Table ronde 1 - 1 - 1
Les stratégies des établissements français
Tableau général de la situation dans les établissements français
Gérard Losfeld, Président de l'université de Lille III
Dans la mesure où ce colloque s'est construit d'une part autour d'interventions présentant des aspects typiques de l'introduction des NTIC dans l'enseignement supérieur (soit par le lieu soit par le type), d'autre part autour d'ateliers, d'exposition permanente enfin, le rôle de l'exposé introductif ne peut être que de se situer ailleurs. Je me propose donc de me placer à un niveau plus général, celui du contexte d'insertion des NTIC dans le contexte universitaire et celui d'une typologie des stratégies d'intégration de ces outils dans nos établissements.
Parler des NTIC, c'est parler d'innovation au sens classique - et fort - du terme. Toute invention devient en effet innovation du jour où interagissent les aspects sociaux, techniques et humains (mentaux et cognitifs en l'occurrence) induits par une invention purement technique. Les NTIC relèvent ici de la même logique que celle de ce que furent, à leur époque des innovations comme l'écriture ou l'imprimerie. L'Université ne pouvait, compte tenu de ses missions, qu'être confrontée à ces dispositifs innovants qui empiètent peu ou prou sur ses terrains naturels et voient interférer les trois aspects évoqués plus haut.
Au plan de l'activité scientifique, et pour me restreindre aux disciplines qui paraissent devoir le moins intégrer les NTIC, à savoir les Lettres, Arts et Sciences humaines, on constate qu'elles sont a priori et souvent de fait fortement déterminées par l'introduction de ces NTIC : les disciplines de création bien évidemment intègrent l'outil dans leur processus de création, les disciplines d'érudition et d'interprétation peuvent recourir à l'outil informatique pour la partie compilatoire de leur activité, voire pour la partie interprétative (par la confrontation, dans un jeu de simulations, des différentes lectures du même corpus). Quant aux disciplines vouées à la modélisation, point n'est besoin de développer, tant l'intérêt du recours à leur utilisation est évident.
Au plan de l'activité pédagogique, l'impact est aussi fort. Tout d'abord sont, en effet, remis en cause, par la médiation de l'outil, ce qu'il est convenu d'appeler le triangle pédagogique : contenus de savoir/élève/professeur. Ensuite l'apparition du multimédia relativise la surévaluation du textuel (qui remonte au moins à Charlemagne et à son célèbre Capitulaire des images et qui fait du texte le support légitimé par excellence de l'activité intellectuelle) et met donc en cause ce vieux modèle culturel. Ce qui enfin passe pour être battu en brèche par l'apparition des NTIC c'est l'individuation du cours : traditionnellement, et le modèle est ici aussi fort ancien, la transmission du savoir est un acte unidirectionnel et idiosyncrasique dont la responsabilité et la forme même sont liées à un individu. Ce qui exclut a priori toute dimension coopérative ou collaborative, toute idée de partage de savoirs ou de retour partagé d'expérience. Or , c'est précisément ce que permettent ou favorisent des programmes ou didacticiels parfois - souvent même - faits par des tiers, ce que révèlent fortement des mots comme collecticiels, de plus en plus utilisés ! Tant il est vrai qu'à une culture de l'enseignement centrée sur l'enseignant s'oppose, aidée par les NTIC, une culture de l'apprentissage centrée sur l'apprenant.
L'Université est, en troisième lieu, confrontée au problème des coûts. En effet, si le cours classique représente le seul coût qui est induit par la prestation d'un enseignant (avec, il est vrai, parfois du matériel de laboratoire !) le recours aux NTIC entraîne en plus achat de matériel informatique, son renouvellement fréquent compte tenu de sa rapide obsolescence, mise en réseaux, production (coûteuse) de produits pédagogiques, etc.
Ainsi donc, au plan de l'activité intellectuelle, sous ses aspects cognitifs et sociaux, et de son coût, l'Université est globalement interpellée par l'introduction des Nouvelles Technologies.
