Gaston Bardet


LA TRADITION PRIMITIVE DU JAPA



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LA TRADITION PRIMITIVE DU JAPA.


La voie des mantras - pratique fondamentale des bhaktas - est considérée comme la dernière des métho­des, à n'utiliser qu'en désespoir de cause pour les « faibles » enclins à toutes sortes de faiblesses du corps ou de l'esprit ! Le guru pense que ceux-ci ne sont qualifiés que pour la ré­pétition des mantras et qu'avec beaucoup d'efforts, ils pour­ront arriver au but en douze ans. Les « forts », eux, peuvent se « libérer » par l'ascèse vigoureuse des autres yogas, les acrobaties ou l'athlétisme des hatha ou laya yogas, et suivant leurs qualités propres atteindre le but en trois ou six ans. C'est, en l'Inde comme en l'Occident, l'orgueil des ascétiques face à l'humilité de ces illettrés du Moyen âge qui ne savaient que répéter : « Ave, Ave, Ave »... de toute la Salutation angé­lique. Il nous plaît que la voie des mantras (débarrassée de sa magie incantatoire) soit la miséricorde des faibles, que tous y soient appelés et que les « êtres inférieurs » (sic) soient « qualifiés pour la Voie de l'Amour » !

Le mantra-yoga se pratique sous forme d'une récitation rythmée, le japa. « En comparaison des autres pratiques rituelles, l'effet du rite du japa [c'est-à-dire la psalmodie] est dix fois plus grand. S'il est pratiqué en secret et en silence, l'effet est cent fois plus grand ; s'il est purement mental, il est mille fois plus grand... ».

Quel Père du désert n'accepterait cet exposé (expurgé par nous) du japa mouvant ou chola ? Celui-ci « se pratique en tout temps, que l'on aille ou vienne, que l'on soit assis ou debout, actif ou passif... sans timidité, en répétant le nom de Dieu. Tous peuvent le faire. Il ne connaît ni limite, ni règle. Il purifie la voix et donne une grande force. Mais ceux qui le pratiquent doivent éviter de mentir, de juger les autres, de dire des paroles blessantes ou des insanités, de parler trop... Il rend l'esprit toujours gai, car il ne laisse de place ni pour l'inquiétude, ni pour l'ennui, le chagrin, la douleur, le changement d'humeur. Celui qui le pratique est toujours protégé, il accomplit le pèleri­nage de la vie sans effort, tous ses actes sont des rites, son esprit est détaché et il ignore la crainte parce qu'il est toujours près de Dieu. Le Seigneur est lui-même le véhicule sur ce sentier, le plus sûr sentier » de l'union. 241

Citons encore le japa de l'abeille : bhramara, murmuré com­me le bourdonnement d'une abeille, qui se pratique dans un endroit tranquille : « Les lèvres et la langue restent immobiles, les yeux sont fermés, et le murmure semble localisé entre les sourcils. Ce japa rend le souffle subtil et produit le Calice naturel [c'est-à-dire : la réten­tion]. La respiration devient lente et facile, l'inspiration rapide et l'expiration très lente. La récitation commence avec l'inspiration et l'on parvient rapidement à prononcer plusieurs fois le mantra dans une même respiration ».

« Il ne faut pas prononcer le mantra à haute voix, mais le tourner sans cesse dans l'esprit comme le son d'une flûte soutenue par le souffle, qui commence à agir rythmiquement depuis les profondeurs du Centre de base du corps subtil. Tous les centres s'éveillent, les poils se hérissent, certains phénomènes se produisent dans la région du nombril, dans celle du cœur, de la gorge, du palais et des sour­cils, la tête semble légère, la mémoire augmente ainsi que l'acuité de l'esprit, une sensation de chaleur envahit le front et le crâne 242. Puis une illumination intérieure se produit, les désirs extérieurs sont « stupéfiés », comme un serpent par la flûte du charmeur » 243.

Ainsi donc, la simple répétition du nom de Dieu suffit à remplacer les périlleux exercices des autres yogas, la simple répétition amoureuse (puisque nous sommes dans la bhakti) suffit à frapper de stupeur les désirs extérieurs, autrement dit à obtenir la purgation des sens, sans lavement nasal, sto­macal, ou anal... et à parvenir rapidement au monoïdéisme mental, sans visualisation périlleuse.

