404 la norme linguistique l'occultation du caractère maternel de la langue nationale


Why are you wearing sunglasses? comparé à why you wearing hoir?



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3. Why are you wearing sunglasses? comparé à why you wearing hoir?

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1.5 Les interactions verbales: moyen d'enseignement et d'apprentissage

En salle de classe, le langage, en plus d'être un objet et un objectif d'apprentissage, constitue un moyen privilégié d'apprentissage. De nom­breuses recherches britanniques, dont en particulier celles de Wells (1981), Tough (1979) et Bames (1975), font ressortir le rôle central de la commu­nication et plus particulièrement de la conversation dans le développement intellectuel et social des enfants de même que dans leurs apprentissages scolaires.

Selon Tough (1979), le dialogue avec les autres enfants et surtout avec le professeur peut être l'expérience la plus importante pour le développement de la pensée et constitue par conséquent un outil précieux. d'enseignement et d'apprentissage. La thèse centrale de Wells (1981) est que la conversation fournit le contexte naturel du développement du langage et que l'enfant apprend en explorant le monde par les interactions verbales qu'il entretient avec les autres personnes. La qualité de son apprentissage dépend donc de la contribution de chaque participant à l'interaction et particulièrement des stratégies que les adultes utilisent pour développer et prolonger les contributions de l'enfant

Le dialogue est également un puissant moyen de relation interperson­nelle entre l'enseignant et l'enfant La qualité de la relation affective et personnelle entre l'enseignant et l'enfant constitue un facteur important de la motivation et des attitudes de l'un et de l'autre. L'importance de ces deux éléments et de l'interinfluence réciproque des deux partenaires est reconnue depuis longtemps pour la réussite des apprentissages scolaires.

Cette perspective, de même que les considérations préalables qui viennent d'être faites à propos de la variation linguistique, des fonctions du langage et du langage enfantin, peuvent-elles s'accommoder d'un ensei­gnement normatif qui refuserait d'utiliser le langage spontané de l'enfant comme instrument de dialogue favorisant les interactions humaines et péda­gogiques? L'acceptation du langage de l'enfant signifie-t-elle, par contre, que l'école ne propose pas d'objectifs d'ordre linguistique? Cette problé­matique fait partie de toute évidence des relations entre la question de la norme et celle de l'enseignement de la langue maternelle.

2. La norme et l'enseignement de la langue maternelle: deux orientations

Les manuels, les méthodes et les démarches d'enseignement de la langue maternelle sont variés et nombreux. Us peuvent différer par leurs objectifs, leurs moyens, leur programmation, leurs exercices, le rôle assigné au professeur, le type de participation de l'élève et par bien d'autres aspects. Par rapport à la question de la norme linguistique, il est possible de regrouper les activités d'enseignement de la langue maternelle selon deux orientations

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majeures: une « pédagogie de la langue » ou une « pédagogie de la parole » (Gagné, 1980).

De conception plus prescriptive, la première orientation est centrée sur le code. La deuxième orientation, plus descriptive et plus fonctionnelle, est centrée sur l'utilisation du code. Un tel regroupement oblige à opérer une polarisation de tendances malgré qu'elles se situent en réalité sur un continuum. Il permet cependant, à l'aide des concepts préalables que nous avons définis, de mieux dégager les limites de chaque tendance.

2.1 Pédagogie prescriptive centrée sur le code

En général, la pédagogie centrée sur le code linguistique repose sur une perspective de la qualité de la langue qui est normative et souvent puriste. Cette perspective, centrée sur l'écrit, conçoit la langue comme un code homogène, unique et intrinsèquement supérieur: celui qui est décrit dans les dictionnaires et les grammaires. L'objectif prioritaire sinon unique qu'elle vise consiste à faire acquérir ce code. C'est en général la pédagogie traditionnelle avec laquelle des générations de francophones ont appris leur langue.

ll y a d'abord lieu de s'interroger sur les objectifs de l'enseignement du français oral dans une pédagogie ainsi centrée sur le code écrit. Il est socialement normal que les parents, la société en général et le système scolaire fixent comme objectif à l'enseignement de l'oral -quand cet enseignement existe -d'apprendre à l'enfant à s'exprimer dans un bon français ou dans le français le meilleur qui soit. Étant donné le constat que nous avons fait de la diversité des usages et de l'absence d'une norme orale codifiée, on est en droit de se demander ce que recouvre ce concept de bon français oral. On remarque que les définitions en sont rares, sinon inexistantes.

Il s'agirait d'une sorte de cliché, d'image mentale collective assez floue qui, au Québec, se concrétise souvent en référence à la langue parlée sur les ondes par les annonceurs de Radio-Canada. Les approximations que l'on peut faire du concept renvoient effectivement à une notion de bon usage qui serait une sorte d'oralisation de récrit, une sorte de lecture à haute voix; ce qui ne respecte pas la spécificité linguistique et langagière du français oral.

Le bon usage oral n'est pas celui de « la plus saine partie de la cour » du temps de Vaugelas, ni même celui des classes dirigeantes mais plutôt celui que ces dernières apprécient le plus et « qui n'est pas forcément le leur » (Rey, 1972: 21). II s'agit d'un type d'usage idéalisé, qui n'existerait d'ailleurs que dans certaines situations plus formelles de communication et qui est valorisé selon Rey par « ceux qui s'arrogent le monopole du discours de la culture ». Selon lui, en France, cet usage est celui de l'écriture et de l'écriture littéraire. C'est, en somme, l'usage écrit transposé directement

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à l'oral que la pédagogie centrée sur le code a souvent tendance à valoriser de façon absolue, sanctionnant et perpétuant en même temps le mythe du bon français unique.

