404 la norme linguistique l'occultation du caractère maternel de la langue nationale


Extrait de la brochure La banque de terminologie, Ministère des Approvisionnements et Services, 1981, p. 1



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3. Extrait de la brochure La banque de terminologie, Ministère des Approvisionnements et Services, 1981, p. 1.

4. Drogues est mis ici pour médicaments, sous l'influence de l'anglais drugs. 5. P.G. du Québec c. Blaikie (1979) 2 R.C.S. 1016.

6. Par exemple, la rédaction originale de la Charte n'autorisait pas l'utilisation de l'anglais à l'Assemblée nationale.

LA NORME LINGUISTIQUE



Plusieurs organismes québécois prennent, dans la pratique, des décisions de normalisation: l'Office de protection du consommateur, le Bureau des normes du Québec, le ministère du Travail et de la Main-d'oeuvre (normes de sécurité au travail), etc. Mais nous nous contenterons de présenter le ministère de l'Agriculture et l'Office de la langue française.

Le premier ministère québécois à se doter d'un règlement sur l'utilisation du français a été le ministère de l'Agriculture 7 (articles 2 et 38 du règlement 683 du 15 mars 1967); dans le but d'assurer la loyauté des ventes et la protection du consommateur, le règlement exigeait la présence du français sur les éti­quettes des produits agricoles. Durant la décennie 1965-1975, le ministère de l'Agriculture a probablement été l'organisme québécois à vocation non linguistique qui a fait le plus pour la promotion du statut et de la qualité du français. ll a travaillé étroitement avec l'Office de la langue française à l'établissement d'une terminologie française de qualité pour les produits alimentaires.

Le maître d'oeuvre de la francisation du Québec est l'Office de la langue française. L'Office s'est vu notamment confier le mandat de franciser les entreprises établies au Québec. Il s'agit là d'une tâche colossale qui n'a pas eu de précédent dans le monde.

La Charte de la langue française impose aussi à l'Office le devoir de « normaliser les termes et expressions qu'il approuve » (art. 113, a), mais ce mandat n'est pas vraiment intégré au processus de francisation des entreprises puisque l'emploi des termes normalisés n'est obligatoire que « dans les textes et documents émanant de l'Administration, dans les contrats auxquels elle est partie, dans les ouvrages d'enseignement, de formation ou de recherche publiés en français au Québec et approuvés par le ministre de l'Éducation ainsi que dans l'affichage public » (art. 118). L'idée qui a inspiré cette décision, c'est que l'utilisation par l'État des termes normalisés influera sur l'usage linguistique des entreprises et des citoyens en général (cf. Corbeil 1981: 59 ss.). Cependant, la portée juridique de ce pouvoir de normalisation est limitée par la Charte aux « termes et expressions' » (113 a) et à certaines circonstances d'utilisation (118). Ces avis de normalisation terminologique doivent paraître à la Gazette officielle. D'autre part, dans les faits on reconnaît aussi à l'Office une autorité de normalisation linguistique, c'est-à-dire, par

7. Aujourd'hui nommé ministère de l'Agriculture, des Pêcheries [sic] et de l'Alimentation.

8. II peut être intéressant de noter que, alors que l'article 116 parte des « mots et expressions techniques » dont les commissions de terminologie doivent faire l'inventaire, l'article 118 confie à l'Office le soin de normaliser des « termes et expressions ». Or, dans la mesure où les terminologues eux-mêmes ont établi une subtile distinction entre mot et terme, l'Office n'a sans doute pas le pouvoir de normaliser des m-ts si l'on suit la maxime juri­dique bien connue expressio unius, exclusio alterius: Mais, il va sans dire, on pourrait tout aussi bien faire valoir que la différence entre l'article 116 et l'article 118 résulte d'une déficience dans la rédaction de la loi


RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC

exemple, de prendre position sur des questions de stylistiqu' ou de mor­phologie comme la féminisation des titres (Gazette officielle du 28 juillet 1979, p. 7394 et du 28 mars 1981, p. 5040) ou le pluriel de certains adjectifs (Gazette officielle du 25 octobre 1980, p. 10369).

L'Office de la langue française publie aussi des avis de recommandation dans la Gazette officielle; ces recommandations ne sont pas prévues dans la Charte et n'ont de valeur que par l'autorité morale dont jouit l'Office. C'est cette autorité morale reconnue à l'Office qui lui permet donc d'im­planter les termes qu'il normalise ou recommande dans des secteurs non visés par l'article 118; on peut même supposer que plus l'Office remplit son mandat de diffusion, plus son autorité morale s'accroit.

2. Dynamique des réseaux de normalisation

Nous passerons en revue le fonctionnement des réseaux de normali­sation du gouvernement fédéral puis du gouvernement québécois et nous analyserons ensuite leurs interrelations. Nous traiterons surtout de la normali­sation terminologique, celle-ci n'étant pas, à toutes fins utiles, intégrée à la normalisation technique.

