nombreux, tiraillŽs entre des obligations qui deviennent peu compatibles entre elles, contestŽs sur le fond, les membres de cette communautŽ ne disposent plus du temps ni du recul qui sont nŽcessaires ˆ toute dŽmarche interdisciplinaire. Eux-mmes sont contraints ˆ se retrancher dans un domaine incontestable de compŽtences qui se hŽrisse de calculs dŽfensifs. De fin premire, la musique en vient insensiblement ˆ se concevoir comme une recherche appliquŽe, une illustration ou un alibi pour des recherches qui se mnent indŽpendamment d’elle.
Il faut donc veiller ˆ prŽvenir les dŽrives afin d’Žviter toute interversion des fins et moyens.
Pour tre prŽservŽe, la recherche musicale doit atteindre une masse critique par le regroupement et l’embauche de chercheurs et d’ingŽnieurs, par la crŽation d’une formation doctorale ouverte ˆ la pratique de l’ordinateur en mme temps qu’ˆ la pratique musicale, et surtout par une organisation du travail qui permette de diversifier les t‰ches et les fonctions tout en les intŽgrant mutuellement. Une meilleure rŽpartition des compŽtences et des facultŽs devrait permettre d’aborder pour eux-mmes les problmes de la crŽation et de renoncer ˆ l’idŽe assez vaine selon laquelle le seul dŽveloppement technologique peut supplŽer ˆ tout et pallier notamment les carences de la recherche musicale et de la crŽation.
Il faut Žgalement veiller aux risques de dŽrive qui pourraient rŽsulter d’une politique consistant ˆ financer la recherche musicale par des contrats avec l’industrie n'ayant pas de rapport direct avec cette recherche et ne visant pas pour autant ˆ dŽvelopper les industries culturelles. Bien des innovations qui ont eu des applications dans de multiples domaines sont issues d'une recherche purement musicale : il est important de prŽserver cette prŽoccupation artistique sans compromis. L’indispensable Žtablissement des liens avec l’industrie ne doit pas se faire au dŽtriment de la recherche musicale ni des industries liŽes ˆ l’art. L’investissement croissant de la recherche musicale dans le domaine de la production artistique traditionnelle ne doit pas dissimuler l’intŽgration insuffisante de cette recherche au domaine qui pourrait tre plus naturellement le sien, celui des industries culturelles.
C’est ˆ un dŽcloisonnement de l’ensemble des corps trs spŽcialisŽs de la recherche musicale qu’il conviendrait de procŽder en mettant un terme aux rivalitŽs corporatistes qu’entretient un partage ambigu de compŽtences entre les tutelles ministŽrielles. La recherche musicale n'est pas reconnue comme recherche scientifique alors qu’elle en constitue une branche performante. Elle est entirement soutenue par le Ministre de la Culture, qui apporte de plus des contributions significatives aux formations doctorales qui s’y rapportent ainsi qu’ˆ la recherche documentaire. Paradoxalement, on peut dŽplorer en outre la rŽsurgence d’une tendance scientiste au sein mme du milieu de la recherche musicale, qui incline ˆ s’inscrire dans le seul secteur Sciences pour l’IngŽnieur alors qu’il ne se rattache plus aux sciences humaines que par le lien tŽnu de la musicologie. Il conviendrait de donner au corps de la recherche musicale - et ˆ la recherche artistique en gŽnŽral - un caractre plus interministŽriel afin de limiter les dysfonctionnements qui rŽsultent d’une rŽunion de chercheurs placŽs sous des autoritŽs de tutelle qui persistent ˆ s’ignorer.
L’actuel partage des compŽtences entre le Ministre de l'ƒducation Nationale et celui de la Culture est ˆ la source de dysfonctionnements structurels. Car on continue de dŽvelopper un art qui n’est pas reconnu par l’enseignement supŽrieur et de dŽlivrer un enseignement musicologique qui n’est pas ŽtayŽ par la pratique musicale du plus haut niveau. Le dŽveloppement du secteur AST s’en trouve compromis, car ce dernier repose sur une intrication de thŽorie et de pratique que la rŽpartition actuelle de compŽtences entre les tutelles ne favorise pas.
L'exception franaise dŽveloppe une musicologie universitaire acadŽmique validŽe par des dipl™mes, mais qui ne s'appuie pas sur la pratique artistique de haut niveau. Les Conservatoires Nationaux SupŽrieurs de Musique, quant ˆ eux, sous-estiment la portŽe de la thŽorie dans la pratique de haut niveau. Il y a lˆ une anomalie historique par rapport ˆ l'Europe, et un danger rŽel. Ailleurs la musicologie pŽntre davantage la pratique musicale et la fait Žvoluer - qu'on songe au cas exemplaire d'Harnoncourt.