La promotion d'un tel usage érigé en norme s'accompagne généra­lement d'attitudes prescriptives et puristes qui se traduisent par la condam­nation des autres usages. Ces attitudes résultent peut-être en partie de la nécessité inconsciemment ressentie par l'école du choix exclusif d'un seul usage. La tendance de la pédagogie traditionnelle à se fermer aux usages oraux s'explique aussi par les préjugés sociaux défavorables que le purisme entretient à l'égard de ces usages et de ceux qui les utilisent. L'ouverture de l'école à ces usages réels est perçue comme dangereuse, car cela risquerait sans doute de remettre en cause l'existence et l'intérêt d'un seul français oral, reproduction du français écrit Si, de ce point de vue, l'école s'écarte et se retranche de la réalité sociale dont elle fait partie, c'est sans doute, d'une part, par souci d'une normalisation fondée sur la vision simpliste et moralisante d'un bon et d'un mauvais français et, d'autre part, aux fins de changement du niveau d'une population donnée, considérée à tort comme linguistiquement sous-développée.

ll y a lieu de dénoncer, en plus de ses fondements inacceptables, quelques conséquences négatives de cette orientation. D'abord, l'imposition d'une norme artificielle à la parole orale favorise une pédagogie qui peut difficilement permettre aux écoliers de développer leur maîtrise des fonctions et des usages divers de la langue parlée. Théoriquement, cela ne les habilite au mieux qu'à lire un texte écrit à haute voix, une fois qu'ils ont appris à lire. 1 faut bien reconnaître que, à l'extérieur de l'école, cette activité ne se réalise que rarement pour la très grande majorité des personnes, ce qui ne peut justifier l'importance accordée au développement de cette habileté.

Cette norme artificielle présente une difficulté supplémentaire dans l'apprentissage de la lecture. En effet, à cause de l'écart entre la performance linguistique orale spontanée de l'enfant et le texte écrit, même de niveau

correct, écart largement augmenté quant il s'agit de la plupart des textes de niveau littéraire, on voit mal comment le recours à l'écrit oralisé pourrait faciliter les débuts de l'apprentissage de la lecture. D'une part, en effet, lire ne consiste pas à oraliser ou à subvocaliser un texte écrit, mais à en trouver directement le sens (Smith, 1971). D'autre part, l'enfant fait deux appren­tissages à la fois: il apprend à utiliser activement un oral soutenu en même temps qu'il essaie de trouver un sens à l'ensemble de lettres et de mots écrits qu'il a sous les yeux. « Pour la plupart des enfants, conclut Labov (1974: 104), la stratégie la plus efficace pour apprendre à lire consiste à ajuster l'enseignement au système phonologique de l'enfant et non l'in­verse ».



Dans une pédagogie centrée sur le code, l'école considère habituelle­ment que la langue parlée non seulement par l'enfant mais également par la société environnante qui lui a servi de modèle linguistique naturel est

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inacceptable et devrait être rejetée. Elle entreprend alors un effort de déra­cinement qui ne peut réussir, imparfaitement d'ailleurs, qu'auprès d'une minorité d'enfants. Une telle tentative risque de conduire soit à l'aliénation sociale de l'individu soit à un rejet plus ou moins grand et plus ou moins explicite de l'école de la part des enfants et particulièrement des adolescents.

Une telle approche contribue également à la discrimination des enfants des classes sociales défavorisées, dont les performances linguistiques, sans être inférieures, sont en général plus éloignées des performances standard exclusivement privilégiées par l'école. Cette discrimination apparaissait déjà comme arbitraire et injuste dans la théorie du déficit linguistique de ces enfants, théorie en vigueur durant les années cinquante et soixante. Elle devient encore plus injustifiée dans la perspective des différences linguis­tiques mises de l'avant par les recherches psycholinguistiques des années soixante-dix.

L'orientation normative conduit très souvent à une pédagogie centrée sur la langue et à une programmation atomistique et artificielle des éléments linguistiques à enseigner. L'effort pédagogique porte alors sur les formes linguistiques plutôt que sur le sens véhiculé ou les fonctions des messages. On dissocie ainsi l'outil de sa fonction, et l'activité langagière de son sens. Une telle dissociation ne favorise pas l'intégration des variantes enseignées ni la motivation à lire, à écrire ou à s'exprimer oralement

La centration sur le code plutôt que sur son utilisation conduit de la sorte à ne pas utiliser deux facteurs importants de tout apprentissage lan­gagier: l'activité langagière de l'enfant et sa compétence linguistique.

Petiot et Marchello-Nizia (1972: 111) soulignent que dans la plupart des ouvrages de grammaire « l'élève n'apparaît que comme le destinataire des impératifs qui annoncent les exercices » ... et qu' « il arrive cependant très rarement que l'élève soit cité en tant que locuteur: mais c'est toujours pour être condamné comme auteur de phrases incorrectes ». Une telle pratique repose sur une certaine passivité des élèves, implicitement considérés par ailleurs comme ayant des performances linguistiques homogènes. Pour­tant les études sur le développement du langage démontrent que ce déve­loppement est le produit de communications voulues et désirées entre les enfants et les personnes de leur environnement « Use of language proceeds from intention to convention » conclut McShane (1981), alors que l'école procède malheureusement à l'inverse, c'est-à-dire des conventions linguis­tiques aux intentions de communication; intentions de plus, presque tou­jours artificielles et imposées ou suggérées par le maître.

L'école centrée sur le code a trop souvent tendance à ignorer ou à dévaloriser, parce que non conforme à la norme puriste, le langage de l'enfant qui arrive à l'école. Centrée exclusivement sur une langue mythique idéalisée, elle considère tout écart à l'écrit oralisé comme une faute ou une erreur. Cette conception qui s'exprime en termes de moralité ou de logique ne résiste pas à l'analyse, du moins en ce qui concerne le langage oral

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des enfants d'âge scolaire. En effet, les écarts relevés dans les discours des enfants tiennent, comme nous l'avons vu, à deux types de causes possibles: l'appropriation de la langue pariée par les adultes du milieu ambiant ou l'apprentissage en cours des règles du système linguistique. Dans un cas comme dans l'autre, ce langage ne peut être déprécié ni d'un point de vue moral, ni d'un point de vue logique.

Ce point de vue négatif fait oublier à la pédagogie centrée sur le code que l'enfant normal de quatre-cinq ans a développé une compétence linguis­tique impressionnante, comme le démontrent ses réalisations de l'accord oral en genre de l'adjectif attribut Pourtant, à la fin de six années de scola­risation, plusieurs enfants ne maîtrisent pas dans leurs textes écrits les règles d'accord simple et la morphologie écrite des adjectifs courants. N'est-ce pas étonnant? Dans un cas, l'apprentissage s'est fait par l'utilisation du langage en situation de communication. Dans l'autre, l'école veut qu'il se fasse à partir d'un apprentissage explicite de règles de grammaire et d'un raison­nement hypothético-déductif dont l'inutilité pour l'enfant du primaire appa­raît clairement

Pour s'en rendre compte, on n'a qu'à rappeler le déroulement sché­matique du raisonnement proposé pour savoir comment écrire le mot « bleu » dans la phrase: « La nuit est bleue. »

1. 2.

