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Jésus-Christ, le prince de la paix, nous apprend aussi, par son exemple et par les leçons qu'il nous donne, le secret inestimable, d'entretenir la paix avec nous-mêmes. Jusque là, en effet, les hommes, avaient ignoré cet art tout divin ; séduits et aveuglés, ils s'étaient faussement persuadés que le plus sûr moyen de trouver la paix du cœur était de satisfaire ses désirs, de contenter son ambition et de rassasier sa cupidité, et pour cela, d'arriver aux honneurs et aux dignités, de s'enrichir et de vivre dans l'abondance. Or, en raisonnant de la sorte, non seulement ils s'étaient trompes, dit l'Ecriture, mais ils s'étaient rendus malheureux ; au lieu du repos, du calme qu'ils se promettaient dans leur opulence ils ne trouvaient que trouble, chagrin et affliction d'esprit. « La désolation et la perversité sont sur leur route ; ils n'ont point connu le chemin de la paix » (Ps. 13, 7). C'était et c'est encore le sort des partisans du monde.
Jésus-Christ qui s'est appelé la voie, la vérité et la vie (S. Jean, XIV, 6) est venu nous désabuser de ces erreurs grossières à l'égard de la paix. Dans le mystère de sa Nativité, il nous en découvre les deux sources véritables : l'humilité de cœur et la pauvreté de cœur ; et par son exemple, il en détruit les grands obstacles : l'orgueil et l'attachement immodéré aux biens de la terre. Déjà, dans l'étable de Bethléem. Jésus nous enseigne, par son exemple ce qu'il devait dans la suite établir pour fondement à sa doctrine : " Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes (S. Matth. XI 29). Oracle, dit saint Augustin, d'où devait dépendre, non seulement notre sainteté, mais ; notre félicité même en cette vie. Car, ce qui nous empêche souvent de trouver le repos de l'âme si estimable, c'est l'opposition secrète que nous avons a l'humilité chrétienne. Reconnaissons-le avec douleur, mes chers Frères, et gémissons-en devant, Dieu, ce qui nous fait perdre parfois la paix du cœur, c'est cet orgueil qui nous porte à croire qu'on- ne nous rend pas ce qui nous est dû, qu'on n'a pas pour nous assez d'égards. De là naissent les mélancolies et les tristesses, les désolations, et les découragements, lés aigreurs et les emportements : les tristesses quand nous nous voyons maltraités ; les découragements lorsque nous nous croyons méprisés : les emportements quand nous nous prétendons insultés et outragés. Si nous étions humbles de cœur, dit saint Jean Chrysostome, nous serions à couvert dé tous ces chagrins ; l'humilité nous tiendrait dans une situation tranquille ; quelque injustice même que l'on pût nous faire, l'humilité nous consolerait, l'humilité nous raffermirait et réprimerait ces mouvements déréglés qui bouleversent une âme. Le démon et une certaine fausse philosophie tendent à nous faire croie que cette humilité de cœur est une faiblesse indigne d'un homme de caractère ; rien n'est plus opposé là vérité : ç'a été la vertu d'un Dieu ; c'est la vertu des forts, la vertu des sages, la vertu des âmes sensée ; et par-dessus tout la vertu qui fait les élus.
Un second obstacle à la paix avec soi-même, c'est un malheureux et damnable attachement aux biens la terre. Vous y cherchez les douceurs de l'existence, dit Bourdaloue aux gens du monde, et l'ardeur qui vous brûle fait le tourment de votre vie. En effet, quels soins empressés pour acquérir ces malheureux biens ! Quelles peines pour les conserver, quelle frayeur au moindre danger de les perdre Quels désirs insatiables de les augmenter ! Quelle douleur, quel accablement, quelle consternation quand, malgré vous, ils vous échappent !
Comment s'exprimerait aujourd'hui le grand prédicateur, en présence des mille progrès et raffinements du luxe sous toutes ses formes ; à la vue de cette course effrénée vers la richesse par tous les moyens même les moins honnêtes et les moins avouables !
Le remède à ce mal qui prive tant de gens de la paix du cœur, c'est le détachement évangélique. Supposez, en effet, un homme vraiment pauvre de cœur ; à quelque épreuve qu'il plaise à Dieu dé le soumettre, dans d'adversité comme dans la prospérité, dans l'indigence comme dans l'abondance, il jouira d'une paix profonde. Tranquille comme Job, au milieu des calamités du monde, il se soutiendra par la grande pensée dont ce saint homme était pénétré : « Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, pourquoi n'en recevrions-nous pas les maux? (Job. 11, 10). Dans les pertes, préparé comme Job à les supporter, il dira : « C'est le Seigneur qui m'avait donné ces biens ; c'est lui qui me les a ôtés ; il ne m'est rien arrivé que ce qu'il a voulu ; que son saint nom soit à jamais béni » (Job. l, 21).
