REPƒRAGE DES RESSOURCES Un survol de l'Informatique musicale
Jean-Claude RISSET
Essai de dŽfinition
L'Informatique musicale telle que nous l'entendons consiste dans la mise en Ïuvre et l'usage, en vue d'Žtendre les possibilitŽs de la crŽation musicale et de la musicologie, de moyens matŽriels et logiciels impliquant le codage numŽrique et le recours aux possibilitŽs de l'ordinateur.
L'Informatique musicale est une partie essentielle de la recherche musicale. C'est la recherche en Informatique musicale, et non pas la recherche technologique, qui prŽpare les possibilitŽs de crŽation et d'utilisation musicale issues de l'ordinateur et du domaine numŽrique. Il s'agissait en effet d'acquŽrir un savoir-faire, que la technologie ne fait que mettre en Ïuvre. L'informatique permet de construire les applications musicales, au lieu de dŽtourner ˆ des fins musicales un dispositif conu ˆ d'autres fins.
L'Informatique musicale concerne en particulier les domaines de :
• la synthse des sons ;
• le traitement numŽrique des sons ;
• la composition musicale assistŽe par ordinateur ;
• la communication homme-machine et la commande gestuelle en temps rŽel ;
• l'Žtude de la perception des sons complexes et des sŽquences de sons dans un contexte musical ;
• l'analyse musicale assistŽe par ordinateur ;
• l'impression et la transcription de partitions musicales par ordinateur.
C'est surtout dans le domaine du matŽriau sonore que l'Informatique musicale a influencŽ les pratiques crŽatrices. Il ne s'agit pas d'un r™le ancillaire : comme aimait ˆ dire Varse, de nouveaux matŽriaux sont nŽcessaires pour donner lieu ˆ de nouvelles architectures. L'informatique musicale permet d'introduire une logique compositionnelle jusqu'au niveau de la microstructure sonore, comme Varse le souhaitait dŽjˆ : elle joue un r™le significatif dans la problŽmatique musicale de trs nombreux compositeurs - surtout, mais pas seulement, les plus jeunes (citons Xenakis, KÏnig, Nono, Boulez, Berio, Ligeti, Cage, Reynolds, Riotte, Yuasa, Subotnick, Reynolds, Chowning, Bayle, Bodin, Ma•guaschca, Risset, Harvey, Lansky, Smalley, Dufourt, Obst, Manoury, Murail, Lindberg, Leroux, Saariaho, Rai, Teruggi, Stroppa, Barrire, Fedele, Tutschku ...).
SpŽcificitŽs de l'informatique musicale
Il importe de noter que l'informatique musicale ne se rŽduit pas ˆ une prestation de services faisant appel ˆ des mŽthodes ou des programmes banalisŽs. Le codage numŽrique crŽe une situation nouvelle, puisqu'il permet de traiter sous la mme forme sons, images ou textes. L'ordinateur n'est pas un appareillage technologique dŽtournŽ de son but premier, il n'est d'ailleurs pas vraiment un outil, mais plut™t un atelier qui permet ˆ chacun de construire ses outils, ses langages, ses applications, sans distinction des aspects matŽriels et intellectuels. Le recours ˆ l'ordinateur permet de mettre en Ïuvre des logiques, d'Žlaborer des programmes, de dŽfinir des codes, de dŽployer des reprŽsentations opŽratoires, de communiquer des donnŽes complexes. L'informatique permet l'accumulation des connaissances et du savoir-faire, leur conservation, leur dissŽmination, leur portabilitŽ vers de nouvelles mises en Ïuvre technologiques.
Ce sont les rŽsultats de la recherche en informatique musicale - et non le dŽveloppement de la seule technologie - qui ont permis l'apparition de produits industriels performants comme les synthŽtiseurs ou les processeurs de signaux. Une culture se traduit et se concrŽtise par des outils de crŽation : l'enjeu de l'informatique musicale est de les concevoir et de les mettre en Ïuvre.
L'informatique est ainsi devenue ˆ la fois l'outil et le langage pour une quantitŽ de recherches musicales, un peu comme ce fut le cas des mathŽmatiques pour les sciences physiques. L'informatique musicale appara”t comme le noyau dur et le lieu fŽdŽrateur de la recherche musicale.
Et les exigences musicales ont souvent suscitŽ des possibilitŽs informatiques nouvelles, en posant dans le cadre de la crŽation des problmes nouveaux impliquant la motricitŽ, la perception, la cognition et mettant en jeu de puissantes motivations artistiques. L'acte artistique pose des problmes thŽoriques profonds et originaux, qui sont souvent sans Žquivalent dans les milieux de la recherche : en particulier ces problmes sont par essence interdisciplinaires, comme la musique elle-mme, qui implique motricitŽ et perception, sensibilitŽ et cŽrŽbralitŽ.