Et pourtant les réponses n'ont souvent été que partielles. Les raisons sont aisées à comprendre. Je n'en citerai que deux, qui me paraissent les plus fortes, car les plus ancrées dans les traditions. Dans la mesure, d'une part, où le recours à ces NTIC remet en cause des modèles socioculturels, c'est bien souvent dans des secteurs qui passent aux yeux de l'homo academicus moyen pour être moins légitimés que se sont introduites dans l'université les NTIC : dans le secteur de la formation continue par exemple, celui de la rénovation pédagogique, de l'autoformation guidée, de l'aide à l'étudiant en difficulté, etc. Ce qui explique sans doute que ces mêmes collègues aient créé des réseaux thématiques de solidarité particulièrement actifs (RUCA, MAPES, RANACLES, GEMME...) qui les réunit au-delà de leur propre Université.
A cette raison s'ajoute, d'autre part, le poids inévitable de l'aspect marchand, de ses atouts mais aussi de ses contraintes, qui heurte parfois le sens de la gratuité de l'homme libre, au sens latin du terme, ancré profondément dans la conscience de certains collègues et qui valorise l'activité d'enseignementconsidérée comme acte purement intellectuel offert volontairement et spontanément à la collectivité.
Or le processus d'innovation est tel, dorénavant, pour des raisons qu'il serait trop long d'expliciter, que l'Université ne peut plus l'éluder dans sa totalité. De ce point de vue, elle vit le même problème que la puissance publique, obligée, elle aussi de prendre ce problème à bras le corps : comment peut-on gérer, promouvoir, phagocyter des dispositifs d'innovation qui sont à ce point prégnants qu'ils envahissent tous les plans de notre activité universitaire ?
L'interpellation est globale. Et puisqu'elle est globale elle demande des réponses globales. Quelles formes peuvent-elles prendre ?
Tel est précisément le sens de ce colloque dont l'objectif est bien de signaler quels sont les stratégies mises en oeuvre dans les Universités pour donner de la cohérence à ces projets diversifiés, comment elles s'y sont prises pour répondre dans des termes aussi stratégiques à cette pressante innovation.
Les présentations de cas empruntés aux différents secteurs de l'enseignement supérieur (Université, IUFM, Ecoles), les ateliers permettront sans doute de confronter ces stratégies : je me bornerai ici à tracer une sorte de typologie de ces stratégies, en soulignant d'entrée que l'énumération ici a vertu classificatoire et que ces stratégies bien souvent se combinent entre elles.
Stratégie d'ordre institutionnel
Il s'agit ici du rôle particulier donné à certains conseils, le CEVU tout particulièrement.
Stratégie d'ordre humain : entrée par l'enseignant
Cette approche est importante, si l'on songe comment ces NTIC se sont souvent introduites, au quotidien, grâce à Word et à Apple.
Elle prend plusieurs formes :
- Des séances de formation/sensibilisation des enseignants, des Universités d'automne.
- Un rôle particulier donné à des collègues dont les disciplines peuvent à priori les prédisposer à ne pas être trop réticents face à ces NTIC. Ce qui permet, par un même mouvement, de dresser une cartographie des compétences mais aussi des résistances et d'élaborer un plan d'action plus élaboré.
Relevons, à ce propos, qu'est posé parallèlement, pour ces collègues "prosélytes", le problème de la reconnaissance pour investissement : HC, congés sabbatiques, etc. accordés par un acte volontariste de leur Université, en attendant que ces moyens de reconnaissance soient validés institutionnellement au plan national.
- Soutiens financiers, par l'intermédiaire d'appels d'offre internes à l'établissement.
Stratégie "pédagogique" : entrée par l'usager
Il s'agit ici de faire rentrer les NTIC dans le dispositif pédagogique et les processus de formation, en partant de l'hypothèse que les publics, réceptifs, légitimeront, par cette forme de demande sociale, l'outil. Mais, en même temps, il faut relever que cette démarche repose aussi sur la conviction que les NTIC apportent un "plus" par rapport aux démarches classiques : je pense en particulier aux cours de disciplines expérimentales, je pense aussi aux dispositifs de visioconférence de l'IUFM de Grenoble (établissant une liaison entre l'Université et les salles de classe et introduisant ainsi la possibilité de mettre en oeuvre une ethnographie du cours).
