Gaston Bardet


V UNION A SOI OU UNION A DIEU ?



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V UNION A SOI OU UNION A DIEU ?


« Les âmes qui recherchent la délivrance sont de deux sortes. Celles dont le but est l'esseulement et celles qui visent le salut (par excellence que procure seule la bhakti). On nomme esseulement [de l'âme] un état d'ex­périence spirituelle en forme de connaissance expéri­mentale de son propre Soi-même, en tant que libéré de la nature matérielle, état auquel on accède par la voie de la connaissance nue. Certains disent que l'âme arrivée au séjour suprême... s'y confine pour ainsi dire en quelque coin elle jouit de l'expérience d'elle-même sans avoir part à l'expérience du Bienheureux [la Divi­nité personnelle] étant comparable à une épouse privée de son époux ».

(Cité par Olivier LACOMBE). Revue Thomiste, 1951, 1.

Il est tout de même anormal qu'un Occidental cultivé, com­me le Docteur Roger Godel (vivant, en outre, en Egypte, la mère de l'Occident) ait éprouvé le besoin d'aller aux Indes pour y étudier « l'expérience libératrice » !

Il est toute de même singulier qu'il nous offre la tradition indienne, « transmise sans hiatus depuis près de 2.600 ans », oubliant qu'Abraham, d'Ur en Chaldée, vivait il y a 4.000 ans, plus d'un millénaire avant, et que la tradition sclérosée que notre docteur est allé chercher remonte moins haut qu'Elie, Elisée et les Ecoles de Prophètes.

Pas besoin d'aller consulter Ramana le Maharshi pour sa­voir que (ce qu'il appelle) la béatitude, disons la Paix, « s'avè­re irréductible à une impression affective. Aucun processus mental ne peut l'imiter. Ni jouissance, ni délectation ne l'ac­compagne, car elle s'établit ailleurs que dans la sphère sen­sible ». Il suffit de lire Jean de la Croix.

Pas besoin de faire intervenir la recherche du « centre » comme dans la physique nucléaire ou les mandalas, ces tableaux hindoux ou thibétains dont s'enchante C. G. Jung. Il suffit d'ouvrir le « Château » de Mère Thérèse.

Pourquoi un Occidental tourne-t-il le dos à sa culture, né­glige-t-il ses propres trésors pour aller chercher, dans des « mythes », réponse à ses angoisses intimes ? Nous avons déjà vu Baruzzi mutiler sans hésitation les textes de Jean de la Croix pour « désessencier » la contemplation mystique trini­taire et la réduire à celle d'une certaine « déité » qu'un philo­sophe (comme lui) pourrait atteindre sans se mettre à genoux.

Pensez donc, la Trinité, ça ne suffit pas, c'est un « scandale métaphysique », il faut la réduire à l'Unité ; telle est au fond la démarche de tous les gnostiques : dépasser l'expérience (terminale) chrétienne... Ils en savent bien plus long que Dieu sur Lui-même, bien sûr.

Dans toutes ces recherches de « libération », de « réalisa­tion », l'explication est toujours la même : l'orgueil ontologi­que ; vouloir être infiniment libre (comme nous l'écrivait un swami occidental) oubliant que Dieu seul peut l'être. L'avan­tage du « délivré », c'est « qu'il n'émet aucun dogme [et pour cause], n'impose aucun commandement impératif », alors que l'expérience du Saint chrétien, du « transformé », elle, tout au contraire, ne cesse, au retour de ses plongées de pêcheur de perles, de confirmer la tradition chrétienne, d'expliciter le sens profond des Ecritures révélées, d'admirer la précision de la formulation dogmatique des théologiens.

L'expérience mystique du « transformé » n'est point un « contact substantiel » (impossible) avec un Dieu inconnu, une déité impénétrable, « numineuse », mais la perception d'un Dieu-Trine, dont il vérifie la formulation de tous les actes, telle qu'elle est explicitée soit par la foi dans la théo­logie, soit par la raison dans la métaphysique chrétienne. La Sagesse d'Amour vérifie l'accord total de la foi et de la rai­son, privilège unique du catholique.