Mais au japa de l'abeille, encore murmuré, doivent succé­der des japas supérieurs : le japa mental, mânasa et le japa non prononcé (ou a-japa) que pratiquent les « sages », nous dit Alain Daniélou d'après la Brahma-Vidya Upanishad.

Ceux-ci arrivent à régulariser leur pensée et leur souffle afin que « 21.600 fois par jour, cette formule : « Je suis Lui, Il est moi » monte et retombe avec le souffle de la vie ».

Observons que le chiffre donné par cet ancien texte, repré­sente, à 15 inspirations par minute, donc sans retenue aucune du souffle, le nombre des respirations pendant 24 heures. Il implique aussi que la prière soit « entrée dans le cœur » com­me disent les hésychastes. Autrement dit que la formule, « Aham-sah, so aham » de 4 syllabes (soit une à la seconde) ait fini par s'incorporer au souffle du fidèle, ce qui implique une veille du cœur durant le sommeil.

Cette incorporation de la prière au souffle peut-elle se réali­ser « naturellement » ou nécessite-t-elle obligatoirement une grâce ? Nous sommes dans l'incapacité d'en juger, ne connaissant que des cas de mystiques chrétiens chez qui le « cœur veille ». Dans la voie de bhakti, rien n'empêche cette grâce. Ici, l'aberration de la formule employée, l'erreur des prétendus « mots vrais » ne compte pas pour le Père, si vraiment c'est un amour totalement désintéressé, une volonté pure qui soutient la prière continue, comme en « l'oratio breve et pura ».

La bhakti-marga, la voie de l'amour contient neuf degrés énumérés par Prahlâda, le plus grand des dévôts Vishnouis­tes. Ce sont : l'attention, shravanam ; le chant de louange, kirtanam ; la méditation, smaranam ; l'adoration des pieds, pâda savanam ; l'adoration rituelle, archanam ; la révérence, vandanam ; l'esclavage, dâsyam ; l'amitié, sakhyam et l'abandon, âtma-nivédanam, car « la voie de l'amour suit des degrés successifs, elle est comme une échelle » déclare l'AngirasaDaiva mimânsa. L'esclavage, menant à l'amitié, puis à l'abandon total de l'épouse nous semble bien vu.

Dans la voie de l'attachement passionné Râga-âtmikâ­bhakti, des émotions, bien connues des fidèles à la prière per­pétuelle, se manifestent extérieurement. On distingue huit « purs signes d'émotion ». Ce sont la stupeur, stambha ­- l'engourdissement des sens de la quiétude ; la transpiration, svéda - qui provient d'une hyperthermie superficielle venant de l'exercice de la prière augmentant le tonus vibratoire ; le hérissement ou romancha, analogue au frisson sacré ; la dif­ficulté d'élocution : svara-bhanga - pensons aux « a,a,a, » de Jérémie ; puis les fameuses « faiblesses » de l'extase : le trem­blement, kampa ; le changement de couleur, vaivarnya ; les larmes, ashru ; une béatitude ; et enfin l'évanouissement pralaa ;... c'est-à-dire le nivirkalpa samâdhi qui est le but réel et final de la voie de bhakti, état analogue aux grâces des Vmes Demeures.

Nous en tenant aux phénomènes expérimentaux, nous ne pouvons éviter un rapprochement entre les hésychastes by­zantins, les bhaktas et les mystiques chrétiens, à propos de l'horripilation. Les hésychastes barbus insistent sur cette hor­ripilation comme phénomène concomitant à l'invasion de l'Esprit. D'autre part, dans la bhakti-marga, il est observé qu' « A toujours méditer et proclamer Hari : le Destructeur de la Douleur qui enlève le fardeau du péché, chaque poil du corps du dévot se dresse en une extase amoureuse » 244 ; le hérissement (ou romancha) est bien l'un des « purs signes de l'attachement passionné ». C'est, nous dit le Swami Sid­dheswarânanda, l'action du prâna proprement dit. Oui et non. C'est une aspiration de notre énergie générale augmentée du feu d'en-Haut.

