5 Ambivalence et complexité de l’organisation périurbaine nord-montpelliéraine.
L’ensemble de ces appartenances les marquent de complexité et d’ambivalence.
La spécificité périurbaine ne réside plus seulement, comme dans les années 1970, dans une opposition ville/campagne, à travers la distinction lieu de travail/lieu de résidence. Les territoires ruraux périurbains sont des territoires complexes, pleinement insérés dans les dynamiques de la métropolisation, des territoires éminemment urbains : leur organisation est articulée autour de l’utilisation et de la compréhension de la mobilité spatiale comme norme spatio-temporelle. Cependant, ces territoires sont également et paradoxalement des territoires locaux, territoires de petite taille, et à faible densité de population.
Au sein des territoires ruraux périurbains agissent et s’entremêlent plusieurs logiques territoriales : ils sont insérés dans une logique locale, qui est celle de la commune et du canton, territoires administratifs, celle du Pays ou du terroir, territoire vécu, mais aussi celle l’agglomération, qui est un autre territoire local ; ils répondent également d’une logique régionale, celle de la métropole méditerranéenne. Enfin, ces territoires sont marqués par une logique « mondiale » ou globale, en œuvre dans les pratiques et les représentations des habitants, marqués d’urbanité et intégrant la mobilité sociale et spatiale comme nouvelle norme spatio-temporelle.
Les territoires ruraux périurbains constituent ainsi des systèmes territoriaux complexes, où se combinent les échelles locales, régionales et globales. Les territoires nord-montpelliérains sont marqués tout à la fois par leur inscription dans les dynamiques de la métropole méditerranéenne, leur appartenance aux territoires de la garrigue languedocienne et leur proximité de l’agglomération montpelliéraine. Cette pluriappartenance à des échelles territoriales emboîtées se traduisent dans la complexité institutionnelle et identitaire qui marquent ces territoires.
5-1 Complexité institutionnelle.
L’ambivalence territoriale complique la gestion des territoires périurbains. Cette complexité se lit nettement dans la constitution des périmètres institutionnels.
Périmètres et compétences institutionnels se chevauchent et révèlent les difficultés d’un choix pourtant indispensable entre la mise en valeur des caractéristiques locales des territoires et celle de la dépendance à l’agglomération proche.
Les territoires ruraux périurbains nord-montpelliérains, à travers l’exemple des deux cantons de Claret et St Martin de Londres, sont véritablement marqués par une complexité institutionnelle importante. Cette complexité résulte d’abord de l’ambivalence propre à ces territoires et qui les implique dans des périmètres institutionnels relatifs à l’agglomération montpelliéraine ou les insérant dans les dynamiques des territoires ruraux de l’arrière-pays héraultais. L’intégration ou non dans les projets urbains sont lourds de conséquences, ainsi que l’appartenance à la catégorie officielle d’« espace rural » telle que définie par le zonage de l’INSEE.
Elle résulte aussi des tentatives nombreuses d’une intercommunalité qui concerne particulièrement les communes individuellement trop faibles, c'est-à-dire les communes à faible densité de population telles les communes rurales et rurales périurbaines. Ainsi, si des formes de coopération intercommunale - formes statutaires comme contractuelles - apparaissent dès 1959 en milieu densément peuplé avec les districts urbains et plus récemment les communautés d’agglomération, elles sont particulièrement nombreuses, variées et appliquées dans les territoires ruraux et ruraux périurbains.