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Questions

Quelle est la nature du mot bleu? Comment s'accorde l'adjectif qualificatif?

Quel mot bleu qualifie-t-il? Quels sont le genre et le nombre de nuit?

Comment se marque le féminin de bleu?

Comment doit-on alors écrire bleu?

Réponses

Adjectif qualificatif.

En genre et en nombre avec le mot qu'il qualifies.

Le mot nuit. Féminin singulier.



En ajoutant -e à la fin.

Bleue.

Une pédagogie de l'écrit serait sans doute plus efficace si, plutôt que de condamner les variantes légitimes des enfants ou leurs généralisations langagières normales et de partir alors de textes d'auteurs et de grammaires abstraites, elle s'appuyait d'une part sur les éléments communs au code oral et écrit déjà maîtrisés par les enfants et d'autre part sur les discours de ceux-ci. L'enfant du primaire comprend en effet très facilement que bleue prend un -e puisque à l'oral il dirait: « la nuit est belle » et non pas « la nuit est beau ».

4. Pour simplifier, on a omis ici les notions d'attribut et d'accord de l'attribut

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Enfin, la perspective centrée sur le code accentue et met en relief les fautes d'orthographe faites par les enfants ou, à ce titre, par les usagers en général. Elle développe une tendance plus ou moins marquée à ne repérer que les écarts par rapport à la norme et à ne pas s'intéresser aux parties des performances qui sont conformes à la nomme. II s'agit trop souvent d'une pédagogie de la faute et d'un enseignement uniquement prescriptif. Cette tendance contribue à diminuer l'importance du contenu et des fonctions (expression, communication, etc.) en mettant l'accent sur la correction orthographique. Pour que l'enfant ne commette pas de fautes, on utilise abondamment la dictée et la copie du modèle, centrée sur le code et non sur son utilisation, qui est ainsi absente ou indûment retardée.

Cet éclairage négatif favorise à intervalles plus ou moins réguliers, de génération en génération et dans plusieurs pays, l'éclatement de « crises » concernant la qualité de l'enseignement de la langue maternelle. À ce sujet, Hopper (1975) a retrouvé des textes de 1933, 1905, 1730 et 1689 qui critiquent l'insuffisance des connaissances orthographiques et linguistiques des enfants qui sortent des écoles ou des collèges! Aussi longtemps qu'il n'y aura pas simplification de l'orthographe, les fautes d'orthographe conti­nueront à exister chez les enfants et . . chez les adultes. Et tant que l'on restera dans une perspective sociale et pédagogique centrée sur le code, les générations d'adultes oublieront les difficultés d'apprentissage qu'ils ont eues et leurs propres fautes d'orthographe pour critiquer la qualité de l'enseignement du français donné à leurs enfants.

Ces considérations et d'autres expliquent la remise en question, depuis une dizaine d'années, de la pédagogie traditionnelle de la langue maternelle et le rejet de ses fondements linguistico-normatifs. A une pédagogie de la langue succède progressivement une pédagogie de la parole, centrée sur l'utilisation de la langue.

2.2 Pédagogie centrée sur l'utilisation du code

Cette pédagogie s'inspire davantage des perspectives sociolinguistiques et fonctionnelles concernant la langue et le langage. Elle admet le caractère arbitraire de tout code linguistique et la coexistence des variétés d'usage. Elle considère que ces variétés sont acceptables en fonction des circons­tances géographiques, culturelles et sociales différentes de même qu'en fonction des diverses situations de communication. Elle vise aussi l'appro­priation du français standard, mais avec une démarche qui n'est pas centrée sur la langue, mais sur la parole, c'est-à-dire l'utilisation du code par l'écolier.

Elle reconnaît l'importance des fonctions de la langue et des objectifs poursuivis par le locuteur d'une part comme conditions nécessaires des apprentissages linguistiques et d'autre part comme facteur de variation lin­guistique. II s'agit d'une pédagogie visant à développer non pas les con­naissances linguistiques, mais les habiletés à réaliser les fonctions langagières,

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dont, en particulier et surtout, celle de la communication, en tenant compte des différents paramètres de cette dernière: intention, locuteur, contexte situationnel, code oral ou écrit, interlocuteur, thème ou sujet Elle exige de fait des situations de communication signifiantes pour l'enfant à partir des­quelles et grâce auxquelles ce dernier développera sa compétence langa­gière. Elle encourage davantage les interactions verbales entre les enfants et entre les enfants et l'enseignant

Une telle approche a le mérite de réintroduire dans les apprentissages les dimensions psycholinguistique, sociologique et situationnelle absentes en général de l'approche fondée sur une conception normative de la langue. Il faut cependant reconnaître qu'elle présente certaines difficultés.

Les fondements théoriques n'en sont pas très explicités, ni très déve­loppés. La pragmatique, les théories de l'énonciation, l'analyse de discours, les modèles psycholinguistiques d'apprentissage du langage n'ont pas atteint un degré d'universalité et de développement suffisants pour que les pédagogues y puisent des données directement utiles ou sûres pour l'amé­nagement pédagogique. A titre d'exemple, mentionnons simplement le nombre impressionnant de schémas de la communication et de taxonomies des fonctions discursives. 1 en résulte un certain flottement terminologique et conceptuel et des difficultés d'application au niveau pédagogique.

Ces difficultés peuvent conduire, surtout à l'oral, vers une pédagogie exclusivement centrée sur l'expression personnelle et l'intercompréhension dans les situations de communication immédiates. Une telle orientation peut être reliée à une volonté idéologique, sociale ou personnelle, que véhiculent certains discours théoriques et qu'auraient de rares enseignants, de promouvoir davantage la libération de la parole et l'émancipation des classes populaires que l'acquisition de la langue standard. Cette orientation peut se nourrir, au plan individuel, de l'opposition langue-parole et, au plan social, de l'opposition langue de la bourgeoisie-langue du proléta­riat, en promouvant les dernières.

De façon plus générale, l'enseignement de la langue maternelle, d'ins­piration communicative, éprouve des difficultés à préciser le long du curri­culum les objectifs d'ordre linguistique ou même langagier, ces derniers demeurant souvent très généraux et se répétant d'un niveau à l'autre. On parvient mal également à intégrer aux situations de communication des objectifs ou des activités d'ordre linguistique.