Si les enseignements thŽoriques consacrŽs ˆ l’informatique musicale commencent ˆ tre dispensŽs, les enseignements pratiques dans cette discipline qui prŽpare ˆ la recherche, ˆ la crŽation et ˆ la production n’ont pu voir le jour dans le cadre universitaire, faute de personnels d’encadrement, d’Žquipements, de locaux et de personnel administratif. Il serait regrettable que l’Žducation nationale puisse donner l’impression d’attendre des personnels de la culture une transmission des savoirs et des savoir-faire ainsi qu’une contribution importante en locaux et moyens sans autre contrepartie que la dŽlivrance de dipl™mes universitaires.
Le monde universitaire risque de rencontrer des difficultŽs croissantes ˆ faire valoir ses titres ˆ diriger une recherche et un secteur productif ˆ l’essor desquels il n’a pas pris part. A l’inverse, il para”t douteux que le milieu de la culture puisse indŽfiniment soutenir une recherche qui n’aura pas trouvŽ de relais universitaires ni industriels.
Les relations Art/Entreprise devraient Žvoluer, compte tenu des nouvelles compŽtences requises par la prŽsence croissante des nouvelles technologies dans les arts. On peut envisager une nouvelle rŽpartition de secteurs dans l'organisation du travail : fournisseurs/dŽveloppeurs des machines de la recherche/crŽation (synthse d’image, de sons, logiciels spŽcialisŽs), Žditeurs/diffuseurs des produits de la crŽation, animateurs des manifestations (salons, Žcoles d’ŽtŽ, ateliers, acadŽmiesÉ), exploitants des licences des produits de la recherche, dŽveloppeurs des produits pŽdagogiques. Il faut reconsidŽrer les formations pour prendre en compte les besoins de nouveaux mŽtiers ˆ identifier.
Les relations entre le milieu des beaux-arts et celui de la science et de la technologie sont Žgalement ˆ rŽexaminer du point de vue de l'Žvaluation. On devrait envisager un double type d’Žvaluation pour les personnels engagŽs dans la recherche en art : une Žvaluation spŽcifique concernerait les chercheurs dotŽs d’une double formation et capables de conduire des recherches mitoyennes pouvant aboutir ˆ la fondation de nouvelles disciplines ; un autre type d’Žvaluation spŽcifique s’appliquerait aux experts qui, en faisant progresser leur propre domaine, permettent l’essor de disciplines connexes. L’aptitude ˆ accŽlŽrer les phŽnomnes de convergence entre les disciplines et ˆ crŽer par lˆ de nouveaux objets, de nouvelles techniques de pensŽe et de nouvelles mŽthodes de travail, doit valoir pour elle-mme, sans tre toujours rapportŽe aux secteurs traditionnels de l’Žvaluation. Le mŽtissage des disciplines doit cesser d’tre considŽrŽ comme un rapprochement b‰tard et appara”tre au contraire comme un ressort fondamental de l’innovation. Cette fŽconditŽ doit tre prise en compte dans les critres de l’Žvaluation disciplinaire.
Peut-on parler de faon plus centrale de la recherche artistique ?
Dans le tome II, plusieurs pages analysent cette problŽmatique (cf. StratŽgies scientifiques (musique), la recherche artistique). L'artiste effectue sa propre recherche pour produire des Ïuvres d'art : mais cette recherche qui lui est propre ne s'assimile nullement ˆ la recherche scientifique. En revanche l'artiste peut dans une phase prŽalable dŽvelopper des outils matŽriels ou conceptuels qui peuvent tre d'intŽrt collectif : il s'agit bien alors d'une recherche - recherche artistique prospective, pour l'art et non sur l'art, suivant les termes d'ƒlisabeth Duchez.
La crŽation artistique prend donc appui sur les dŽveloppements d'une recherche artistique qui est en fait une recherche fondamentale de type scientifique ou technologique et qui relve de critres de scientificitŽ. Il faut ajouter ˆ ces critres un critre de signification de la recherche artistique : sa pertinence pour les artistes et la portŽe des Ïuvres qu'elle suscite ou permet de rŽaliser. Ce critre est quelque peu Žvasif : il est difficile ˆ apprŽcier, d'autant que la pertinence artistique d'une avancŽe peut se rŽvŽler tardivement.
Arts et sciences entretiennent des rapports complexes : il faut dŽnoncer les mythes scientistes ou technocratiques qui laissent croire qu'on peut moderniser l'art en lui transfŽrant directement des modles issus de la science ou lui appliquant des outils produits ˆ des fins scientifiques ou technologiques.