Les projets de coopération intercommunale peuvent en effet s’appuyer sur un panel très important de structures plus ou moins souples, les formes contractuelles constituant des formes de coopération plus légères, mais aussi plus verticales qu’horizontales, puisque privilégiant l’articulation entre des niveaux de pouvoirs publics différents : schémas directeurs, contrats de ville, parcs naturels régionaux, plans d’aménagements ruraux, chartes intercommunales, réseaux de villes, comités de bassin d’emploi, pays d’accueil touristique, agences départementales, centres intercommunaux d’action sociale, sociétés d’économie mixte locales, groupements d’intérêt public. Les formes statutaires de coopération, c'est-à-dire celles considérées comme des Etablissements Public de Coopération Intercommunale (EPCI), sont elles aussi nombreuses et superposables : le Syndicat Intercommunal à Vocation Unique (SIVU), le Syndicat Intercommunal à Vocation Multiple (SIVOM), le Syndicat Mixte (SIVOM à la carte), le district, la communauté de communes, nouvelle forme statutaire créée par la loi d’Administration Territoriale de la République (ATR) de 1992, et enfin le pays, institué par la loi Voynet de 1995, aux compétences précisées encore par la loi Chevènement de 1999.
Périmètres et compétences ne s’excluent pas les uns des autres : une commune peut faire partie d’un SIVOM, d’une communauté de communes ne recoupant pas forcément ce SIVOM et participer à un projet de pays sur un périmètre encore différent.
La coopération intercommunale constitue un outil d’importance entre les mains des municipalités. En effet, les formes actuelles de coopération sont basées sur l’adhésion volontaire : les Commissions Départementales de Coopération Intercommunale (CDCI) chargées d’établir un Schéma Départemental (SDCI) ont un rôle strictement consultatif et incitatif et ne peuvent en aucun cas imposer un périmètre.
Le Pays, défini par la Loi n° 99-533 du 25 juin 1999, portant modification de la Loi d'Orientation pour l'Aménagement et le Développement Durable du Territoire (LOADDT) n°95-115 du 4 février 1995, tient une place particulière et vise à simplifier les dispositifs de coopération intercommunale : il nécessite une entérination du périmètre puis de la charte de projet territorial par la préfecture, et s’inscrit donc dans une démarche beaucoup plus lourde et contrôlée par l’Etat, qui débouche cependant sur une reconnaissance par les instances départementales, régionales et nationales et une prise en compte des projets locaux dans les définitions des orientations d’aménagement du territoire. Il s’inscrit véritablement dans une intercommunalité de projet, et marque une volonté d’accroître la participation des acteurs locaux à des projets qu’ils définissent eux-mêmes.
Pour toutes les formes de coopération intercommunale cependant, l’initiative est toujours laissée aux communes, tant pour la définition du périmètre que pour le choix des compétences ou encore, dans une certaine mesure, le choix du dispositif financier. Ces diverses formes encouragent ainsi les projets de territoire, et les projets d’acteurs, en facilitant notamment les évolutions au sein d’une même forme d’EPCI, et les glissements entre les différentes formes d’EPCI existantes et/ou créées par la loi, en associant systématiquement les acteurs de la société civile aux processus de création intercommunale. La nouvelle loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain) et les nouveaux documents d’urbanisme qu’elle met en place (SCOT, PLU) vont également dans le sens d’un urbanisme de projet, qui renforce la gestion intercommunale et les démarches de contractualisation257.
Qu’il s’agisse de la constitution de nouveaux territoires supracommmunaux ou de la délimitation de périmètres purement administratifs, la logique centre/périphérie prime le plus souvent, une couronne plus ou moins étendue étant délimitée autour de l’agglomération principale. Les communes des territoires ruraux périurbains situés à la frange des processus d’urbanisation, sont tour à tour intégrées ou exclues selon la nature du territoire administratif mis en place258. Certaines communes souhaitent privilégier la constitution de territoires intercommunaux, espérant par là réduire leur soumission aux directions imposées par l’agglomération, largement dominante dans les prises de décision259. Lors de la constitution de ces structures intercommunales locales, les périmètres se négocient également pied à pied, chaque municipalité veillant à conserver ses prérogatives.
Les communes qui intéressent cette recherche sont ainsi alternativement ou concomitamment considérées comme partie prenante de la dynamique montpelliéraine ou intégrées à celle des territoires ruraux cévenols proches. Ils sont en outre morcelés au gré des alliances locales. Chaque commune est ainsi placée sous des juridictions différentes voire contradictoires, plus ou moins contraignantes. Deux types de périmètres se distinguent : ceux intégrés à la dynamique de l’agglomération montpelliéraine, et ceux en rapport avec la gestion locale des territoires.
