TOUS LES YOGAS.
L'ouvrage d'Alain Daniélou donnant la traduction des 352 aphorismes sanscrits de « tous les yogas » (nous le croyons sur parole, car sait-on jamais en finir avec la multiplicité hindouiste) permet de crever l'abcès. Il consacre en effet 84 pages au Hatha-Yoga ou réintégration par la force, 3 pages au Raja-Yoga, voie royale de réintégration, 8 au Mantra-Yoga, réintégration par les formules hermétiques et 3 pour chacun des suivants : Laya-Yoga, Shiva-Yoga, Karma-Yoga, Jnâna-Yoga et Kundalini Yoga.
Mircea Eliade, ainsi que ceux qui traitent du Yoga classique selon les Yoga-Sutras de Patanjali, mettent au premier plan le Raja-Yoga. Olivier Lacombe, lui, insiste sur le courant de Bhakti, qui se réaffirme vers le Xme siècle après J. C., et cherche à retrouver la vitalité par contact (voire interférence) avec le Christianisme. Le Swami Vivekananda n'a-t-il pas traduit « L'Imitation » en bengali il y a un demi siècle !
La simple prudence, face à ce « message du yoga » que la propagande cherche à imposer sous toutes ses formes, conseille de ne rien cacher du Yoga, de ce qui en fait - qu'on le veuille ou non - une technique magique aboutissant au Soi et non à Lui, ou tout au moins à un Lui qui est Moi...
Cette multiplicité des Yogas, analogue à la multiplicité des sectes protestantes, a pour but profond et effectif de détourner du yoga primordial, du yoga suprême, le Yoga Ishvara, c'est-à-dire l'union au Seigneur, l'union mystique qui provenait du fond commun de la contemplation que nous pouvons appeler de « type chrétien ». Le Shveta shvetara Upanisahd (upa-ni-sad : s'asseoir tout près, comme pour écouter un secret), qui date de l'époque du Bouddha (Vme siècle avant J. C.) donc un millénaire peut-être avant les Yoga Sutras de Patanjali, expose un désir d'union dont les yogas postérieurs ne sont que les dégradations plus ou moins ridicules ou diaboliques. Bien plus « avec Pantanjali, le Yoga d'une tradition mystique est devenu un darshana, c'est-à-dire un système de philosophie » constate Mircea Eliade 185.
Les commentaires tardifs, sous l'influence de la spiritualité contemporaine et des voisinages chrétien et musulman, cherchent à donner un rôle de plus en plus actif à Ishvara, le Seigneur. Mais de ce que certains swamis cherchent à concilier leurs positions avec les nôtres, en affirmant que seule compte « la grâce du Seigneur » doit nous conduire à réclamer l'abandon du mot : yoga. Ce mot est définitivement pollué, gardons-nous de vouloir le re-baptiser. Notre vocabulaire chrétien d'Occident, avec ses précisions et ses distinctions métaphysiques, suffit amplement. N'ajoutons pas à la confusion, si savamment entretenue déjà.
La technique du Yoga comporte huit degrés, dont les cinq premiers appartiennent en propre au Hatha-Yoga. Nous y distinguerons trois stades.
Le stade A, ascétique, des deux premiers degrés, rencontrés, plus ou moins, dans l'ascèse de toute religion.
Le stade B, psychosomatique des trois degrés suivants, spécifiques du Hatha-Yoga et qui ont contaminé tous les yogas, puis les hésychastes et les soufis.
Le stade C ou stade intérieur magique des trois derniers degrés, concerne une méthode de « pensée assimilatrice » qui n'a aucun point commun avec la contemplation mystique, ni même philosophique 186. Il s'agit d'états de conscience auto-hypnotique, somnambuloïde ou cataleptoïde suivant le degré atteint.
Le stade A commence par :
1° Les cinq abstinences ou Yamas ;
2° Les cinq observances ou Niyamas.
Le stade B continue par :
3° Les postures ou attitudes du corps ou Asanas, avec leurs contractions musculaires ou Bandhas, les gestes ou Mudrâs et les actes purificatoires ou Shat-Karma ;
4° Le contrôle du souffle ou Prânâyâma ;
5° Le retrait de l'activité sensorielle et de l'emprise des objets extérieurs ou Pratyâhâra.