Disons quelques mots des hérissements car les mystiques d'Occident ayant (généralement) peu précisé ce signe, c'est un phénomène qui, au début, risque de troubler certains contemplatifs 245, mais auquel ils s'habituent vite. Il s'agit de cette horripilation, consécutive aux aspirations ferventes, puis com­mandée par le Souffle de l'Esprit. On ne saurait mieux la comparer qu'à celle qui a lieu, « naturellement », sous l'in­fluence de l'électricite médicale lors d'un traitement radio­thérapique, par exemple ; c'est la manifestation du « feu du ciel » sous sa forme la plus atténuée.

Jean de la Croix cite Eliphaz de Theman : « Pendant que l'Esprit passait en ma présence, tous les poils de ma chair se hérissèrent » (Job IV.15) et Mère Thérèse, elle-même, attri­bua une fois ce phénomène à une peur qui ne dura guère ­et à laquelle succédèrent de douces consolations 246.

Toute l'Antiquité a connu le « frisson sacré », le tremen­dum, c'est-à-dire la peur en face du sacré, et dans la monta­gne même, certaines hypertensions électriques le provoquent. Il peut être causé par le sacré (non religieux), par exemple chez un jeune officier entendant une musique militaire, chez un savant découvrant une vérité éblouissante, mais ce fris­son rapide (résultat sans doute d'une décharge instantanée de l'énergie psychique) n'a aucun rapport avec les caresses insistantes de l'Esprit, douces, répétées, qui, ne sont point le fait d'une réaction instantanée de l'organisme, mais d'une vé­ritable surcharge, d'une surabondance d'Esprit qui rejaillit corporellement, vous faisant sentir Sa Présence, pendant vos occupations les plus diverses.

Disons-le, dans la vie mystique, l'horripilation - sauf exception - ne peut être une manifestation de peur, mais de joie. Sous la loi d'Amour - et non de crainte - le passage de l'Esprit est toujours délices. Dans la vie naturelle, horri­pilations et larmes sont expressions de craintes et de douleurs provenant de l'extérieur ; dans la vie surnaturelle, le renver­sement de valeurs se produit, ce sont manifestations d'irra­diations et de joies intérieures comme le soupire l'auteur de l'Echelle du Cloître (vers 1145) : Faut-il d'ailleurs « employer ce mot de larmes, n'y faut-il pas voir plutôt l'abondante effu­sion d'une rosée intérieure descendue du ciel, une ablution extérieure, signe d'une ablution intérieure » ?

Si les larmes et l'horripilation sont si souvent mentionnées chez les Pères grecs et égyptiens, n'est-ce point parce que nous devons renaître dans l'Eau et dans l'Esprit ?

Le bhakta ne débouche pas sur le : « Je suis Lui, Il est

moi », non, il expérimente le : « Tu es Cela », et comme dit la Bhagavad Gîtâ, « Réintégré dans le Soi, celui qui aperçoit en toute chose la commune essence, aperçoit le Soi en toute cho­se et toutes choses dans le Soi ».

Il y a quatre degrés de réalisation par l'amour. Résider dans le même monde que le Bien-Aimé, sâlokya ; être près du Bien-Aimé, sâmipya ; avoir même forme que le Bien-Aimé, sârupya; enfin être un avec le Bien-Aimé, sâ-yujya : être joint avec le Bien-Aimé ; et c'est ainsi que la voie de bhakti est la seule qui mériterait le nom de yoga, si on pouvait en­core le lui donner. Car « c'est l'amour seul qui joint et unit l'âme à Dieu » 247.

Quelle est la part de la grâce dans la voie de bhakti ? Nous nous garderions bien d'en décider ; mais nous savons que le bras de Dieu ne se raccourcit point pour ceux qui le prient et qui sont dans « l'ignorance invincible ». Il est donc normal que la prière continue mène les bhaktas jusqu'aux extases des Ténèbres, jusqu'aux grâces des Vmes Demeures. Peuvent­-ils aller plus haut ? Il faudrait, comme Mançour Al Hallaj (exécuté en 922 H.) ou son disciple indirect, Al-Goudat-Al Hamadhani (exécuté, lui aussi, en 1131 H.) qu'ils « s'abreu­vent à la source de Jésus ». Nous n'en savons rien. Des études précises comme celles de Louis Massignon, sur des cas con­crets, seraient nécessaires.

Retenons simplement que le japa seul, l'invocation amou­reuse et continuelle du Seigneur, débarrassée de toute notion magique, suffit sans toutes les pratiques psychosomatiques, pour mener à l'Amour.


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