Gaston Bardet



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LA NUIT DE LA MEMOIRE.


« Jamais il ne vient de troubles à l'âme, sinon des appréhensions de la mémoire. Car toute chose mise en oubli, il n'y a rien qui trouble la paix, ni qui meuve les appétits puisque (selon le pro­verbe) ce que l'œil ne voit, le cœur ne le désire » 295.

L'oubli de tout le créé, de toutes les notices naturelles mi­ses dans la mémoire par les cinq sens ou fabriquées par l'ima­gination, au moyen de ce que les sens ont appréhendé à l'ex­térieur, est la condition nécessaire pour s'unir à Dieu. La mémoire ne peut être, à la fois, unie à Dieu et à des formes et notices distinctes, puisque Dieu n'a ni forme, ni image.

Lors de l'union, cet oubli volontaire devient le « grand ou­bli », l'extase et le Saint nous confie, entre parenthèse : « com­me on voit tous les jours par expérience ».

« [Comme on voit tous les jours par expérience] [l'âme] demeure sans forme et sans figure, l'imagination perdue et la mémoire plon­gée dans un souverain bien, en grand oubli, sans se souvenir de rien... Et aussi, c'est chose notable ce qui se passe ici, parce que parfois, quand Dieu fait ces touches de la mémoire, subitement il se produit dans le cerveau [postérieur] - qui est le lieu où elle a le siège, un chavirement si sensible qu'il semble que toute la tête s'évanouisse et que le jugement et le sens se perdent, et ceci tantôt plus, tantôt moins, selon que la touche est plus ou moins forte » 296.

Ce chavirement à la base du cerveau se produit lors des premiers ravissements inattendus et « cet oubli de la mémoi­re et suspension de l'imagination sont parfois de telle sorte, à cause que la mémoire est unie avec Dieu, qu'il se passe un long temps sans le sentir, ni savoir ce qui s'est fait pendant ce temps-là ». Et comme l'imagination est suspendue, il y a anesthésie de la sensibilité nous l'avons vu.

Notre Saint se rend fort bien compte que sa méthode d'ou­bli - à l'opposé des compositions de lieu ou tableaux imagi­naires de l'époque - va soulever des objections, car cette manière, observe-t-il, est « d'autant moins pratiquée par les spirituels... qu'elle leur est plus nécessaire 297... »

« Vous me direz peut-être que... de là s'ensuit la destruction de l'usage naturel et du cours des puissances, et que l'homme demeure oublieux comme une bête et encore pis, sans discourir, ni se sou­venir des nécessités, ni des opérations naturelles... A quoi je réponds qu'il en est ainsi : que tant plus la mémoire va s'unissant à Dieu, elle va d'autant plus perdant les notions dis­tinctes, jusqu'à les perdre totalement... en l'état d'union ». « Partant, au commencement... l'âme fait maintes fautes touchant l'usage et le commerce extérieur, ne se souvenant de voir, ni de manger, ni si elle a fait, ni si elle a vu ou non, si on a dit ou si on n'a pas dit »...298.

Mais lorsque l'âme est arrivée à l'habitude d'union trans­formante, elle n'a plus des « oubliances » de cette façon : « Au contraire, dans les opérations convenables et nécessaires, elle est bien plus parfaite, encore qu'elle ne les opère par le moyen des formes et notices de la mémoire [naturelle], parce que, en ayant l'habitude d'union qui est déjà un état surnaturel, la mémoire dé­faille et aussi les autres puissances en leurs opérations naturelles et passent de leur terme naturel à celui de Dieu, qui est surnaturel. Et ainsi la mémoire étant transformée en Dieu, il ne peut s'y impri­mer ni formes ni notices naturelles ».

C'est pourquoi, nous l'avons vu précédemment, « les opéra­tions de la mémoire et autres puissances en cet état sont divines » 299.

Comment arriver à un si haut état ? Cela est impossible par notre propre habileté naturelle, c'est Dieu qui nous met en cet état surnaturel, mais l'homme doit s'y disposer autant qu'il est possible et pour cela prendre les précautions sui­vantes :

« En toutes les choses qu'il ouïra, verra, sentira, goûtera, ou tou­chera, de n'en faire de particulier registre, ni réserve en la mé­moire, mais qu'il les laisse aussitôt s'oublier et qu'il s'y mette avec l'efficacité, si c'est nécessaire, que d'autres mettent à se souvenir ».