Le stade C termine par des termes à peu près intraduisibles :
6° La concentration ou Ekagrata (ou Dhrâana) ;
7° La « pensée assimilatrice » ou Dhyana ;
8° Les « identifications », c'est-à-dire les états de Samâdhi.
Les deux premiers degrés du Yoga classique sont les cinq abstinences ou réfrènements, les Yamas et les cinq observances ou disciplines, les Niyamas.
Les abstinences sont communes à la plupart des religions. Les Upanishad en comptent dix : non-violence, véracité, honnêteté, chasteté, affabilité, rectitude, pardon, endurance, tempérance et pureté. Patanjali se contente de cinq, qui sont « l'abstention de la violence (ahimsâ), du mensonge (satya), du vol (asteva), de la luxure (brahmacharya), de la possession (aparigraha) ». .
Dans ce climat indien de violence tropicale, de moussons et de tigres, de végétation dévorante et de luxure d'autant plus exacerbée que la femme y est rare (le sex-ratio n'est que de 7 à 800 femmes pour 1.000 hommes suivant les régions), la non-violence est toujours affirmée en premier. La non-violence, vertu morale négative « abstention de ce qui peut en quelque occasion ou en quelque façon - par pensée, parole ou action - causer de la souffrance à un être vivant, y compris soi-même » remplace la vertu théologale positive de Charité. Nous arrivons difficilement à comprendre (sauf en politique) l'admiration des Occidentaux pour ce moralisme car son application n'a nullement abouti à la Charité en la péninsule.
« L'absence complète de tout trouble et de toute émotion érotique, en pensée, dans les sens et dans le corps, telle est la chasteté » qui dépasse de beaucoup la continence. Elle implique en outre la règlementation du régime alimentaire, des amusements, des pensées, du sommeil et de tous les autres besoins physiques.
Après les purifications passives, les purifications actives ; les cinq observances ou Niyamas : Saucha, Santasha, Tapa, Svâdhyâya et Ishwara Pranidhâna s'attachent aussi, non à rechercher l'amour ou à porter les souffrances des autres, mais à éviter « toute forme de souffrance qui pourrait résulter de leurs actions », aussi les yoguins pratiquent-ils « la pureté, le contentement, l'austérité, le développement de soi et la pensée constante de la Divinité ».
La pureté ou Saucha est extérieure ou intérieure. La pureté extérieure consiste à se laver, à se nourrir d'aliments purs et à observer toutes les règles du bien vivre. Nous retrouvons le pharisaïsme contre lequel le Christ a dû s'élever, ses disciples étant critiqués parce qu'ils ne se lavaient pas les mains avant les repas 187 ...
Il existe six actes purificatoires (Shat Karma) dont le lavage d'estomac, le lavage des intestins, le lavage du nez et le secouage du ventre...
Pour le lavage de l'estomac ou Dhauti, « avalez un morceau d'étoffe, large de quatre doigts et long de quinze coudées ; puis retirez-le » ; pour le lavage des intestins ou Vasti, il faut s'asseoir « dans la posture du lotus levé, dans l'eau jusqu'au nombril, avec un tube en bambou (bien huilé) dans l'anus et laver l'intérieur du ventre en aspirant de l'eau ».
Si incroyable que cela paraisse, à New-York, Yehudi Menuhin, à 35 ans, pratique, depuis quelque temps, non seulement la posture du lion (où l'on tire la langue) mais le lavage du nez ou Néti pour retrouver sa forme de violoniste. Il est contrôlé par son guru Vithalda bien entendu, car le lavage du nez « avec une ficelle d'une coudée, bien lisse, polie à la cire » qui entre par la narine et sort par la bouche est une pratique délicate et souvent nocive 188.
Mais comment résister à l'attrait du Sutra Néti qui « purifie la tête, donne une vie surhumaine et chasse rapidement tous les maux qui affectent les organes situés au-dessus du coude » !
