Gaston Bardet


VI. LES NAUFRAGEURS DU CIEL



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VI. LES NAUFRAGEURS DU CIEL


« Malheur à vous autres, qui avez pris la clef de la science, et vous n'y entrez pas, ni ne permettez que les autres y entrent! »

Luc, XI, 52.

Les « mondains » (religieux ou laïcs) toléreraient encore les « mystiques » si ceux-ci se contentaient d'être des « doux », si chez eux l'appétit irascible ne se réveillait point lorsqu'il s'agit de défendre la Vérité. Etre indifférent aux injures et aux moqueries, s'abaisser lorsqu'il est humilié, telle est bien l'attitude du mystique puisque c'est son « inexistence » qui est en cause 254. Mais lorsque c'est la Vérité, lorsque c'est Dieu, une sainte colère doit le saisir, et il doit flageller les in­fâmes qui transforment la Maison du Père en une caverne de trompeurs.

C'est pourquoi notre doux Jean de la Croix, qui subira tou­tes les vexations, tous les martyres de la part de ses supé­rieurs, prend brusquement le fouet dans la IIIme Strophe de la Vive Flamme. « Que l'âme soit avertie qu'en cette affaire Dieu est le principal agent et le guide qui doit la conduire, comme une aveugle, par la main au lieu où elle ne saurait pas aller - ce qui est aux choses surnaturelles - et ni son entendement, ni sa mémoire, ni sa volonté ne peuvent connaître ce qu'elles sont, partant, tout son principal soin doit être de prendre garde à n'apporter point d'obstacle à Celui qui la guide... Or cet empêchement peut lui arriver « si elle se laisse conduire et guider par un autre aveugle » (Matth. XV. 14) et les aveugles qui la pourraient tirer du chemin sont trois, c'est à sa­voir : le maître spirituel, le diable et elle-même ». On l'a souvent souligné, notre grand docteur des âmes place en première ligne, le maître spirituel. Certes nous savons qu' « à grand peine » une âme : « trouvera-t-elle quelqu'un qui ait fonds pour toutes les parties ici nécessaires. Car outre qu'il faut qu'il soit savant et discret, il a bien besoin d'avoir de l'expérience, parce que pour guider l'esprit, bien que la science et la discrétion servent de fondement, s'il n'y a de l'expérience de ce qui est pur et vrai esprit, il n'arrivera jamais à mettre l'âme dans le chemin, quand Dieu l'y attire et même il ne l'entendra ».

A notre époque de brebis sans berger, ne peut-on penser que les directeurs spirituels sont plus enclins à se dérober qu'à trop vouloir diriger à leur guise. Ne peut-on dire que l'aveugle le plus dangereux, celui qui règne sur les couvents et sur les malheureux mystiques coupables d'extases ou de manifestations préternaturelles, c'est le médecin qui parti­cipe à l'effroyable conspiration contre le mystique. Ce sont les nouveaux Thomas Diafoirus, les fils bâtards de Freud et de Charcot, qui, tout fiers d'avoir supprimé (!) le deuxième aveugle de Jean (à savoir : le diable) attribuent à la sexualité - réveillée chez eux - les tentations ou obsessions démoniaques les mieux caractérisées. Car trop de psychiâtres - même étiquetés catholiques ­- commencent par supprimer le diable. Ainsi le professeur Jean Lhermitte dans son ouvrage : Mystiques et Faux mys­tiques, cite Jean de la Croix, et lui aussi le tronque en suppri­mant le troisième auteur des visions et auditions : le démon. Après, il lui est facile d'avancer que le Père Surin n'était pas possédé mais névrosé. Dites-moi, cher docteur, la « pos­session » pourrait-elle se traduire autrement que par une névrose 255 ???

Le témoignage sur lui-même du Père Surin, ce grand spi­rituel qui engendra les Pères Lallemant et de Caussade, ne compte pas. Notre spécialiste du cerveau prend ses diagnostics à l'Infirmerie spéciale du Dépôt. Comment l'honnêteté scien­tifique, et même le simple bon sens, peuvent-ils mettre en balance des observations faites rapidement 256 à l'Infirmerie Spéciale, en milieu déformant, et celles faites par des saints immergés durant leur vie dans l'Esprit Saint ?

