4. Une enquête comparative par questionnaire dans des quartiers de grandes métropoles européennes.
Pour terminer, cette contribution présente brièvement les paramètres d’une enquête comparative en cours de réalisation à Paris, Milan, Madrid, Lyon et Manchester.
Opérationnalisation de la catégorie « cadres supérieurs » : des managers et ingénieurs publics et privés
La recherche que nous avons commencée à mener est clairement exploratoire. Nous ne sommes pas capables d’identifier clairement des groupes parfaitement comparables de cadres supérieurs dans différents pays, ni de mobiliser des données quantitatives comparables de cadrage.
Nous avons effectué un premier choix d’opérationnalisation de la catégorie pour l’instant mal définie de « cadres supérieurs » ce qui correspond en gros dans le cas français à une partie de la PCS 3. Nous avons donc opéré à des choix pour effectuer cette recherche car malgré les difficultés inhérentes à ces définitions, la comparaison nous semble importante pour la problématique précisée.
Nous avons décidé de définir d’abord nos cadres supérieurs comme des salariés du public et du privé, ce qui écarte les chefs d’entreprise, les professions libérales, les professions intellectuelles supérieures, notamment toute l’éducation nationale et la recherche souvent trop présents dans les enquêtes. Pour ce qui concerne la France, les cadres supérieurs peuvent se définir ensuite à partir d’un niveau d’étude qui correspond à bac plus 5 (ex DESS, aujourd’hui Master) avec le plus souvent un passage par une grande école ou quelque chose d’approchant. Troisième élément de définition, repartant de la définition originale, nous considérons qu’un cadre doit « encadrer » c'est-à-dire qu’il ou elle ne travaille pas en solitaire et qu’il ou elle a la responsabilité d’une équipe, même si elle est de taille limitée. Enfin, nous avons cherché à identifier des catégories de cadres supérieurs qui ont le plus de chance de pouvoir être comparés. Nous sommes bien conscients des limites méthodologiques d’une comparaison dans ce cadre, l’un d’entre nous en a fait l’expérience difficile sur les couches moyennes169. Les catégories utilisées dans les grandes enquêtes quantitatives sont trop générales pour nous et présupposent des cohérences à un niveau trop élevé de généralité. Nous avons décidé de travailler sur les groupes « managers et ingénieurs ». Ces groupes ne sont pas aussi précis que l’on pourrait le souhaiter mais dans le contexte français cela nous donne un point d’entrée relativement bien déterminé. En termes comparatifs rien n’est simple et il est clair que le terme « ingénieur », un groupe professionnel au sens français du terme, n’a pas la même signification en Angleterre, en Espagne ou en Italie. Une partie de notre travail va consister, pour chacun des pays étudiés à préciser l’histoire et la signification des catégories « cadres supérieurs » mais aussi « managers et ingénieurs » dans des structures sociales différentes (rôle des dirigenti en Italie, analyse de la service class en Grande-Bretagne).
Choix des villes : Des grandes métropoles européennes
Le choix des villes répond à nos hypothèses sur la globalisation. Nous voulons différencier des grandes villes européennes comme Lyon, Milan, Madrid et Manchester qui sont très comparables sur le plan de la taille, de la diversité économique, des deux grandes mégapoles européennes que sont Londres et Paris.
Nous avons choisi de travailler d’abord sur Paris, Lyon, soit les deux plus grandes métropoles françaises qui concentrent les plus fortes proportions de cadres supérieurs. Le choix de Milan et de Madrid répond à la même logique. En Grande-Bretagne, nous allons étudier (sans doute Birmingham) tout en réutilisant les résultats des enquêtes menées par Tim Butler à Londres et à Manchester par Michael Savage et son équipe.
Questionnaire en face à face
Notre recherche implique évidemment un travail de cadrage à partir de données quantitatives sur les cadres supérieurs. Il nous a semblé pourtant important d’élaborer un questionnaire pour obtenir des données originales correspondant à notre problématique. Comme il s’agit d’une enquête exploratoire, nous avons fait le choix d’un questionnaire assez long de 80 questions (1h30) administré en face à face et enregistré.
Le questionnaire est joint en annexe. Il comprend des questions sur la trajectoire résidentielle et professionnelle de la personne interviewée, des questions sur les réseaux sociaux (tirés d’autres enquêtes classiques sur les réseaux sociaux), des questions sur les pratiques sociales et des questions sur les valeurs (tirées notamment des enquêtes CEVIPOF).
Thèmes du questionnaire :
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Trajectoire résidentielle
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Trajectoire professionnelle
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Réseaux sociaux (pratiques, localisation)
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Pratiques (déplacement, utilisation de services, ….)
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Représentations et valeurs
Dans la mesure du possible nous nous sommes inspirés de questions posées par Butler à Londres, par Savage et son équipe à Manchester et par Adrian Favell qui a effectué une belle enquête comparative sur les cadres supérieurs étrangers résidant à Paris, Londres et Bruxelles170.
Le questionnaire comprend pour l’essentiel des questions fermées, afin de faciliter le traitement comparatif mais aussi quelques questions plus ouvertes qui feront l’objet d’un traitement qualitatif. En particulier pour ce qui concerne les réseaux, on utilise la méthode du ‘Name generator’ (Fisher, 1982), combinée à celle de ‘Ressources generator’ (Van der Gaag, Snijders, 2004; Lin, 2001). Dans la mesure où l’enquête porte sur les réseaux sociaux, il est important que les interviewés ne fassent pas partie des mêmes cercles, afin d’éviter une trop grande uniformité des données. On diversifie au maximum les filières de recrutement des interviewés (écoles, clubs, rubrique téléphonique, parcs jeux pour les enfants, etc.).