Même si le Secrétariat d'État a reçu la mission de « vérifier et de norma­liser la terminologie anglaise et française dans la fonction publique fédérale et chez tous les corps publics qui dépendent du Parlement du Canada »,

il faut reconnaître que, dans la pratique, le Secrétariat d'État a beaucoup de difficultés à imposer ses décisions terminologiques aux ministères fédé­raux, qui occupent souvent une position de force pour implanter leurs lexiques. Cette situation provient notamment du fait que la loi donne à certains de ces ministères des pouvoirs sur la terminologie. Par exemple, la Codification administrative de la loi des aliments et drogues et des règle­ments des aliments et drogues, qui emploie l'expression « nom usuel », la définit de la façon suivante. « L'expression "nom usuel" appliquée à un aliment, désigne le nom dudit aliment en caractère gras dans les présents règlements ou, si le nom de l'aliment n'est pas ainsi imprimé, le nom, en anglais ou en français, sous lequel ledit aliment est connu généralement"' » (Codification.... B.01.001). Le ministère de la Santé et du Bien-Être social du Canada, de qui relève l'application de la Loi des aliments et drogues, pourrait donc - au moins théori uement - s'opposer à une normalisation terminologique du Secrétariat d'État qui changerait le « nom usuel » d'un produit D'autre part, la Loi sur l'emballage et l'étiquetage des produits de consommation (S.C. 1970-1971-1972, c. 41) amène le ministère de la



9. Par exemple ces extraits de la Gazette officielle du 28 mars 1981, p. 5041: « Le recours, notamment dans les descriptions de tâches, aux verbes à l'infinitif, aux tournures de phrases nominales et aux énumérations. . . » et « La langue offre une grande variété de procédés stylistiques qu'il convient d'utiliser, etc. ».

10. C'est nous qui soulignons.


LA NORME LINGUISTIQUE



Consommation et des Corporations à intervenir dans plusieurs domaines où il devient, potentiellement, le concurrent d'autres ministères (par exem­ple, le ministère de l'Agriculture ou le ministère de la Santé et du Bien-Être social). Signalons, enfin, que les normes de l'Office des normes générales du Canada sont partiellement en conflit avec des décisions du ministère de la Consommation et des Corporations.

Au Québec, la normalisation terminologique relève de l'Office de la langue française qui, par sa Commission de terminologie, cherche à répondre aux besoins de normalisation en provenance des individus ou des orga­

nismes"; ce mandat s'effectue dans un contexte de rattrapage lexical qui n'est pas sans avoir de répercussions sur la conception même de la termino­logie. En effet, alors qu'ailleurs la terminologie est souvent conçue comme une discipline néologique centrée sur les domaines scientifiques et tech­niques, le rattrapage lexical nécessaire au Québec teinte ici cette discipline d'une forte coloration de lexicographie bilingue: la plupart des termes n'ont pas à être créés, ils existent déjà, il s'agit d'établir leur équivalence avec des termes anglais.



Le pouvoir de normalisation accordé à l'Office de la langue française s'inscrit dans la dynamique de la francisation du Québec. C'est ainsi que l'Office a accédé à la demande de la Commission de surveillance de la langue française de normaliser des équivalents français pour vacancy et no vacancy 12 et de se prononcer sur (expression épicerie licenciée.

Mentionnons aussi le rôle complémentaire de l'Office de la langue française et du Bureau de normalisation du Québec. Ce dernier a dû avoir recours à l'Office dans ses travaux de normalisation des produits de la pêche

et pour normaliser ses règles d'écriture du SI (Système international de mesure).



L'activité normalisatrice oblige à poser un certain nombre de questions plus générales, notamment sur la place de l'usage. Au Québec, par suite de la prépondérance de la terminologie anglaise dans certains secteurs,

11. Un dépliant publié par l'Office ajoute ce qui suit à propos des terminologies présentées à la Commission de terminologie: « Ces terminologies peuvent être préparées soit par les entreprises ou les comités interentreprises dans le cadre de leurs travaux de francisation, soit par les commissions de terminologie prévues par la Charte, soit encore par le Service des travaux terminologiques de l'Office de la langue française. » Ajoutons cependant que la loi n'oblige pas les entreprises à accepter la normalisation de l'Office.

12. La Commission de surveillance voulait ainsi faire disparaître les affiches portant les men­tions vacant et non vacant (les termes normalisés deviennent en effet obligatoires dans l'affichage public). L'Office a affirmé à cette occasion que, dans l'industrie hôtelière, il fallait utiliser « le terme complet pour indiquer qu'il n'y a pas de chambres libres. 1... 1 On ne doit rien indiquer lorsqu'il y a des chambres libres » (Gazette officielle du 8 mars 1980, p. 3984). Mais les usagers, tellement habitués à l'opposition entre deux termes pleins en anglais (« Vacancy » - « no vacancy ») n'ont pas compris qu'en français cette opposition se faisait entre un terme plein et un terme zéro (« complet » et 0) et ont intro­duit le terme « incomplet ».

RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC



peut-on se baser surl'usage local et jusqu'à quel point? Jusqu'où s'inspire-t-on du modèle européen? On commence à peine à apporter des éléments de réponse à ces questions. Les rapports avec le modèle européen, notamment, ne sont sans doute pas ceux d'imitation servile que certains sont tentés trop facilement de reprocher à f Office: il y a des cas où on a pu voir un démar­quage entre la normalisation de l'Office et (usage d'outre-Atlantique. Pour ne prendre qu'un exemple, (Office a normalisé bande publique comme équivalent français de citizen's band (Gazette officielle du 19 janvier 1980, p. 575) alors que la France a choisi canal banalisé, ce qui lui permettait de conserver l'abréviation C.B. L'Office procède aussi à des adaptations termi­nologiques aux réalités nord-américaines (par exemple la terminologie de la viande'').

La normalisation terminologique n'est qu'une partie de l'activité norma­tive de l'Office de la langue française, qui a publié toute une série de termi­nologies « non normalisées » (au sens juridique) et des ouvrages de réfé­

rence comme Le français au bureau et le Vocabulaire du téléphone. Mais cette activité « normative » peut se heurter à des obstacles inattendus, parfois même au sein de f Administration" . D existe cependant des cas où la terminologie proposée par l'Office de la langue française finit par très bien s'implanter dans l'Administration. C'est ainsi que la loi électorale a été récrite en tenant compte du Vocabulaire des élections de l'Office de la langue française.



