404 la norme linguistique l'occultation du caractère maternel de la langue nationale



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LA NORME LINGUISTIQUE

en vigueur que depuis avril 1978, date à laquelle l'Office de la langue française instituait sa Commission de terminologie. Même s'il ne s'est écoulé que quatre années depuis, cette expérience est assez riche pour qu'on puisse en tirer des éléments de réflexion qui, nous le croyons, pourraient être utiles à d'autres situations d'aménagement linguistique.

Les éléments de réflexion qui se dégagent de la situation peuvent être regroupés sous deux grandes rubriques: des considérations purement lin­guistiques et des considérations extra-linguistiques, en particulier d'ordre administratif et politique.

II nous est apparu, au cours de notre réflexion, qu'il y aurait avantage à faire moins usage de la normalisation terminologique, au sens strict, du moins tant que des mécanismes administratifs de concertation n'auront pas été mis en place, pour éviter des situations gênantes de conflit terminologique. D'autre part, lorsque, comme nous alions le suggérer, normalisation termi­nologique et normalisation technique auront été agencées de façon fonc­tionnelle, la normalisation terminologique de la langue technique n'en sera que plus efficace et le caractère juridique n'en constituera pas un élément essentiel et, à la limite, pourra en être absent Ce qui est sûr, c'est qu'il nous apparaît extrêmement délicat de procéder à de nombreuses normalisations dans des domaines qui ont des répercussions sur la langue générale. Dans ce cas, il nous semble préférable de procéder de façon plus incitative et c'est ce qui nous amène à réaffirmer le statut privilégié de la recommandation. C'est pourquoi nous croyons plus approprié que toute normalisation soit précédée d'une étape transitoire obligatoire de recommandation. Il ne faut pas non plus oublier qu'en vertu de son autorité morale incontestable, un organisme « normalisateur » ou une académie de langue peut se contenter aussi de simples suggestions. Nous sommes donc en face de trois modes d'intervention possibles: la suggestion, la recommandation et la normali­sation.

D'autre part, il nous semble fondamental que la première étape du travail d'un organisme normalisateur et d'une académie de langue soit de justifier et d'expliquer les grands principes qui sous-tendent son action normalisatrice '14.

Fondamentalement, la normalisation terminologique demeure une démarche coercitive car elle a pour but d'orienter l'usage dans certains sec­teurs déterminés, dans la pensée que cela aura une influence sur la langue générale. Toutes les démarches de ce type doivent donc être présentées de façon positive pour ne pas braquer les locuteurs et éviter ainsi une remise

24. Pour prendre des exemples récents au Québec, toutes les discussions qui ont entouré dans le public la diffusion d'une nouvelle terminologie pour les plats d'origine américaine (hamburger, smoked-ment, etc.) n'auraient-elles pas été plus fructueuses si elles avaient porté sur les principes qui doivent guider l'action de l'Office de la langue française dans son acceptation ou son rejet des mots étrangers plutôt que sur des propositions termino­logiques particulières? Tant que les discussions ne porteront que sur des mots isolés, l'accord ne sera pas possible et les antagonismes ne feront que croître.


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en question, à partir d'un élément somme toute mineur, des principes fon­damentaux d'une législation linguistique. C'est ce que nous appellerons une pédagogie de la normalisation, car il peut devenir contre-productif de lancer des termes dans le grand public sans fournir des explications néces­saires et sans expliquer que le pouvoir coercitif de la normalisation ne peut s'appliquer qu'à des secteurs bien déterminés de l'activité humaine. Consi­dérée du point de vue de la langue générale, la normalisation a pour but, à moyen terme, d'augmenter la variation linguistique dans la population pour, à plus long terme, réussir à imposer un usage linguistique, et elle s'exerce d'abord dans des secteurs spécifiques où on fait disparaître la variation linguistique et, conséquemment, les formes condamnées, pour imposer les formes normalisées, étant sous-entendu que ces sous-secteurs auront un effet d'entraînement sur les usages linguistiques de la population. Dans cette perspective, il y aurait donc comme une contradiction interne à ce que les décisions normatives soient prises en vase clos. Voilà donc posé le problème de la place de l'usage dans la normalisation. Au Québec, étant donné l'existence de nombreuses terminologies techniques fortement anglicisées, et leur dissémination dans la langue générale, il est vraiment rare que la normalisation puisse être la sanction d'un usage répandu'27, car le plus souvent les termes normalisés sont destinés à remplacer une termi­nologie jugée, à un titre ou à un autre, indésirable. Pour ce faire, il faut de toute évidence accorder une grande importance à la diffusion des termes proposés, recommandés ou normalisés. Cette diffusion ne saurait être que la première étape dans une stratégie de l'implantation terminologique sur­tout au niveau de la langue générale 21i, car des études comme celles de Monica Heller (1978 et 1979) ont montré qu'on ne pouvait pas procéder au remplacement de régionalismes comme on procède au remplacement de termes anglais. 1 faudra encore poursuivre la réflexion sur les facteurs sociolinguistiques qui conditionnent l'implantation.

Si le champ de la normalisation, entendue au sens juridique, devrait être restreint, jl n'en demeure pas moins que les efforts d'uniformisation plus générale sont essentiels, dans les sociétés contemporaines, à la commu­

nication privée et publique, et les efforts de standardisation sont indispen­sables au développement des technologies. C'est ce qui fait que dans un cas comme celui du Québec il faut viser à ce que les entreprises participent de plus en plus à la normalisation technique et que, parallèlement, une fois devenues autosuffisantes sur le plan linguistique et n'ayant plus besoin du support d'un organisme comme l'Office de la langue française, elles contri­buent elles-mêmes à développer les terminologies dont elles ont besoin.



25. Comme ce fut le cas lors de la normalisation de K tabagie » (bureau de tabac).

26. Au Québec, les réflexions sur l'implantation sont en train de prendre forme. Citons à titre d'exemple le colloque organisé par le Conseil de la langue française sur la francisation des entreprises, celui organisé conjointement par l'Office de la langue française et la Société

des Traducteurs, en avril 1982 (dont les actes ne sont pas encore parus) et l'étude sur l'implantation terminologique commandée par l'Office de la langue française à la firme SORECOM.