_ Une partie des communes font partie de l’aire urbaine de Montpellier : seules St André de Buèges, Pégairolles de Buèges, St Jean de Buèges et le Rouet pour le canton de St Martin de Londres, Vacquières, Campagne et Garrigue pour le canton de Claret en sont exclues - et d’ailleurs considérées comme des communes rurales selon la nomenclature de l’INSEE, ce qui entraîne d’autres conséquences comme l’éligibilité à certaines subventions nationales, régionales et européennes par exemple.
_ Le Bassin d’Emploi de Montpellier, défini selon l’INSEE, intègre l’ensemble des communes des deux cantons concernés.
_ Le Bassin d’Habitat de Montpellier n’intègre quant à lui que le canton de Claret.
_ Aucune commune des deux cantons n’appartient à la Communauté d’Agglomération récemment mise en place, bien que certaines260 d’entre elles aient fait partie du projet de périmètre : elles en ont été finalement exclues, jusqu’à la prochaine extension de ce périmètre. Cependant, certaines des communes périphériques de cette communauté d’agglomération sont impliquées dans des structures intercommunales avec elles.
Localement :
_ Chaque canton est constitué en communauté de communes : la Communauté de Communes de l’Hortus correspond au canton de Claret, la Communauté de Communes261 Pic St Loup au canton de St Martin de Londres. Cette correspondance entre limites cantonales et périmètre de la structure intercommunale simplifie relativement l’organisation de ces territoires ; cette situation est toute récente cependant.
En 1992 coexistaient en effet sur le canton de St Martin de Londres trois structures intercommunales distinctes, la C.C. Séranne Pic St loup, la C.C. des Deux Pics, et la C.C. Pays de Buège. Ces différentes structures ont peu à peu fusionné jusqu’à la constitution de la C.C. Pic St Loup, courant 2000.
_ Les Chartes, formes contractuelles, sont désormais intégrées dans les projets des C.C.
_ Les SIVOM
_ Chacun des deux cantons participe également du projet de création d’un Pays Pic St Loup Haute Vallée de L’Hérault, dont le périmètre inclut les cantons des Matelles, Ganges, St Martin de Londres et Claret. Ce Pays résulte de la fusion de trois associations antérieures : le Pays d’Accueil Touristique Pic St Loup - Haute Vallée de l’Hérault, le CODEPIC (COmité de DEveloppement du PIC St Loup) et la Charte de la Haute Vallée de l'Hérault, toutes trois formes contractuelles de coopération intercommunale.
La Communauté d’Agglomération montpelliéraine vient d’intégrer deux communes du canton des Matelles, inclues dans le périmètre du Pays en projet, décision mettant en difficulté les communes concernées, et engageant des modifications du projet de Pays en cours.
La multiplication des compétences et des périmètres, et la co-existence de formes contractuelles et statutaires de coopération territoriale créent une complexité institutionnelle importante. Celle-ci peut constituer un frein pour la constitution de projets territoriaux durables. Cependant ces territoires peuvent tirer parti de leurs diverses implications : un canton réuni en communauté de communes peut ainsi profiter de l’éligibilité de certaines de ses communes à des subventions soumises à conditions, ainsi que de l’insertion d’autres dans l’agglomération urbaine. La carte présentée page suivante tente de montrer cet enchevêtrement des périmètres administratifs.
5-3 Ambivalence identitaire
L’ambivalence est aussi identitaire.
La ville, lieu de travail et de consommation - et même si la consommation s’effectue dans les centres commerciaux périphériques, et si le lieu de l’activité professionnelle est lui aussi périphérique - constitue un référent identitaire fort pour tout individu, et pour
les périurbains particulièrement. La ville et son cortège de vertus ou de tares résonnent fortement dans les imaginaires sociaux. De la même façon, l’espace rural, et l’imagerie de la garrigue montpelliéraine telle qu’elle est construite et entretenue, constituent un autre référent identitaire fort pour les résidents périurbains. Ville et campagne continuent d’œuvrer comme des référents identitaires guidant représentations et pratiques.
