5.8.2.8 Un processus chimique
5.8.2.8.1 Introduction
La sensibilité à la décomposition du nitrate d’ammonium : les recherches bibliographiques effectuées (8, 9, 10, 11 – annexe IV) montrent que les incompatibilités chimiques du nitrate d’ammonium se traduisent plus particulièrement par l’augmentation de sa sensibilité à la décomposition.
Comme nous l’avons vu au 5.2.1, on distingue principalement de ce point de vue, deux catégories de produits :
a) les produits augmentant la sensibilité à la décomposition avec émission de NO2 :
– les chlorures minéraux et organiques (décomposition à l’état fondu rendue plus rapide et observable au-dessus du point de fusion du sel pur),
– les sels métalliques (cobalt, cuivre, chrome, manganèse, platine),
– les acides concentrés (avec effets sur le pH),
– les corps pulvérulents (poudre de verre, graphite…) ;
b) les produits augmentant la sensibilité à une décomposition à caractère explosif :
– les combustibles organiques et les hydrocarbures,
– les hypochlorites, les nitrites,
– les métaux en poudre (notamment cadmium, antimoine, chrome, cobalt, cuivre, magnésium, nickel, plomb, zinc, aluminium…),
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le phosphore, le sodium, le carbone à chaud,
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le chlorure de calcium et le chlorure ferrique,
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les perchlorates, les permanganates, les chromates, les thiosulfates…
La réactivité du nitrate d’ammonium vis-à-vis de certains composés a été résumée dans le tableau du paragraphe 5.2.1.
L’action du trioxyde de chrome : pour ce qui concerne la mise en détonation du nitrate d'ammonium, par réaction avec du trioxyde de chrome (CrO3), l’hypothèse a été retenue car une disparition de ce produit sur le site d’AZF a été évoquée à un moment ; elle a fait l’objet du rapport de l’un d’entre nous (D5977), dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par l’ordonnance, en date du 27 janvier 2003. Ce rapport précise que les conditions de température nécessaires à l’action catalytique de décomposition explosive du NA n’étaient pas réunies.
Les produits fabriqués sur le site AZF : nous nous sommes donc intéressés aux réactions chimiques de produits qui, mis en contact avec du nitrate d’ammonium, pouvaient provoquer une réaction suffisamment énergétique ou générer des constituants pouvant faciliter la détonation du nitrate d’ammonium stocké dans le bâtiment 221.
Notre démarche initiale a été :
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de considérer quelles étaient les matières premières, les intermédiaires de fabrication, les produits finis, les effluents utilisés, fabriqués et rejetés par le site d’AZF,
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de vérifier si leur flux n’avait pas pu croiser celui des entrants du bâtiment 221,
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d’établir si les mélanges constitués pouvaient donner lieu à des réactions particulières capables d’amorcer la détonation du nitrate d’ammonium.
A notre demande, MM. les Juges d’Instruction nommèrent par ordonnance de commission d’expertise, M. Karl Otto LEIBER, expert allemand, pour qu’il étudiât la réactivité de mélanges de nitrate d’ammonium avec des matières premières, des produits finis et des sous produits issus de certaines fabrications. Leur liste avait été établie grâce aux auditions et autres pièces de procédure dont nous disposions. Les flux de ces matières avaient pu croiser de manière accidentelle celui des entrants du bâtiment 221. Les résultats de cette étude ont été annulés par décision de la chambre de l’instruction qui faisait suite à une demande de nullité par des avocats de la défense et de ce fait n’ont pas été exploités.
Les études du CNRS de Poitiers : le CNRS de POITIERS à la demande de la société Grande Paroisse qui l’avait saisi dès le mois d’octobre 2001, pour sa part, a réalisé une étude de compatibilité entre le NA et sept molécules dont cinq étaient utilisées ou produites sur le site AZF de Toulouse. Ces cinq molécules étaient :
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deux molécules contenant du chlore, le dichloroisocyanurate de sodium (DCCNa), et l’acide trichloroisocyanurique (ATCC),
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le tri-amino-triazine ou mélamine, le tri-amino-heptazine tri-cyclique condensé ou Mélem qui résulte de la condensation de trois molécules de mélamine,
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un sel caloporteur à base de nitrite et de nitrate de sodium et de potassium.
Ces mélanges ont été étudiés par analyse DSC (Differential Scanning Calorimetry). Seuls les mélanges NA-DCCNa et NA-ATCC ont été le siège de réactions exothermiques et violentes pour la plupart.
Notons toutefois que les membres de la commission d’enquête de Grande Paroisse avaient envisagé cette hypothèse chimique bien avant nous.