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C'est ce qui permettra peut-être au Québec d'occuper sa place dans le réseau canadien de la normalisation technique qui, jusqu'à présent, a été contrôlé par les industriels du sud de l'Ontario.

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RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC



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Cinquième partie Problèmes pratiques


XVIII


Norme et enseignement de la langue maternelle'

Gilles Gagné

Les enseignants de la langue maternelle qui oeuvrent en particulier au primaire et au secondaire se posent souvent de nombreuses questions sur le contenu et l'efficacité de leur enseignement du français. Quel(s) français doit-on enseigner? Peut-on accepter n'importe quel niveau de langue en classe? Comment corriger la langue des enfants? Est-ce possible? Peut-on faire quelque chose pour changer la langue du milieu? Ces questions, qui se posent également à l' ensemble du système scolaire québécois et de nombreux autres pays, relèvent du domaine de la didactique ou de la pédagogie de la langue maternelle. Elles se situent par rapport aux objectifs et aux orientations de cet enseignement.

Comme beaucoup de problèmes de didactique de la langue maternelle, la question de la norme, ou plus spécifiquement de la langue à enseigner, exige une synthèse multidisciplinaire de données de domaines plus fonda­mentaux comme la linguistique, la psycholinguistique et la sociolinguistique ou plus généraux comme la pédagogie. Cependant, les données d'ordre théorique ou expérimental que ces disciplines fournissent ne constituent pas encore un cadre explicatif unique et universellement admis. Pour éclairer la question de la nomme et de la langue à enseigner, cet article se propose dans un premier temps de faire une cueillette, un choix de données disciplinaires parmi celles qui semblent les plus sûres et les plus pertinentes. Une telle démarche implique qu'il n'y aura pas d'approfondissement de ces données fondamentales, mais une tentative de synthèse qui puisse apporter une vision cohérente fondant l'existence d'une ou de plusieurs nommes.

Les différentes conceptions de la langue et de la norme donnent lieu à des orientations et à des objectifs pédagogiques de l'enseignement de la langue maternelle que l'on peut regrouper en deux tendances nettement

différentes: une pédagogie centrée sur le code et une pédagogie centrée sur l'utilisation du code. Une discussion des limites de chaque tendance faite en particulier à la lumière des concepts dégagés dans la première partie



1. L'auteur tient à remercier Claude Germain, Roger Lazure et Elca Tarrab pour leur précieuse contribution à la révision de ce texte de mime que Nicole Gaboury pour sa dactylographie.

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devrait permettre d'aboutir à proposer une synthèse conceptuelle de ces tendances. Cette discussion aura lieu en tenant compte du cadre scolaire régulier et ne pourra s'appliquer au développement du langage au pré­scolaire, ni aux enfants nécessitant des interventions orthopédagogiques ou dont la langue première toujours parlée à la maison n'est pas le français.

Les concepts fondamentaux dégagés quant à la norme et la synthèse pédagogique proposée sont susceptibles de permettre de formuler dans un troisième temps des propositions d'objectifs généraux et de contenus linguis­tiques pour l'enseignement du français langue maternelle. Ces propositions tiennent compte de la société québécoise et de la réalité éducative d'une salle de classe, mais n'offrent pas de suggestions de méthodologie ni de démarche d'enseignement n s'agit d'un essai théorique, limité à la déter­mination des contenus linguistiques de l'enseignement et à l'identification de quelques critères de choix d'éléments linguistiques oraux à développer chez les enfants du primaire et du secondaire.

1. Quelques considérations préalables

L'école a comme objectif d'enseigner la langue maternelle. A première vue, pour quiconque n'a pas réfléchi aux questions de langue et de langage, cet objectif semble clair et simple. Toutefois, il n'en est rien. l'objet de l'en­seignement n'est pas clairement défini. En effet, la langue est constituée d'un ensemble de variations (1.1) dont il y a lieu de connaître le fonctionnement pour expliquer l'intercompréhension (1.2) qui se réalise malgré ces variations. II faut également savoir à quoi sert la langue (1.3) afin de déterminer pourquoi l'enseigner. La compréhension du langage des enfants (1.4) est utile pour savoir comment ce dernier peut se développer et afin de comprendre le rôle important que la langue joue dans l'enseignement et les apprentissages scolaires (1.5). Une étude, même très sommaire, de ces cinq questions constitue un préalable nécessaire pour situer le problème de la norme et de l'enseignement de la langue maternelle.

1.1 La variation linguistique

La langue française ne constitue pas un tout homogène. Au contraire, elle présente de nombreuses variations de sorte qu'il y a rarement une seule façon d'exprimer la même chose. Pour exprimer une même réalité, il existe plusieurs variantes, c'est-à-dire des formes linguistiques différentes qui véhiculent le même sens. Ces variations tiennent d'abord aux différences entre le français écrit et le français parlé et ce dernier présente à son tour des variations d'ordre linguistique, géographique, social ou de registre.

1.1.1 Français écrit, français parlé

On distingue dans un premier temps le français parlé et le français écrit Il n'est pas clair s'il s'agit de deux codes distincts ou de deux réalisations différentes d'un même code, si les similitudes sont plus nombreuses que les

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différences. Peu importe, les différences existent et de façon importante. On a pu les identifier quant aux constituants de surface: les graphèmes ou les phones et quant aux autres niveaux de l'analyse linguistique: la phono­logie, la morphologie (grammaticale), la syntaxe, le lexique. On a également fait ressortir des différences entre les activités de production orale (parler) et écrite (écrire) de même qu'entre les activités de réception orale (écoute) et écrite (lecture). Les situations de communication diffèrent elles aussi par plusieurs aspects selon que le « canal » écrit ou oral est utilisé. L'existence de telles différences conduit à aborder différemment la question de la nomme selon qu'il s'agit du français parlé ou du français écrit

1.1.2 La norme en français écrit

Dans l'ensemble, le problème de la norme se pose avec peu d'acuité en français écrit En effet, les textes publiés sont presque tous écrits dans un français qui respecte les prescriptions d'orthographe lexicale et gramma­ticale telles qu'elles apparaissent dans les dictionnaires comme le Larousse ou le Robert et dans les grammaires comme celle de Grevisse. Malgré les velléités de réforme orthographique et l'intérêt social et pédagogique suscité par cette dernière, la nécessité d'une orthographe et d'une grammaire uniques du français écrit n'est à peu près pas contestée. La perspective normative s'impose d'autant plus facilement qu'il n'y a pas multiplicité des usages orthographiques et grammaticauxl. Malgré l'arbitraire de l' orthographe lexicale et de la grammaticalité morphologique, morphosyntaxique et syn­taxique, l'enseignement du français écrit s'inscrit dans le cadre des grammaires et des dictionnaires normatifs existants.