Tout médecin ne peut voir, dans la « femme courbée » guérie le jour du sabbat (Luc, 13.11), qu'une paralytique, dans l'énergumène de Gérasa qu'un fou furieux (Luc 8.26), dans l'enfant guéri au lendemain de la Transfiguration (Luc 9.38) qu'un épileptique dont la description est médicalement parfaite, dans le possédé de Matthieu (6.32) qu'un muet.

Seul celui qui a le don de discernement des esprits verra l'auteur de la cause transcendante dont le médecin ne voit que la cause immédiate.

Jésus, lui, emploie deux modes de guérison soigneusement différenciés. Dans les cas précités, Il chasse publiquement les démons... qui d'ailleurs s'en plaignent et demandent un nouveau logement : un troupeau de porcs... par ex. Mais quand Il se trouve face au « sourd-muet » de la Décapole ou à « l'aveu­gle » de Betsaïda de Marc (32.35 et 22.26), Il procède tout au­trement. Il tire le malade « à l'écart, hors de la foule » et uti­lise sa salive (et sa prière) comme remède, suivant l'usage israélite. A mal humain, remède humain 257.

Il agit de même avec l'aveugle de Siloë (Jean 9.3) en spé­cifiant bien : « Ni lui, ni ses parents n'ont péché ». Par contre, en d'autres cas, c'est le pardon des péchés, délivrant l'âme, qui constitue la thérapeutique nécessaire et suffisante. Ainsi en est-il pour le paralytique de Marc (2.5), la femme atteinte d'une perte de sang et l'aveugle de Jéricho de Luc (8.48 et 18.42) ou encore l'infirme de Bezatha de Jean (5.14). Qu'il s'agisse soit de possession, soit de péché entraînant la maladie du corps, soit enfin de simple maladie corporelle, le divin regard de Jésus saisit tout et il applique le traitement adéquat. Quelle leçon pour les médecins !

Quoi de plus clair, pourtant lorsque le P. Surin écrit : « Ce qui causait de l'admiration à tout le monde, c'est que le démon quittait tout d'un coup le corps de la Mère [Jeanne des Anges] pour entrer dans le mien : alors la Mère devenait fort pai­sible et moi… je cessais de l'être ».

On connait des épidémies de névroses, les convulsionnaires de Saint Médard par ex., connait-on des « névroses » qui se transmettent alternativement... calmant l'un, pour agiter l'autre 258 ?

De quel droit ? Au nom de quel critère historique ne point croire le P. Surin lorsqu'il nous expose avec une très grande clarté - et en accord complet avec saint Thomas et saint Jean de la Croix - la bataille qui se passe, en lui-même, en­tre l'Esprit de Dieu et l'esprit du Mal 259 ? Le prof. Lhermitte trouve « très étrange » une remarque qui est au contraire caractéristique de cette lutte, à savoir : « Je ne trouve jamais l'oraison plus facile et plus tranquille que pendant ces agita­tions ». Il faudrait tout de même savoir (lorsqu'on prétend traiter de mystique) que dans les obsessions contre la foi, par ex., les touches du Saint-Esprit se font elles-mêmes plus fortes et plus fréquentes, très exactement comme si l'Esprit s'efforçait de soutenir un nageur épuisé qui risque de couler.

En voici un exemple d'une mystique très élevée qui coo­père au salut des âmes en supportant des infestations et ob­sessions. « Quelques jours après l'Ascension, j'ai eu deux fois des haut­-le-cœur en communiant. C'est très curieux, car en même temps l'hostie me brûle et mes « ondes » sont très, très fortes. J'ai des haut-le-cœur si violents que j'ai peur que cela se voit ; il faut que j'avale l'hostie tout de suite par crainte de vomir. Quand j'ai avalé l'hostie, c'est fini... cela me laisse tout à fait calme ».

Obsédé par les faux mystiques - croyant sans doute que les mystiques authentiques appartiennent au Moyen âge 260 - notre estimé neurologue n'hésite pas à traiter « d'idée mégalomaniaque » (!) l'idée que se fait le P. Surin de « sa trans­formation corporelle en Notre-Seigneur ». Dans ce cas, le stigmatisé saint Paul qui « porte en (son) corps les stigmates de Jésus » (GaI. 6.17) et bien d'autres, étaient des névro­sés 261 ! . '

Si nous sommes amené à insister sur cet ouvrage – qui n'est qu'un exemple parmi tant d'autres - c'est que le prof. Lhermitte « trouvera audience auprès de beaucoup de lec­teurs, à cause de son indiscutable compétence et de son ca­ractère de médecin chrétien » observe le docteur Grimbert.