Si l'instinct d'amour du progressant en marche, se trouve en contradiction (provisoire) avec une formulation doctrinale, le mystique s'incline devant le théologien dogmatique : celui qui a l'expérience devant celui qui (souvent) ne l'a pas, mais transmet intact le dépôt révélé. Cette humilité intellectuelle, cette soumission du mystique au théologien (romain) est la pierre de touche de l'expérience authentique. Jean se soumet à Pierre... laisse celui-ci entrer le premier au tombeau le Jour de la Résurrection ! (Jean 20.5).

LE JIVAN-MUKTA OU « DELIVRE VIVANT »


La recherche « du côté de chez Swami » n'a-t-elle pas pour but profond d'échapper à l'appel absolu de l'Absolu : à l'ap­pel du Christ ? Car nos désincarnés, à la recherche d'une « expérience pure », ne peuvent arguer de leur ignorance des trésors chrétiens accessibles à tous. Si « l'ignorance in­vincible » ne peut être reprochée à un yoguin des bords de l'Indus ou du Gange - resté à l'âge lunaire de la pensée, ignorant la distinction entre l'essence et l'existence, par exemple - et faisant tous ses efforts pour se libérer de son animalité exubérante, comment admettre des circonstances atténuantes en faveur de nos savants qui disposent de tous les écrits des saints canonisés depuis deux mille ans 201 ? Se­rait-ce que Yahweh « en ce jour-là cacherait Sa Face à cause de tout le mal » que notre science sans conscience a fait « en se tournant vers des Dieux étrangers » ? (Deut. 31.18).

Ajoutons qu'il faut n'avoir rien compris à l'expérience mys­tique, qui se passe dans la ténèbre, pour ne pas réaliser que le contrôle dogmatique et disciplinaire constitue cette bordure de trottoir que l'aveugle touche périodiquement pour marcher « à l'obscur et en assurance » vers son but.

Le mirage de l'Inde tient en grande partie à l'obscurité de ses origines que les indianistes d'Occident percent peu à peu - grâce aux sources grecques et chinoises encadrant cette végétation tropicale d'anecdotes et de contes, d'imaginations et de faits entrelacés.

Nous n'avons pas de manuscrits antérieurs au XIIme siècle après J. C. 202 ; « les Vedas n'ont été écrits que très tard, à la fin du XVIIIme siècle et début du XIXe siècle, sous l'influen­ce des Européens et grâce à la « trahison » de quelques brahmanes ».

La première date rigoureuse de l'histoire indienne est celle de l'irruption d'Alexandre sur l'Indus, en 326 avant J. C. Tou­tefois l'Inde ne se contente pas d'échapper (semi-consciem­ment d'ailleurs) à toute chronologie.

Ayant inventé le zéro et la numération de position, elle n'hésite pas à repousser dans un passé prestigieux des tra­ditions qui lui ont été apportées par les Aryas, originaires de l'Iran, appartenant donc à la civilisation de la Grande Mon­tagne.

Ce qui est plus grave, ce pays de mathématiciens 203 , d'idéa­listes - et non de mystiques, c'est-à-dire de réalistes - a dé­vié la notion d'éternité : éternel présent. Les hindous se lancent en une dangereuse confusion lorsqu'ils s'imaginent, au contraire, qu'il s'agit d'un temps très long et se livrent à de calculs interminables, multipliant les zéros, additionnant le années divines (!), tels ces Kalpas divisés en mille yougas qui s'étendent sur 4.320.000.000 d'années. Chacun d'eux à son tour n'est qu'un jour de Brahmâ tant et si bien qu'au total, en faisant le compte des nuits et des jours, la vie de Brahmâ dure 311.040.000.000.000 d'années... sauf erreur.

