IV. 2. 1. Introduction
L'introduction d'un nouveau participant implique non seulement la dénomination d'un participant mais aussi sa caractérisation. Des travaux, comme ceux de Labov (1972) sur le récit, ont montré que dès le début de l'histoire, dans la partie appelée "orientation", les narrateurs donnent des informations sur le temps, le lieu, mais aussi sur les personnes, sur leurs activités et leurs situations. On relève ce type d'introduction dans la production du sujet 10;02b de notre corpus :
(1) 10;02b 1- 001 il y a danZ une chambre - il y a danZ une chambre un chien une grenouille - et un petit garçon. 010
2a 002 le petit garçon et le chien se sonT endormis, -
003 et la grenouille en profite
004 pour sortir de son bocal. 010
Cet enfant commence sa narration par l'introduction des trois personnages principaux en les situant dans un cadre spatial, puis, continue, en évoquant leurs actions respectives.
Conformément aux règles du "given-new contract" (Clark & Haviland, 1977), un narrateur emploie des formes indéfinies pour l'introduction de nouveaux participants, puis des formes définies lorsqu'il s'agit d'une réintroduction. C'est ce qu'observent Clancy (1980) et Du Bois (1980) chez leurs sujets. Du Bois (1980) note que les premières mentions sont indéfinies et qu'elles sont généralement suivies de réintroductions définies en position initiale.
Toutefois, ces travaux notent également des déviations à ce schéma. En effet, Clancy et Du Bois relèvent des formes indéfinies pour l'encodage de certaines deuxièmes mentions. Plusieurs explications sont données, comme la répétition de la forme nominale accompagnée de précision (Clancy, 1980), le marquage de la transition de l'introduction à l'action (Clancy, 1980) ou encore, plus simplement, le cas d'un faux départ (Du Bois, 1980). Ils relèvent également des formes nominales définies, voire des pronoms ou des anaphores zéro en guise de première mention, pour lesquelles les explications données sont une confusion sur les présuppositions du locuteur, ayant pour conséquence une séquence latérale (Clancy, 1980) ou une identification possible grâce au contexte situationnel, permettant le statut "défini" (Du Bois, 1980).
Qu'elles s'occupent d'enfants ou d'adultes, les recherches portant sur la fonction de la distinction défini/indéfini pour l'introduction des personnages dans une narration à partir d'images, n'arrivent pas à un vrai consensus. Bamberg (1987, 1991b), qui utilise la "Grenouille" auprès d'adultes et de trois groupes de huit enfants (03;06 à 04;01, 05;00 à 06;02, 08;10 à 10;01) monolingues germanophones, ne note pas de différence claire, après observation de la production des adultes, pour la première mention de deux des personnages principaux : le petit garçon et le chien. En effet, 47% des sujets adultes de son corpus les introduisent en utilisant un article défini accompagné d'un nom, tandis que 45% se servent d'un article indéfini. Par contre, Bamberg remarque un certain nombre de différences entre les productions des adultes et celles des enfants. Pour l'introduction des personnages principaux, les adultes utilisent indifféremment un article indéfini ou défini accompagné d'un nom, alors que 75% des enfants préfèrent l'article défini. Il arrive même que les enfants utilisent des formes inadéquates pour une première mention, comme les pronoms (16%).
Bamberg (1987) propose deux explications à cette préférence des enfants pour les formes définies quand ils introduisent un nouveau participant : le genre narratif de la tâche ou la production après une phase de familiarisation. Rappelons que son protocole d'expérimentation se passe en trois phases :
- 1ère phase : l'enfant raconte l'histoire à un chercheur à l'école ;
- 2ème phase : un parent raconte deux fois l'histoire à son enfant à la maison ;
- 3ème phase : l'enfant raconte l'histoire une fois de plus à l'école.
Ainsi, selon Bamberg, les phases de familiarisation pourraient jouer un rôle sur les stratégies adoptées, et donc sur l'emploi de formes définies, dans la mesure où les enfants connaissent déjà l'histoire et les personnages au moment de la production. Il évoque également le genre narratif (narration à partir d'images sans texte) dans lequel les enfants marqueraient le début d'une histoire par une forme linguistique définie. Dans le cas du travail de Bamberg, les deux explications sont possibles et il est difficile de trancher entre les deux.
D'autres travaux menés dans des conditions expérimentales et sur des langues différentes peuvent également être d'un grand intérêt. Küntay (1992), qui travaille sur les adultes et les enfants turcs, n'observe pas non plus de différences fonctionnelles chez les adultes entre le statut "défini" ou "indéfini" pour l'introduction des nouveaux participants (50% contre 46%). Chez les 3/4 ans, elle observe une introduction des personnages animés majoritairement définie, alors qu'à 5 ans les introductions indéfinies augmentent. Les résultats obtenus confirment ceux de Wigglesworth (1990) qui observe elle aussi une augmentation des formes nominales indéfinies avec l'âge aux dépens des références définies.
Les recherches menées par Kail, Hickmann, Emmenecker (1987) sur le français sont elles aussi intéressantes à bien des points de vue. Elles ont fait produire la "Grenouille" à des enfants de 6 à 11 ans à l'adresse de deux sortes d'auditoire. Dans la première situation l'auditeur connaît l'histoire, alors que dans la seconde il l'ignore et reste les yeux bandés au cours de la narration. Ces recherches notent des différences dans les résultats en fonction des deux situations : les sujets optent davantage pour une mention définie dans un contexte de connaissances partagées, alors que dans un contexte de connaissances non partagées, ils préfèrent encoder les premières mentions de manière indéfinie. Ce résultat tend, d'une part, à confirmer la première hypothèse de Bamberg quant au rôle de la phase de familiarisation sur l'utilisation de formes référentielles définies. De plus, leurs données montrent également une différence de traitement en fonction des participants à introduire. En effet, elles relèvent plus de formes pronominales pour la première mention de deux personnages principaux (le petit garçon et le chien), si on les compare aux formes utilisées pour les personnages secondaires.
Une fois de plus, on remarque des différences de traitement linguistique en fonction des contextes, des personnages et des langues. Aussi est-il important de tenir compte de ces variables lorsqu'il est question de l'introduction et de la réintroduction des participants au cours d'une production narrative.
Rappelons pour terminer les travaux de Lambrecht (1981, 1985) qui signalent certaines particularités du français oral dans le domaine de l'introduction de nouveaux participants dans un discours. En effet, selon lui, les nouvelles informations sont introduites dans la majorité des cas par l'intermédiaire de structures présentationnelles, donc en position post-verbale. Une première mention se réalise en position non initiale et par le truchement de formes telles que il y a, c'est. Ces tendances se retrouvent dans d'autres langues (allemand et anglais, entre autres) mais semblent plus marquées dans la langue française.
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