Par l'étable de Bethléem, par la crèche et par ses pauvres langes, l'Enfant-Dieu nous donne, au jour de sa naissance, un exemple bien plus impressionnant encore que celui de Job.
Mais si le détachement évangélique est une assurance de paix pour le simple chrétien, quelle tranquillité, quelle joie et quelle sécurité ne doit pas procurer au religieux la pauvreté parfaite, à la condition qu'il la pratique fidèlement selon les prescriptions des Constitutions de son ordre !
Crèche adorable de mon Sauveur, c'est toi qui me fais goûter aujourd'hui la sainte pauvreté que j'ai choisie pour mon partage ! C'est toi qui m'en découvres le trésor ; c'est toi qui me la rends précieuse et vénérable. ! C'est toi qui me la fais préférer à toute l'opulence du monde ! Confondez-moi, mon Dieu, si jamais ces sentiments, seuls dignes de ma profession religieuse, et si nécessaires pour mon repos, sortaient de mon cœur ! Vous les y avez conservés jusqu'à présent, Seigneur, je vous en conjure, conservez-les-y jusqu'à la mort !
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Enfin, Jésus-Christ, dans la crèche, est venu nous donner, en outre de la paix avec Dieu et avec nous-mêmes des moyens sûrs pour entretenir la paix avec le prochain. Cette paix est le fruit de la charité qui est selon saint Paul l'abrégé de la loi chrétienne. Le grand apôtre nous enseigne qu'un des caractères les plus essentiels de l'esprit chrétien est le soin de conserver la paix avec tous les hommes. « Si cela se peut, disait-il aux Romains, et autant qu'il est en vous, vivez en paix avec tout le monde» (Ep. aux Rom. XII, 18). Si cela se peut : l'impossibilité, dit saint Jean Chrysostome, est la seule excuse légitime qui puisse, devant Dieu, nous disculper quand nous ne vivons pas avec nos Frères dans une union parfaite ; et, hors l'impuissance absolue, toute autre raison n'est qu'un vain prétexte qui ne servira qu'à nous confondre devant Dieu. Autant qu'il est en vous : en sorte que nous puissions sincèrement protester - devant Dieu, et que nous puissions nous rendre à nous-mêmes le témoignage qu'il n'a jamais tenu à nous due nous n'eussions avec nos frères cette paix solide fondée sur la charité, ayant toujours été disposés d'esprit et de cœur à ne rien épargner pour y parvenir : Avec tous : sans en excepter un seul ; l'exclusion d'un seul suffit pour nous rendre prévaricateurs et sujets à toutes les peines dont Dieu menace ceux qui troublent la paix. Avec tous les hommes : même avec ceux qui v sont le plus opposés, à l'exemple du saint, roi David demeurant pacifique avec ceux qui haïssent la paix (Ps. CXIX, 6).
Vivre en paix, dit saint Jean Chrysostome, avec des âmes pacifiques, avec des esprits modérés, à humeur sociable, à peine serait-ce une vertu païenne ; et beaucoup moins doit-elle passer pour une vertu surnaturelle et chrétienne. Le devoir de la charité est de conserver la paix avec des hommes difficiles, d'un tempérament fâcheux et emporté. Il peut arriver, et nous ne sommes malheureusement que trop portés à le croire sans que cela soit, que les confrères les plus difficiles et les plus chagrins soient justement ceux avec lesquels nous devons vivre. Il faut donc, continue ce saint docteur, que, par rapport à ces sortes d'esprits, nous avons un principe de paix. Or, quel sera ce principe? Une sainte conformité avec Jésus-Christ naissant, et pour cela, comprenons surtout bien deux choses : premièrement, c'est un Dieu qui, pour témoigner aux hommes sa charité, commence par se dépouiller de tous ses intérêts ; secondement, c'est un Dieu qui, pour gagner nos cœurs, nous prévient de toutes les bénédictions de sa douceur. De maître qu'il était, il se fait obéissant ; de grand, il se fait petit, de riche, il choisit la plus extrême pauvreté (Ep. Corinth. VIII, 9).
Prétendre vivre en paix avec nos frères, dit saint Bernard, sans qu'il nous en coûte rien, sans vouloir rien leur sacrifier, sans jamais leur céder en rien : nous flatter d'avoir cette charité chrétienne qui est le lion de la paix, et cependant être toujours si entiers dans nos prétentions, aussi jaloux de nos droits, aussi déterminés à n'en rien rabattre, aussi vifs, aussi attachés à nous-mêmes, ce n'est pas ce que nous a enseigné le Dieu de la paix. Il n'était pas nécessaire que, pour cela, il vînt au monde afin de nous servir de modèle. Nous, n'avions, sans lui, que trop d'exemples de cette charité intéressée. Il était bien inutile que ce Dieu fait homme nous apportât un commandement nouveau ; de tout temps, les hommes s'étaient aimés de la sorte les uns les autres ; cette prétendue charité était aussi ancienne que le monde ; mais aussi le monde, avec ce simulacre de charité, n'avait jamais Joui ni ne pouvait jouir de la paix.