3. Constatations

Si on essaie maintenant de faire la synthèse de ce qui vient d'être présenté, un certain nombre de grandes observations s'imposent.

On constate, en premier lieu, que le terme de normalisation désigne deux champs distincts d'exercice, l'une de nature essentiellement terminolo­gique et l'autre de nature essentiellement technique, qui entretiennent

néanmoins des relations de complémentarité, tant par l'objet d'étude que par la méthode. Les deux démarches se caractérisent par un degré élevé de spécialisation, de formalisme et de standardisation des procédures et par la recherche de l'univocité et du consensus.



Pour ce qui est de la normalisation terminologique et technique telle qu'elle se pratique au Canada et au Québec, on constate l'existence d'un nombre important de réseaux et d'organismes de normalisation. Si l'on peut

13. Par exemple, dans la terminologie de la viande, les termes jambonneau, faux-filet, contre­filet et surlonge qui ne désignent pas tout à fait les mêmes réalités au Québec qu'en Europe.

14. C'est ainsi qu'en 1981, le ministère des Communications, au cours de séances d'infor­mation destinées à tous les fonctionnaires québécois, donnait dans un film comme modèles de formules à utiliser dans les conversations téléphoniques « gardez la ligne » et « bien­venue » (au lieu de « ne quittez pas » et « je vous en prie, de rien » ). Ces deux exemples sont justement des formes qui ont été condamnées par f Office de la langue française depuis de nombreuses années.


LA NORME LINGUISTIQUE

découper le réseau normalisateur en fonction du doublet terminologique et technique, on peut également le découper en fonction d'autres perspectives. Ainsi, chaque niveau de gouvernement, fédéral et québécois, a développé des mécanismes de normalisation et a confié à des organismes l'application des lois qui nécessitent l'exercice d'un pouvoir plus ou moins contraignant de normalisation. Des conflits de compétence peuvent théoriquement sur­venir entre l'application de lois fédérales et celle de lois québécoises parce que les domaines d'exercice ne sont pas, à bien des égards, clairement délimités. Le contentieux à ce sujet est important.

La philosophie de base qui sous-tend la politique fédérale des langues n'est pas la même que celle qui sous-tend la politique québécoise. La première souscrit à la promotion du bilinguisme institutionnel et à la recher­che de l'équipollence entre les capacités du français et de l'anglais à exprimer le réel via la normalisation. Cependant, si le français et l'anglais sont équi­pollents, ils ne sont pas pour autant équipotents, tant par l'importance numérique que par l'impact économique: le français est par conséquent tributaire d'une situation de traduction qui en fait essentiellement une langue d'arrivée, plutôt qu'une langue de départ, une langue de traduction calquée sur une culture autre qui peu à peu la façonne. On constate donc à Ottawa l'existence d'une situation de bilinguisme mais, par la force des choses, c'est-à-dire surtout par son poids démographique et son poids économique, le français n'y occupe qu'une place secondaire, celle d'une langue de traduction: on estime que 8% des traductions se font vers des langues étrangères et 92% en langues officielles; or, de ce nombre, 88% se font de l'anglais vers le français et 12% du français vers l'anglais''.

La politique québécoise est, quant à elle, différente puisque, s'appuyant sur une philosophie du rattrapage, elle cherche à faire du français la langue principale au Québec. C'est de cette intention que découle sans doute la tendance de la normalisation terminologique québécoise à prendre son mandat dans un sens très large, à rechercher la légitimation à travers la sanction légale et à faire de cette sanction l'aboutissement de la démarche normalisatrice.

C'est dans la manière dont l'une et l'autre Administration mènent leur action normalisatrice que les différences apparaissent le plus. Au Québec, la sanction juridique constitue la démarche ultime de la normalisation termi­nologique, la diffusion ayant été perçue jusqu'ici comme une étape secon­daire de l'intervention. Au fédéral, où les organismes chargés de la norma­lisation terminologique ne détiennent pas de véritable pouvoir exécutoire, l'accent est mis sur la recherche de la concertation et sur le désir d'atteindre, à travers un très vaste réseau de diffusion, le plus grand nombre possible d'usagers. Pour leur fonctionnement interne, les réseaux fédéral et québécois se consultent et pratiquent l'ajustement mutuel. Malgré tout, leurs usagers,

15. Procès-verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des Communes sur les langues officielles, fascicule 7, 3 mars 1981.

RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC



pour leur part, se trouvent en présence de deux procédures hétérogènes, dont l'une souscrit davantage à la définition légale et l'autre à la pénétration de marché.

Si, comme on vient de le voir, l'établissement d'une norme linguistique au sein d'une Administration (l'Administration fédérale et l'Administration québécoise) ne va pas sans créer des tiraillements internes, il ne sera pas

surprenant de constater des conflits ou des divergences entre l'activité nor­mative du gouvernement fédéral et celle du gouvernement québécois. Ces divergences se manifestent aussi bien au niveau de ce que l'on pourrait appeler la norme générale du français qu'au niveau de la normalisation terminologique. Comme exemple du premier cas, on peut prendre le titre de civilité « honorable », accepté dans l'Administration fédérale mais dénon­cé comme une forme fautive par l'Office de la langue française'". Ce sont cependant les rapports entre la normalisation terminologique fédérale et la normalisation terminologique québécoise qui retiendront plutôt notre atten­tion.