Les territoires périurbains, bien que les dynamiques urbaines dans lesquelles ils sont insérés dépassent largement le cadre restreint de l'agglomération montpelliéraine, sont ainsi fortement polarisés par l’agglomération.
Montpellier incarne d’abord la ville de référence : les territoires sont péri urbains. L’identité actuelle des territoires périurbains doit ainsi se définir par rapport à Montpellier, qu’elle se construise contre l’identité montpelliéraine ou dans le même sens qu’elle. Ensuite, Montpellier est une ville dont l’influence et la renommée dépassent largement l’échelle locale. Son image particulièrement valorisée participe à la construction de l’image des territoires périphériques, tout autant à l’intérieur qu’à l’extérieur, auprès des habitants périurbains ou auprès de ceux qui n’y résident pas.
De la même façon, Cévennes et garrigue languedocienne marquent l’imaginaire périurbain. Les signes de la méditerranéeité sont tous représentés et ont leur efficace : mas et bastides, même abandonnés ou rénovés luxueusement, murs de pierre sèche, vergers d’oliviers ou d’arbres fruitiers, garrigue et herbes aromatiques, soleil, cigales, couleuvres, troupeaux de moutons, rares, évoquant bergers et transhumance, fromages, etc. participent de la construction d’une image mythique et fortement valorisée du « Midi » et du Midi cévenol. Ces différents référents identitaires guident représentations et pratiques des habitants périurbains tout autant que l’identité montpelliéraine.
Une complexité institutionnelle et identitaire marque ainsi les communes : une pluralité de logiques territoriales se surimposent au sein des localités, au sein desquelles les habitants périurbains opèrent un choix, que révèlent leurs pratiques.
5-4 L’ambivalence et la complexité territoriales comme ressources pour l’action.
L’ambivalence et la complexité marquent l’organisation de ces territoires ruraux périurbains nord-montpelliérains. L’implication de plusieurs logiques territoriales oeuvrant ensemble sur un même territoire le caractère indéterminé et/ou surdéterminé de l’identité et du statut institutionnel de ces territoires constituent l’originalité du système territorial rural périurbain, et des territoires qui concernent cette étude.
L’organisation de ces territoires est à même, selon les hypothèses émises dans la partie un, de privilégier les initiatives des acteurs et la mise en valeur des ressources individuelles.
5-4-1 Des territoires exigeant et permettant l’innovation.
L’implication dans des niveaux d’échelles territoriales différents et emboîtés et les flous institutionnel et identitaire qui en découlent, caractérisent une organisation territoriale ambivalente et complexe, à même de permettre et d’exiger tout à la fois l’émergence d’innovations sociales. La surdétermination territoriale, symbolique et institutionnelle de ces territoires périurbains nord-montpelliérains, entre logique rurale/locale des territoires de la garrigue et logique urbaine/métropolitaine de la métropole méditerranéenne et/ou de la ville-proche de Montpellier, est tout autant une indétermination fortement marquée.
L’absence de définition territoriale, de statut institutionnel et d’identité fortement caractérisés, constituent un vide et une liberté laissés aux acteurs pour la mise en place de pratiques re-créant cette cohérence.
Dans ce contexte, des projets sont à même de se construire, projets individuels ou collectifs, inconscients ou conscients d’appropriation ou de ré-appropriation des territoires, et qui sont autant de pratiques sociales du territoire.