L'intérêt est une des principales causes des divisions qui existent entre les hommes. Otez la volonté propre, disait saint Bernard, et il n'y aura plus d'enfer. On peut dire avec non moins de raison : ôtez la passion de l'intérêt propre, et, il n'y aura plus parmi les hommes de dissensions, plus de querelles, plus de procès, plus de discordes dans les familles, plus de troubles dans les communautés. La paix avec la charité régnera partout. Détachés des intérêts ma les hommes ne contesteront plus ; ils ne rompront plus les uns avec les autres ; et, par une infaillible conséquence, ils goûteront lés douceurs de la société ; ils jouiront des avantages de la pure et sincère charité : semblables aux premiers chrétiens, n'ayant tous qu'un cœur et qu'une âme, ils trouveront dans cette union mutuelle une béatitude anticipée et comme un avant-goût de l'éternelle félicité.
Mais lorsque la paix est troublée dans une communauté, lorsque des confrères se traitent avec froideur, c’est ordinairement de tout autre chose que d'un motif d'intérêt qu'il s'agit. La cause de votre désunion avec ce confrère, c'est par exemple, un mouvement de fierté qui l'a choqué, c'est un mouvement d'emportement qui l'a irrité, c'est une parole aigre dont il s'est senti piqué, c'est une manière dure dont il s'est tenu offensé. Mais s'il en est ainsi, il ne dépend que de vous adoucir à :son endroit, de lui donner certaines marques d'estime, de lui rendre quelques services, de le prévenir par quelques démarches qu'il ne pourra pas manquer de reconnaître, et la paix sera bientôt rétablie et même consolidée. « Je ne puis faire aucune avance, dites-vous ; j'y sens une opposition irrésistible ; jamais je n'en viendrai là ». Entrez dans l'étable de Bethléem, dit Bourdaloue, vous y verrez, dans la personne de l'Enfant-Jésus, le Dieu de la paix, la bénignité même incarnée, ce Dieu qui, pour vous attirer à lui, n'a point dédaigné de vous rechercher, qui s'est fait comme une gloire de vous prévenir. S'il eût, attendu que vous, pécheur, vous son ennemi, vous eussiez fait les premiers pas pour retourner à lui, où en seriez-vous, et quelle ressource auriez-vous eue pour votre salut? Cependant, malgré l'exemple de votre Dieu, vous osez vous faire je ne sais quel point d'honneur de ne pas aller au-devant de votre frère pour le rapprocher de vous. Malgré la loi de charité, vous conservez contre lui de scandaleux et longs ressentiments ; n'est-ce pas renverser tous les principes du christianisme et vous exposer à de terribles malédictions du ciel?
Dans cette crèche, volis verrez encore un Dieu qui, pour vous gagner, vous comble des bénédictions de sa douceur ; un Dieu qui, pour se rendre plus aimable, ; quitte tout l'appareil de sa majesté ; un Dieu qui, sous la forme d'un enfant vient pleurer non ses misères mais les vôtres. Car c'est ainsi, dit saint Pierre Chrysologue, qu'il a voulu naître, parce qu'il a voulu être aimé.
Mais pour vous recommander la charité qui seule peut et doit assurer la paix et le bonheur dans nos communautés, je n'ai pas besoin d'aller chercher des leçons hors de notre famille. Ecoutez, mes chers Frères, la suprême prière de notre Vénérable Père ; c'est par là que je termine ; elle aura plus de puissance sur vos cœurs que les plus éloquents discours ; elle a d'ailleurs son éloquence propre que rien ne peut surpasser : « Je vous prie, mes bien, chers Frères, de toute l'affection de mon âme et par toute celle qua vous ayez pour moi, -de faire en sorte que la sainte charité se maintienne toujours parmi vous. Aimez-vous les uns les autres comme Jésus-Christ vous a aimés. Qu'il n'y ait parmi vous qu'un même cœur et un même esprit. Qu'on puisse dire des Petits Frères de Marie comme des premiers chrétiens : Voyez comme ils s'aiment... c'est le vœu de mon cœur le plus ardent, à ce dernier moment de ma vie. Oui, mes très chers Frères, écoutez les dernières paroles de votre Père, ce sont celles de notre bien-aimé Sauveur : Aimez-vous les uns les autres » (Testament spirituel du V. P. Champagnat).
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