Il en est résulté cette invraisemblable transmigration des âmes, cet « engrenage infernal » dira René Grousset, qui s'est développé lors du Bouddhisme et du Jainisme en une période de désespoir collectif, et disons le mot, de lâcheté envers le réel. Cette excuse de joueur perdant (... qui fera beaucou mieux la prochaine fois...) ayant tendance à s'accréditer à nouveau en notre époque sans espérance, montrons, au passage, son invraisemblance, son inconvenance.

La transmigration des âmes ou samsâra - métensomatose différente de la métempsychose - repose sur une conception brahmanique encore infantile de l'âme enfermée dans le corps « comme un oiseau dans une cage ».

Déjà, Robert de Nobili avait fait remarquer : « Quand un homme habite dans une maison, la maison grandit-elle avec lui ? Quand il n'est pas chez lui, la maison tombe-t-elle en ruine » 204 ? Nos connaissances actuelles du processus de la génération soulignent l'absurdité de cette indépendance de l'âme et du corps :

Après la conjonction de l'ovule et du spermatozoïde, se produisent, dans un champ de force bio-électrique, de merveilleux et complexes arrangements chromosomiques. Peu à peu, le fœtus se différencie, mais, comme l'avait vu lucidement saint Thomas au XIIIme siècle : « Avant son organisation essentielle, le corps n'est pas susceptible d'âme » intellectuelle, humaine.

Certes, les âmes végétative et sensitive jouent leur partie biologique. Cependant, avant plusieurs semaines, il ne s'agit pas d'un être humain, mais d'un animalcule en puissance d'humanité 205.

Lorsque cette âme - humaine - enfant éclôt et se déve­loppe en liaison continue avec le corps, en compénétration fi­bre-à-fibre, elle mûrit comme une âme essentiellement différenciée, essentiellement spécifiée par sa combinaison chromo­somique unique. C'est vraiment l'âme de la combinaison Nu, unique comme le Fils monogène.

A la mort, lorsque l'âme abandonne le corps, elle reste l'âme-séparée de la combinaison Nu, dont la purification ou l'exaltation resteront toujours relativement rapportées à la combinaison initiale. Puis, lors de la résurrection des corps, cette âme-séparée reformera effectivement « le même corps », authentifié par la même combinaison Nu. Mais, comme le ma­tériau fourni sera purifié, comme l'âme sera purifiée, la com­binaison Nu sera en son point de perfection ; elle édifiera un corps dans l'intégrité de sa nature, sans aucune défectuosité physiologique non plus que morale. Etant alors âme-adulte, elle reformera instantanément un corps-adulte 206.

Admirons cette merveilleuse entr'aide entre ce corps, qui rend tout d'abord l'âme susceptible d'éclore et d'arriver à maturité, et cette âme qui, après la séparation, le re-formera d'un seul coup, bénéficiant de sa propre transformation en Dieu.

Faut-il souligner que la transmigration, ou mieux la « coulée de l'âme 207 en des corps différents (comme on change de robe quand on s'est taché) n'est qu'une dégradation par multiplication - caractéristique de la mixture hindouiste ­de l'idée fondamentale, primitive, et universelle de la résurrection des corps, dans le même corps « comme il est semé » (I Cor. 15).

Si cette transmigration est une hérésie récente - maintenant intégrée dans le brahmanisme - la conception indienne de l'esprit, elle, n'a point bougé en ce conservatoire des initiations. Observons tout d'abord que pour l'hindou, l'esprit est également matière, mais matière sous forme subtile. Seul est spirituel un principe transcendant et lumineux appelé Purusha par les sankhyanistes, Atman, par les védantistes : M. P. Masson-Oursel (qui d'ailleurs ne dépasse pas le niveau du philosophe) nous expose ensuite que cet esprit subtil : « - tel que le représentent brahmanes ou bouddhistes - loin de refléter comme un miroir [le réel] resplendit comme une lanterne Par les organes des sens, il irradie sa lumière propre au dehors et perçoit ce qu'il éclaire. La sensation ne passe pas pour réceptive mais pour appréhensive (grahana) ; l'esprit entier y intervient. Les images, loin de nous arriver de l'extérieur, sont tenues pour spontanées. On a en effet les perceptions que l'on a méritées ».