Le chercheur scientifique vise des valeurs de connaissance, de preuve, de vŽritŽ. Le chercheur technologue vise une efficacitŽ maximale et recherche un optimum rationnel dans la mise au point des procŽdŽs. L'artiste s'approprie souvent des modles, mais il les dŽtourne de leur finalitŽ thŽorique, les transpose, les gauchit, inverse les normes logiques et pose parfois des problmes inŽdits ˆ la science ou ˆ la technologie. Ce peut tre dans l'irrŽgularitŽ ou le dŽficit des modles scientifiques que certains musiciens dŽcouvrent des perspectives artistiques fŽcondes. L'artiste fait souvent interfŽrer deux Žchelles de grandeur ou de complexitŽ pour produire des effets esthŽtiques ou des objets artistiques insolites.
Par rapport ˆ la connaissance scientifique, la crŽation artistique se pose dans sa singularitŽ : elle rŽsiste aux typologies, elle s'institue dans le pouvoir de faire Žclater les codes ou les cadres reprŽsentatifs. La crŽation se constitue en une sorte de transgression des structures reprŽsentatives sur lesquelles elle s'appuie.
II. L’Žmancipation de la recherche technologique
La recherche scientifique vise la connaissance des objets naturels. On peut considŽrer que la recherche technologique vise l'action : mais elle ne se rŽduit pas ˆ l'application des dŽcouvertes scientifiques, elle ne doit pas tre subordonnŽe aux sciences constituŽes. L'Žmancipation de la recherche technologique doit tre approfondie et mise en relation avec l'innovation industrielle. Les stratŽgies de dŽveloppement dŽpendent bien sžr des aspects Žconomiques. La mise en place d'une politique industrielle en matire d'AST pourrait aboutir ˆ l'Žlaboration d'une ingŽnierie des "immatŽriaux". (Ce terme souligne la prŽŽminence croissante du savoir-faire, du logiciel, sur les outils, le matŽriel).
On notera que les PME, plus souples que les grandes entreprises, n'ont pas en gŽnŽral les moyens de faire de la recherche technologique ni de monter des dossiers pour obtenir des financements ˆ cet effet : il serait souhaitable de les inciter ˆ la recherche sur le dŽveloppement des procŽdŽs. De petites innovations sont souvent dŽcisives, et l'inertie dans leur exploitation peut empcher d'en tirer profit.
Un exemple a contrario : en raison des stratŽgies et du dŽsintŽrt de son management, Xerox s'est fait souffler des innovations majeures : la souris et les fentres informatiques, conues par Xerox Palo Alto Research Park (Xerox PARC), son unitŽ de recherches avancŽes, ont ŽtŽ mis en Ïuvre quelques annŽes plus tard par Apple sur le Macintosh, premier ordinateur personnel convivial.
III. L’ingŽnierie des immatŽriaux : dynamique des techniques et activitŽs de conception
L'innovation est souvent conue selon un systme vertical descendant de la recherche fondamentale ˆ la recherche appliquŽe pour aboutir au dŽveloppement. Cette conception relgue au second plan le facteur proprement technique de l'innovation, qui repose pour une grande part sur le transfert de technologies. La dynamique des techniques en dŽpend. Les transferts Žconomiques dŽpendent d'aspects Žconomiques "rationnels", mais aussi d'autres critres : effets politiques, effets de prestige, paris Žconomiques cherchant ˆ intŽgrer des facteurs complexes.
Si les transferts de technologie vont de soi dans la dynamique de la recherche (cf. les diffŽrentes versions d'un logiciel), le phŽnomne qu'ils constituent n'a pas ŽtŽ pleinement spŽcifiŽ et formalisŽ. (Cf. tome II, StratŽgies scientifiques - Musique).
Il en va de mme du r™le de la mŽmoire technique dans l'Žvolution technique. L'Žvolution s'accŽlre du fait du report formalisŽ des rŽsultats aux principes (remontŽe aux logiciels). L'Žvolution ne se produit que si le report est rŽalisŽ de faon critique. D'o la nŽcessitŽ de constituer un patrimoine des techniques. La normalisation joue un r™le trs important dans l'Žvolution des techniques, et elle peut avoir des incidences Žconomiques considŽrables.
Cela s'applique particulirement dans le domaine AST o la recherche technologique joue un r™le dŽcisif et o le savoir-faire, les logiciels comptent souvent plus que les outils techniques, les matŽriels. Les choix des normes ont souvent orientŽ les dŽveloppements en favorisant telle option technologique par rapport ˆ telle autre.