1.1.3 Les variations du français parlé

A l'oral, le français, comme toutes les langues, est moins homogène et se prête à de nombreuses variations d'usage. Les études réalisées jusqu'à maintenant révèlent que les variations sont beaucoup plus considérables aux niveaux lexical et phonologique qu'aux niveaux syntaxique et morpho­logique. En outre, elles permettent de distinguer quatre types de variations: des variations d'ordre social, des variations de registres, des variations dues à des contraintes linguistiques et des variations d'ordre géographique.

Les dernières, connues depuis longtemps, sont les plus accessibles à l'expérience commune. Les accents, par exemple, constituent des façons différentes de diré les mêmes mots et varient d'un pays, d'une région et quelquefois d'un village à l'autre. C'est souvent par l'accent que l'on peut identifier l'origine géographique de quelqu'un. Le lexique quotidien varie également en fonction des régions de la francophonie. Il est connu depuis longtemps que l'on prend son petit déjeuner, que l'on déjeune et que l'on dîne à Paris alors qu'à Montréal on déjeune, on dîne et on soupe. Les études de dialectologie géographique livrent de très nombreuses variantes lexicales

2. Ce qui n'est pas le cas des usages stylistiques ou littéraires. Nous y reviendrons.

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et phonologiques. L'ensemble des variantes ayant cours dans une région donnée constitue ce qu'on peut appeler une variété dialectale. C'est le cas, par exemple, du français québécois, du français parisien, etc.

Les variations d'ordre social comprennent des variantes reliées à des variables qui ont pu être isolées expérimentalement. Chambers et Trudgill (1980) mentionnent notamment la classe sociale, le sexe, l'appartenance

à un groupe ethnique, les réseaux sociaux, l'âge et différents facteurs individuels. Les relations entre les variantes et les variables mentionnées ci-dessus semblent plutôt se situer sur un continuum que se présenter de façon dichotomique ou discontinue. D ne s'agit pas d'une classe socio­économique utilisant exclusivement une variante et d'une autre classe utilisant une deuxième variante, une de ces variantes étant généralement perçue comme plus correcte. En général, dans une situation de commu­nication identique, tous les groupes auraient tendance à utiliser les deux variantes, mais dans des proportions différentes. En d'autres termes, les locuteurs posséderaient un répertoire de formes linguistiques concurrentes dont la disponibilité varierait en fonction de l'âge, du sexe, de la classe sociale, etc., des locuteurs. D s'agit de variations sociales, de ce que Laks (1977: 114), à la suite de Labov (1972), appelle « la stratification sociale » de variables linguistiques.



L'utilisation par le même locuteur d'une variante plutôt que d'une autre dépend sans doute de plusieurs facteurs comme l'état psychosomatique du locuteur, le sujet dont il parle, sa relation avec l'interlocuteur, etc. Pour le moment, les études indiquent clairement que le choix dépend de la situation de communication où le locuteur se trouve et, bien sûr, de la perception qu'il en a Expérimentalement, Labov (1971) a trouvé que le contexte situationnel constituait un facteur de variation. Ainsi, la prononciation du /r/ post­vocalique a varié chez des adultes new-yorkais selon qu'ils étaient dans un contexte informel ou dans un contexte formel ou qu'ils lisaient des listes de mots ou des paires minimales. II s'agit ici de variations « stylistiques », c'est-à-dire de variations dues à des changements de situation de parole d'un même locuteur.

La distinction entre variations sociales et variations stylistiques permet de mieux définir la notion de registre. Ce terme, plus neutre, est préféré à l'expression « niveau de langue » qui dénote « des présupposés subjectifs implicites » (Mounin, 1975: 133) et une hiérarchisation sociale des variantes linguistiques. Pour les fins de cet article, nous définissons le registre comme l'ensemble des variantes linguistiques qui se retrouveraient probablement le plus fréquemment dans tel type de communication. D correspond en gros à registrer ou speech style. Nous suggérons donc de limiter la notion de niveau aux variations d'ordre stylistique et non social.

II n'est pas facile de déterminer ces registres. En effet, une typologie des situations de communication semble pour le moment impossible à réaliser à cause en particulier de la complexité des interrelations entre les composantes

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de la communication: locuteur, intention, encodage, canal, message, déco­dage, interprétation, interlocuteur, contexte, référents. On ne peut identifier les différents registres que de façon arbitraire, intuitive et théorique. En gros, les auteurs s'entendent pour distinguer à l'oral soit deux niveaux: formel et informel, soit trois niveaux: populaire et courant (informel), de même que soutenu (formel). A l'écrit, on pourrait dégager les niveaux familier, correct et littéraire. Un exemple serait utile pour illustrer les correspondances de registre entre le code oral et le code écrit. Ainsi, l'omission du ne de négation serait courante (informelle) à l'oral mais familière à l'écrit alors que la présence du ne serait un indice d'un niveau écrit correct et d'un niveau oral soutenu (formel). Le tableau présenté en annexe fournit des exemples de registres québécois. Quoique la notion en soit théorique et les classifications encore arbitraires, les registres de langue fournissent un outil utile pour essayer de rendre compte d'une partie de la variation linguistique.