« Pas plus que la sensation ne diffère de l'intelligence, l'imagination ne se distingue de l'intellect ; elle ne passe nullement, comme chez nous, pour solidaire des fonctions réceptives... Pas d'autres prototypes du vrai que la perception bien faite... Les canons, les critères sont - comme aurait dit Taine - des hallucinations vraies.

« Ajoutons que les hindous n'opposent pas non plus, comme nous, entendement et volonté. Les mêmes mots, Kâlpana, Samkalpa souvent traduits par l'un ou l'autre de ces termes, désignent un aspect de la pensée antérieure à la spécification en discerner et en vouloir... Enfin, connaître et pouvoir ne font qu'un » 208.

Ne trouvons-nous pas, dans cette conception indienne, comme un reste embrumé de la tradition primitive, celle qu'on se transmettait, dans les « abris et cavernes », concernant le mo­de d'information adamique : lorsque la sensibilité, informée directement par l'esprit, se projetait au devant des choses pour en avoir une perception intérieure comme extérieure plus riche, lorsque la volonté, totalement éclairée par l'en­tendement, était obligatoirement orientée vers le Bien, et où le Vrai et le Bien - connaître et vouloir - ne se discernaient pas ? Nous ne pouvons ici qu'effleurer la question 209.

Ce qui est grave, c'est que la pensée indienne considère comme actuelles, comme valables, ces positions respectives de la sensibilité, de l'intelligence et de la volonté qui sont perdues depuis le péché originel. Mais l'hindou ignore la « faute » ; sa position diffère fondamentalement de l'occiden­tale, autrement plus exigeante dans sa cohérence et sa ri­gueur d'adaptation au réel. Aussi, comme cela ne « colle pas », se réfugie-t-il dans la magie verbale, supposant que connais­sance entraîne pouvoir. Nous nous trouvons toujours face à une pensée qui serpente, qui se dérobe, vis-à-vis de toutes les questions trop aigües, vis-à-vis des dilemnes sans faille – à l'opposé du Zen bouddhiste. Rien de plus étonnant que de voir construire des techniques aussi minutieuses que celles du yoga ou du moksha, sur des bases qui ne sont nullement conformes à l'état actuel et véritable de l'homme.

Lorsque l'Inde formule des techniques, elle part souvent plus d'un a priori que d'expérience, ainsi dans la technique de la conservation du sperme et du souffle.

La pensée hindoue reste, encore aujourd'hui, dans l'état magique où les sensations, les images, les idées sont - nous ne dirons pas, comme Maritain, nocturnes - mais lunaires, engagées dans le psychisme fluide et ouaté de l'imagination, alors que, bien avant Aristote, la pensée occidentale atteignit l'état rationnel où sensations, images, idées sont solaires, c'est-à-dire éclairées par la psychologie lumineuse et régu­lière de l'intelligence pneumatisée 210.

Disons-le tout net : pour se complaire dans la lecture de Sri Aurobindo ou de tout autre serpentement hindou, il faut avoir l'esprit « tordu » ; il faut surtout, croyons-nous, n'avoir jamais lu la Somme de saint Thomas, n'avoir jamais été confronté avec l'Ordre, avec une pensée architecturée, or­donnée, miracle de simplicité, d'équilibre, de sagesse 211.

De même qu'il est impossible de discuter valablement avec un dialecticien marxiste qui escamote le Principe d'Identité, il n'est point possible à un occidental de procéder à une confrontation valable avec un hindou. Le mot-clef de vérité n'a point le même sens, et pour l'hindou, le témoignage historique ne compte pas. Comme l'observe le Swami Siddhesvaranan­da : « Quand un chrétien affirme qu'il possède la vérité, il entend ce terme dans un sens religieux. Si un hindou emploie ce même mot de « vérité » dans une discussion, il lui donne une valeur extra-religieuse » 212, c'est-à-dire métaphysique, philosophique.