Ces rapports n'aboutissent pas nécessairement à une opposition entre deux blocs monolithiques. Il y a des cas où l'un des deux blocs présente des traces d'effritement L'Office de la langue française et le ministère de l'Agriculture du Canada préconisaient l'appellation boeuf haché alors que le ministère de la Consommation et des Corporations du Canada cherchait à imposer, dans l'étiquetage, la dénomination boeuf haché régulier; après plusieurs discussions, un compromis a été trouvé autour de boeuf haché ordinaire. Le ministère de l'Agriculture du Canada, celui de la Consommation et des Corporations et l'Office de la langue française acceptent l'appellation crème-dessert qu'interdit le ministère de l'Agriculture du Québec. La ligne de partage qui s'établit sur certaines questions terminologiques n'est donc pas toujours conforme à la division entre les deux ordres de gouvernement Il faut d'ailleurs tout de suite ajouter qu'en principe le Secrétariat d'État, organisme chargé de la normalisation terminologique fédérale, accepte d'entériner les normalisations de l'Office de la langue française. Il n'en de­meure pas moins que les lois et les règlements du gouvernement fédéral définissent et imposent parfois des termes qui ne sont pas acceptés par l'Office de la langue française' 7.

L'absence de coordination entre les deux ordres de gouvernement peut amener à des situations curieuses. Pour la seule terminologie de la découpe du boeuf, il y a en ce moment trois lexiques bilingues qui circulent

au Canada: un du ministère de l'Agriculture du Canada, un autre du ministère de la Consommation et des Corporations et un dernier de l'Office de la langue française"'; il n'y a pas de différences fondamentales entre



16. Voir Le français au bureau, 1977, p. 45.

17. La Codification administrative de la loi des aliments et drogues en offre plusieurs exemples. 18. Ce dernier ouvrage est en réalité le premier en date puisque sa première édition a paru en 1972.


LA NORME LINGUISTIQUE



ces trois publications mais plusieurs différences de détail qui peuvent, à la limite, être gênantes pour l'industrie. D'ailleurs, c'est l'industrie elle-même, qui se rend bien compte des problèmes qui peuvent surgir de l'existence de plusieurs lexiques pour un domaine donné, qui a fait des pressions pour que les deux gouvernements s'entendent et ne produisent qu'un seul lexique des produits laitiers; elle ne voulait pas avoir à prendre parti dans ce qu'un industriel a alors appelé une « guerre terminologique entre Ottawa et Québec ».

Le gouvernement fédéral occupe des champs de compétence qui ont d'importantes retombées linguistiques. C'est notamment le cas des marques de commerce, élément si important pour l'image française du Québec et sur lequel celui-ci n'a pas de prise. C'est aussi le cas des raisons sociales car les compagnies ont le choix, dans des circonstances que nous avons précédemment décrites, de les enregistrer à Québec ou à Ottawa; même si elles doivent de toute façon avoir une raison sociale française pour le Québec (art. 63 à 69 de la Charte de la langue française), le Québec ne peut intervenir pour imposer certains critères de qualité linguistique lorsque la raison sociale est enregistrée à Ottawa. La réglementation du commerce international relève aussi de la compétence du gouvernement fédéral: c'est ce qui explique, par exemple, que le Québec n'a pour ainsi dire pas voix au chapitre dans les travaux de normalisation internationale du Codex ali­mentarius, même s'il commence à s'affirmer au sein de l'LS.O.

Une autre différence importante touche les itinéraires que le français et l'anglais empruntent comme langues de normalisation. La langue véhicu­laire de la normalisation technique en Amérique du Nord est l'anglais; de plus, au Canada, c'est le sud de l'Ontario qui détient le leadership en matière économique et industrielle. La démarche terminologique, pour sa part, lorsqu'elle s'applique au traitement du français, emprunte le réseau de la francophonie, qui est d'abord européen. D s'ensuit deux circuits nettement différenciés, qui ne convergent pas, et deux traditions culturellement distinctes entre lesquelles la démarche normalisatrice québécoise oscille. Or, comme le faisait remarquer maître Ivan Bemier (1980) dans son rapport sur les réseaux de normalisation technique au Canada, la situation du français et du Québec laisse grandement à désirer:

« Au plan national, si l'on fait abstraction du B.N.Q. [Bureau de normalisation du Québec], il faut constater que la normalisation s'est effectuée de façon géné­rale en ne tenant pas compte du Québec. Les inconvénients qui en résultent sont nombreux et leur impact relativement grave. C'est ainsi que les industriels qué­bécois, par exemple, ont été coupés dans une large mesure de l'activité de nor­malisation. C'est ainsi également que cette absence marquée de représentants québécois, particulièrement lorsqu'on la met en parallèle avec la participation massive de la province voisine, a créé une situation peu propice à une réelle représentation des intérêts québécois. Cette normalisation qui se fait à l'exté­rieur du Québec et sans le Québec se fait aussi presque exclusivement en anglais [...]

Par rapport au reste du système canadien de normalisation, en dernier lieu, un minimum de changements apparaissent nécessaires pour assurer l'impartialité

RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC



des normes adoptées par les divers organismes pancanadiens de normalisation. Le rôle prépondérant laissé au secteur privé dans le système actuel, la place privilégiée qu'y trouve l'Ontario, ont pour effet de rendre illusoire la règle du consensus si fondamentale en matière de normalisation. Le secteur gouverne­mental et les consommateurs ne sont pas assez représentés dans le système actuel » (Bernier 1980: 79-81).

Dans un sens, la normalisation terminologique et la normalisation tech­nique n'évoluent pas dans deux univers séparés, mais cheminent parallè­lement, sans mécanisme d'intégration fonctionnelle. Le palier fédéral et le

palier provincial créent finalement un dédoublement des structures, ou du moins des fonctions, parce qu'il existe deux vocations nationales de norma­lisation. La décentralisation de l'activité normalisatrice est grande et aboutit à une constellation de petits organismes de normalisation entre lesquels il n'existe pas de structure organique.