Un dernier type de variations peut se produire effectivement pour un même locuteur à l'intérieur d'un même type de situations ou de la même situation de communication. Irréductible aux trois variations précédentes,

il s'agit d'une variation qui se déduit de « l'hétérogénéité interne au système linguistique lui-même » (Lasks, 1977: 114). Ainsi, les phonèmes se réalisent de façon différente en fonction de leur environnement Les traits des pho­nèmes environnants influencent en effet la réalisation du phonème, comme dans le cas de /g/ qui est plus ou moins palatalisé lorsqu'il est suivi d'une voyelle antérieure comme /Ü, /y/ ou /e/ et plus ou moins vélarisé lorsqu'il est suivi d'une voyelle postérieure comme /u/ ou /D/. Ce type de variation, longtemps considéré comme variation « libre », n'a rien de libre et tout de systématique: il semble obéir à des règles contraignantes.



1.2.4 Une ou des normes pour le français parlé?

Par rapport à la réalité de la variation linguistique, mise en évidence dans l'utilisation du code oral, est-il possible de concevoir l'existence d'une norme qui serait unique et prescriptive? Dans ce cas, une variété dialectale, une variété sociale et un registre seraient considérés comme appartenant à la norme et, de ce fait, qualifiés de standard. Les autres variantes seraient alors perçues de façon négative comme des écarts, des particularismes, des dialectologismes, des termes populaires, etc. Il est intéressant de constater que le français oral standard, en d'autres termes le bon usage, dans la mesure où il existe, a tendance à être défini comme l'intersection de trois ensembles: la variété parisienne, la variété « bourgeoise » et le registre formel.

Dans une critique importante de ce qu'il appelle le discours prescriptif, Alain Rey (1972, pp. 17-19) déplore que ce dernier confonde le bon usage et la norme avec la langue elle-même et qu'il effectue une évaluation critique

et hiérarchisante des autres usages et, à travers eux, des usagers. Également, les justifications les plus fréquentes du discours normatif lui apparaissent à juste titre peu convaincantes, qu'elles soient d'ordre logique, historique,


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esthétique ou qu'elles invoquent l'efficacité sociale, c'est-à-dire l'amélioration du rendement informationnel et, partant, de la communication.

Contrairement au discours prescriptif et même normatif, la réalité des variations linguistiques orales semble révéler de fait l'existence de plusieurs nommes plus ou moins différentes, chacune fondée directement, anthropo­logiquement en quelque sorte, sur l'usage linguistique courant dans la communauté linguistique ambiante. Le fait qu'il n'existe pas de grammaire ou de dictionnaire normatif de la langue orale illustre la difficulté d'établir dans ce domaine une nonne prescriptive. Ce qui importe dans les situations de communication orale, c'est d'utiliser les variantes comprises par l'inter­locuteur et socialement admises par lui. Pour être compris et pour être intégrés à la communauté, les individus utilisent un code conforme à l'usage de cette communauté.

Les écarts par rapport à l'usage admis implicitement risquent, en fonction de leur amplitude ou de leur connotation sociale, de conduire soit à des in­compréhensions, soit à des rejets sociaux plus ou moins explicites. II n'y a donc pas de norme prescriptive explicite, mais des usages variés que les interlo­cuteurs ont inconsciemment tendance à respecter dans leurs discours en fonction de l'acceptation sociale désirée et des objectifs d'intercompréhension poursuivis. Il y aurait donc des normes inconscientes de type descriptif, c'est-à-dire des normes construites par induction à partir d'un large corpus (Rey, 1972: 21) et résultant d'une procédure de découverte inconsciente. Le locuteur a intériorisé une grammaire et un dictionnaire de l'usage ambiant, ou mieux, des usages ambiants.

S'il n'y a pas comme à l'écrit une norme grammaticale et phonologique prescriptive, il n'en demeure pas moins que les usages oraux sont perçus différemment par les usagers. Même si les locuteurs utilisent plusieurs de ces usages, ils ont tendance à privilégier et à valoriser l'usage formel ou soutenu de préférence aux autres. Ce modèle culturel varie géographique­ment en fonction des communautés. Ainsi l'usage oral privilégié comme modèle est partiellement différent au Québec et en France, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. La réalité de ce modèle culturel a été empiriquement démontrée par deux ensembles de recherches: les recherches portant sur les attitudes et celles portant sur les variations.

Les premières, celles de D'Anglejan et Tucker (1973), de Méar-Crine et Leclerc (1976) et de Lambert et Lambert (en cours en 1975), arrivent presque toutes aux mêmes constatations. Des sujets québécois de toutes les classes sociales jugent de façon plus favorable les personnes quand elles utilisent un français « européen » que lorsqu'elles utilisent un français « québécois ». Ce jugement est sollicité dans une situation expérimentale présentant l'enregistrement des mêmes voix utilisant alternativement des variétés différentes selon la technique du matched guise développée par Lambert et al. (1966). D'autres recherches (Sorecom, 1973; Boudreault et al. 1974; Rémillard, 1972; Laberge et Chiasson, 1971), utilisant cette fois

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la technique de l'enquête, concluent que le français soutenu, européen ou international, est considéré comme meilleur que le français familier, popu­laire ou québécois.

Le deuxième ensemble de recherches rapportées par Chambers et Trudgill (1980: 71 et 82) aboutit à la conclusion que les groupes sociaux, même s'ils utilisent dans des proportions différentes les variantes linguistiques, concordent tous pour utiliser davantage les mêmes variantes en fonction des changements de situations de communication. Ainsi dans les situations plus formelles, les sujets de tous les groupes tendent à augmenter leur uti­lisation des variantes de statut social élevé. Cette tendance semble même plus prononcée chez les sujets appartenant à des groupes sociaux écono­miquement inférieurs.

En somme, le français parlé présente plusieurs usages acceptés et, par conséquent, plusieurs normes. Un ensemble de variantes apparaît comme socioculturellement valorisé particulièrement dans les situations plus formelles de communication.