Afin de ne pas augmenter la confusion des vocabulaires, que l'on cesse donc de dire que l'hindou fait une expérience mystique, même naturelle. Ce n'est pas vrai ; il fait une ex­périence mythique ou mystérique, analogue à celle des initiés aux mystères d'Eleusis ou d'Osiris.

Dans le christianisme, l'accord est toujours parfait entre la foi et la raison. Le Christ est un personnage historique, le mieux daté qui soit, sa naissance par le grand recensement ordonné par Auguste, sa mort par l'éclipse du 7 avril 30, l'an 15 du règne de Tibère. Chaque jour, les progrès de l'exégèse re-confirment l'authenticité de l'Ancien comme du Nouveau Testament ; il ne reste plus rien des divagations « critiques » du siècle « stupide ». Rome a ouvert toutes grandes ses ar­chives, sachant bien qu'elle ne pouvait rien perdre à la pour­suite acharnée de la Vérité localisée-et-datée.

Par quel ersatz veut-on remplacer le Christ : par Krishna, par un mythe ! « Si aux yeux de l'histoire il n'y a pas eu de Krishna – avoue le Swami Siddheswarananda - né dans le Nord de l'Inde et venu dans le Sud, ceci n'a nullement empêché les adorateurs d'avoir eu non seulement des visions de Krishna, mais encore des mar­ques évidentes de sa présence objective en divers lieux de l'Inde du Sud... C'est par un purana (mythe) de ce genre qu'une réa­lité [!] spirituelle vit, et ce processus en vertu duquel une vérité [!] spirituelle se fait purana, personne ne peut l'entraver ».

Hélas, nous l'avons constaté avec le mythe du racisme ! Nous sommes en pleine mythologie d'âge lunaire, basée sur des visions dans l'astral 213. Ce qui est plus inquiétant, c'est que des occidentaux, entrés dans l'âge solaire depuis quelques trois millénaires, se trouvent en connaturalité avec cette pensé mythique. Nous le verrons, toute la « blaguolo­gie » psychanalytique n'est que résurgence de la pensée my­thique. Si vous voyez Jésus, ou Marie, ou saint Paul... un per­sonnage historique réel, ayant existé comme vous et moi, vous êtes dans un état de « pensée infantile ». Mais, si vous voyez en rêve - plus ou moins éveillé - le Serpent ou Œdipe, la Gorgone ou Mercure, toute cette mythologie à laquelle les Grecs du Vme siècle, eux-mêmes, ne pouvaient plus croire, alors là, vous êtes un surhomme accédant aux « archétypes » de l' « inconscient collectif » ! pas moins...

Lorsque le Docteur Roger Godel écrit : « L'Occident vien de découvrir à peine l'importance du subconscient, la pensée indienne a anticipé les découvertes récentes (!) de la psychologie occidentale portant sur les complexes... » nous ne pouvons comprendre comment cet hélléniste distingué n'a point vu (ce qui crève les yeux) que d'une part, la pensée hindoue s'est sclérosée au niveau mythique de ses chers Grecs - donc occidentaux - soi-disant experts en « complexes » en leurs temples d'Esculape... et que d'autre part, les psychanalystes actuels de l'inconscient sont de véritables régressés à l'âge lunaire. La coïncidence ne se peut produire que grâce à une sclérose et à une régression. Car enfin, cette résorption de la dualité, purusha, prakiti, en quoi consiste la « libération », ne nous intéresse plus depuis longtemps.