L’invention ou la ré-invention d’une identité à ces territoires, le détournement des manques ou des surplus de territoire, mais aussi et surtout le parcours quotidien de ces territoires, nécessitent l’initiation de pratiques sociales inédites, qui jouent et se jouent de l’ambivalence et de la complexité territoriales. Ces territorialités sont une résolution du système complexe et vaste de déterminations et d’indéterminations qui se propose aux sociétés périurbaines. Elles s’inscrivent comme une utilisation/évaluation des différentes logiques territoriales en jeu.. Elles sont innovantes, parce qu’elles naissent d’un système au sein duquel les acteurs ont la nécessité de se positionner et au sein duquel l’action créatrice trouve une marge importante pour s’épanouir. L’organisation des territoires périurbains nord-montpelliérains exige ainsi l’innovation tout autant qu’elle permet son émergence.
5-4-2 Des raisons pratiques d’innover.
Cette complexité territoriale permet en outre le cumul des avantages comparatifs des territoires au sein desquels ils s’insèrent.
Territoires métropolisés à faible densité, ils sont susceptibles de valoriser à la fois les atouts de la proximité, de la faible densité, et de la petite dimension, et ceux de la concentration, de la connexion, de la densité, relatifs à leur insertion dans les dynamiques de l’agglomération montpelliéraine et de la métropole méditerranéenne.
Cette insertion est aussi une proximité avec un ensemble de conditions nécessaires à l’émergence de cette innovation : réseaux de transport, armature urbaine, densité de population, foyers économiques, etc. dont les territoires périurbains sont susceptibles de tirer profit.
Proximités sociale et spatiale s’ajoutent et permettent l’expression et la valorisation des dynamiques endogènes. La faible dimension du système social local multiplie en effet les situations d’observation, de rencontre, d’échange, de confrontation, de conflit : la diversité, la densité et la qualité de ces connections de diverses natures, la concentration et la circulation des hommes et des informations au sein des territoires, conditionnent la production de connaissance, condition essentielle de l’apparition de l’innovation. En outre, la proximité sociale et spatiale, à l’échelle de la commune en premier lieu, est aussi proximité du pouvoir municipal, celui-ci étant à même d’accompagner les projets des acteurs.
Enfin, la situation d’espace périphérique, au sens strict du terme, permet une offre foncière importante, diverse, et peu chère. L’achat ou la location de terrains ou de locaux - personnels ou professionnels - est à moindre coût, et tend à favoriser ainsi la mise en place de projets individuels ou collectifs, personnels ou professionnels.
C’est en ce sens aussi que doit s’entendre l’hypothèse selon laquelle l’ambivalence territoriale s’érige en ressource pour l’action et l’innovation. Les caractéristiques des différents systèmes territoriaux impliqués semblent pouvoir être utilisées comme des avantages cumulés.
5-4-3 Innovation, innovation spécifique, innovation calibrée.
L’émergence de processus d’innovation s’effectue au sein de territoires complexes, insérés dans des logiques territoriales multiples et emboîtées. Cette imbrication de déterminations et d’indéterminations produit en conséquence des types variés d’innovations, qu’il s’agira d’identifier dans la partie trois.
En premier lieu, les territoires périurbains participent, en tant que nouveaux territoires urbains, des dynamiques de l’innovation en œuvre dans les métropoles : ils sont ainsi susceptibles de favoriser l’émergence d’innovations semblables à celles apparaissant dans l’ensemble des territoires urbains aujourd’hui.
Leur complexité territoriale est cependant susceptible d’initier une innovation spécifique, qui s’inscrive véritablement comme une évaluation/valorisation de l’ensemble des ressources et spécificités périurbaines. Cette innovation, en étroite relation avec l’organisation spécifique des territoires périurbains, fera l’objet d’une attention particulière.
Dans les deux cas, la mise en place de territorialités périurbaines, qui s’opère à travers un ensemble de choix territoriaux, est pleinement valorisée par la compréhension et l’utilisation de la mobilité spatiale. Pratique initiale qui marque les conditions d’habitation en territoire périurbain, elle permet la mise en relation du territoire avec les territoires proches et lointains, et la pleine participation des territoires locaux aux dynamiques urbaines et métropolitaines ; la mobilité spatiale semble ainsi être à même de faire le lien entre logiques métropolitaine et locale, de créer véritablement ce lien aux formes multiples. Caractéristiques locales/rurales et urbaines/métropolitaines se complètent : leur utilisation sélective par le biais de la mobilité les rend éminemment périurbaines.