Ainsi le. nouveau programme de français du Québec (1979) met l'accent, en oral, sur les situations de communication et les types de discours et ne propose pas d'éléments d'apprentissage linguistique spécifiques. Les éléments d'apprentissage y sont plutôt formulés en termes d'habiletés à utiliser l'un ou l'autre des discours en fonction de l'intention de communication et des caractéristiques de l'interlocuteur.

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Le nouveau programme de français de la Suisse (Besson et al., 1979) propose à l'oral de nombreux objectifs d'ordre linguistique, mais ils sont poursuivis dans des ateliers de langue très élaborés qui se déroulent,

« pour l'essentiel, indépendamment de l'activité-cadre » (p. 42) et sans tenir compte des activités langagières authentiques proposées comme centrales dans la démarche pédagogique, mais très peu développées dans le programme. En Belgique, le programme de l'Enseignement libre reste fondé sur les contenus traditionnels de l'enseignement du français alors que le programme de l'État propose plutôt de « grandes intentions » (Tordoir, 1981) qui semblent- toutefois recouvrir des objectifs d'ordre surtout linguis­tique.



La rénovation de l'enseignement du français en France n'a pas échappé à ces difficultés comme en fait foi la division de l'enseignement en deux temps, un temps de libération (activités d'expression) et un temps de con­trainte (exercices d'apprentissage du code standard). Ainsi, écrivait Genou­vrier (1972: 48), « les temps d'expression ressortissent à la censure con­crète, celle-ci se réalisant ou non selon les cas et selon la pédagogie que l'on a adoptée » et « les temps d'apprentissage au contraire relèvent de la censure abstraite, plus exactement du choix opéré par le pédagogue sur les structures qu'il désire faire acquérir ».

Ces difficultés constituent des indices à l'effet qu'une pédagogie de la parole peut difficilement évacuer le problème de la norme, malgré l'affirma­tion de Petiot et Marchello-Nizia (1972: 113)­

« Loin du locuteur idéal de Chomsky et de la pratique normative du manuel, la linguistique du discours introduit, dans l'étude de la pratique langagière dis­cursive, les conditions et les processus de production de discours. La prise en considération de ces deux directions de recherche permet de déplacer le problème de la norme scolaire et par là même de le dépasser. »

Au contraire, soutient Rey (1972: 18), « c'est précisément la pédagogie [. . .J qui fournit à l'attitude normative sa justification la plus forte. Dans ce domaine [. . .] une définition univoque de l'usage à transmettre est né­cessaire: il s'agit de juger pour choisir et de choisir pour enseigner [. . .] ».

En effet, on voit mal comment récole et le système scolaire peuvent se dispenser de proposer des objectifs de développement et de performance aux enfants. Cette question est antérieure et transcende les discussions de méthodologie et d'approche. L'école ne peut se limiter à reproduire les situa­tions naturelles de communication vécues par l'enfant et se contenter du développement naturel du langage sous peine d'être inutile, d'une part, et de ne pas jouer son rôle de facteur d'égalisation des chances sociales, d'autre part.

Une pédagogie centrée sur l' utilisation du code a le mérite de considérer le code comme un moyen plutôt que comme une fin. Cependant, elle doit déterminer de quel(s) code(s) il s'agit et quelles) variation(s) elle va privi­légier. Ne pas choisir implique déjà un choix et apparaît comme inacceptable

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pour les parents et la société en général qui ont naturellement tendance à réclamer un retour à l'enseignement traditionnel, pourtant dépassé.

À la lumière des considérations théoriques contenues dans la première partie de cet article et pour essayer de dépasser l'opposition apparente d'une pédagogie de la parole et d'une pédagogie de la langue, il y a lieu mainte­nant de réfléchir sur les objectifs de l'école quant à l'enseignement de la langue maternelle et de proposer quelques critères pour en déterminer les contenus linguistiques.

3. Propositions d'objectifs et de contenus linguistiques pour l'enseignement de la langue maternelle

3.1 Objectifs généraux de l'enseignement d'une langue maternelle

L'enseignement de la langue maternelle constitue un des enseigne­ments véhiculés par l'école. n n'entre pas dans le cadre de cet article de bien distinguer ce qui relève de l'enseignement du français de ce qui relève de l'enseignement des autres matières, d'autant plus que le français partage avec d'autres matières des objectifs communs et que les interactions ver­bales orales de même que la lecture et l'écriture constituent des moyens importants d'apprentissage et d'enseignement des autres matières. Ainsi, en apprenant la distinction entre les notions de fleuve et de rivière, l'enfant fait à la fois du français et de la géographie. En comprenant la formulation d'un problème de mathématiques, il développe sa compréhension des mathématiques et son habileté à lire. Nous ne concevrons donc pas les objectifs généraux de l'enseignement du français d'une façon étroite et spécifique mais plutôt dans la perspective plus globale de l'intégration des apprentissages. Les objectifs, soit spécifiques en français, soit partagés avec d'autres matières, sont d'ordre communautaire et d'ordre individuel.

À cause des fonctions communautaires d'une langue, l'école doit con­courir à transmettre, protéger et développer ce bien collectif que constitue une langue. L'enseignement de la langue maternelle vise l'alphabétisation de la population et la transmission des valeurs, de l'héritage culturel et des connaissances. Elle vise également à préparer les individus à assumer le fonctionnement efficace des communications institutionnalisées à l'intérieur de la communauté nationale et à l'extérieur. Pour ce faire, elle doit transmettre les variantes de la langue qui sont plus spécifiquement reliées à ces fonctions, c'est-à-dire les éléments linguistiques propres au code écrit et au registre oral qui permettent d'assurer ces fonctions, ce qui implique dans plusieurs cas un français oral soutenu.

Au niveau individuel, l'école devrait avoir comme objectif général de développer l'habileté à assurer les fonctions individuelles du langage, autant les fonctions plus pratiques et utilitaires que sont la communication, l'expres­sion, la relation avec autrui que les fonctions plus abstraites que sont les

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fonctions référentielle ou informative, heuristique, poétique et métalinguisti­que. Dans le cas des premières fonctions, un français oral populaire ou courant est suffisant pour beaucoup de gens. Dans le cas des autres fonctions, le français écrit correct s'avère utile, sinon indispensable.