1.2 L'intercomprehension malgré la variation

A travers et malgré les nombreuses variations d'usage, on constate aisément que dans l'ensemble de la francophonie il existe une intercom­préhension fréquente entre des interlocuteurs issus de pays francophones différents ou de groupes sociaux différents. Sur quoi peut reposer cette intercompréhension, sinon sur le fait que tous partagent une même langue, le français? Malgré l'impossibilité reconnue de définir de façon satisfaisante cette notion de langue française, ou de toute langue en général, à cause principalement de ce que Chambers et Trudgill appellent « the geographical and social dialect continuum » (1980: 6-14), il importe d'essayer d'identifier les éléments qui expliqueraient l'intercompréhension. D s'agirait de l'existence d'un français commun, de la présence de représentations abstraites qui soient les mêmes malgré les variations de surface et de l'existence, chez les individus, d'un répertoire assez étendu de ces variantes.

D'abord, on peut postuler l'existence d'un français commun pouvant se réaliser quant à l'aspect de la réception des messages et quant à l'aspect de production des messages. Ainsi Lagane (1976: 19) propose de définir le français commun comme « l'ensemble des moyens d'expression connus pratiquement de la totalité des Français adultes », ce qui n'implique pas, selon lui, qu'ils soient utilisés par tous, « ni jugés bons par tous, ni qu'ils puissent apparaître dans n'importe quelle situation de communication ».

Au niveau de la production, on peut postuler l'existence d'un certain nombre de réalisations linguistiques qui soient communes à plusieurs usages différents. Ces réalisations constitueraient une sorte de français neutralisé, c'est-à-dire la « moyenne des emplois actuels, une fois rejetés les écarts les plus grands » (Dubois, 1965: 5). Ainsi, concernant la variété des systèmes

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phonologiques en français, Walter (1977: 23-57) dégage ce qu'elle appelle un « système moyen » à partir de la description du système phonologique de chacun de ses dix-sept informateurs. Le domaine lexical se présente différemment Mais l'utilisation du terme générique plutôt que du terme spécifique « permettrait peut-être, selon l'hypothèse de Germain (1981:149), d'expliquer la réussite de la communication entre deux personnes dont l'une ignore un mot que l'autre connaît », ce mot étant un terme spécifique véhiculant ce que Germain appelle un « point de vue ».

Dans une perspective différente, d'autres parlent de « l'ensemble des règles de profondeur qui constituent le noyau dur de la langue; ce qui fait par exemple que le français n'est pas l'anglais ou le wolof. . . ll s'agit donc d'un niveau de grande abstraction, où sont neutralisées les variantes géographi­ques et sociolinguistiques » (Corbeil, 1980a: 47). Ainsi Laks (1977: 122), dans une étude sur la non-conservation du phonème /r/ dans les groupes consonantiques finals chez six locuteurs français, a pu postuler l'existence de ce qu'il appelle une « règle pan-dialectale » quant à la stratification sociale qui fait que c'est la même règle qui s'applique, ne s'applique pas ou s'applique différemment De même Daoust-Biais et Niéger (1979), dans une étude sur les écarts de position de /tUt/ en français québécois par rap­port au français « standard », observent que chacun des dialectes déter­mine différemment l'application des règles d'enclitisation, mais qu'il s'agit du même ensemble restreint de règles.

La très grande fréquence de l'intercompréhension malgré les variations d'usages appuie l'hypothèse double de l'existence à la fois d'usages communs suffisamment nombreux et d'une « base » linguistique intériorisée suffi­samment semblable. Certains travaux contribuent cependant à minimiser ces faits en mettant l'accent sur les différences. Ainsi, les ouvrages visant l'identification des écarts (listes d'anglicismes, de dialectologismes, de néo­logismes, etc. ), faussent nécessairement et sans le vouloir la perspective d'ensemble. Chaque fois qu'il y a intercompréhension - et c'est ce qui arrive le plus souvent - entre des interlocuteurs d'une même langue mais d'origine sociale ou géographique différente, c'est parce que les éléments communs sont plus nombreux que ceux qui sont particuliers.

Le fait que chaque locuteur possède un répertoire de variantes inter­changeables à sa disposition constitue un troisième élément contribuant à l'intercompréhension entre les locuteurs français. II est connu depuis long­temps qu'un locuteur possède un répertoire dit « passif » d'unités linguisti­ques beaucoup plus étendu que son répertoire dit « actif ». En d'autres termes, on comprend beaucoup plus de mots et de structures que l'on en utilise soi-même. Ainsi un locuteur québécois francophone comprend très bien la phrase: « je ne sors pas quand il pleut », alors qu'il dirait spontané­ment dans une situation de communication non formelle: « j'vas pas dehors quand i mouille » ou « j'reste dans maison quand qu'i mouille », etc.

En somme, il y a deux compétences distinctes, mais reliées: celle de l'entendu et celle du produit (Encrevé, 1977: 51). Une des clefs de l'inter-

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compréhension consiste justement dans la richesse du répertoire linguistique passif des usagers d'une même langue. On peut d'ailleurs penser que la co­existence intégrée de si nombreuses variations est facilitée par la proportion importante d'éléments communs partagés par les différents usagers, que ce soit des éléments de surface ou des éléments de représentation abstraite.

On peut également affirmer que plus le répertoire d'un individu est étendu et plus il sait l'utiliser, plus sa compétence est grande. C'est dans ce sens que Winkin (1979) a pu proposer « l'hypothèse d'une compétence minimale parmi les membres issusdes classes supérieures et d'une compé­tence maximale parmi les membres issus des classes populaires passés par tous tes stades de l'inculcation scolaire et socioprofessionnelle »1 La com­pétence d'un locuteur ne se mesure pas uniquement à sa maîtrise de la variété et du registre considérés comme standard, mais aussi par sa maîtrise des autres variétés et registres, de même que par son habileté à utiliser la langue pour réaliser différentes fonctions.

1.3 Les fonctions communautaires et individuelles du langage

La présence d'un répertoire d'éléments linguistiques variés alliée à l'habileté à les utiliser pour atteindre les différents objectifs poursuivis par l'homme sont partie constitutive de ce que l'on peut appeler la « faculté de langage ». l'instar de toutes les autres facultés humaines comme la mémoire ou l'intelligence, le langage est appelé à servir différentes fonctions, d'ordre individuel et, plus particulièrement dans le cas du langage, d'ordre communautaire. Une étude rapide de ces fonctions s'impose pour replacer la langue dans la perspective de ses finalités, ce qui devrait permettre d'ap­porter un éclairage élargi sur la question de la norme et de faire ressortir des implications importantes pour la pédagogie du français.