Résorber le jeu de la dualité est l'un des exercices fondamentaux des maîtres hindous, taoïstes ou zenistes ; c'est un problème tout particulier à des peuples sclérosés et encore tout imbus de la mentalité matriarcale, lunaire et chtonienne. Le système dualiste, dans l'Antiquité, comme l'a fort biel montré Pierre Gordon, a son origine dans le dioscurisme, les deux jumeaux célestes de la Mère divine, c'est-à-dire la lune claire ou montante et la lune obscure ou descendante. Le symbole du Pa-koua, tel qu'on le trouve dans le drapeau coréen, par exemple, est le symbole même de ces deux phases de la lune unifiées par le Tao. La recherche de l'unification des opposés est nécessaire à des peuples encore plongés dans la dualité lunaire irréductible, dans « l'éternel retour ». Nous, occidentaux, savons qu'il n'y a pas dualité, mais hiérarchie ­bouleversée par le péché originel - entre le corps et l'esprit que « pour un esprit bon, la chair est une bonne et fidèle compagne » 214 (saint Bernard) ; non seulement il n'y a pas dualité, mais unité merveilleuse puisque le Fils de Dieu a as­sumé la nature humaine.

Pour nous, la lune chtonienne a perdu son empire. Certes, elle a bien failli triompher, lorsqu'elle éclipsa le soleil (non par hasard) à l'heure où le Christ expira, mais Marie nous apparaît revêtue de soleil, debout, écrasant négligemment sous ses pieds le serpent et le croissant de la lune déclinante. La Vierge-Mère a vaincu sa caricature, la « Grande » Mère et ses associés : la lune et le serpent 215.

Mais en quoi consiste donc cet « état de conscience » de l'expérience dite libératrice décrite très pertinemment - se­lon certains jnanins - par le Docteur Roger Godel en un ou­vrage qui révèle le plus grand désordre de la pensée ainsi qu'une âme déchirée.

« Il est incontestable que cet « état de conscience » lorsqu'il se manifeste dans sa pureté absolue (c'est-à-dire sans aucune admis­sion d'images plus ou moins infantiles ou de doctrines tradition­nelles) transforme profondément les personnalités dans lesquelles il survient. Cette transformation éveille, à la faveur d'un équilibre nouveau dans la psyché, des forces agissantes, elle confère un en­richissement éthique remarquable, un potentiel bénéfique directe­ment perceptible dans l'ambiance, elle aiguise et assouplit les fonctions mentales » 216.

Et dans sa lettre à Julian Huxley, après avoir admiré « le super-mathématicien qui ne sait pas ce qu'il fait lorsqu'il se livre à ses opérations », (Eddington), il précise plusieurs ca­ractéristiques remarquables de l'expérience transcendante des Jivan mukta.

1° sa venue est soudaine, fulgurante et parfois inattendue ;

2° elle opère à cet instant une transformation profonde de toute la Weltapshauung de l'être qui en est le siège. Décisive et durable cette transformation se compare à une nouvelle naissance ;

3° l'expérience transcendante est dépourvue entièrement de con­tenu intellectuel et d'images. Néanmoins, elle serait « illu­minative » et dynamique par ses effets et non par nature ; le pouvoir d'intuition conféré par elle s'appliquerait au pro­blème ontologique et philosophique, non pas au domaine de la connaissance dite relative (sensori-motrice, eidetique, etc.) ;

4° L'état de conscience du jivan mukta, différent en cela de celui des yoguins, serait établi en permanence et définitivement dans un plan de transcendance, où les notions de temps et d'espace n'ont plus cours.

En bref, il ne s'agit plus simplement de singer l'extase par des « enstases » comme chez les Yoguins, l'ambition du mok­sha est plus haute, le délivré vivant singe le transformé. Nous l'allons voir en détail. . ,

Le jivan-mukta que le Docteur Godel a interrogé (en parti­culier le Maharshi) « réalise dans sa pureté absolue la nature originelle de la conscience, toute erreur inhérente à la relativité des fonctions psycho-senso­rielles étant définitivement rectifiée... Le seul fait que [cet état] ne comporte pas ni le sentiment de la durée, puisqu'il transcende le temps, ni la perception de l'espace, lui confère un caractère indes­criptible. C'est proprement une expérience d'immortalité, sans com­mencement ni fin ».