Du point de vue des critères historiques il n'a en aucune façon le droit de mettre en doute le témoignage du Père Surin. Et quelle probité scientifique peut-on accorder à un ouvrage qui prétend s'appuyer sur Jean de la Croix, en es­camotant un sur trois des auteurs de visions et auditions ? Cette méthode est illégitime ; il s'ensuit que la documenta­tion présentée ne peut être admise sans réserve. N'y manque­-t-il pas un tiers des « observations » nécessaires pour porter un jugement valable ? Nous nous en tiendrons donc aux seu­les paroles rapportées.

En quoi Madame X est-elle mégalomane lorsqu'elle con­damne l'activisme chez les prêtres, « le désir de laisser quel­que chose » après eux 262 ? « Vous, prêtres, vous n'avez pas d'avenir (on n'est pas plus prêtre vieux que jeune). Vous n'avez que, chaque jour, à vous unir davantage à Jésus pour glorifier Dieu, sauver les âmes et vous assurer l'éternité ». Le Saint Père parlerait-il autrement ? Lorsqu'elle ajoute : « Ils ne savent pas avec foi et ils ont honte... en agissant comme ils font, c'est du Bon Dieu dont ils ont honte » (p. 153). Y a-t-il là autre chose qu'une constatation quotidienne, hélas, et dou­loureuse ?

Surtout que Madame X ajoute : « Beaucoup savent bien ce que j'ai écrit (tout prêtre doit de fait être saint ou dans l'obli­gation de l'être) mais ne le pratiquent pas... Il n'y a rien qui ne soit vrai, d'une certitude qu'ils puissent avoir en dehors de moi ». N'est-ce pas là le critère théologique par excellence, le recours au dogme ?

L'ouvrage « Cum clamore valido » qui publie les révéla­tions faites à une (sainte) religieuse ne cesse-t-il pas de nous redire les paroles de Jésus : Ames religieuses, si vous aviez été « vraiment tout épouses le monde n'en serait pas là » 263 !

A combien de mystiques vivants, et nous en connaissons, Dieu ne demande-t-il pas - depuis le début de ce siècle ­de réparer pour les prêtres, moins pour leurs fautes de fai­blesse que pour leur manque d'amour pour Lui. « Si donc le monde en est là, c'est qu'il a manqué quelque chose à ce tout. »

Quant au deuxième cas, celui de M. F., dit «l'obsédé » de la chapelle des Bénédictins, (que nous aimerions questionner personnellement) quelle lucidité chez lui : « n'y aurait-il pas pour le démon, une autre manière plus subtile d'agir, je veux dire non en détraquant le cerveau ou en le méca­nisant, mais en donnant l'apparence d'une névrose » ? Quel diagnostic dont certains psychiâtres feraient bien de profiter, au lieu d'écouter leurs conseillers « gribouilles ».

Mais par un tour de passe-passe scientifique (!), on esca­mote le démon. On attribue à une personnalité Seconde (?), à un impossible dédoublement de personnalité ce qui est ­ dans de trop nombreux cas - dû à l'intervention d'une per­sonnalité extérieure, celle d'un esprit déchu. Il faut tout de même ne pas ignorer que les anges déchus peuvent mouvoir votre bras, vous faire jeter un chapelet par ex., sans vous « posséder » littéralement, par simple obsession, simple infes­tation.

La personne ne se dédouble pas formellement. « Elle est ce qu'il y a de plus parfait dans toute la nature » dit saint Tho­mas, elle est une, par définition ; mais il peut y avoir des dissociations et des regroupements psychiques à l'intérieur de la mémoire ; enfin en notre corps peuvent s'insérer des images extérieures, voire des élémentals, des larves, lors d'états-se­conds dont la catalepsie et le somnambulisme nous ont montré le mécanisme.

Il n'y a pas de classification binaire en mystiques et en hallucinés ; il y a : a) des phénomènes mystiques, b) des névro­ses-maladies, c) des névroses-démoniaques : visions et audi­tions proviennent de Dieu, de l'imagination ou du démon. On a toujours su cela.