Il ne s'agit point de feuilleter des albums de photos-souve­nirs ni de faire aucune collection, soit de capsules de bouteil­les, soit de timbres-postes. Ces façons rendent l'âme proprié­taire, c'est une forme de l'avoir-ice. Méfiez-vous de tout sou­venir qui tache comme la poix et pour ne rien craindre : « Je dis en plus qu'on surmonte mieux tout en une seule fois, fai­sant que la mémoire s'oublie de tout ».

Il faut donc apprendre à mettre « les puissances en silence et les accoutumer à se taire, afin que Dieu parle » ; l'agnosti­que de Palme, malgré son épidermisme, l'avait senti en poète :

« Patience, Patience,

Patience dans l'azur

Chaque atome de silence

Est la chance d'un fruit mûr ».

Un second dommage positif peut venir à l'âme, de la part du diable (l'escamoté) par la voie des appréhensions naturel­les de la mémoire, toujours par les notices, les images, car d'elles dépendent presque toutes les autres opérations des puissances.



Bien loin de remuer le souvenir de ses fautes, sous prétexte de s'en corriger, d'en parler sous prétexte de s'en débarrasser, une fois la confession faite, il faut n'y jamais plus penser pour ne point se troubler, regarder en avant et en haut.

Le Bon Dieu de Péguy, dans le « Mystère des Saints In­nocents » ne cesse de le redire :

« Vous n'y pensez que trop à vos péchés, Vous feriez mieux d'y penser pour ne point les commettre. Pendant qu'il en est encore temps, mon garçon, pendant qu'ils ne sont point encore commis. Vous feriez mieux d'y penser un peu plus alors. Mais le soir ne liez point ces gerbes vaines. Depuis quand le laboureur fait-il des gerbes d'ivraie et de chiendent. On fait des gerbes de blé, mon ami ».

Le Saint conclut en montrant que pour posséder le Bien Infini, il faut ne posséder rien, car « Ce que l'on espère c'est ce qu'on ne possède pas, et que tant moins on possède d'autres choses, plus il y a capacité et d'habileté pour espérer ce qu'on espère ; et par conséquent plus il y a d'espé­rance ».

Tout cela, direz-vous, est fort bien : « Je ne me délecterai pas à ressasser mes souvenirs, mais si ceux-ci affleurent mal­gré moi. Que faire ? » In fine, Jean de la Croix donne la méthode, la seule méthode. Ah ! Il ne s'agit pas de se laisser aller comme les Mala-matyva (secte soufi) qui affirment qu'au lieu de lutter contre les penchants déréglés il vaut mieux s'y abandonner... afin d'en éprouver la vanité et de s'en détacher aisément.

Bien au contraire, voilà la manière : « autant de fois qu'il se présentera à lui des notices, formes et ima­ges distinctes, sans s'y arrêter, qu'il tourne soudain l'âme à Dieu en vide de tout cela, avec une affection amoureuse, ne pensant ni ne regardant ces choses ».

Il s'agit là des mouvements anagogiques, autrement dit des élans vers Dieu, la manière essentielle de Jean de la Croix, d'après le P. Elisée des Martyrs :

« Il disait qu'il y a deux manières de résister aux vices et d'acqué­rir des vertus. L'une est commune et moins parfaite. Elle consiste à vouloir résister à quelque vice ou péché ou tentation au moyen des actes de vertu qui s'opposent à ce vice, péché ou tentation et le détruisent » 300.

Tel est l'agere contra, particulièrement utilisé chez les Jésuites ; il a le grand inconvénient de conduire à des dis­cours, images, représentations de bien qui s'opposent au mal. Ce n'est pas le divin moyen de l'oubli.

« Il y a une autre manière de vaincre les vices et tentations et d'acquérir et gagner des vertus ; elle est plus facile, plus avanta­geuse et plus parfaite. Elle consiste en ceci : par les seuls actes et les seuls mouvements anagogiques inspirés par l'amour, sans autres exercices étrangers, l'âme résiste, elle détruit toutes les tentations de notre adversaire et obtient les vertus à un degré plus parfait ».

Grâce à l'élévation en Dieu, l'âme se rend absente de là, l'ennemi ne sait plus où frapper, l'âme étant plus là où elle aime que là où elle anime. La volonté, par amour, se dérobe aux basses sollicitations de la sensibilité, de l'imagination et de la mémoire inférieure ; l'anima se dérobe aux appétits in­férieurs de l'animus. C'est aussi la méthode de saint Thomas : détourner sa pensée des mouvements désordonnés.