Dans cette perspective, l'école doit viser à augmenter le répertoire linguistique des enfants pour leur donner la possibilité d'utiliser les variantes appropriées aux situations de communication les plus diverses et d'assurer le plus efficacement possible les fonctions auxquelles sert le langage. Ce développement n'exige pas la suppression des variantes existantes possédées par les enfants. La possibilité de la coexistence des usages est en effet claire­ment démontrée par les recherches qui ont révélé l'existence de variantes interchangeables chez les individus, même chez des enfants très jeunes. La nécessité d'un répertoire étendu de registres relève par ailleurs des exi­gences de l'intercompréhension.

Le choix d'un registre, formel ou informel, courant ou soutenu, dépend en dernier lieu du locuteur, des objectifs qu'il poursuit et de la situation de communication ou des activités langagières qu'il suscite ou qui le sollicite(nt). L'école doit donc respecter cette prérogative et organiser sa pédagogie de telle sorte que l'enfant ait non seulement un répertoire étendu, mais aussi qu'il sache s'en servir à propos et qu'il ait le goût de le faire.

Vouloir empêcher l'école, pour quelque raison idéolo_gique que ce soit, de viser à faire acquérir le code écrit et le registre plus formel du code oral apparaît donc comme nuisible pour l'individu dont le répertoire verbal serait alors limité et pour la communauté qui en serait appauvrie. Vouloir, sous prétexte de purisme ou de développement social, empêcher l'école, l'indi­vidu ou même l'enfant d'utiliser une variété linguistique dialectale de re­gistre informel quand il le veut, pour assurer les fonctions langagières qu'il désire, constitue également un appauvrissement du patrimoine communau­taire et une discrimination inacceptable.

Un des objectifs importants de l'enseignement de la langue maternelle se situe précisément au niveau des attitudes à développer concernant la variation linguistique. Les attitudes pourraient être accueillantes et ouvertes par rapport aux usages variés de la francophonie. Une telle ouverture peut se créer concurremment avec le développement des jugements de l'enfant concernant la grammaticalité (surtout à l'écrit), l'acceptabilité (surtout à l'oral) et le caractère logique de différents énoncés, les siens comme ceux des autres. Les activités expérimentées et proposées par Hopper (1976) et que nous avons reprises récemment avec des professeurs du primaire indi­quent que les enfants même très jeunes (6-9 ans) peuvent porter des juge­ments de grammaticalité, d'acceptabilité ou de logique sur des énoncés courts à leur portée. Les enfants semblent également capables de percevoir des ressemblances et des différences entre leur dialecte et d'autres dialectes, entre le code oral et le code écrit, etc. Des activités de ce type font percevoir objectivement, et non de façon normative, la réalité des variations linguisti­


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ques. Elles développent également une certaine conscience métalinguis­tique utile à l'utilisation appropriée de ces variations.

En essayant de concilier les perspectives normative, descriptive et fonctionnelle sur la qualité de la langue de même que la pédagogie centrée sur le code et celle centrée sur l'utilisation de ce dernier, on peut affirmer qu'en général une performance linguistique est de qualité quand il s'agit de l'utilisation, en fonction des objectifs visés et selon les circonstances ou les situations, d'éléments linguistiques conformes au code, à la variété ou au registre approprié.

En d'autres termes, si l'on définit la langue comme étant l'ensemble des éléments linguistiques communs aux individus d'une collectivité pour permettre l'intercompréhension et la parole comme l'utilisation de ces éléments à des fins de communication ou à d'autres fins, il ressort clairement que la pédagogie de la langue maternelle ne peut ignorer ni l'aspect de la langue, ni l'aspect de la parole. L'opposition entre une pédagogie centrée sur le code et une pédagogie centrée sur l'utilisation de ce dernier apparaît dépassée au profit d'une synthèse en voie de se définir théoriquement et cherchant à se réaliser concrètement.

Cette synthèse oriente l'enseignement de la langue maternelle vers le développement, chez les enfants, d'habiletés à utiliser le code de façon réceptive et productive en fonction des objectifs visés par l'utilisateur et en tenant compte, s'il s'agit de la fonction communicative, du message à trans­mettre, de même que des circonstances et des interlocuteurs en cause. Cette synthèse pose comme un des objectifs de l'enseignement que les enfants auront à maîtriser, en fonction des situations et des buts visés, les usages linguistiques acceptés par la collectivité, y compris l'usage privilégié. Cela implique que l'on vise à la conformité orthographique et grammaticale avec le code standard dans les. situations de communication écrite qui l'exigent.

32 Réflexions sur les contenus d'ordre linguistique

L'orientation générale ainsi dégagée retient les préoccupations d'ordre linguistique de la pédagogie centrée sur la langue mais en élimine les aspects puristes ou étroitement normatifs de même que la centration sur le code. De l'autre orientation pédagogique, elle retient, par contre, la centration d'ordre langagier sur l'utilisation du code et déplore la pauvreté relative des contenus d'ordre linguistique ou la difficulté de les intégrer. Sans toucher aux aspects d'une démarche pédagogique qui faciliteraient cette intégration', la dernière partie de cet article présente des éléments d'une réflexion qui permettrait de mieux cerner, de façon générale, la question des contenus linguistiques. La réflexion porte sur les éléments linguistiques reliés d'abord

5. A cet effet, l'activité d'« objectivation » proposée par le programme de français du Québec (1979) présente beaucoup d'intérêt.

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aux activités de compréhension puis aux activités de production et propose dans un dernier temps des critères de détermination d'éléments linguistiques oraux à développer, cet aspect semblant être celui qui présente le plus de difficultés.

3.2.1 Activités de compréhension

On peut considérer que, en général, le milieu ambiant fournit à l'enfant un matériau linguistique oral diversifié comprenant plusieurs registres. Ainsi le cadre familial et les groupes d'amis présentent surtout un français informel, courant ou populaire. Les médias électroniques, radio, télévision, cinéma, apportent le registre plus formel, un français oral très souvent sou­tenu, et quelquefois d'autres variétés dialectales. L'école n'est plus le seul moyen d'accès possible au registre soutenu. Pour les enfants « normaux », les problèmes de discrimination auditive et de compréhension de ce registre pour des énoncés à leur portée ne se poseraient plus à leur arrivée à l'école. L'objectif ici ne peut pas être de corriger ou de remédier, mais plutôt de consolider et développer leurs habiletés à comprendre différents types de discours et de susciter leur intérêt pour ces derniers.