Les dynamiques territoriales au sein desquelles les territoires périurbains sont insérés sont autant de systèmes qui déterminent une partie des dynamiques locales. L’innovation périurbaine, dans sa spécificité, émerge ainsi au sein de territoires fortement déterminés non seulement par ces systèmes territoriaux, mais aussi par un ensemble de normes idéologiques, politiques et sociales, qui orientent les pratiques et le contenu des innovations. Dans un contexte de compétition et de différenciation généralisée des territoires, une forme de norme à l’innovation se met en place, ne valorisant que l’innovation « utile », susceptible de produire des dynamiques de développement local, et produisant paradoxalement une forme de dé-localisation de l’innovation, en proposant du développement clé-en-main.
_ Normes idéologiques et économiques.
La première norme est idéologique. En premier lieu, l’intérêt suscité dans les dernières années par les problématiques de développement local et rural a été largement diffusé et transféré aux instances institutionnelles. La valorisation des territoires ruraux par la mise en place d’activités relatives aux « Terroir-Technologies de l’Information-Tourisme » constitue une stratégie communément admise et mise en œuvre dans la grande majorité des territoires ruraux, ruraux périurbains, ou de montagne. L’impossibilité d’une mise en concurrence avec les territoires ruraux productivistes nécessite l’adoption d’une stratégie alternative que cette norme « TTT » définit globalement.
Dans les territoires ruraux périurbains, la problématique est complexe, au sens où la référence à une idéologie de développement rural se couple avec une idéologie de développement urbain. L’accent est mis sur la dynamique de territoires placés sous le signe de la mobilité spatiale. L’insertion dans les territoires métropolisés et la proximité d’un marché de consommateurs urbains constituent des références fortes qui contribuent elles aussi à normer les diagnostics précédant l’action territoriale, et à renforcer la norme TTT imposée par l’idéologie ruralisante.
Ces normes idéologiques transférées aux problématiques économiques des territoires orientent les projets mis en place, non seulement par les collectivités territoriales, mais aussi par les acteurs individuels et collectifs. Elles valorisent une approche économique des dynamiques locales et, bien qu’elles s’inscrivent dans une approche territoriale de l’innovation, conduisent à spécialiser l’ensemble des territoires dans une offre standardisée de type « TTT» écrasant les différences territoriales. Ignorant nombre de réalités locales, les projets tentent d’adapter le territoire à un projet normé, plutôt que de construire un projet économique adapté au territoire. La recherche de subventions contribue de façon générale à la mise en place de « normes à l’innovation » qui canalisent les initiatives des acteurs privés et celles des collectivités locales. Les institutions contribuent à systématiser ce type de processus : les labels, signes électifs, constituent aujourd’hui des normes incontournables, et ne représentent plus tant des atouts pour leurs détenteurs, que des failles pour ceux qui ne les possèdent pas.
_ Normes politiques.
Ces normes idéologiques et économiques qui déterminent les critères d’attribution des subventions territoriales sont à relier à des normes politiques. Le Schéma Directeur Régional d’Aménagement du Territoire pour la région Languedoc-Roussillon met l’accent sur l’aménagement des littoraux et des villes. Les territoires de l’arrière-pays languedocien dont font partie les terrains de cette étude font l’objet d’une préoccupation moins importante : ainsi le périmètre du futur Pays n’a été examiné qu’après la mise en place du périmètre de la nouvelle agglomération montpelliéraine, et cela parfois au détriment de la cohérence territoriale.
_ Normes sociales.
Enfin, des normes sociales sont aussi prégnantes, et déterminent nombre des pratiques périurbaines. La mobilité comme condition sine qua non de toute territorialité périurbaine constitue certes une ressource pour l’innovation mais peut constituer à contrario une voie unique pour celle-ci.