En terminant, on peut se demander si la normalisation, comme méca­nisme de traitement d'une langue et comme émetteur de norme, favorise également le français et l'anglais et si la façon dont elle fonctionne ne reflète

tout simplement pas le statut et la puissance des langues en présence. Est-il possible de normaliser pour le meilleur profit de deux cultures ou à tout le moins de deux langues?



Ayant procédé, dans cette première partie de notre réflexion, à la description des organismes, des législations et de l'ensemble des mécanismes de normalisation, nous allons, dans une deuxième partie, poser l'hypothèse que la normalisation, si on désire qu'elle atteigne les buts qu'elle vise fonda­mentalement, doit rechercher le maximum d'intégration et d'économie. Nous allons d'autre part poser cette hypothèse dans le cadre de la situation qué­bécoise.

44$ LA NORME LINGUISTIQUE



DEUXIÈME PARTIE

La dynamique des mécanismes

1. Le critère de la langue

On a vu combien la normalisation terminologique et la normalisation technique se décomposaient en de multiples faisceaux. Si l'on se concentre sur les réseaux québécois, on constate que la normalisation qui s'y pratique possède un trait commun, qui peut devenir fortement unificateur si on le désire: celui de la langue, en l'occurrence le français. D'autre part, la nor­malisation terminologique et la normalisation technique présentent, on l'a déjà dit, une similitude de procédures très grande. Appliquées à la situation québécoise, avec le français comme langue de support et avec les mêmes données à exprimer, les similitudes sont encore plus accentuées. C'est dans cette voie que notre réflexion va maintenant s'orienter.

Prenons comme exemple l'organisation conceptuelle et administrative de la normalisation terminologique québécoise dont la responsabilité revient à l'Office de la langue française. L'Office tient son mandat de la Charte de la langue française, dont il se dégage une intention normalisatrice explicite définie dans un cadre plus général d'aménagement linguistique. Les domaines touchés par la normalisation sont prioritairement ceux de l'Administration et des entreprises, lorsque celles-ci font affaire avec l'Administration. Les réseaux touchés sont, prioritairement, ceux des ministères et organismes de l'Administration. L'environnement « interne » à la normalisation terminolo­gique est celui de l'Office lui-même, avec les procédures et les règles qu'ü a édictées; il s'agit par définition d'un environnement contrôlable. L'envi­ronnement « externe » est constitué de tous les intervenants qui sont liés de près ou de loin au phénomène; cet environnement est dynamique, complexe, hétérogène et constitué, par définition, d'une série de forces plus ou moins contrôlables auprès desquelles l'intervention doit être planifiée. Or, deux des éléments fondamentaux de l'environnement externe sont la normalisation technique et la conjoncture économique et industrielle du Québec: la nor­malisation terminologique ne peut faire abstraction de cette donnée essentielle de son environnement et elle doit y adapter son plan de croissance.

La normalisation terminologique est appelée à côtoyer et à intégrer plusieurs des éléments de la normalisation technique dans l'exercice de son pouvoir. Et vice versa. La normalisation technique tire quant à elle son mandat de législations particulières. Les domaines qu'elle touche sont ceux de l'industrie et de la technique. Son environnement interne est à tout le moins aussi standardisé que celui de la normalisation terminologique. Son environ­nement externe inclut, entre autres, la normalisation terminologique, l'Office de la langue française et également la Charte de la langue française. Car l'intention générale de la Charte, et son application, touchent, indirectement, le champ de la normalisation technique. Si l'on considère les deux modes de normalisation dans leur référence à la situation québécoise, on les désiqne

RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC



comme faisant partie d'une seule et même « culture » dont la langue porteuse est le français.

Nous posons comme principe, par conséquent, qu'il existe des lignes de force communes à la normalisation terminologique et technique19. Que, deuxièmement, les deux démarches relèvent d'une même finalité et touchent les mêmes usagers. Que, troisièmement, l'une et l'autre activité modifient à la longue le « tissu linguistique » québécois et qu'elles doivent par consé­quent converger.

2. L'administration de la normalisation terminologique

Le processus administratif de la normalisation terminologique devrait se dérouler théoriquement selon le schéma suivant:

Élaboration d'une norme terminologique

1. Constitution 2. Décision

d'un avis de ~ I de normalisation normaliser



5.

Contrôle de la pénétration







3. Publication à la

Gazette officielle





La normalisation est officialisée par la publication à la Gazette officielle. Même si elle a force exécutoire, jouit-elle de la diffusion nécessaire à son implantation? Si l'objectif de la normalisation est de rendre des décisions

exécutoires, le seul recours à la publication à la Gazette officielle suffit; si c'est également de modifier à la longue les usages et de les influencer, il faut développer des mécanismes plus efficaces de pénétration. Cette remarque a un corollaire obligé: si les avis de normalisation ont force de loi mais que, d'autre part, ils sont peu connus de ceux qui sont tenus de les mettre en application, on multiplie les risques, involontaires mais réels, d'infraction. Est-il opportun qu'il en soit ainsi? Dans une perspective d'amé­nagement linguistique, convient-il de supposer que nul n'est censé ignorer la langue?