Et Thérèse de Lisieux de lancer paradoxalement : « A chaque nouvelle occasion de combat, lorsque mon ennemi veut me provoquer, je me conduis en brave : sachant que c'est une lâcheté de se battre en duel, je tourne le dos à mon adversaire sans jamais le regarder en face, puis je cours vers mon Jésus, je lui dis être prête à verser tout mon sang pour confesser qu'il y a un ciel » 301.

Le stratège Napoléon n'a pas parlé autrement : en matière de tentation charnelle... il n'y a qu'une tactique : la fuite !

Comprenez-vous pourquoi le Saint Père a précisé que l'homme ne doit pas « réveiller en lui...» tous et chacun de ses appétits de la sphère sexuelle, qui s'agitent ou se sont agi­tés en lui. Il ne peut en faire l'objet de ses représentations conscientes par suite de tous « les ébranlements et répercus­sions qu'entraîne un tel procédé ». Si les Saints tournent le dos, comment de pseudo-médecins peuvent-ils supposer que des névrosés, affaiblis, dont la volonté est en partie inhibée, puissent faire face avec succès ? Un peu de bon sens tout de même.

Dans la mémoire de l'infer, il y a un double classement, celui de la chambre de l'oubli, où sont normalement rejetés tous les appétits, de la sphère sexuelle ou autre, qui, comme les poissons des grandes profondeurs, ne sont pas destinés à vivre à la surface ; puis ce fameux placard des rejets, des refus, des « refoulements ».

La technique psychanalytique de l'association libre est, ipso facto, dans l'incapacité de distinguer entre les deux clas­sements ; bien plus, elle s'efforce de ramener à la surface, malgré la « résistance » supposée du sujet 302, aussi bien les représentations sans lien aucun avec la névrose, que les archi­ves du placard. Pire encore, elle les traduit en son langage de faussaire. Il s'agit tout au contraire de faire mettre dans la chambre de l'oubli, par reconnaissance de son état de faute, acceptation de sa culpabilité, les toxines qui n'ont pu être digérées. Il faut donc les purger et nullement tout vomir, pour souiller davantage l'individu.

Totalement ignorante de la fonction d'oubli de la mémoire, la psychanalyse a pris le problème à l'envers de l'évacuation naturelle ; il faut un purgatif, non un vomitif ; il faut surtout rétablir sainement la fonction digestive.

La mémoire de l'infer est un égout fait pour absorber, dila­cérer, dissoudre ce qui, dans l'ordre, ne doit pas revenir à la conscience. Ne faisons pas refouler, dégorger cet égout ; faisons fonctionner la chasse d'eau, qui tombe d'en haut.

Depuis que ces pages ont été écrites, le Saint Père est re­venu sur la question dans son discours (du 15 avril 1953) aux membres du Congrès International de Psychothérapie et de Psychologie clinique. Un point de pratique psychothérapeuti­que concerne un intérêt essentiel de la société : « la sauvegarde des secrets que met en danger l'utilisation de la psychanalyse... Il n'est pas du tout exclu qu'un fait ou un savoir secrets refoulés dans le subconscient provoquent des conflits psy­chiques sérieux. Si la psychanalyse décèle la cause de ce trouble, elle voudra, selon son principe, évoquer entièrement cet inconscient pour le rendre conscient et lever l'obstacle ». « Mais il y a des secrets qu'il faut absolument taire, même au médecin, même en dépit d'inconvénients personnels graves. Le se­cret de la confession ne doit pas être dévoilé, il est exclu également que le secret professionnel soit communiqué à un autre, y compris au médecin. Il en va de même pour d'autres secrets. On en appelle au principe : « Ex causa proportionate gravi licet uni viro prudenti et secreti tenaci secretum manifestare ». Le principe est exact dans d'étroites limites. Il ne convient pas de l'utiliser sans discernement dans la pratique psychanalyste... (le) patient ne pos­sède aucunement le droit de disposer de ses secrets » 303.

Le Pape sait qu'on ne peut transgresser des principes sans aboutir un jour au crime. Lorsqu'il condamna le birth con­trol... son « pessimisme » fut vérifié par la stérilisation des Juifs en Allemagne. La fin du secret ! Le poids du secret ! Il sait ce que cela signifie... lui qui est détenteur du secret de Fatima... ! entre autres.



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