La langue constitue un des facteurs-clefs de l'existence et de la définition des communautés, un élément essentiel d'identification nationale. Ainsi, le nom ethnique d'un groupe coïncide souvent avec le nom de sa langue.

Au Québec, par exemple, le français joue un rôle-clef pour la collectivité francophone dans la définition de son identité par rapport à l'Amérique du Nord anglophone. Facteur d'identité nationale, la langue joue le rôle de support et de catalyseur à l'expression de la culture et des valeurs d'une collectivité. La sensibilité particulière des Québécois face aux anglicismes révèle l'importance qu'ils accordent à la langue. En somme, la langue a une existence communautaire et constitue un bien collectif qu'il faut protéger et développer. Les tentatives d'aménagement linguistique du Québec re­posent de toute évidence sur le rôle communautaire du français (Corbeil, 1980b).



Ces tentatives tiennent compte de « la distinction entre communication individualisée et communication institutionnalisée » proposée par Corbeil (1980b: 78-81). La première est définie comme l'acte personnel par lequel

un individu entre en communication avec un autre grâce au langage. A l'inté-


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rieur des usages existants, l'individu y jouit d'une certaine liberté par rapport aux variantes qu'il utilise. La communication institutionnalisée signifie l'acte souvent anonyme ou impersonnel par lequel une institution entre en relation avec des individus, des groupes ou d'autres institutions. L'individu qui fait ainsi usage de la langue à titre public jouit d'une liberté moins grande, car il engage la responsabilité de l'institution qu'il représente et qui se doit d'utiliser une langue standard.

La langue d'une communauté lui permet par ailleurs d'entrer en commu­nication avec les autres communautés qui utilisent la même langue. Plus cette langue est internationale, plus la communauté a directement accès aux infor­mations technologiques, scientifiques et culturelles de l'humanité. Cette accessibilité revêt une importance certaine pour le développement d'une communauté donnée.

Pour les individus, la langue sert à plusieurs fonctions. Aux fins de cet article, il n'est pas nécessaire de passer en revue les différentes taxonomies existantes (par exemple, Jakobson, 1963; Britton, 1972; Halliday, 1973; Tough, 1974; Wight, 1976; Valiquette, 1979; etc.), ni d'être exhaustif quant aux fonctions. La langue remplit de toute évidence une fonction de communication qui permet aux individus de communiquer entre eux. Cette fonction repose sur la possibilité de l'intercompréhension et suppose néces­sairement un code commun, un ensemble de variantes partagées. Égale­ment évidente, quoique sa nature soit moins bien définie, la fonction idéa­tionnelle (ou, en d'autres termes, cognitive, heuristique, référentielle) du langage permet de nommer et de conceptualiser l'univers et aide à le com­prendre. Sans entrer dans le débat qui oppose en particulier des générati­vistes et des fonctionnalistes quant à la primauté de l'une sur l'autre, on peut considérer la fonction de communication et la fonction idéationnelle comme les deux plus importantes.

D'autres fonctions secondaires, plus ou moins reliées à celle de la communication ou à la fonction idéationnelle, sont bien connues. La fonc­tion expressive est centrée sur la satisfaction de s'exprimer ou de se dire. La fonction esthétique, reliée davantage à des manifestations d'ordre artis­tique, permet d'utiliser la langue à des fins esthétiques ou stylistiques. La fonction ludique utilise la langue comme un jeu. La fonction « relationnelle » (plus large que la fonction phatique de Jakobson) vise à maintenir et à déve­lopper les contacts entre individus. La fonction métalinguistique, largement privilégiée à l'école traditionnelle par l'importance accordée à la grammaire, consiste à utiliser la langue pour parler de la langue elle-même et la décrire.

Une dernière fonction est celle de l'intégration sociale de l'individu. Ce dernier, par les valeurs référentielles et culturelles que le langage véhicule et les communications qu'il permet, s'intègre à la famille, au groupe d'amis, au quartier et à la collectivité. C'est par ethnocentrisme, soutient Deprez (1981) que les Québécois, malgré qu'ils jugent souvent de façon plus favo­rable le français de France ne peuvent, ni ne veulent le parler; réaction qu'il

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compare à celle des Belges flamands par rapport au néerlandais. De même, c'est par souci d'intégration sociale au groupe environnant que des Noirs américains ou des adolescents québécois vont volontairement utiliser des variantes linguistiques condamnées ou ridiculisées par d'autres groupes sociaux, leurs parents ou l'école.

Sans entrer dans la discussion sur le caractère plus ou moins central de la fonction de communication, il y a lieu de souligner d'abord que cette fonction n'est pas unique, ni exclusive et que l'on peut utiliser la langue sans la présence nécessaire d'un interlocuteur autre que soi-même. Par ailleurs, cette fonction joue un rôle ambigu dans la mesure où la commu­nication devient un moyen de réaliser d'autres fonctions: idéationnelle, ludique, expressive ou autres.

Une implication importante de ces considérations sur les fonctions est que les variations de fonctions peuvent provoquer des variations des éléments linguistiques utilisés soit à cause des intentions poursuivies par le locuteur soit à cause des types de discours impliqués ou des stratégies dis­cursives utilisées. Par exemple, Valiquette (1979) réussit à suggérer des probabilités plus grandes d'occurrences d'éléments linguistiques en fonction des types de discours retenus. Ainsi, la fonction expressive, centrée sur l'émetteur et l'expression de sa subjectivité, fera souvent appel à des énoncés à la première personne, à des verbes exprimant jugements et opinions, à des interjections et exclamations (Valiquette, 1979: 89). La fonction informative, centrée sur les « faits » et l'expression de l'objectivité, aura par contre Ten­dance à produire un discours marqué par l'effacement de je et un fort taux de tournures impersonnelles, de pronoms neutres, de nominalisations (Valiquette, 1979: 124).