Dans le même ordre d'idée on peut ajouter tout ce qui contribue à étendre les réseaux documentaires (accès aux catalogues, aux cédéroms, voire à Internet), de même que tout ce qui est accès aux serveurs d'information de l'Université (avec les informations sur les cursus, les informations culturelles, sportives, etc.) voire les logiciels de recherche de stage ou d'emploi offerts en libre accès aux étudiants.
Citons aussi les salles informatiques en libre accès ou les centres ou maisons des langues qui permettent la mise en oeuvre, sous le contrôle d'enseignants capables et d'évaluer le niveau de l'étudiant et de maîtriser les programmes informatiques et souvent multimédia, de dispositifs d'autoformation dite tutorée (ce qui ne veut pas dire autodidaxie !). De ce point de vue on peut aussi ajouter les programmes d'EAD ou ESM à destination des étudiants éloignés ou demandant du soutien ( les NTIC sont ici un moyen perçu comme permettant de lutter contre l'échec).
Stratégie d'ordre épistémologico-pédagogique
Ce qui différencie cette approche de la précédente c'est qu'elle prend appui sur le souci de construire un outil pédagogique de telle manière qu'il ne soit qu'une "boite à outils" pour enseignants. Chacun d'entre eux peut utiliser à sa guise un produit fait par un tiers, soit en modifiant l'ordre d'utilisation des parties ou leur découpage, soit ne prendre dans ces produits qu'un corpus documentaire ou un recueil d'expériences. Bref, chacun peut créer son produit pédagogique propre, en fonction de sa perception du savoir à transmettre et de l'acte pédagogique adéquat (ex. Lille I, Toulouse III, Grenoble II, etc.). Dans d'autres cas on privilégie la construction de produits dits jetables (M. Quéré) ou domestiques (P. Isidori) particulièrement conçus et adaptés à un usage local mais transférable (avec ou sans modifications) dans des contextes différents.
Stratégies d'ordre organisationnel
Elles reposent en général :
- sur la création et l'opérationalisation de cellules de pilotage, de cellule d'innovation pédagogique (centre de ressources ou d'innovation pédagogique, centre de Nouvelles Technologies d'enseignement...) ou de cellules de production,
- sur la multiplication des points d'accès et la mise en réseaux (multiples et croisés) de l'Université. Relevons de ce point de vue l'importance que peut revêtir un dispositif de ce genre quand une Université a plusieurs composantes délocalisées (un dispositif de visioconférences permet de concilier éclatement et unité de l'établissement : ex. de la liaison audiographique entre Grenoble II et Valence, entre les sites de l'Université du Littoral...) ou quand elle a une politique de développement international qui passe par l'échanges de cours ou de séminaires.
Stratégies d'ordre financier
Les mesures prises sont en général de deux ordres : en échange de productions pédagogiques ou scientifiques ou bien compensation financière (heures complémentaires ou décharges de service) ou bien affectation de matériels.
Stratégies de communication
Une stratégie de commmunication plus ou moins élaborée accompagne souvent le dispositif d'incitation. Elle passe par :
- la mise en place de journées de sensibilisation, avec exposition ou démonstration,
- l'organisation de forums d'échanges,
- la publication, soit dans les journaux internes soit dans le serveur Web de l'Université, de pages consacrées aux vertus ou aux modalités d'utilisation des NTIC,
- le martèlement de slogans du genre de "enseigner (ou apprendre) autrement pour enseigner (ou apprendre) mieux".
Je voudrais, en guise de conclusion, poser le problème de l'évaluation, et de l'introduction de ces NTIC dans nos pratiques et de la stratégie appliquée.
Il apparaît clairement d'une part que plus ces diverses stratégies sont intégrées et interagissent l'une avec l'autre, plus elles permettent - ou sont le signe - d'un pilotage stratégique de l'établissement.