La pureté du corps s'obtient par des bains, au nombre de sept... dont le « bain de paroles magiques » ; la pureté du site s'obtient en couvrant le sol et les murs d'un mélange de terre et de bouse de vache (sacrée) ; la pureté de l'orientation s'obtient « en se tournant vers l'Est [si l'on cherche un résultat matériel] ou le Nord [pour un résultat spirituel] pendant le jour, et vers le Nord pendant la Nuit » ; à l'inverse des Chinois qui se tournent vers le Sud.
Le contentement ou Santosha correspond à l'Apatheia des Pères grecs ; l'austérité ou Tapa à la pratique du jeûne et des autres formes d'abstinence.
L'austérité peut être physique, verbale ou mentale ; elle comprend le silence intérieur, l'allégresse de l'esprit et la concentration sur le Soi.
Rien ne montre mieux la mixture Patanjalique que les deux dernières observances qui sont littéralement opposées. D'une part, le Développement de Soi, utilisant le japa des mantrams sur un rythme déterminé, de caractère magique, afin de pouvoir « éveiller et maîtriser leur énergie latente » et acquérir ainsi « la connaissance de tout ce qui peut être exprimé par les sons, de toutes les sciences de ce monde et des autres ».
De l'autre la Pensée constante de la Divinité ou Ishwara Pranidhâna, qui est la voie de bhakti, et consiste en « l'abandon de l'être à la Divinité par l'offrande de tous ses actes et de leurs conséquences, abandon qui aboutit à la suppression de tout désir, et la plus importante des cinq observances ».
Nous rencontrons toujours l'utilisation pragmatique de tous les moyens, sans se douter de leur incompatibilité.
Avec les Asanas, ou postures, nous entrons dans la préparation à la concentration mentale. Le mot : âsana signifie aisé, confortable ; ce n'est qu'à cette condition qu'une posture peut avoir son plein effet, puisqu'il s'agit en pratique de répartir équitablement le poids du corps, en théorie de faciliter la circulation du prâna et que, par ailleurs, moins un muscle est contracté, moins il consomme d'oxygène. Parmi les 840.000 postures théoriquement possibles, 84 sont considérées comme les plus importantes, 33 seulement donnent de bons résultats et 2 seulement sont pratiquées par tous. Nous n'en citerons qu'une :
La posture de réalisation : Siddha-âsana est considérée comme la meilleure de toutes : « Il faut s'asseoir immobile, le talon gauche pressé fortement contre le périnée, le talon droit sur le pénis. Le menton est appuyé sur la poitrine, le corps droit, les sens abstraits de la perception, les yeux convergents vers le milieu des sourcils. Cette posture ouvre la serrure de la porte de la libération ».
Alain Daniélou en précise l'exécution : « Les deux bras sont droits, les paumes des mains en l'air, reposent sur les genoux, le petit doigt est replié, touchant la base du pouce et les autres doigts légèrement pliés, ce qui empêche que l'énergie vitale (prâna vâyu) ne s'échappe par le bout des doigts. Si la posture doit être gardée plus d'une heure, il ne faut pas tenir le regard fixé entre les sourcils, ce qui fatigue les muscles, mais fermer les yeux... La pratique produit des résultats rapides, mais elle n'est cependant pas à recommander aux hommes mariés, car elle affaiblit l'organe mâle ».
La rapidité de ces résultats est due au pouvoir stimulant des contractions qui éveillent le Centre de l'énergie vitale et le Centre voisin de l'énergie enroulée, la Kundalini – lisez : le Deuxième chakra de l'énergie sexuelle et le Premier chakra de l'énergie générale. « L'artère centrale du corps subtil sushumnâ se trouvant droite, l'énergie vitale prend facilement la direction ascendante qui permet le contrôle du mental » - disons que le sang circule bien au-dessus du diaphragme : « La pratique de la seule posture de la réalisation pendant douze ans, dans le silence et la méditation de l'Etre suprême, mène à la consommation du but du Yoga, qui est la suppression des mouvements de la substance mentale. Au bout d'un an d'exercices matin et soir, on peut garder la posture pendant douze heures ».
Avant toutes ces postures, il est bon de prendre, pendant une demi-heure, la posture du cadavre : Shava-âsana, qui consiste en une relaxation de tout le corps, un petit oreiller sous la nuque, posture vulgarisée en Occident par le naturisme et issue du taoïsme. La relaxation doit être telle qu'il faille plusieurs minutes pour que les muscles reviennent à leur état normal de semi-tension.