Enfin, s’agissant d’une enquête principalement qualitative, on n’a pas l’ambition d’établir une description exhaustive du quartier, mais de caractériser des pratiques et des réseaux similaires ou différents d’après les typologies de personnes interviewées.
Choix des quartiers, choix des interviewés
Nous avons repris des méthodes d’échantillonnage et de représentations de quartiers expérimentées notamment par M. Savage à Manchester, et nos collègues M. Oberti et E. Préteceille à Sciences Po.
Pour effectuer une comparaison intra-urbaine et interurbaine contrôlée, les objets d’études doivent être correctement resitués dans l’espace social et dans des espaces urbains définis en fonction de la composition de leur population. Pour le choix des quartiers dans les cinq villes, on fera référence à des travaux déjà existants dans les différents pays. Pour la région parisienne, nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur les travaux remarquables d’Edmond Preteceille (2003) sur la ségrégation - mixité sociale et son analyse factorielle et typologique de l’Île-de-France. Cette source a été précieuse pour identifier nos quartiers. Pour Milan et son aire métropolitaine (qui correspond approximativement à la Provincia), on utilisera la carte de l’« indice de status » incluse dans l’Atlante dei bisogni delle periferie milanesi (Martinotti, Zajczyk, Boffi, 2000) mais aussi l’analyse de Préteceille et Cousin réalisée à partir des données de l’ISTAT.
Pour Londres et Manchester, on utilisera les travaux de Tim Butler, Garry Robson et Mike Savage (1995; 2003) et les données statistiques du recensement. Même chose pour Madrid.
A Paris, nous avons fait le choix de six quartiers/communes (groupement d’IRIS) identifiés à partir de deux variables : 1) ville centre/banlieue) et 2) concentration de cadres supérieurs – un quartier de mixité sociale, un quartier de cadres supérieurs et cadres moyens, et un quartier comprenant essentiellement des cadres supérieurs (environ 70%).
Pour Paris les quartiers retenus sont les IRIS suivants
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Beaugrenelle/Charles Michel, dans le 15ème arrondissement
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Le 17ème nord (frontière avec Levallois Perret, nord Batignolles),
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La partie du 10ème frontalière du 9ème arrondissement entre gare du nord et Poissonnière
Banlieue :
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Le Vésinet,
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Savigny sur Orge
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Fontenay sous Bois
Dans chacun des quartiers ou communes retenues, nous devons effectuer 50 entretiens. Compte tenu du temps nécessaire et des moyens dont nous disposons, dans les autres cas, nous ne choisirons que quatre cas par métropole et nous effectuerons 30 entretiens par quartier.
La sélection des interviewés se fait par différents moyens : mobilisation de différents réseaux, consultation d’annuaires, de grandes écoles, parents d’élèves de lycées, associations.
L’important pour nous est de trouver nos interviewés et d’éviter les effets boule de neige puisque nous travaillons sur les réseaux sociaux. Interviewer plusieurs personnes d’un même immeuble a parfois constitué une bonne ressource.
Nous n’avons pas le choix d’interviewer systématiquement les hommes et les femmes lorsqu’il s’agit d’un couple. Nous veillons à avoir des femmes dans notre échantillon. Cependant, lorsque c’est possible et même si le conjoint n’est pas un cadre supérieur, l’interview du conjoint s’avère particulièrement intéressant.
La deuxième étape méthodologique est plus ethnographique. L’objectif est de repérer dans les quartiers les espaces et les services les plus importants pour la socialisation, comprendre les éléments de société locales dans les cas étudiés.
Les données construites au cours de ces entretiens seront soumises à une analyse classique fondée sur leur retranscription et leur relecture extensive. Ensuite (afin de valider ultérieurement les résultats obtenus et de procéder plus systématiquement à l’identification des pratiques qui caractérisent les habitants de chacun des quartiers étudiés) le corpus recueilli pourra être étudié avec le logiciel d’analyse Nudist ou Atlas, grâce auxquels il est possible de recenser de manière exhaustive l’ensemble des arguments mobilisés dans les entretiens. De plus, grâce à la richesse des données sur les réseaux, on sera capable de construire des index de capital social personnel (Van der Gaag, Snijders, 2004) et de voir si la base locale (enracinement dans le quartier en créant un climat favorable pour tous les habitants) existe encore.
Une équipe pour la comparaison
Notre travail s’appuie sur une démarche comparative. Les recherches comparatives européennes sont en général de deux ordres : 1) des équipes de différents pays répondent ensemble, d’où des coûts élevés de coordination et de transaction et un investissement essentiellement en termes de coordination, et non pas de recherche originale171 ou 2) une équipe nationale fait toutes les enquêtes dans les pays comparés, dans ce cas la cohérence est garantie mais la qualité des travaux empiriques souvent pauvres. Ces deux démarches souffrent de nombreux défauts et tendent à donner des résultats de recherche souvent décevants.
Notre démarche est différente. Notre équipe réunit un groupe de chercheurs et de doctorants qui ont été formés depuis plusieurs années à la recherche urbaine comparative en Europe et notamment sur les trois pays que nous étudions ici, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie. C’est un groupe de travail qui partage une culture théorique de sciences sociales européennes, une connaissance approfondie de plusieurs pays, une formation sérieuse et une expérience de comparaison inter-ville et internationale. Ce groupe a été formé depuis environ trois ans.
(voir notre site URBEUROPE http://www.urban-europe.net/the_project.htm et les différentes activités)
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