Plus fondamentalement, sur le plan de l'impact, du point de vue à la fois "économique" et intellectuel, de ces NTIC, l'évaluation est plus difficile, pour deux raisons :
- la multiplicité des points de vue où l'on peut se placer : celui de la structuration d'un corpus de connaissances, celui des interfaces et de leur ergonomie, celui des processus d'apprentissage quand il y a médiation de l'outil, celui des usages sociaux des NTIC, etc. sans qu'il soit toujours facile de faire interagir ces évaluations partielles.
- la difficulté intrinsèque à évaluer des dispositifs innovants : qu'il suffise de rappeler qu'il a fallu plusieurs décennies, voire des siècles, pour que l'on évalue pleinement l'impact, multiforme, de l'apparition de l'imprimerie. Une constatation s'impose néanmoins de cette comparaison. La majeure partie des innovations a été le fait non pas des clercs, mais des imprimeurs, lorsqu'ils étaient eux-mêmes clercs ou en contact étroit avec ces derniers : c'est dire que ceci peut nous inciter non seulement à encourager nos collègues à s'approprier, par la construction de programmes scientifiques ou pédagogiques, ces NTIC, mais aussi à construire des programmes de partenariats avec les industriels du secteur.
Une autre conclusion me paraît aussi s'imposer, par comparaison avec la naissance de l'imprimerie. Cette dernière, on le sait, a accompagné - ou a permis - la construction d'un nouvel espace européen, économique, intellectuel et social. N'en est-il pas de même avec ces NTIC ? L'Université ne voit-elle pas éclater son espace étroitement localisé ?
Sans doute est-elle dès lors, avec l'introduction de ces Nouvelles Technologies, en mesure (ou contrainte) de se penser dans son espace propre mais aussi de sortir de celui-ci et de se concevoir dans un processus de partenariat : ainsi la notion d'ouverture sur un espace plus national ou international doit-elle être intégrée dans toute stratégie et culture d'établissement, sans que cela ne doive conduire à une "déculturation" de l'établissement. Mais, ici encore, c'est au sein même de la construction de partenariats que se construira l'identité propre de chaque établissement. Tel est, en tout cas, l'enjeu d'une véritable appropriation des NTIC par la communauté universitaire.
Table ronde 1 - 1 - 2
Les stratégies des établissements à l'étranger
Tableau général de la situation dans les établissements à l'étranger
Armando Rocha Trindade, Président de l'International Council for Distance Education (ICDE), Recteur de l'Universidade Aberta du Portugal
Nous allons aborder, d'une manière plutôt télégraphique, les tendances que l'on peut observer un peu partout dans le monde, sur l'enseignement à distance. J'adopterai une approche " pentagonale " : cinq tendances que je considère comme positives, cinq autres que je considère comme négatives (ou comme des dangers à éviter). Ensuite, une description abrégée de la situation concernant les cinq parties du monde ; j'en ajouterai une sixième pour ce qui est de la France. Le pentagone deviendra, en hommage à ce pays, un hexagone.
Considérons les tendances positives, dont je ferai une analyse sommaire. La première est adressée aux concepts et au vocabulaire, à la taxonomie concernant éducation à distance, considérée comme méthodologie d'enseignement/apprentissage. Dans les années soixante-dix, il y avait d'énormes polémiques, des présentations détaillées et des articles scientifiques très profonds concernant les distinctions subtiles entre les concepts d'éducation à distance, apprentissage à distance, apprentissage ouvert, enseignement flexible, etc. Ces temps héroïques sont aujourd'hui dépassés et maintenant personne n'est plus tellement intéressé à ce genre de distinction conceptuelle. Et on a adopté - et bien, je pense - dans le cadre de l'Union Européenne, une expression anglaise qui passe partout, ODL, c'est à dire, " Open and Distance Learning ", qui tend à absorber et à inclure toutes les modalités d'enseignement, soit initial, soit continu, soit éducation, soit formation, qui soit assujetti ou non à des conditions spéciales d'entrée. Ceci veut dire que l'enseignement à distance s'est développé, épanoui et diversifié d'une telle manière que toutes les taxonomies sont maintenant mal ajustées et qu'il vaut mieux ne pas trop s'inquiéter des mots, du vocabulaire et des expressions, pourvu que l'on sache exactement comment opérer dans ce domaine.
