Gaston Bardet


LA VOIE DE BHAKTI OU DE LA DEVOTION



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LA VOIE DE BHAKTI OU DE LA DEVOTION.


Dans la Shvetâ shvetara Upanishad (l'ascète au mulet blanc) qui date de l'époque du Bouddha, l'adorateur s'adresse au dieu-ascète par excellence, Shiva, en lequel ses fidèles re­connaissent un « Seigneur » : « Ishwara ». Plus tard, dans la Bhâgavad Gîtâ ou Gîtâ du Bienheureux, bien plus connue, bien plus célèbre dans la voie de la dévotion, les bhaktas (en­tre le IIme Siècle avant et le IIme siècle après J. C.) s'adressent à Krishna le pasteur : La Shvetâ shvetara Upanishad déclare que l'adepte « doit pratiquer les exercices sur un endroit lisse, pur, sans cailloux, sans feu ni poussière, un endroit agréable par ses sons et sa verdure, qui ne fasse pas mal à l'œil et qui soit plein d'abris et de cavernes. Lorsqu'on a expérimenté le Yoga, les premières formes qui appa­raissent - apparitions suscitées dans le Brahman - sont le brouil­lard, la fumée, le soleil, le feu et le vent, le ver luisant, la foudre, le cristal et la lune... S'il a obtenu les cinq résultats produits par les divers éléments, c'est-à-dire par la terre, l'eau, le feu, l'air et l'éther - le pratiquant ne connaîtra plus ni maladie, ni vieillesse, ni mort, son corps étant plein du feu du yoga. Son corps est main­tenant très léger et sain, il est délivré de tout désir, son visage devient blanc, sa prononciation est claire, son corps sent bon, ses excrétions diminuent. C'est par là qu'on reconnaît les premiers ré­sultats du Yoga ».

Le traducteur Mircéa Eliade de remarquer que ce texte (où confluent les deux voies parallèles de dévotion et de ma­gie) « traduit une longue familiarité avec la physiologie mystique par ses allusions avec les phénomènes acoustiques et lumineux ». Car les adeptes écoutent encore « le son de l'éther dans leur cœur, pendant qu'ils se bouchent les oreilles avec leurs doigts ». « Ils comparent [ce son] à sept bruits : à celui des rivières, à celui de la cloche, à celui d'un vase en cuivre, à celui des roues d'un carosse, au coassement des grenouilles, au bruit que fait la pluie, à la voix d'un homme parlant dans une caverne ».

C'est l'audition des cloches, connue par les moribonds, par Mahomet et les soufis. Hafiz chante : « Nul ne sait où demeure mon bien-aimé. La seule chose que l'on sait, c'est que le son de la cloche approche ».

L'expérience des mystiques chrétiens va bien au-delà de ce « Son principiel ». Elle a été particulièrement notée par Ri­chak Rolle, l'auteur de l'Incendium amoris, dans sa formule fameuse : « Calor, Dulcor, Canor » traduisant les phénomènes provoqués par la prière perpétuelle : « le Feu, la Douceur, et les Chants des anges » 234 qui vous font saisir l'origine surnaturelle du grégorien.

L'Antiquité a toujours connu, à l'approche du sacré, du « numineux » de Rudolph Otto, une certaine crainte. C'est pourquoi dans les cérémonies religieuses de toutes les épo­ques, des clochettes ont signalé l'approche ou la présence du sacré, qu'il s'agisse de la ferraille suspendue au manteau des shamanes, des clochettes d'or de l'ephod d'Aaron (Ex. XXVIII, 31), des clochettes d'argent au moment de l'élévation de l'Eu­charistie ou des cloches de bronze des églises que l'on baptise, oint, et revêt d'une robe neuve pour les incorporer au do­maine du sacré.

Certes dans tous ces rites, nous constatons divers renverse­ments et dégradations. C'est la présence du sacré qui produit le « son des cloches » chez celui qui est en mesure de le recevoir. Par syntonie, la reproduction du bruit des cloches pour­ra donc servir à sacraliser - par miséricorde - Aaron lors­qu'il pénètre dans le sanctuaire devant Yahweh. Plus tard, les cloches préviendront qu'il faut accourir pour la cérémonie. Reproduire en général les manifestations du sacré connues par quelques-uns, sert à soustraire au domaine profane, à sacraliser l'ensemble des fidèles. Les soins, véritablement extraordinaires, apportés à nos cloches méritaient qu'on en souligne au passage l'origine mystique.