A l'oral, il s'agit d'aider les enfants, en fonction de leur âge, à intégrer de nouveaux mots, à structurer les champs sémantiques et lexicaux qu'ils possèdent déjà, à comprendre des structures, des phrases et des discours

plus longs, plus complexes ou plus abstraits. Il y a lieu, après vérification de leur compréhension de messages simples, de développer leur compré­hension de messages plus élaborés, véhiculés par différents types de discours comme ceux proposés par le nouveau programme de français du Québec (1979): expressifs, ludiques, informatifs, incitatifs.



Le développement de ces habiletés se fait certainement par l'élargis­sement des formes et des structures linguistiques comprises par l'enfant. Il se fait également à partir des éléments linguistiques qu'il possède déjà et

des discours qui sont fréquents dans son univers sonore que ce soit à la télé­vision, avec ses parents et en famille ou avec les autres enfants, dans le quartier ou dans la salle de classe. L'importance des habiletés d'écoute est largement révélée par le fait que, dans une journée régulière, l'adulte moyen consacre volontairement ou non beaucoup plus d'heures à écouter qu'à lire, écrire ou même parler. Les habiletés d'écoute critique positive deviennent essentielles autant dans la vie personnelle que dans la vie pro­fessionnelle des individus.



Ces habiletés, reliées par ailleurs à d'autres facultés comme l'intel­ligence et la mémoire, sont vraisemblablement de nature suffisamment profonde pour que l'on soit justifié de concevoir qu'elles sont fondamen­

talement les mêmes, peu importe la langue utilisée ou les variétés d'une même langue utilisées. Si cela s'avère fondé, le développement de l'écoute peut se faire à partir de discours de registre courant ou populaire. En outre, dans la mesure où les habiletés de compréhension et de critique sont com-


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munes à l'écoute et à la lecture, le développement des habiletés d'écoute de discours utilisant le registre le plus familier à l'enfant favoriserait, par transfert, les habiletés de compréhension et de lecture critique des textes écrits.

L'ouverture de l'école aux registres courant et populaire parlés par les enfants, et souvent par le professeur lui-même d'ailleurs, est fondée sur les considérations d'ordre sociolinguistique et fonctionnel que nous avons vues. Elle s'appuie également sur des préoccupations d'efficacité pédagogique. En effet, les enfants apportent eux-mêmes des variations linguistiques de différents registres, des façons de dire différentes qui, discutées et mises en commun, contribuent à augmenter le répertoire d'éléments linguistiques à la disposition de chaque enfant

Cette mise en commun qui peut se faire, notamment pour le lexique, sous forme de brainstorming, peut facilement aboutir, au niveau du code, à une structuration sémantico-linguistique des acquis (voir, par exemple, Tarrab, 1981). Ces apports sont peu coûteux en termes d'équipement, de manuels et de déplacements parce qu'ils peuvent faire partie, si on les accepte ou si on les suscite, de la vie habituelle de la classe. Ils sont suscep­tibles d'être efficaces parce qu'ils impliquent directement les enfants eux­mêmes sans artifice, ni simulation, dans des interactions verbales qui peuvent être authentiques.

Au fur et à mesure de la scolarisation et de l'alphabétisation, les discours et les éléments linguistiques apportés par les enfants vont s'enrichir. La comparaison par les enfants des variations de codes, de variétés et de regis­tres peut contribuer à aider le développement de la compréhension de discours oraux soutenus. L'école peut augmenter ainsi la familiarité des enfants avec ce registre et aider à développer progressivement leurs capa­cités d'écoute de même que la qualité et le niveau de leur compréhension orale. Pour que l'enfant passe de l'écoute des dessins animés, pour la plu­part en français oral soutenu, à la compréhension des informations télé­visées, la maturation joue certes un rôle nécessaire, mais la scolarisation peut également constituer un facteur important

Quant à la compréhension du code écrit, inutile de s'y attarder beau­coup, puisque l'école reconnaît là un de ses objectifs premiers. Une des incidences que la question de la norme peut avoir sur l'apprentissage de la lecture se situe par rapport aux différences entre le registre oral courant ou populaire et le code écrit de registre correct

Plus les premiers textes présentés aux enfants pour qu'ils apprennent à lire sont près de la langue qu'ils possèdent, plus l'apprentissage du déchif­frage d'un texte se fait facilement et rapidement Malgré les écarts inévita­bles entre les deux codes, il est possible, tout en respectant l'orthographe correcte, de faire en sorte que les textes proposés évitent le plus possible les différences. La meilleure façon de le faire et de s'assurer que le sens

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du texte à déchiffrer soit connu des enfants consiste à présenter la version écrite d'un énoncé ou d'une suite d'énoncés produits par les enfants eux­mêmes.

Le degré d'édition et de correction des énoncés fait alors par le pro­fesseur peut varier. Ainsi, certains ne respecteront que l'orthographe, et écriront: « il aime pas ça ». D'autres corrigeront en plus la morphosyntaxe et écriront. « il n'aime pas ça ». D'autres enfin voudront n'accepter que des énoncés de registre correct et modifieront des éléments lexicaux ou stylisti­ques pour présenter: « il n'aime pas cela ». Ces trois façons me semblent acceptables sur un plan normatif.

Il serait sans doute intéressant, sur une base uniquement expérimen­tale, de voir dans quelle mesure la transcription temporaire la plus directe possible des réalisations morphophonologiques du français courant dans les

débuts de l'apprentissage de la lecture ne favoriserait pas ce dernier, parti­culièrement chez les élèves qui éprouvent des difficultés. La tendance la plus répandue à l'heure actuelle procède à l'inverse en essayant de faire intégrer de façon active les réalisations orales de registre soutenu. Cela ne me semble guère utile puisque la lecture est une activité de compréhension et que les enfants comprennent ce registre oral. S'ils ne le comprennent pas, alors l'approche de la familiarisation de l'enfant à l'oral soutenu pour des fins d'apprentissage de la lecture devrait se limiter aux seuls aspects de la compréhension orale sans viser l'appropriation des habiletés de production.