Une deuxième conséquence de la prise en compte des fonctions du lan­gage est de mettre en évidence le fait que la langue n'est pas une fin en soi, mais un moyen privilégié d'atteindre des fins plus essentielles à l'homme et à l'humanité. Une telle constatation permet de relativiser le rôle du code et, par là, l'importance du point de vue normatif.

La perspective fonctionnelle propose que le code ne constitue qu'un aspect de l'acte langagier. Ce nouveau concept, parce qu'il prend en compte non seulement l'acte linguistique, mais aussi son adaptation à la situation de communication et les fonctions qu'il veut atteindre, constitue une notion plus large et plus significative dont la pédagogie de la langue maternelle aura à tenir compte. En effet un acte langagier, même s'il n'utilise pas le code normatif, sera de qualité s'il atteint les fonctions pour lesquelles il est réalisé.

1.4 Le langage des enfants

L'enfant qui entre à la maternelle ou à l'école à quatre, cinq ou six ans a déjà développé une compétence linguistique impressionnante. Cette com­pétence fait souvent l'envie des étrangers adultes en train d'apprendre plus

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ou moins péniblement ce qui semble être si facile à l'enfant dont c'est la langue maternelle. Certains chercheurs, dont McNeill par exemple (1966: 99), affirment même que l'enfant a terminé l'apprentissage des structures lin­guistiques fondamentales dès l'âge de cinq ans et d'autres croient, à tort, que l'apprentissage de l'oral peut être considéré dès lors comme terminé.

Ainsi, l'enfant normal de n'importe quel milieu socio-économique maîtrise bien, à cinq ans ou même avant, l'accord de l'adjectif épithète ou attribut, comme l'attestent les phrases du type [jegRà] il est grand - [agRâd] elle est grande employées spontanément et couramment. L'usage de ces phrases révèle la maîtrise, d'une part, de la règle fondamentale de l'accord oral en genre de l'adjectif et, d'autre part, de la morphologie orale du genre de l'adjectif grand. Or, le système morphologique oral du genre n'est pas moins complexe que celui de l'écrit et la nature de l'accord est la même dans les deux cas. Comment se fait cet apprentissage?

Le développement du langage chez les enfants d'âge préscolaire ne repose en rien sur la compréhension ou la mémorisation de règles morpho­logiques ou morphosyntaxiques explicites. Les recherches sur cette question indiquent qu'un certain nombre de facteurs concourent à ce développement. Voici quelques-uns des plus importants:

- présence du langage dans le milieu ambiant,

- stimulation et renforcement des adultes,

- activités langagières nombreuses de la part de l'enfant,

-activités langagières motivées par des besoins et des fonctions authentiques de l'enfant

L'activité langagière de l'enfant est centrale dans tout le processus et amène progressivement l'intégration inconsciente des règles de fonction­nement du système linguistique. Une des thèses importantes développées par les chercheurs, dont notamment Halliday (1975), soutient que le déve­loppement du langage chez l'enfant se fait par l'utilisation du code pour réaliser les fonctions langagières qui sont importantes et significatives pour lui.

C'est à travers l'utilisation du langage que l'enfant intègre les méca­nismes de fonctionnement du code linguistique. L'usage ambiant constitue le modèle linguistique qu'il s'approprie progressivement L'appropriation des variantes linguistiques privilégiées par le milieu social et géographique dans lequel vit l'enfant témoigne donc d'un bon degré de maturation lin­guistique.

Ainsi une phrase comme [rnctyjale] m'as-tu y aller ne révèle pas une erreur de l'enfant qui l'émet, comme certaines analyses d'orientation nor­mative ont pu le laisser croire. Cette phrase n'indique pas non plus un re­tard dans le développement du langage de l'enfant, comme certains diagnos­tics d'inspiration orthopédagogique auraient tendance à l'affirmer. Au con­traire, elle révèle que l'enfant a réussi à intégrer l'usage linguistique de son

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milieu et qu'il ne souffre pas davantage de retard que l'adulte québécois qui utilise couramment cette phrase dans des situations de communication non formelles.

De fait, il s'agit d'une variante linguistique dont l'utilisation est reliée à des facteurs géographiques, sociaux et situationnels. Comme l'indiquent Gagné et Barbaud (1981: 57-58), une partie des performances verbales des enfants québécois de six-sept ans témoigne du langage oral ambiant; d'une part, dans ses éléments plus dialectaux comme l'énoncé ci-haut mentionné et, d'autre part, dans ses éléments plus communs à l'ensemble de la franco­phonie, tels qu'attestés abondamment par l'enquête de Méresse-Polaert (1969) auprès d'enfants français du même âge, comme la non-présence du ne négatif, l'utilisation du [i] comme pronom masculin de la troisième personne du singulier ou l'emploi du pronom on au sens de nous.

Par contre, d'autres éléments des performances linguistiques des enfants semblent révéler une non-maîtrise des règles de grammaire et du langage adulte ambiant Il s'agit d'éléments comme [feze] faisez, [5t£] sontaient que l'on peut considérer comme typiques de ce qu'on appelle en général le « langage enfantin ». Les études sur le développement du langage des enfants témoignent de l'abondance et de l'universalité de ce type de performances linguistiques. Alors que l'enfant entend peu ou pas ce genre de production, il peut paraître surprenant de constater qu'il emploie de telles formes, fréquentes, semble-t-il, entre 6 et 11-12 ans.

On sait que ces productions sont dues à une généralisation des règles morphologiques verbales. Elles constituent des indices importants que l'apprentissage naturel d'une langue ne se fait pas uniquement par imitation.

Elles témoignent aussi d'un apprentissage, en train de se faire, des géné­ralités morphologiques. Cette phase de généralisation est non seulement normale mais nécessaire. Ce n'est qu'une fois que les règles générales sont bien intégrées que l'enfant peut acquérir la maîtrise des phénomènes comme faites et étaient qui constituent de fait des exceptions aux règles, c'est-à-dire des « erreurs » grammaticales.