IV. Le r™le de l'ƒtat : pour la crŽation d’un organisme gouvernemental de l’information technologique
L'avance technologique est conditionnŽe par les informations disponibles et par la capacitŽ diagnostique. Les unitŽs de production, surtout de petit volume, ne peuvent se tenir au courant de toutes les Žvolutions : elles tendent ˆ se concentrer sur les secteurs technologiques qu'elles pensent pertinents pour leurs activitŽs.
Aussi serait-il important qu'un organisme gouvernemental se consacre ˆ recueillir, Žvaluer et diffuser l'information sur l'Žvolution technologique - ˆ l'intention des chercheurs et surtout des entrepreneurs industriels, sans que cela implique l'intervention de l'ƒtat dans les choix opŽrŽs. Cette veille technologique doit aussi prendre en compte les besoins, demandes et marchŽs Žmergents - cela au niveau planŽtaire.
Pour favoriser la valorisation de la recherche, il faudrait aussi que les innovations et inventions aient plus d'incidence sur les carrires des chercheurs, qui dŽpendent actuellement surtout de leurs publications.
Il faut noter aussi que la lŽgislation franaise des brevets, qui empche de breveter un procŽdŽ ds lors qu'il est publiŽ, dŽfavorise les prises de brevet - aux ƒtats-Unis, la publication permet de prendre date, et l'on dispose alors d'un an pour dŽposer une demande de brevet.
Parmi les freins ˆ l'innovation technologique :
- Nombre de facteurs gŽnŽraux : le systme d’Žvaluation trop sectorisŽ, le systme de recrutement, l’absence de dŽbouchŽs, le blocage des carrires, le prŽlvement de l'ƒtat sur le produit de la dŽcouverte, le dirigisme, les pesanteurs bureaucratiques, la gestion administrative, les dysfonctionnements et la mŽdiocritŽ du systme de valorisation de la recherche, l’incitation ˆ la publication et non ˆ la dŽcouverte, les faibles rŽmunŽrations et le manque de coordination - et aussi la difficultŽ ˆ crŽer des entreprises. On notera que nombre de ces conclusions recoupent les recommandations d'Henri Guillaume dans son rapport de mission de mars 1998 sur la technologie et l'innovation.
- Dans le domaine spŽcifique AST, le mŽpris dans lequel la production artistique et la recherche artistique sont institutionnellement tenues dans les milieux universitaires et de recherche. Ce thme rŽcurrent est dŽtaillŽ dans le tome II (StratŽgies scientifiques, (Musique), Inerties, rŽsistances et alibis). Les milieux artistiques ont quant ˆ eux une vision plus claire des objectifs et de la validitŽ de la crŽation artistique. L'intervention du Ministre de la Culture est donc dŽcisive pour les recherches AST : soucieux de maintenir un cap et une exigence proprement artistiques, il peut influencer des Žtudes scientifiques et techniques en s'assurant que les arts n'y sont pas que prŽtexte. Il faut donc dŽfinir une recherche artistique dans un cadre vŽritablement interministŽriel - Žtablir des relais dans les universitŽs, les grands Žtablissements et dans le monde industriel avec la participation des instances de la culture, reprŽsentŽes ˆ un niveau suffisant pour qu'elles puissent vŽritablement avoir une influence.
V. L’interactivitŽ et son Žvolution technologique
Une bonne comprŽhension de l'interactivitŽ et de son Žvolution technologique aiderait ˆ rendre plus efficace la conception de produits multimŽdia.
Le multimŽdia est, au mme titre que jadis le cinŽma ou la tŽlŽvision, une technique qui pour l’instant est considŽrŽe comme mineure, quoique riche des virtualitŽs d’un marchŽ potentiel. Le support multimŽdia introduit des techniques nouvelles qui conduiront, ˆ terme, ˆ des modes originaux d’expression.
Le multimŽdia se prte ˆ de nouvelles formes d'art. L’attitude active de l’utilisateur d’une application multimŽdia dans sa navigation hypertexte se distingue de la rŽception passive des auditeurs d’un concert de musique alŽatoire, o la notion d’ouverture n’est pas apparente. Des artistes pourraient crŽer des "Ïuvres-matrices" tirant part des possibilitŽs propres du multimŽdia, et dans lesquelles "l'utilisateur" - spectateur/auditeur/interprte/improvisateur - pourrait naviguer suivant des itinŽraires plus ou moins balisŽs et agencer diversement des ŽlŽments prŽ-composŽs.