19. Voir notamment les réflexions de Richard 1974: 79-88 et Lapaime 1974: 89-95, surtout p. 94.

LA NORME LINGUISTIQUE



Les avis de normalisation sont peu connus. On contrôle beaucoup leur procédure d'élaboration, mais on ne contrôle pas assez leur degré de péné­tration. Il faudrait pouvoir disposer de données à ce sujet, de façon à orienter les démarches normalisatrices ultérieures. La gestion quotidienne des activités n'a pas besoin de ces renseignements pour fonctionner, elle s'appuie sur les règles et les procédures déjà en place. La gestion à moyen terme en a besoin, tout comme de données sur la conjoncture technique et économique. Il conviendrait donc de développer une procédure de diffusion et de rétro­action. Il ne semble pas que la démarche de la normalisation technique éprouve les mêmes difficultés de pénétration et de diffusion parce que la concertation en matière technique entraîne une plus large diffusion. Les difficultés sont autres: en matière de normalisation technique, la langue n'entre pas parmi les critères de représentativité à l'échelle canadienne, ce qui crée une sous-représentation permanente du français.

Un élément important qui milite en faveur d'une évaluation du degré de pénétration de la normalisation terminologique est le suivant: il n'est pas assuré que la seule lecture de l'avis à la Gazette officielle constitue pour les usagers une information suffisante et éclairante. L'exemple de l'expression « uacancy - no uacancy », déjà cité à la page 442, et dont l'équivalent français a été normalisé au Québec sous la forme « complet --- P », est éloquent: soit que les usagers n'y ont rien compris et ont spontanément introduit le terme « incomplet » à la place du terme zéro, soit qu'ils ont considéré que la forme préconisée est trop éloignée de leurs habitudes culturelles et des lois du marché. Ce qui montre bien que, dans les cas où les avis de normalisation portent en particulier sur des faits stylistiques ou sur la langue générale, il faut les assortir d'un « mode d'emploi », de crainte d'obtenir un usage différent de l'usage souhaité. D'où la nécessité, de plus, d'une information limpide et univoque ou, en d'autres termes, d'une pédagogie accompagnant la diffusion et en faisant intégralement partie.

Nous dégageons ainsi un deuxième principe: la normalisation, de nature terminologique, devrait accroître son caractère de « visibilité » et assurer une pénétration plus efficace de ses décisions, par une diffusion systématique.

3. Normalisation et recommandation

Existe-t-il une relation fonctionnelle entre la normalisation et la recom­mandation en matière terminologique? La normalisation a comme fonction de définir un usage obligatoire. Quant à la recommandation, on peut a priori lui assigner une double fonction: servir, d'une part, à préconiser un usage et servir, d'autre part, d'étape transitoire vers la normalisation. Mais quel est le statut juridique de la recommandation? Précède-t-elle toujours la normalisation, en d'autres termes un avis de recommandation constitue-t-il une « période de probation » allouée à un futur avis de normalisation, comme cela se fait à l'LS.O.?

RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC



Au Québec, on a souvent donné à la recommandation une fonction incitative, pour encourager des usages qui étaient souvent du domaine de la langue générale et pour lesquels le recours à la normalisation se serait

révélé, de toute façon, inefficace. Cependant, les publics-cibles visés par ces avis n'ont pas toujours fait la différence entre avis de recommandation et avis de normalisation et ont pu considérer le pouvoir de normalisation qui s'exerçait comme abusif. En fait, normalisation et recommandation ne touchaient pas les mêmes objets.



Ne vaudrait-il pas mieux considérer que la normalisation devrait toujours être précédée d'une étape de recommandation? Ainsi, l'étape préalable nécessaire à la légitimation via la normalisation terminologique serait toujours

la recommandation. Cette dernière pourrait, cependant, ne pas être suivie d'une étape de normalisation.



Cette démarche en deux étapes présenterait l'avantage d'assurer à la normalisation terminologique une plus grande fiabilité. Ainsi, pendant la période probatoire, des modifications pourraient être apportées, le cas

échéant, au futur avis de normalisation. On éviterait ainsi de revenir sur des avis de normalisation déjà donnés, ce qui a déjà été le cas, car cela a pour effet d'enlever à la normalisation son caractère de certitude et de fiabilité, au sens où l'entendent Johnson et Sager (1980: 102):



« Standardized ternis can only serve this fonction, and, indeed, should only be adopted if the collective state of knowledge in the relevant discipline or sub­discipline is sufficiently stable not to require modification in the foreseeable future. »

U ressort de ces réflexions, comme troisième principe, que la norma­lisation terminologique gagnerait à être assortie d'une étape obligatoire de recommandation. D'une part, cette procédure renforcerait la fiabilité de la démarche et, d'autre part, elle accroîtrait son degré d'institutionnalisation.

4. Normalisation et planification linguistique

La normalisation tant technique que terminologique fait partie d'un processus de changement linguistique planifié pour le Québec. La modifi­cation ou l'orientation des usages linguistiques des institutions, en particulier celles de (Administration et des entreprises, a un effet considérable sur révolution de la situation linguistique parce que ces institutions jouent le rôle d'« images collectives ».

La normalisation est partie intégrante du processus de l'aménagement linguistique québécois. Mais son domaine privilégié d'intervention, si on lit attentivement la Charte de la langue française, n'est pas celui des entreprises, de l'industrie, du commerce (sauf pour l'affichage public), c'est d'abord celui de (Administration et seulement par ricochet celui des entreprises, de l'industrie et des techniques.


LA NORME LINGUISTIQUE

Même si normalisation terminologique et planification linguistique sont deux activités qu'il importe de ne pas confondre (cf. Rey, 1976: 37), la normalisation terminologique ne gagnerait-elle pas à être liée plus étroitement au processus de francisation des entreprises? Cela permettrait à l'Office de la langue française d'orienter ses travaux de normalisation davantage en fonction de l'évolution de la francisation des entreprises, à laquelle elle contribue largement. Cela permettrait également d'ajuster de façon plus étroite les démarches de normalisation terminologique aux démarches de normalisation technique et de prévoir une plus grande concertation avec des organismes comme le Bureau de normalisation du Québec. Mais il faudrait s'assurer surtout que l'entreprise ait voix au chapitre.