Cohen (1962: 24) note, à ce sujet, que « de génération en génération, certaines de ces raisonnables rectifications enfantines tendent à remporter la victoire sur les rectifications mécaniques des adultes à (égard des enfants et à s'installer dans le langage commun. C'est ainsi que le français a passé de l'ancien j'aim, nous amons au modeme j'aime, nous aimons ». n est par ailleurs intéressant de constater que ces structures enfantines, doublant et régularisant en quelque sorte la langue considérée comme standard, se retrouvent aussi dans d'autres variétés de français comme le français popu­laire et les français créoles. Elles se manifestent fréquemment aussi dans l'apprentissage du français par des étrangers (foreigner talk). La conver­gence de ces tendances montre « l'existence dans le système français de points sur lesquels tendent en permanence à se produire des évolutions » (Chaudenson, 1978: 88). En somme, les éléments probablement les plus

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persistants du langage enfantin constituent des points d'évolution potentielle du système linguistique conventionnel.

Des études sur la langue parlée des enfants québécois (Pagé et Comeau, 1981; Pierre-Joly, 1981; Comeau et Pagé, 1981) n'indiquent aucune ou peu de différences significatives dans la production et la compréhension de structures syntaxiques chez des enfants de milieux socio-économiques différents, mais de niveau égal de fonctionnement intellectuel. De même, Baillargeon et Leduc (1981), Rondal, Adrao et Neves (1981) n'ont pas trouvé de différences significatives chez des enfants de cinq-six ans de milieux socio-économiques différents dans la compréhension du langage des enseignants. Les seules différentes inter-milieux rapportées l'ont été au niveau lexical par Gratton et Barbaud (1981) et Primeau et Labelle (1981) mais, dans les deux cas, par rapport à un vocabulaire désigné comme standard.

Ces études semblent confirmer que les variations linguistiques se situe­raient généralement surtout aux niveaux lexical et phonétique plutôt qu'aux niveaux syntaxique et morphologique. Elles contribuent surtout, comme plusieurs autres recherches faites depuis une dizaine d'années aux États­Unis et ailleurs, à jeter le discrédit sur la thèse, populaire durant les années soixante dans l'éducation américaine, du déficit linguistique des enfants de milieux défavorisés. En effet, à ethnicité identique et à niveau égal de fonc­tionnement intellectuel, dans des tâches expérimentales semblables et en comparant les performances verbales des enfants entre elles sans référence à une variété standard pour les tâches de production, les résultats des études québécoises ne montrent pas de différence inter-milieux quant à la syntaxe, tant du point de vue du langage réceptif que du langage actif (Pagé, 1981).

De même, au terme d'une étude longitudinale menée auprès d'enfants britanniques de trois à sept ans, Tough (1977), après avoir relevé des diffé­rences quantitatives d'ordre linguistique chez des enfants de milieux socio­économiques différents, n'en conclut pas au déficit linguistique des enfants de milieux défavorisés. Elle affirme plutôt que les enfants de ces milieux ont des habiletés linguistiques plus grandes que ce que leurs performances ont révélé, comme l'indiquent les variations de stimulations lors des entre­vues.

Selon elle, la plus grande différence entre les enfants de groupes socio­économiquement avantagés et ceux de groupes moins avantagés a consisté dans les aptitudes plus grandes des premiers à utiliser la langue pour des fins particulières, comme se rappeler et donner des détails d'une expérience passée, anticiper des événements futurs et en prévoir l'aboutissement, imaginer des scènes, etc. En d'autres termes, cette étude indique que les différences sont plus importantes au niveau de l'utilisation de la langue plutôt qu'au niveau de la langue elle-même. Elle suggère enfin que les différences inter-milieux relevées au niveau du code seraient une manifes­tatin des différences observées par rapport à son utilisation.

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Les performances d'ordre linguistique des enfants n'en représentent pas moins des variations interindividuelles, qui sont cependant surtout reliées à des variables comme l'âge et la maturation, le niveau de fonction­nement intellectuel et la scolarisation (Gagné, 1981b). Une question intéres­sante se pose, à savoir si les enfants, à l'instar des adultes, peuvent varier leurs performances linguistiques.

Dans les recherches expérimentales faites sur le langage des enfants, les performances, comme chez les adultes, semblent varier chez le même individu en fonction de la tâche demandée. De fait, les enfants, même très jeunes, se montrent capables de faire des choix linguistiques. Ainsi Shatz et Gelman (1973) ont montré comment la longueur des phrases employées par des enfants de quatre ans change selon qu'ils parlent avec des enfants de deux ans, des enfants du même âge qu'eux ou des adultes. De même, Garvey et Bendebba (1974) ont trouvé que le nombre d'énoncés d'enfants de trois à six ans varie en fonction du nombre d'énoncés de leur interlocu­teur, ce qui démontre selon eux une certaine capacité à s'adapter aux ca­ractéristiques de ce dernier.

Labov (1977: 60) a trouvé chez son enfant de 3 ans et 10 mois une très grande proportion (22 sur 26) d'inversions dans les questions avec why3 dans un jeu de questions mené par ses parents et une proportion in­verse (13 inversions sur 292 questions) en dehors de ce jeu. Beaudichon (1978) a conclu que l'efficacité de la communication des enfants de 5 à 13 ans s'accroit grâce à quatre facteurs, dont la représentation des caracté­ristiques de l'interlocuteur et l'anticipation de celles-ci.

Selon Asher (1979), il ressort des recherches sur les communications enfantines que les enfants, même d'âge préscolaire, se rendent compte des caractéristiques des interlocuteurs et essaient d'en tenir compte. De son côté, Gambell (1981) a trouvé que des enfants anglophones de 6e année primaire témoignent d'un répertoire de language roles, qualifiés de formel et d'informel, qu'ils utilisent en fonction des variations de situations de communication dans le contexte scolaire. II a identifié des variantes linguistiques, comme des contractions, des compactions, des truncations et la longueur des unités syntaxiques qui peuvent servir d'indices de registre.

Ces brèves constatations permettent de mettre en évidence l'importance du rôle des interactions verbales dans le développement du langage, de démontrer que le langage des enfants ne peut pas être considéré comme déviant et que ces derniers semblent capables de faire des choix de variantes linguistiques en fonction des interlocuteurs et du caractère plus ou moins formel des situations de communication.

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