Il semble clair que le domaine culturel n'a pas rŽussi encore ˆ trouver ses formes et son public en termes de multimŽdia. Pourtant il semble que l'ensemble des techniques et des recherches actuelles pourrait donner lieu ˆ des produits artistiques porteurs d'un contenu pouvant concerner un large public. Ici le r™le de la pŽdagogie para”t vital. Certains grands groupes s'investissent dans la pŽdagogie - au point qu'on peut peut-tre mme parler de conditionnement ˆ leurs produits.
On conna”t mal la faon dont l'interactivitŽ peut aider ˆ la pŽdagogie et dŽvelopper l'imagination. Mais il est clair que les recherches AST concernant par exemple l'analyse, la synthse et le traitement du son, ou bien le geste instrumental, devraient dŽvelopper sur des pŽdagogies musicales renouvelŽes : un effort considŽrable reste ˆ faire dans ce domaine, et plus gŽnŽralement dans les divers domaines AST.
VI. Pour une meilleure articulation de la recherche musicale, de la formation ˆ la recherche et de la musicologie du XXme sicle
La structure actuelle de la recherche associe deux formations doctorales – Musique et Musicologie du XXme sicle ; Acoustique, Traitement du signal, et Informatique AppliquŽe ˆ la Musique – ˆ un laboratoire d’accueil CNRS – l’unitŽ mixte Recherche Musicale (UMR 9912). Cette structure, qui est sous-tendue par l’IRCAM et en dŽpend Žtroitement dans ses moyens et sa stratŽgie, doit tre entirement refondue.
Dans sa composante proprement musicologique, la formation doctorale “ Musique et Musicologie du XXme sicle ” pourrait trouver des relais progressifs par l’UniversitŽ.
La recherche musicale, qui tend aujourd’hui ˆ se restreindre au domaine des Sciences pour l’IngŽnieur et de la musicologie, doit tre rŽŽquilibrŽe. Elle doit rompre les barrires des spŽcialisations et Žviter le compartimentage des activitŽs. Une articulation doit tre trouvŽe entre la recherche musicale relevant du domaine des Sciences pour l’IngŽnieur et la recherche musicale se rapportant au champ des Sciences Humaines. Le contenu de la recherche musicale en sciences humaines reste ˆ dŽfinir et ˆ promouvoir. Il doit tre conu pour des finalitŽs productives et permettre de mieux apprŽcier la portŽe et les limites des formalismes de reprŽsentation. La recherche musicale devrait Žgalement se prŽoccuper davantage du travail thŽorique et des rapports de la recherche fondamentale ˆ la thŽorie musicale. La thŽorie musicale doit tre envisagŽe dans sa spŽcificitŽ et ne saurait se limiter aux questions de recherche en modŽlisation. Les compositeurs devraient tre plus Žtroitement associŽs aux activitŽs de conception car une part importante des innovations scientifiques depuis 1945 sont redevables ˆ des initiatives de musiciens. Il est indispensable que les enseignements dispensŽs incluent une dimension pratique et permettent aux Žtudiants en musique d’acquŽrir une ma”trise aussi bien pratique que thŽorique de leur discipline.
La formation doctorale “ Recherche Musicale ”, qui pourrait se substituer ˆ l’actuelle formation doctorale “ Musique et Musicologie du XXe sicle", devrait notamment comprendre, dans le domaine des sciences humaines, les formations suivantes :
- une formation pratique aux nouvelles technologies
- une formation ˆ la pratique compositionnelle avec les nouveaux outils
- une formation pratique et thŽorique aux problmes de la modŽlisation
- une formation pratique et thŽorique en musique et musicologie de la seconde moitiŽ du XXme sicle.
Il est indispensable qu’un laboratoire d’accueil ŽtoffŽ puisse prendre en charge, en Sciences Humaines, les activitŽs de recherche et de formation ˆ la recherche qui doivent encadrer le travail de la formation doctorale.
Le DEA ATIAM (Acoustique, Traitement du Signal et Informatique AppliquŽs ˆ la Musique) devrait tre maintenu et amŽnagŽ, en veillant ˆ ce qu'il prenne suffisamment en compte les aspects pluridisciplinaires, subjectifs et musicaux : les critres scientifiques ne doivent pas se rŽduire ˆ ceux des disciplines de "sciences dures".
Il conviendrait Žgalement d’Žviter de scinder la recherche artistique en deux p™les image et son qui laisseraient en friche le domaine du multimŽdia. La question de la crŽation d’une formation doctorale dans le domaine du multimŽdia se trouve ainsi posŽe. Il n'est pas certain que le regroupement des formations image et son dans une mme Žcole doctorale suffirait ˆ Žviter la scission des deux domaines.
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