5. Macronormalisation pour le Québec

La normalisation technique et la normalisation terminologique relèvent­elles d'un même ordre d'intervention? Si on en convient, il faut essayer de les coordonner. Si on en disconvient, il faut néanmoins les articuler l'une à l'autre. 1 nous semble que les deux mécanismes relèvent d'une même finalité et qu'il faut développer entre elles le plus d'affinités possibles.

La Charte de la langue française a constitué un moteur important de la démarche normalisatrice pour le Québec en renforçant des tendances qui étaient déjà présentes depuis la Loi sur la langue officielle (loi 22). D'autre part, des organismes comme le Bureau de normalisation du Québec et le ministère de l'Agriculture du Québec détiennent, en fonction de certaines législations, un leadership certain dans le domaine technique. 1 importe donc de préciser le statut que l'on veut allouer à la normalisation, dans son sens le plus général. La normalisation technique est axée sur la rationalisation de la production de biens; la normalisation terminologique, elle, repose davantage sur la rationalisation de l'utilisation de certains termes. II con­viendrait de définir une fonction de macronormalisation qui chapeauterait deux microfonctions, l'une technique, l'autre terminologique. Plusieurs arguments militent en faveur d'une telle orientation.

D'une part, ce qui manque peut-être à la normalisation, actuellement, c'est le fait que les décisions qui se prennent, à travers différents mécanismes de légitimation, ne sont pas intégrées à une macrostructure. Les sources de normalisation sont très nombreuses et fonctionnent souvent indépendamment les unes des autres. Il faudrait rechercher la concertation et faire également mieux comprendre à tous les intervenants les implications de la normalisation. D'autre part, il faut que la fonction de macronormalisation concoure davan­tage à la réaffirmation du français au Québec comme langue standard, au sens où nous l'avons définie dans la première partie de notre exposé.

Si l'on se reporte au tableau de la page 449, on conviendra que le processus d'élaboration de la norme terminologique peut intégrer facilement une dimension de concertation. Le processus de diffusion de la normalisation

RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC



terminologique pourrait reposer sur une structure commune, qui relierait « organiquement » les différents mécanismes de normalisation (terminolo­gique, technique, nommes de sécurité, etc.) sans nier à chaque démarche de normalisation sa vocation spécifique. Car s'il est justifié que chaque autorité en matière de normalisation conserve son autonomie d'élaboration, il est aussi justifié que l'intervention normalisatrice, lorsqu'elle intervient sur le réel et pénètre l'usage, s'incarne dans une seule fonction.

Le deuxième argument en faveur d'un raccord plus manifeste entre normalisation technique et normalisation terminologique tient aux retombées possibles de la signature par le Canada des accords du GATT de janvier 1980, pour ce qui touche les obstacles techniques au commerce. Par cet accord, le Canada s'engage à ce que chaque province respecte l'entente, qui a pour but d'harmoniser les normes nationales élaborées par chacun des pays membres de l'accord. Les provinces, si elles acceptent de se conformer à l'accord, acceptent du même coup de se doter d'un mécanisme d'information et de coordination les rendant aptes à répondre à toute demande d'information concernant tout règlement technique, toute norme, tout système de certification qu'elles ont adopté ou qu'elles se proposent d'adopter. Le Québec n'a pas, à ce moment, accepté les termes de l'accord. Mais, s'il le fait, il devra se conformer à l'obligation de désigner un organisme central d'information où tous les renseignements touchant la normalisation qui se fait au Québec devront à tout le moins être stockés. En vertu des accords du GATT, un pays membre devra avertir les cosignataires avant l'adoption de toute nouvelle norme. Ce qui rendra d'autant plus nécessaire la concertation, et ce d'abord au niveau national.

Autre élément d'importance: le gouvernement fédéral et le gouver­nement québécois se partagent la compétence en matière de normalisation, selon qu'il s'agit de commerce intraprovincial ou international (compétence fédérale) ou de commerce intraprovincial (compétence québécoise)" selon le type de commerce visé. Or, deux arrêts récents laissent entrevoir la possi­bilité pour le Québec d'avoir à intervenir de plus en plus dans le domaine de la normalisation et de la réglementation technique. Un jugement, l'arrêt Labatt [(1980) 1 RC.S. 944], a remis implicitement en question la constitu­tionnalité d'un bon nombre de normes déjà édictées en vertu de la loi fédérale des aliments et drogues et ce, en reconnaissant en fonction de la production et de la mise en marché intraprovinciale, que les normes de composition de la bière relevaient désormais des provinces. En second lieu, le jugement de la Cour suprême du Canada sur certains aspects de la Charte de la langue française (arrêt Blaikie) est venu remettre en question la validité de nombreux règlements québécois qui incorporent par référence des normes canadiennes, américaines ou autres, rédigées exclusivement en anglais. Un individu, ou une personne morale, accusé de n'avoir pas

20. Cette compétence a été récemment confirmée dans la cause Singer.

LA NORME LINGUISTIQUE



respecté une norme québécoise, pourrait plaider l'inconstitutionnalité de

cette norme pour autant qu'elle incorpore des normes en langue étrangère: « ... il appert qu'en vertu de l'article 133 de la Constitution, le Québec est tenu d'adopter, d'imprimer et de publier en français et en anglais non seulement ses

lois mais également ses règlements. Or, si l'on considère que l'adoption par référence de normes rédigées exclusivement en anglais a pour effet d'intégrer celles-ci au règlement d'une manière tellement essentielle que c'est par ce biais que se trouvent définies les obligations des parties, on doit conclure presque forcément à l'inconstitutionnalité de ces règlements u (Bernier, 1980: 73; on pourra aussi consulter Barbe 1982 qui donne toute une liste de règlements adoptant par référence des normes techniques en langue anglaise).