Supprimer le deuxième aveugle - le démon - c'est indi­gne d'un savant, mais cela provient évidemment du climat des « Etudes carmélitaines », de l'erreur fondamentale de ces Congrès dits de Psychologie religieuse - qui partent du pa­thologique et non du normal, c'est-à-dire du saint - ainsi que de l'incapacité où sont trop d'exorcistes... de reconnaître et de chasser certains démons ; l'affaire de Rouen l'a montré. Léon Bloy l'avait bien vu, malgré ses exagérations ; on ne peut s'empêcher de rapprocher la « grande simulatrice » du « simia Dei » : « Si des prêtres ont perdu la foi au point de ne plus croire à leur privilège d'exorcistes et de n'en plus faire usage, c'est un malheur horrible, une prévarication atroce, par laquelle sont irrémédiablement livrées aux pires ennemis les prétendues hystériques dont regorgent nos hôpitaux. Car vous savez que le démon est un effroya­ble galant qui recherche surtout les femmes. »

N'oublions jamais que Satan - suivant sa tactique actuelle - se cache ; quelques cas spectaculaires de possession cata­leptoïde sont sans intérêt pour ses fins ; il lui faut des mil­liers et des milliers de cas convergents d'obsession. Certains s'imaginent qu'il n'existe plus, sauf en Afrique. Certains exorcistes officiels se croient sans emploi ! Et c'est là que le petit exorcisme privé peut débarrasser, parfois instantané­ment, une âme assiégée. Il faut le pratiquer en état de pureté absolue et de préférence à l'insu du sujet pour éviter toute suggestibilité 264 ; n'utilisant pas des sacramentaux, la force du petit exorcisme semble dépendre de la foi du pratiquant.

En Extrême-Orient, un médecin n'imaginerait pas (en car­tésien) de soigner séparément le corps et l'âme. En Occident, depuis des siècles, l'âme est oubliée et l'on n'hésite pas à traiter à l'électro-choc 265 un malheureux mystique qui a des « sommeils spirituels » très profonds... pour le réveiller. Bientôt ce sera la narco-analyse et toutes les méthodes d'ef­fraction de la personnalité.

Quant aux endocrines, combien d' « apprentis-sorciers » en usent sans discernement, oubliant que, par suite de la solida­rité indissociable du composé humain, un traitement endocri­nien ignorant des processus organo-végétatifs peut déclen­cher chez un mystique des réveils effroyables parce qu'an­técédents à la transformation ou stopper littéralement des touches corporelles de purifications. Nous y reviendrons.

Il y a grave danger, pour une carmélite ou une visitandine, à être traitée de façon étroitement et exclusivement médicale par des aiguilles ou des hormones. Il est indispensable que les médecins de couvents soient, eux-mêmes, des mystiques très avertis, connaissant (de préférence en leur propre corps) les modes de rejaillissement de la transformation 266.

Quasi chaque semaine nous apporte de nouvelles révéla­tions sur tous ces agissements coupables envers les amis de Dieu. Une visite particulière des couvents et communautés s'impose ; actuellement le (et surtout la) mystique est jeté aux bêtes.

Il est nécessaire de fonder un Institut séculier, de caractère mystique et médical à la fois, de façon à ne pas arrêter, con­trecarrer ou dévier certaines expériences. Qu'on se rappelle « les terribles purges » dont Mère Thérèse à failli mourir et par lesquelles on voulait la détourner de Satan ! Sous des apparences plus scientifiques, il est hors de doute que trop de traitements enrayent des évolutions et des appels.

Les médecins, ayant oublié l'âme, ont dû aller « à sa dé­couverte » comme Jung. Ce fut le rôle de la psychanalyse. Hé­las, la psychanalyse freudienne est le paradis des agnosti­ques ; tout y est faux : sa conception de l'homme, sa méthode, sa doctrine. C'est l'une des plus belles résurgences de la gnose et du panthéisme, qui emprunte à l'hindouisme comme au transformisme. Après la dégradation magique de l'expérience mystique, nous allons donc étudier sa dégradation médicale.

Mais « il faut qu'il y ait des hérésies ». C'est parce que les médecins ont été appelés au secours (!) « au sein des com­munautés les mieux séparées du monde » qu'on peut espérer voir renaître une effective direction spirituelle, un art de l'oraison et une connaissance un peu plus sérieuse du proces­sus des nuits et de la conduite à tenir. Auparavant, il sera nécessaire de prendre conscience que trop de religieux mon­dains, qui occupent le devant de la scène et dévient les intel­ligences, sont des névrosés ou des obsédés démoniaques, au choix.



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