L’ensemble de ces normes sont fortement relayées par les institutions et les collectivités locales, ce qui accroît leur force restrictive. Le pouvoir des municipalités, du Crédit Agricole, des coopératives viticoles est considérable à l’échelle locale et détermine nombre des dynamiques locales. Les innovations émergent dans ce contexte normatif ; la question de l’effectif pouvoir des acteurs et des territoires locaux se posera avec acuité.
5-5 Des sociétés de « déplacés » : la nécessité d’innover.
L’ambivalence et la complexité qui marquent les localités périurbaines, et les normes qui s’y appliquent, qui sont autant de déterminations, sont mises à l’épreuve de l’action des individus et des groupes. L’innovation constitue à ce titre véritablement un instrument de régulation et de valorisation territoriale entre les mains des acteurs locaux.
Les sociétés périurbaines locales résultent de la juxtaposition/confrontation des autochtones et des nouveaux résidents. Ceux-ci ne sont pas seulement des migrants pendulaires. La composition de la société périurbaine nord-montpelliéraine actuelle résulte de plusieurs vagues successives d’installation, depuis le début des années 1970.
Au sein des communes qui concernent cette enquête, plusieurs groupes sont identifiables :
_ Les rapatriés d’Afrique du Nord, arrivés massivement dans les régions Languedoc-Roussillon et PACA après 1962 et installés pour une partie d’entre eux dans l’arrière-pays languedocien.
_ Les néo-ruraux des années 1970, attirés par les Cévennes comme ils le furent par le plateau du Larzac, installés dans un projet fort de « retour au local », pour vivre de la terre, de l’élevage, etc. Certains d’entre eux sont encore là, ont modifié ou réalisé leurs objectifs, les ont précisés parfois, et ont participé à la toute première mise en place d’une territorialité périurbaine.
_ Les néo-ruraux des années 1990-2000. Les raisons de leur installation sont les mêmes que pour les précédents, mais considérablement revues à la baisse. Ce sont des « Parisiens », c'est-à-dire souvent des personnes résidant au nord de la Loire, et souhaitant s’installer « dans le Sud » : la recherche d’un lieu au climat agréable et la volonté conjuguées d’accéder à la propriété les emmènent souvent à acquérir une maison individuelle dans des territoires ruraux périurbains remplissant ces conditions. Ce type de projet est aussi celui de montpelliérains, ou d’autres ex-urbains, souhaitant cumuler les avantages de la propriété et ceux de la vie dans la nature. Le Pic St Loup et ses paysages sont en cela particulièrement prisés, plus notamment que les paysages viticoles de la plaine de l’Hérault.
_ Parmi ces néo-ruraux, appelés parfois « néo-néo » localement, certains s’installent non seulement en tant que résidents, mais aussi en tant qu’habitants : leur installation vise à développer une activité économique, sociale ou culturelle localement.
_ les « autochtones ».
_ les autochtones en situation de retour au pays : partis pour faire des études, pour un travail, ou d’autres raisons, à Montpellier ou plus loin, ils reviennent vivre dans les communes où ils sont nés, et où ils conservent familles et amis.
Les choix territoriaux, susceptibles d’initier des démarches innovantes, sont ainsi opérés par des sociétés spécifiques : celles-ci, périurbaines et méditerranéennes, mobiles et « déracinées », peuvent s’inscrire comme particulièrement aptes à valoriser les conditions territoriales. Sociétés indéfinies dans des territoires indéfinis, elles peuvent/veulent/doivent innover : la mise en oeuvre de leurs territorialités, toutes originales combinaisons territoriales, est une expérimentation d’une forme de liberté territoriale ainsi qu’une recherche d’ancrage. Les territoires ruraux périurbains peuvent-ils ainsi peut-être être à même d’intégrer des sociétés de plus en plus mobiles et instables, en leur permettant d’inventer leur mode de vie et leur statut.
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