Le deuxième point découle de ce que j'appellerai une convergence de paradigmes pédagogiques : la pédagogie de l'enseignement en classe, versus la pédagogie d'auto-apprentissage. Cette convergence est de plus en plus visible, ce qui est dû au fait qu'il existe maintenant nombre de matériaux d'apprentissage de qualité qui permettent aux gens d'apprendre par eux-mêmes, surtout s'ils sont appuyés et encadrés par un système qui a été dessiné, justement, pour permettre que ceci se passe avec toute l'efficacité nécessaire.
La troisième tendance concerne un mixage, voire une disparition de frontières entre les différents niveaux d'éducation ou de formation. Prenez le cas d'un document didactique ou de vocation plutôt culturel, de caractère multimédia et interactif. Cet objet d'apprentissage peut éventuellement servir à l'enseignement secondaire, à l'enseignement supérieur, à la formation des maîtres, à la formation de techniciens ou servir simplement à satisfaire la curiosité du publique en général. C'est une question de niveau d'approfondissement que l'apprentissage peut atteindre et non pas nécessairement de niveau du contenu du document : il y aura des matériaux structurés à plusieurs niveaux de complexité et on peut les éplucher un par un, comme un oignon, le même document pouvant servir à de différents types d'usagers.
Le même genre de structure concentrique peut être appliqué, non seulement aux matériaux didactiques mais aussi à la vocation des organisations elles-mêmes. La plupart des universités ouvertes dédiées qui existent au monde, tout en mettant l'accent sur l'enseignement supérieur, font aussi la formation continue, l'éducation des adultes, la formations des maîtres, d'autres formes d'éducation ou d'apprentissage toute comme, en prenant l'exemple des EtatsUnis, ce qu'on appelle les " community studies ", les apprentissages liés au développement de la communauté voire même l'enseignement secondaire. Ce brouillage des frontières entre niveaux d'apprentissage au sein d'une même institution est en train de devenir de plus en plus courant.
Cela commence aussi à être visible en Europe. Mais il faudra remarquer que, surtout dans les pays latins, une frontière très visible existe toujours entre éducation et formation, normalement sous la tutelle de ministères distincts, même si la tendance, croyons-nous, est à un certain rapprochement entre ces deux systèmes. Et cela concernera aussi bien les organisations que les plus hauts niveaux de décision sur les secteurs correspondants.
Une quatrième tendance est le rapprochement entre universités et entreprises, ceci étant vrai de deux points de vue différents, microscopique et macroscopique. En ce qui concerne le niveau " micro ", on peut apercevoir un certain degré de collaborations bilatérales entre l'institution universitaire et le monde des activités industrielles et des services, en vue de promouvoir la formation continue, voire la reconversion professionnelle, de leur force de travail. Le concept de " Partenariat Université Entreprise pour la Formation " (UETP), supporté par des Programmes Communautaires tels que COMETT, a déjà produit des fruits très visibles.
À une autre dimension, visible au niveau " macroscopique ", les grandes organisations liées aux réseaux de télécommunications, aux fabriquants d'ordinateurs ou producteurs de logiciels, aux chaînes de télévision et aux activités d'information et de loisirs, ayant souvent des caractéristiques d'opération multinationale, ont manifesté dernièrement un tendance à la fusion de leurs entreprises, de leurs activités et de leur clientèle.
Le bloc Time-Warner/Turner/CNN fournit un excellent exemple de cette tendance à la formation d'énormes alliances entre les télécommunications, l'industrie de l'entertainment et les réseaux de satéllite, câble et informatique. Peut-être le point le plus positif de cette situation est le fait que ces méga-opérateurs commencent à intervenir dans le domaine de l'éducation et de la formation, en tant que producteurs et diffuseurs de contenus ; raison pour laquelle ils deviennent très intéressés à établir des alliances avec les institutions d'enseignement et de formation, vu le principe de l'éducation tout au long de la vie dont la conséquence directe est une clientèle (qui n'est pas encore exploitée) de millions de futurs usagers.