Les Upanishads proviennent originellement d'une puissante intuition, plus mystique que métaphysique, de la transcen­dance suprême : « Neti, Neti ». Il n'est pas comme cela, ni comme cela... Malheureusement, la tradition upanishadique d'union à Dieu par la contemplation a été occultée par la technique de l'union à Soi, faite d'ascèse, de méditation, de concentration.

Au lieu de rechercher l'union à Dieu, l'ascète se « joint » à lui-même (par maîtrise de ses fonctions vitales) comme est « jointe une roue par l'insertion de ses rayons dans le moyeu ».

Enfin les disciples tardifs de Patanjali 235 ont littérale­ment noyé cette union primordiale dans la gymnastique du Hatha et les pratiques scabreuses qui n'ont cessé de s'accen­tuer. Cependant, quoique se tenant sur le plan philosophique : « Patanjali ne pouvait négliger toute une série d'expériences que seule la concentration dans Ishwara avait rendue possible. En d'autres termes, à côté d'une tradition d'un Yoga purement magique, c'est-à-dire ne faisant appel qu'à la volonté et aux forces person­nelles de l'ascète, il existait une autre tradition « mystique » dans laquelle les étapes finales de la pratique yoga étaient au moins rendues plus faciles grâce à une dévotion, même très raréfiée, très « intellectuelle », par rapport à un Dieu « non créateur » 236.

A l'opposé de ce que pensait notre samkhyaniste, tous les yogas, sauf le yoga-ishwara (l'union à Dieu) ne sont que pré­paratoires et visent à la domination de la vie organique ; lors­qu'il s'agit de franchir le suprême samâdhi, seule la Grâce le permet. L'ambivalence du mot yoga : union à Soi ou à Dieu, est redoutable. Disons qu'il y a les yogas, caricatures de la vie ascétique et la voie d'union qui correspond effectivement à la voie mystique. Mais, bien loin de pratiquer cette distinc­tion, les yoguins s'entendent à la brouiller; tous pratiquent, peu ou prou, les asanâs et le prânayama simplifié ainsi que le mantra-yoga.

Cependant la voie de bhakti, à peu près étouffée à l'époque de Patanjali (époque même des Pères du désert) reprendra vie sous l'influence chrétienne et musulmane. Au Xme siècle, elle commence à s'affirmer. Ramanuja la codifiera au XIIme et, au siècle dernier, le jnanin et bhakta Vivekananda a tra­duit l'Imitation en bengali.

Pour commencer, il est nécessaire de bien dissocier la bhak­ti-marga (voie de bhakti) du mantra-yoga qui est « la réinté­gration par les formules hermétiques », car si la technique est apparemment la même, l'intention diffère profondément 237 .

Certes, au lieu de faire le vide, il s'agit d'utiliser la répéti­tion, de faire le plein. « Il existe bien des manières de concentrer l'esprit. Certains y parviennent en prononçant constamment mon Nom, leurs voix cou­lent sans cesse comme un courant d'huile » 238.

De même que les mandalas sont des diagrammes obtenus par la vision subtile, les mantras (ou mantrams) : « ont été composés par les Voyants des anciens temps, qui connais­saient les secrets du pouvoir des sons. Ils sont formés de syllabes symboliques, unies selon certaines lois codifiées dans « l'Ecriture révélée des Formules hermétiques », le Mantra-Shastra. Le sens en est toujours multiple et profond et lorsque les mantras sont reliés à leur origine par la chaîne ininterrompue et l'initiation, ils sont infaillibles ».

C'est pourquoi tel guru confie à l'oreille de son débutant un mantra hérité de Ramakrishna, par ex., car un « mantra, ap­pris dans un livre ne produit ordinairement aucun effet, ou presque ». C'est de la pure magie verbale. Les mantras sont basés sur une métaphysique du son qui émane du Son Prin­cipiel, le pranava : Om (ou Aum) dont on fait dériver les sept notes et les sept voyelles. Shiva est considéré avoir « comme corps, le son subtil ». Aussi, pour les yoguins de l'infer, com­me Ferrer, Dieu n'est-il qu'une vibration ; ils le confondent avec les vibrations acoustiques qu'ils entendent en leur corps (comme en un coquillage) avec les vibrations bio-électriques ou trépidations provoquées par le réveil de la Kundalini, soit encore avec le léger frisson du tsri circulant dans le tissu sous-cutané.