En effet, dans leur rapport en date des 11 et 16 octobre 2001 (D5814), ils écrivent, après avoir découvert dans le bâtiment Demi-Grand (ou 335) deux sacs de DCCNa contenant des granulés de produits chlorocyanurés : « La suite de l’enquête devra s’attacher à vérifier si un produit résiduel d’un de ces emballages aurait pu réagir de manière exothermique avec le contenu du magasin 221 ».
Pour ce faire, ils ont d’ailleurs missionné plusieurs laboratoires français et étrangers.
Nous citerons à l’appui de notre affirmation quelques pièces qui attestent cette précocité :
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vers la mi-octobre 2001, M. PEUDPIECE, responsable industriel et salarié de Grande Paroisse, a « demandé à M. MAILLOT de prélever du produit de ces bennes (oranges et blanches du bâtiment 335) afin de l’envoyer pour test de réactivité avec du nitrate à un laboratoire de POITIERS dénommé LCD » (D 2691). Nota : LCD = Laboratoire de Combustion et de Détonique du CNRS de Poitiers,
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dès le 22 novembre 2001, TNO recevait déjà des échantillons de DCCNa et NA d’AZF (D4287),
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le 18 décembre 2001, TNO fournissait les résultats d’essai montrant des réactions violentes lorsque des mélanges NA-DCCNa sont placés dans un mini-autoclave (D 4060),
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le 24 décembre 2001, le CNRS Poitiers a fourni les premiers résultats à
M. PEUDPIECE montrant des résultats intéressants d’incompatibilité entre NA et DCCNa pouvant conduire à une détonation (D 4060),
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le 09 janvier 2002, TNO complétait ses premiers résultats et concluait que les mélanges de NA et de DCCNa sont hautement incompatibles, même en absence de confinement, avec détonation partielle (D 4061).
Les deux derniers documents D 4060 et D 4061 ont été remis le 26 décembre 2003 au Magistrat Instructeur par Maître Lise Gautier (D 4035). Les rapports et travaux du CNRS n’ont été portés à notre connaissance que le 19 décembre 2003 (D4286) suite au transport à Poitiers le 13 novembre 2003 de M. BELLAVAL, OPJ en fonction au SRPJ de Toulouse (D 3926). Or les responsables d’AZF connaissaient l’aptitude de mise en détonation du mélange DCCNa et NA dès fin décembre 2001 (fax de M. PRESLES à M. PEUDPIECE du 24 décembre 2001, D 4060), confirmée par le laboratoire TNO dans son rapport en date du 09. 01. 2002 (D 4061), mais ils se sont bien gardés d’en informer Messieurs les Juges d’Instruction.
Le DCCNa susceptible d’avoir été transporté dans le box 221 : notre démarche a consisté à retracer l’historique des enchaînements survenus à partir de la constitution de la benne de produits chimiques dans le 335 jusqu’à l’explosion en passant par les dispositions des tas dans le box du bâtiment 221 et les conditions météorologiques du jour et des jours précédant l’explosion. Ce travail a exigé de vérifier le bien fondé des informations recueillies lors de l’étude de la procédure.
Ce n’est que le 27 novembre 2001 que nous nous sommes intéressés de plus près au bâtiment Demi-Grand (335), lieu de départ de la benne blanche de 7 m3 constituée par M.G. FAURÉ, pour tenter de découvrir ce que le hangar recelait dans le cadre de l’axe d’investigation réservé à la thèse des produits chlorés dont le DCCNa.
C’est à cette date, que les fonctionnaires du SRPJ ont découvert dans ce bâtiment 335 un sac vide, marqué d’origine « DCCNa », ne contenant que des poussières, placé sous scellé n° DEMI-GRAND, QUATORZE. Nous nous sommes donc plus particulièrement intéressés à l’éventualité d’une réaction chimique entre le DCCNa et le nitrate d’ammonium susceptible de générer l’explosion des produits entreposés dans le hangar 221. L’analyse de ces poussières par Spectrométrie Infra-rouge à Transformée de Fourrier et Thermogravimétrie a permis de déterminer qu’il s’agissait de DCCNa dont la présence témoigne que le sac n’avait pas été lavé.
Nos investigations ont tenté, au travers de l’exploitation des pièces de la procédure, de recherches bibliographiques, de nos propres études, des expérimentations en laboratoire et à plus grande échelle, de vérifier et de valider les différents stades des processus réactionnels ayant pu conduire à cette explosion. Nous tenons à souligner que les travaux relatifs à cette hypothèse ont exigé, en raison du caractère inédit de l’événement, de longues et complexes recherches.
C’est pourquoi nous avons engagé l’étude visant à caractériser le mécanisme chimique résultant de la mise en contact de DCCNa avec le nitrate d’ammonium entreposé dans le box du bâtiment 221, objet du paragraphe suivant.
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