Sans l'informatique musicale, l'acoustique instrumentale et l'acoustique architecturale seraient privŽes d'innovations des plus significatives : les espaces illusoires de Chowning, les simulations de salles de SchrÏder, Damaske, Gottlob et Blauert, la caractŽrisation des paramtres acoustiques pertinents par le biais de l'analyse par synthse, les modles physiques de Cadoz, les diagrammes chaotiques de LalÏ et Gibiat, les reprŽsentations vibratoires de Rossing. Les Žtudes d'absorption active, visant ˆ attŽnuer un son en envoyant une copie de ce son en oppsition de phase, seraient restŽes vellŽitaires. L'informatique elle-mme a bŽnŽficiŽ plus d'une fois des apports de l'informatique musicale- avec les premires expŽriences de crŽativitŽ artificielle (Hiller, Barbaud, Xenakis) ; la notion de grammaire gŽnŽrative, proposŽe par le musicologue viennois Schenker cinquante ans avant Chomsky et Backus ; les premiers langages modulaires, articulŽs comme le langage ˆ partir d'ŽlŽments en petit nombre (MUSIC III de Mathews) ; les premiers ordinateurs dŽdiŽs, prŽfigurant les ordinateurs personnels et fournissant de nouvelles possibilitŽs de communication homme-machine (le DDP224 de Denes avec le systme GROOVE de Moore et Mathews) ; les architectures nouvelles de systmes intŽgrant les impŽratifs temps rŽel et ceux de l'efficacitŽ de calcul (comme le systme informatique intŽgrŽ de l'ACROE ou les stations de travail actuellement ˆ l'Žtude) ; l'ordonnancement temps rŽel (le "scheduling" dans l'environnement graphique en programmation objet MAX de Miller Puckette) ; les modles cŽrŽbraux de Minsky ; les propositions de Patrick Greussay pour l'analyse "intelligente" et de Yann Orlarey pour le "lambda-calcul" ; la messagerie sonore. Nombre d'Žtudiants musiciens de John Chowning sont chercheurs dans des firmes d'informatique comme Apple ou NexT. En acoustique, on assiste ˆ une vŽritable mutation vers le numŽrique, que j'Žvoque dans un article de 1990.
Dans le domaine sonore, l'informatique libre la production du son des contraintes mŽcaniques : pour la premire fois, elle permet d'obtenir des sons de structure physique arbitrairement complexe et parfaitement connue. Aussi l'informatique musicale a-t-elle dŽjˆ apportŽ des contributions dŽcisives au traitement du signal, proposant des modles sonores appelŽs "modles de signal". Mais la ma”trise des paramtres physiques ne suffit pas : ce sont les rŽsultats auditifs qu'il faut ma”triser. Or la relation "psychoacoustique" entre paramtres physiques et effets sensibles est bien plus complexe qu'on ne le croit. (Ainsi certains sons paraissent baisser lorsqu'on double leurs frŽquences). Aussi l'exploration des ressources du son numŽrique est-elle insŽparable d'une recherche - implicite ou explicite - sur la perception auditive. La mŽthodologie de "l'analyse par synthse" a dŽjˆ bouleversŽ notre comprŽhension de l'organisation perceptive ; elle a conduit ˆ ce qu'on appelle souvent la perspective "Žcologique", ou "l'analyse de scnes auditives", suivant le terme d'Albert Bregman. Cette perspective justifie le recours aux "modles physiques".
La fŽconditŽ de l'Informatique musicale suppose que les recherches soient menŽes dans plusieurs contextes, et particulirement dans un contexte musical.
L'informatique musicale a fait de l'ordinateur un outil privilŽgiŽ, qui a vite pŽnŽtrŽ de nombreux secteurs de la recherche acoustique - musique, mais aussi acoustique des salles, synthse et reconnaissance de la parole, absorption active... Si ses objectifs concernent souvent la crŽation et la diffusion musicale, spŽcialement dans des institutions comme l'IRCAM, une recherche vigoureuse est nŽcessaire pour permettre de tirer parti efficacement des possibilitŽs offertes par l'informatique. L'informatique musicale est en relation Žtroite avec plusieurs disciplines de recherche : informatique, circuits VLSI, traitement du signal, communication homme-machine, environnements virtuels, intelligence artificielle, Žtude de la perception auditive et sciences cognitives. Les exigences de la musique et la forte motivation des acteurs de l'Informatique musicale ont souvent jouŽ un r™le dŽcisif pour promouvoir le son numŽrique, pour proposer de nouvelles architectures informatiques - logiciel et matŽriel -, de nouveaux processus de traitement du signal, enfin pour rŽvolutionner la psychoacoustique des sons complexes.
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