Certes, il y a bien, à la base, une expérience originelle au­thentique, mais combien déviée ! Dieu ne peut se manifester à nous « corporellement » que par des vibrations, mais de là à confondre l'Esprit avec sa spiration temporalisée, matériali­sée... psychisée, il y a toute la distance de Bénares à Jérusa­lem.

C'est donc de la croyance lunaire en la puissance magique du son, auquel est jointe la connaissance secrète des « mots vrais »... « dont chaque parole se réalise nécessairement » que le mantra-yoga tire son existence.

C'est la singerie du « dixit et facta sunt ». Rappelons que le test des paroles intérieures divines est qu'elles accomplissent instantanément ce qu'elles annoncent. Par ex. le « Tais-toi, aime-moi » murmuré au novice Ludovic de Besse, procura immédiatement à ce dernier la contemplation infuse, puis en fit le grand rénovateur de la contemplation juanique, au siè­cle dernier.

Cependant, les diverses formules magiques n'ont pu étouf­fer le plus grand mantra, « la Syllabe d'obéissance AUM, qui représente l'aspect le plus élevé, le plus abstrait de la Divi­nité... Patanjali, comme Manu, y voit le Mantra suprême, la racine de la Sagesse Eternelle, le Veda » 239.

Nous sommes entièrement d'accord. Le Verbe principiel AUM est la racine de la Sagesse éternelle, car ce n'est autre que le « Fiat » du Fils, fondement de toute union à Dieu. Car l'Om des Vedas, l'Hum des Thibétains, comme l'Amin musul­man - et peut-être même l'Amon égyptien (Imn : être ca­ché) - ne sont que des formes particulières de l'Amen hé­braïque...

Or l'Amen, nous dit le Catéchisme de Trente, est, d'après saint Jérôme, comme le sceau de l'oraison dominicale. Ce vo­cable hébraïque, l'un des rares conservés (avec Alléluia et Hosanna...) dans la Messe latine, est à double sens : « Les Septante lui ont donné le sens de « Ainsi soit-il. D'autres ont dit : vraiment. Aquila le traduit par fidèlement ». Dans toutes les prières communes, c'est le peuple qui répond : Amen, mais dans l'Oraison dominicale, par exception, c'est le Prêtre qui conclut par l'Amen, voulant dire : Sachez que vos prières sont exaucées ».

Dire Amen, c'est à la fois dire « Oui à Dieu, Oui que votre Volonté soit faite », autrement dit : « Oui, que je fasse votre Volonté », et aussi « Oui, que votre volonté soit ce que j'ose vous demander ». Mais cette « Syllabe d'Obéissance » veut dire plus encore : « Toutes promesses de Dieu ont en Jésus­Christ leur vérité, et c'est par Lui aussi que nous disons Amen à Dieu, pour la gloire de notre ministère » (II. Cor. I.20) 240, car l'AMEN c'est Jésus-Christ lui-même, « le témoin fidèle et véritable, le commencement de la création divine » (Apo. III.14), « le fidèle témoin, le premier né d'entre les Morts et le Prince des Rois de la terre » (Apo. 1.5), « tout œil le verra et ceux-mêmes qui l'ont percé et toutes les tribus de la terre se frapperont la poitrine en le voyant. Oui : AMEN » (Apo. 1.7).

Que les yoguins utilisent magiquement, voire dévotement chez les bhaktas, le nom de Jésus-Christ qu'ils ignorent, nous rappelle la grande unité de la Révélation. Qu'en « dit l'Amen, le témoin fidèle et véritable » ? Qu'il vomit ceux qui sont tièdes. D'être bouillants comme des bhaktas ou froids comme les purs jnanins préservera peut-être les yoguins. Mais que cela nous rappelle, une fois de plus, notre propre trésor, et qu'on ne voit plus de jeunes européens en quête d'une foi, se faire apprendre à répéter mystérieusement... ce qu'apprend tout chrétien au catéchisme des tout petits...


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