Une fois les habiletés de base acquises, les styles de textes lus devraient être de plus en plus variés et difficiles. Sans minimiser l'importance des discours littéraires, les autres discours ont droit de cité à l'école, à cause de leur importance pour la réalisation des différentes fonctions du langage. Ainsi la bande dessinée, le discours juridique, l'article de journal, les recettes de cuisine, les instructions pour faire du bricolage, le message publicitaire, les affiches, etc., constituent des textes écrits de spécialisation et de style différents que le citoyen de demain doit apprendre à déchiffrer, à comprendre et à évaluer.

Quant aux textes littéraires, plusieurs professeurs s'interrogent sur la place à accorder à la littérature « régionale d'expression française » par rapport à la littérature « française ». Certains, dans une perspective norma­

tive, déplorent la présence, dans les programmes de niveau secondaire ou collégial, d'oeuvres écrites en français dialectal et plus particulièrement en « joual ». Us regrettent la valorisation ainsi accordée à cette variété dialectale et stylistique et en craignent la propagation. Ils estiment également que cette présence entre en contradiction avec leurs objectifs d'enseigne­ment d'un français standard.



Cependant, il faut reconnaître que l'écriture de ces textes est en géné­ral correcte, sauf quand l'écrivain juge nécessaire ou utile de transcrire le plus fidèlement possible la réalité orale du français parlé par les personnages

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qu'il met en scène. La variété ainsi reproduite graphiquement comprend des éléments dialectaux, mais aussi des éléments d'un français oral courant commun à la francophonie.

Au fond, ce qui est rejeté alors implicitement et explicitement, c'est la variation orale. Un tel rejet témoigne de l'attitude prescriptive que nous avons déjà contestée. Que l'écriture littéraire utilise la variété et le style souhaités pour atteindre les fonctions stylistiques ou autres désirées constitue un phénomène non seulement acceptable, mais à respecter.

La question « faut-il enseigner une écriture oralisante? » est cependant différente, car elle implique l'aspect de production de messages.

3.2.2 Activités de production

C'est surtout par rapport à la production des messages plutôt que par rapport à leur compréhension que se situe la question du choix des variantes linguistiques à enseigner. Une raison en est sans doute que la production, sans que l'on sache précisément pourquoi, semble plus complexe et plus difficile puisque sa maîtrise suit toujours celle de la compréhension et que le répertoire linguistique actif est plus limité que le répertoire passif. Une deuxième explication serait que la production, au contraire de la compréhension, aboutit à un produit visible ou audible que l'interlocuteur ou la société peut juger et évaluer plus facilement.

Une dernière raison, pour le code écrit du moins, serait que le système orthographique et grammatical est d'une telle complexité, en lui-même et quant à ses relations avec le code oral, qu'il faut y consacrer un temps très - sinon trop - considérable. Comme il y a, en plus, beaucoup d'autres apprentissages scolaires à réaliser, il semble réaliste, en vue de la détermi­nation des contenus linguistiques à enseigner aux niveaux primaire et secondaire, de proposer trois principes de base: l'économie, l'utilité et la productivité.

Le principe d'économie demande que l'on ne vise à faire acquérir la maîtrise que d'une variété et d'un registre de cette variété; ou, à tout le moins, que l'on s'assure de la maîtrise d'une variété et d'un registre avant d'en proposer d'autres. Le principe d'utilité suppose qu'il faut choisir la variété et le registre les plus répandus et les plus acceptés pour réaliser les fonctions langagières impliquées.

Le principe de productivité signifie que l'on concentre les efforts sur les éléments linguistiques qui se situent à des niveaux plus « fondamentaux » que d'autres et qui d'ailleurs sont généralement en nombre plus limité. II s'agit des éléments structuraux - phonologie, morphologie et syntaxe - que l'on considère comme des classes fermées par rapport aux éléments lexicaux qui constituent une classe considérée comme ouverte.

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Par rapport au français écrit, ces principes s'appliquent très bien. Il est en effet facile de constater que le français écrit correct, de préférence aux registres familier/populaire ou littéraire, est le plus répandu et le plus accepté dans l'ensemble de la francophonie et dans chaque communauté nationale ou régionale. Cela, je pense, règle par la négative la question de l'enseignement d'une orthographe ou d'une morphosyntaxe familière ou « joualisante ». De même le style littéraire, avec par exemple ses passés simples et ses imparfaits et plus-que-parfaits du subjonctif, ne peut constituer un objet d'enseignement premier. Il est intéressant par ailleurs de constater que les deux registres « extrêmes » peuvent coexister dans le discours littéraire qui peut faire l'objet, pour certains élèves et après l'appropriation du niveau correct, d'un apprentissage actif.

Le choix du niveau écrit correct ne pose pas de problème quant aux composantes structurales de la langue ni, dans l'ensemble, quant à la composante lexicale. Cependant, certains termes, en quantité limitée, ne figurent pas aux dictionnaires standard. C'est le cas notamment des dialec­talismes,.qu'ils soient communs à plusieurs régions et pays ou particuliers à certains. Pour des raisons d'économie et d'utilité, il me semble que l'école doit enseigner à écrire les dialectalismes du pays en respectant l'usage orthographique habituel s'il existe ou en créant l'usage dans les rares cas contraires.

Il m'apparaît acceptable que l'école, dans plusieurs cas, ne tienne pas compte des condamnations de certains dialectalismes, ou expressions propres à une communauté, considérés par les puristes comme des anglicismes, des néologismes, des barbarismes ou autres -ismes. Très souvent, il s'agit de mots fréquents désignant des réalités quotidiennes à propos desquelles d'ailleurs les enfants peuvent vouloir plus facilement écrire qu'à propos de thèmes proposés ou imposés par l'enseignant Place donc, n'en déplaise pour certains mots aux derniers actes « normatifs » de l'Office de la langue française du Québec (1981), à des mots comme: hot-dog, hamburger, root beer, fins de semaine, popsicle, nettoyeur, arrêt, etc.

Dès le primaire, il importe de faire écrire aux enfants différents types de message, dont en particulier les types qu'ils rencontrent le plus souvent En effet, ces messages peuvent renforcer et consolider les acquisitions linguistiques faites et stimuler l'acte d'écrire en illustrant pour les enfants futilité de cet acte, loin d'être évidente, pour de jeunes enfants. On peut mentionner dans cette catégorie les affiches, les panneaux-réclame, les bandes dessinées, les messages publicitaires, les chansons, les comptines, etc. II est utile et intéressant de réaliser différents types de discours (infor­matif, expressif, etc.) et de faire acquérir alors les éléments linguistiques qui y sont particulièrement fréquents et qui contribuent à les caractériser.