Finalement, la cinquième tendance concerne l'évolution des universités, un peu partout dans le monde, d'une part soumises à une forte poussée de la demande d'accès par un nombre croissant de nouveaux étudiants et, d'autre part, confrontées à un rétrécissement ou une stagnation de leurs budgets annuels. Forcées à trouver les moyens pour augmenter leur productivité, une solution possible est l'adoption des techniques de formation à distance. C'est une tendance assez générale en Europe Occidentale et aussi, très clairement, dans toute l'Europe de l'Est. Ce n'est pas une idée nouvelle en France où plusieurs universités classiques - 26, si mes chiffres sont toujours valables - ont un département qui consacre son activité à l'éducation à distance.
Plusieurs universités, dans presque tous les pays du monde, sont en train de suivre cette tendance, d'une part parce que c'est normal qu'elles adoptent les nouvelles méthodes d'enseignement axées sur des formes de communication innovatrices et, d'autre part, parce qu'elles ont des problèmes de financement qu'il est important de pouvoir résoudre de manière plus ou moins définitive.
Je considère l'ensemble de ces tendances comme très positif.
Considérons maintenant les cinq erreurs (ou dangers) à caractère essentiellement négatif. Premièrement, le fait de confondre l'enseignement ou l'apprentissage à distance avec une situation d'autodidactisme. C'est-à-dire qu'il ne suffit pas de s'acheter un livre ou un cédérom, de l'étudier par soi-même et de croire que ceci correspond à une situation d'enseignement à distance. Pour cela, il faudrait qu'il y ait une institution qui crée une relation formelle avec les usagers, qui encadre l'étudiant, qui établit un dialogue avec lui, qui propose des tâches qui facilitent l'apprentissage et, finalement, qui pourvoie à l'accréditation des acquis. Il ne faut donc pas confondre autodidactisme avec enseignement à distance, ce qui est une erreur assez courante chez les non-spécialistes.
Une autre est de croire que la simple existence de produits de haute qualité avec des contenus scientifiques ou culturels valables, serait une condition suffisante à la création d'une situation d'apprentissage efficace. Les produits commerciaux de très haute qualité, que nous connaissons tous et auxquels correspondent des investissements considérables, sont destinés à être consommés par le public en général et non pas à satisfaire les besoins des objectifs d'apprentissage liés à un curriculum donné. Il ne faut pas confondre des matériaux à forte circulation avec des matériaux d'apprentissage en contexte formel, même en tenant compte de la très haute qualité de certains ces matériaux.
Troisièmement, on ne doit pas considérer comme satisfaisante une situation d'éducation à distance basée sur la solution pragmatique et facile à mettre en oeuvre, qui consiste à placer une caméra de télévision dans une salle de classe et en diffuser le résultat, en direct ou différé, par antenne de télévision, par satellite ou par câble, à l'intention des étudiants éloignés du système. D'abord, la leçon ainsi reçue devient tout à fait monotone : si l'on peut aisément passer une heure en classe en entendant, face à face, un professeur enthousiaste et sympathique et ainsi continuer à longueur de journée, bien au contraire, il devient vraiment ennuyeux de tenir une heure devant un écran de télévision en entendant une personne parler en monologue. Si nous allongeons cette tâche par trois ou quatre heures et cela cinq jours par semaine, le simple incommode devient absolument insupportable. C'est donc une erreur commune de penser que la recette de prendre une bonne université, de mettre une caméra devant ses professeurs, de tout enregistrer, et de mettre le résultat à la disposition des étudiants équivaut à une situation d'enseignement à distance. L'expérience montre que, tôt ou tard, on sera en situation de devoir s'opposer à ce genre de solution, même si elle est proposée par des personnes bien intentionnées.
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