Il importe donc pour le Québec de transposer en français les nom­breuses références à des normes étrangères qui émaillent ses règlements. Ce qui devrait inciter à une meilleure concertation de tous les organismes qui font de la normalisation au Québec.

6. La Charte de la langue française et les autres lois québécoises

La Charte de la langue française, comme son titre l'indique, énonce un ensemble de principes fondamentaux portant sur le français au Québec. Mais il faut être prudent lorsqu'on affirme la suprématie de la Charte sur d'autres lois. D'autre part, en droit, le plus spécifique l'emporte sur le plus général et les lois plus récentes l'emportent sur les lois plus anciennes. On peut considérer que les lois, dans la mesure où elles ne sont pas des textes émanant de l'Administration, ne sont pas assujetties à l'obligation d'utiliser les termes normalisés par l'Office de la langue française. La Régie des rentes du Québec, dans son rapport annuel 1979-1980, explique les motifs pour lesquels elle n'utilise pas les termes normalisés par l'Office:

« Certains termes paraissant dans le présent rapport ne sont pas ceux qui ont été normalisés par l'Office de la langue française. Selon l'article 118 de la Charte de la langue française, l'emploi des termes et expressions normalisés devient obligatoire dans les textes et documents émanant de l'Administration (... ). Or, les lois administrées par la Régie n'ont pas été modifiées pour tenir compte des avis de normalisation. Par conséquent, les termes paraissant dans les lois ont dû être employés dans le présent rapport



Mais la situation se régularisera dès que les lois en question auront été modifiées. Toutefois, la situation se complique du fait que l'Office diffuse deux terminologies, parfois assez différentes, pour le domaine des rentes: d'une part, une liste de termes normalisés parus à la Gazette officielle, d'autre part une publication intitulée Terminologie des rentes de retraite (1980)='.

21. Parmi les nombreuses divergences que nous avons relevées entre ces deux terminologies, citons (le premier terme de chaque paire apparaît à la Gazette officielle, le second dans le lexique Terminologie des rentes de retraite): conditions d'admission et conditions d'adhésion, cotisation d'équilibre (special payment) et cotisation spéciale (special con­tribution), acquisition conditionnelle et acquisition éventuelle, régime salaire de carrière et régime reconstitution de carrière, etc. Les divergences atteignent même les équivalents anglais (deferred vesting et delayed vesting) et les définitions (par exemple, dans le cas de régime pourcentage-salaire et de régime à prestations partiellement déterminées, tous deux donnés comme équivalents de unit benefit plan).

RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC



Parmi les autres cas où une décision terminologique prise par l'Office vient en contradiction avec une loi ou un règlement, citons la définition normalisée que l'Office a donnée de crème-dessert-'= (Gazette officielle, 112e année, n° 43, 25 octobre 1980, p. 10368) et qui contredit l'article 28 de la Loi sur les produits laitiers et leurs succédanés ainsi que le Règlement sur les succédanés de produits laitiers du ministère de l'Agriculture du Qué­bec; dans ce dernier cas, il faudrait savoir si la décision de l'Office a pré­séance. S'il est clair que la Charte a préséance en ce qui a trait aux droits linguistiques fondamentaux, il demeure douteux qu'on puisse se servir de cet argument pour justifier une décision spécifique de l'Office. Car, d'après les règles d'interprétation, le plus spécifique l'emporte sur le plus général (et les lois plus récentes l'emportent sur les lois plus anciennes). Par conséquent, l'article 28 et le règlement cité, qui visent une norme tech­nique spécifique pour la protection de l'industrie laitière, (l'article 28 de la loi interdit la référence au mot crème dans les succédanés) pourraient avoir préséance sur un avis de normalisation de l'Office et pourraient poser un problème d'interprétation.

Dans le domaine juridique, pour vouloir tenir compte de l'esprit de la Charte, tout en maintenant une certitude juridique, il faudrait modifier les textes de loi dans leur ensemble du point de vue terminologique et non pas seulement continuer, en normalisant, de mettre en circulation des termes concurrents. Une telle tâche est loin d'être irréalisable avec les progrès de l'informatique=''.

D'autre part, pour que la normalisation devienne efficace et ne con­tribue pas à multiplier des ternes ayant tous des valeurs juridiques mais provenant de législations diverses, il importe que des moyens de consultation et de concertation soient mis en place.

Conclusion

La normalisation terminologique à valeur juridique n'est introduite au Québec que depuis l'adoption de la Charte de la langue française et n'est

22.

23.

D'ailleurs, la définition citée à la Gazette officielle est trop complexe: crème-dessert, n.f. Entremets à base de lait écrémé, de sucre, d'huile végétale hydrogénée, d'amidon modifié et de différents produits chimiques, aromatisé artificiellement et coloré, vendu dans le commerce sous deux formes:

1. Prêt à servir dans des boites de conserve de format courant ou prêt à manger, dans des mini-boites individuelles munies d'un dispositif d'ouverture qui permet la consommation à même la boîte;

2. Sous emballage cartonné, poudre à laquelle on ajoute du lait, sans cuisson. Anglais 1: pudding, cream pudding, sort custard, quick custard, pudding in a cup

Anglais 2: pudding, cream pudding, soif custard, quick custard, instant pudding, instant pudding mix



I suffirait, par exemple, qu'un fabricant utilise un arôme naturel plutôt qu'artificiel pour justifier son refus d'utiliser le terme crème-dessert!

Une mise à jour automatisée se fait déjà au ministère de la Justice du Québec.


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