Dès la fin du secondaire, mais surtout aux niveaux collégial et univer­sitaire, (étude des discours spécialisés s'impose en fonction des choix et des orientations professionnelles de chacun. à faut apprendre ce qu'on peut

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appeler le style juridique, commercial, technique, administratif, scientifique, littéraire, etc., pour être en mesure de produire des textes qui sont requis par les études dans ces disciplines ou par l'exercice des métiers et professions qui y sont reliés.

Par rapport à la production de messages oraux, les problèmes de choix sont plus complexes et plus difficiles à cause en particulier de l'absence de norme prescriptive unique. Il y a d'abord lieu de considérer la compétence linguistique de l'enfant qui arrive à l'école. II est évident que, en plus des considérations sociolinguistiques et fonctionnelles que nous avons mention­nées, les principes d'économie et d'utilité s'appliquent à rebours pour refuser toute tentative de radiation des formes linguistiques dialectales ou de registre courant ou populaire déjà maîtrisées par les enfants.

De façon plus positive, on peut croire que l'utilisation de ces formes, alliée à la maturation et aux apports scolaires, contribue au développement linguistique, langagier, cognitif et social des enfants d'âge scolaire. Ainsi Stern (1981) suppose que les habiletés d'expression orale en suisse allemand sont transférables au niveau des discours écrits en allemand standard et fait l'hypothèse que la maîtrise du « oral narrative style [. . .] facilitates the acquisition of literacy » (p. 35). Enfin, ces formes sont nécessaires sinon indispensables à la réalisation des interactions verbales entre enfants et avec l'enseignant qui sont si importantes pour les apprentissages humains et scolaires.

En considérant le degré de développement linguistique des enfants à leur entrée à l'école, l'absence de norme prescriptive en oral et le poids de l'influence linguistique du milieu ambiant, certains sont portés à penser qu'il n'y a pas lieu de fixer des objectifs linguistiques à l'enseignement de l'oral, mais des objectifs uniquement langagiers, sinon aucun objectif du tout.

Pourtant plusieurs recherches (revues notamment par Palerrno et Molfese, 1972) qui ont porté sur la langue parlée des enfants d'âge scolaire révèlent que le développement linguistique, malgré qu'il soit très avancé, n'est pas terminé à l'âge de cinq ans et que « d'importantes acquisitions syntaxiques apparaissent dans le langage de l'enfant bien après qu'il ait atteint » (p. 415) cet âge. Les recherches faites au Québec (Gagné, Pagé et co11.,1981a) indiquent que l'enfant développe et modifie ses performances orales au moins aux niveaux du vocabulaire, de la morphologie et de la syntaxe jusqu'à 12 ans et même plus tard. Ces recherches n'ont pas réussi à isoler la maturation reliée à l'âge des effets de la scolarisation, mais on peut penser que les deux contribuent à cette évolution et que l'influence de l'école n'est pas négligeable.

Ainsi, la recherche de Hébert (Hébert, Gagné et Barbaud, 1981) a relevé l'évolution de l'emploi des éléments de morphologie orale standard du genre chez des enfants québécois de la maternelle à la sixième année du primaire. L'appropriation active des marques standard qui constituent

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souvent des exceptions, comme par exemple du (les enfants utilisent souvent de le), [dez~b] des oeufs, prononcé [dezoe:f], se fait pour la majeure partie durant la scolarisation primaire. A la fin du primaire même, plusieurs marques n'étaient pas encore utilisées dans la situation de testing par plus de 70% des enfants. Il s'agit surtout d'alternances reliées à des éléments lexicaux plutôt que structuraux, comme: [Cen:)sl un os - [dezo] des os; [ilsàva] il s'en va -- [ilsâv5] ils s'en vont; [ilsats] il se tait --- [ilsats:z] ils se taisent; [nefs] il éteint - [ilzets:p] ils éteignent. Il y a donc place à l'école primaire pour des objectifs de développement linguistique de l'oral en vue de l'acquisition active des structures morphosyntaxiques adultes.

De façon plus générale, il est utile d'augmenter le répertoire actif des éléments linguistiques à la disposition des enfants en vue d'un élargissement des situations et des registres de communication où ils pourront être à l'aise et réussir leurs productions verbales en atteignant les objectifs qu'ils se sont fixés. L'accroissement du répertoire verbal augmente les possibilités d'adap­tation de l'usager aux différentes situations de communication et aux fonctions variées d'utilisation de la langue parlée. Enfin, l'école fournit ainsi l'occasion à tous les enfants de s'approprier l'usage oral privilégié par la collectivité.

Il s'agit pour l'école, sans porter de jugement de valeur sur les différents usages et sans vouloir éliminer les usages spontanés et légitimes, de fournir des occasions d'utilisation des éléments entendus et compris, qui font partie de la compétence passive des enfants. L'objectif n'est pas de remplacer un usage par un autre, mais plutôt de familiariser l'enfant avec l'utilisation d'un usage soutenu.

L'exigence ne pourra pas être que cet usage soit employé partout et toujours, que ce soit à la maison, dans la rue ou en classe. L'école doit respecter l'autonomie et la liberté individuelle du choix des éléments lin­

guistiques à utiliser en fonction des paramètres fonctionnels et situationnels de la communication. Ce respect est nécessaire pour favoriser chez l'enfant l'utilisation spontanée et alors nécessairement volontaire des éléments linguistiques conformes au code approprié en fonction des situations de communication et des objectifs poursuivis.



En résumé, au niveau du code écrit, les éléments linguistiques à proposer aux enfants présentent relativement peu de problèmes de choix. Au niveau de l'oral, la détermination des éléments linguistiques précis dont le maître pourrait favoriser l'acquisition en compétence active devient plus complexe et nécessite l'utilisation de critères explicites. Ceux qui sont développés ci-après constituent un premier effort de réflexion en ce sens.

3.2.3 Quelques critères de détermination d'éléments linguistiques oraux à développer

Le principe général d'économie présenté plus haut s'applique dans l'opération de détermination des éléments oraux à privilégier. Essentielle-


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