Que peut penser, s'exclame Roger Godel, « l'homme de science au sujet des grands mystiques chrétiens, des arhats bouddhistes, des soufis et saints de l'Islam, des jivan mukta hindous, des satori zen, etc... ? ». Eh bien, il pense, cher Doc­teur (s'il est homme de science) que le fameux principe d'identité lui interdit de faire une salade d'expériences in­compatibles. Car sans cela, il n'est pas un savant, mais un curieux qui s'est lancé dans la jungle hindoue avant d'avoir étudié, à fond, les « expériences » des saints chrétiens, pour lesquels il dispose d'une documentation inégalée et inégala­ble, celle des procès de canonisation.

En bref, l'expérience du mukta montrerait que la « psyché de l'homme gravite autour d'un axe de polarisation trans­cendante », ce centre de référence axial se révélerait comme un « lieu » de force équilibrante pour la psyché, son rôle « homéostatique » (l'homéostase étant la sagesse du corps) devient aussitôt évident. « De là, peut-être, découle la paix transcendant l'ego et son pouvoir bénéfique ».

Car selon notre auteur, la conscience « tombe sous la domi­nance du champ dualistique ». Les excellents exemples de la loi d'induction, dans nos stimuli, qu'impose « la nature élec­tro-chimique des fonctions nerveuses », sont parfaitement exacts. Mais pourquoi écrire que « chaque stimulant fait naî­tre son contraire », c'est une erreur de langage 217 ; le pôle négatif d'une pile n'est pas le contraire du pôle positif, parce qu'il lui est opposé spatialement ; du point de vue qualitatif, il est son complémentaire, car s'il n'était pas, le courant ne passerait pas.

Plus précisément, car la «dualité» et « l'ambivalence » reviennent sans cesse dans les textes contemporains, rappe­lons qu'Aristote recense quatre types d'opposition: opposi­tion contradictoire (blanc - non-blanc), privative (voyant ­aveugle), contraire (blanc -noir), relative (père - fils).

L'opposition entre le corps et l'esprit, par ex., est relative, elle n'exprime qu'un pur rapport, ici une hiérarchie.

Sortons de ce dualisme manichéen, de ce yin et de ce yang que le tao a fini par harmoniser en Chine au Vme siècle; le pôle plus, le pôle moins et le courant ne sont qu'une unité renfermant deux termes complémentaires liés entre eux par un troisième. Tout initié sait cela, en Occident, depuis des millénaires ; point n'est besoin de « flirter avec la mort » pour le comprendre.

Transcender les opposés, se libérer du conflit des opposés (Nirdvandvas), telle est l'exhortation qui revient sans cesse sur les lèvres des Rishis des Upanishads. Mais attention, il ne s'agit que de résoudre un problème dont on a préfabriqué l'équation. S'il n'y a pas opposition mais complémentarité, si cette complémentarité est hiérarchisée, il s'agit simplement pour l'esprit de dominer son corps, pour le cocher de conduire son attelage. Nul besoin de trucider et le cocher et le cheval. Le prétendu conflit vient de la dualité multipliée en pluralité selon la pente même de l'esprit hindou, esprit mathématicien abstrait, qui est bien comme les super-mathématiciens dont parle Eddington, « décollé du réel ». C'est ce qu'avoue Shankârâcharya : « Aussitôt que s'élève en nous la conscience de la non-dualité, l'état de transmigration [inventé] de l'âme individuelle et [hélas] la vertu créatrice d'Ishwara [le dieu personnel des bhaktas], s'évanouissent à l'instant : la phénomènologie tout entière de la pluralité dont la source réside dans l'ignorance [ô combien] se dissipe sous l'effet de la connaissance parfaite ».

La transmigration reposait sur le corps subtil (ou transmigrant), le samâdhi sans racine le détruit ; mais hélas, cette libération du mythe entraîne, en outre, la scission d'avec le dieu personnel. Au lieu de résorber la dualité par l'amour unissant les deux personnes distinctes : «Dieu et la créature », la technique supprime la distinction. Elle est donc fausse, c'est ce que montrera Râmânuja le Bhakta. .


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