Parmi les principales âsanas, citons encore les postures du lotus (qui guérit toutes les maladies » ; de la prospérité ou de garde des vaches ; les postures favorables, de la réintégration, libérée, du lion, du museau de vache ; les postures terribles, de la foudre, de la tête, de l'arc, du membre caché, du poisson, du grand docteur Mats yendra, du paon, du coq, de la tortue levée, etc... etc...
La plupart des postures, si l'on veut obtenir le contrôle des énergies vitales, doivent être accompagnées de certaines Contractions musculaires qu'on appelle des « liens» ou Bandhas.
Nous avons déjà cité la Contraction de la base ou mûlabandha 189 ; c’est la plus importante qui doit se pratiquer continuellement pendant les exercices de respiration qui, sans cela, sont préjudiciables aux poumons. Il s'agit de contracter le muscle releveur de l'anus, que l'on relâche périodiquement : « Cet exercice détourne l'énergie excrétive apâna, qui réside dans le centre de la base au-dessus de l'anus, de sa tendance descendante, et en fait le support du souffle vital dans son mouvement ascendant ». En fait, c'est d'un véritable massage glandulaire qu'il s'agit, les vésicules séminales étant soumises à un mouvement de soufflet.
Ce refoulement par « pompage » trouve son analogue dans une fermeture supérieure appelée Contraction du réseau ou Jâlandhara bandha : « Le menton doit être appuyé sur la poitrine, fermant le réseau des artères du cou... le but de cette contraction est d'empêcher l'ambroisie qui coule du lotus-aux-mille-pétales, du sommet de la tête, d'être dévorée par le feu digestif qui réside dans le nombril de tous les êtres ». Disons plutôt que le menton appuyé contre la cavité triangulaire de la jonction des clavicules produit une pression sur le 5e chakra, sur le tronc brachio-céphalique et la trachée empêchant (lorsqu'on tient le souffle) que l'air ne produise une pression au-dessus de la glotte.
La troisième Contraction dite du Volant ou Uddiyâna bandha a pour but de donner un support aux poumons pendant les exercices respiratoires. Elle consiste à « contracter fortement le ventre au niveau du nombril et à le relâcher ensuite ». Cette contraction du diaphragme masse le foie et la rate, comprime l'aorte et se combine avec la contraction du diaphragme pelvien.
Pour hâter l'effet des postures et des exercices respiratoires, il existe encore vingt-cinq principaux gestes ou Mudras dont le « geste de la vulve » et le « geste de la foudre » déjà cités. Ce dernier doit se pratiquer en faisant Khéchari ou le « geste du Mouvant-dans-l'espace » qui consiste à faire pénétrer la langue retournée dans la cavité du crâne, derrière la glotte. C'est une des techniques les plus rapides pour obtenir le coma cataleptique total ; elle est pratiquée par le fakir égyptien Tahra bey, en conjugaison avec l'arrêt de la circulation sanguine dans le cerveau.
Mais il y a mieux. De raffinement en raffinement, nous en arrivons à ceci, après coupure du frein de la langue : « O Sage ! tirée ainsi chaque jour la langue arrivera au milieu des sourcils, et de côté, aux trous des oreilles ; en bas, elle atteindra la racine du menton. Dans l'espace de trois ans, elle atteindra sans effort la limite des cheveux sur le front, les côtés de la mèche et le creux du cou. Pressant alors avec le doigt la Flèche principielle [la luette] le yogi enfoncera sa langue à l'intérieur et en trois ans elle pénètrera dans la Porte principielle. Après avoir passé la Porte principielle, elle commencera le barattement ». «Si la langue du yogi monte ne serait-ce qu'un instant, cet instant suffit à détruire tous les maux, à rendre impossible la vieillesse et la mort (!) Celui qui pratique le yoga de cette façon devient beau comme le dieu de l'amour et ne souffrira jamais de la faim, de la soif, du besoin de sommeil et il ne perd jamais conscience » (Shiva Samhita, III).
Avis aux amateurs !
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