Gaston Bardet


L'ABCES DU PRETENDU « QUIETISME »



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L'ABCES DU PRETENDU « QUIETISME ».


Jean de la Croix était impatient de voir Dieu ; aussi multi­pliait-il les exercices, les mouvements anagogiques. Les mo­dernes sont pressés, mais paresseux, et « les mystiques modernes » (comme s'intitulait le couple) l'étaient. Il leur fallait donc inventer un « Moyen court et très facile pour faire orai­son »... sans exercice 426.

L'évêque de Meaux a très bien défini cette inaction : « Le premier principe des nouveaux mystiques, c'est que, lors­qu'on s'est une fois donné à Dieu, l'acte en subsiste toujours, s'il n'est révoqué, et qu'il ne faut point réitérer, ni renouveler ». Puis il baptise « quiétistes » ceux qui, « par une totale ces­sation d'actes, abusent du Saint Repos de l'oraison de quié­tude ».

Ce qualificatif est particulièrement malencontreux. Le re­pos de l'oraison de quiétude est d'ordre surnaturel, Mère Thérèse y insiste, nous ne pouvons l'obtenir nous-même par notre industrie. Or, dans le cas des guyonistes, il ne s'agit que d'un repos naturel. Les guyonistes n'abusent point du « Saint Repos de l'orai­son de quiétude », ils n'en usent même pas. Ils l'ignorent.

Voilà trois siècles que l'on oublie ordinairement de faire cette distinction et que la quiétude - cette grâce de Dieu ­est entachée de soupçons par suite d'un adjectif péjoratif erroné. Il serait temps de réviser le vocabulaire et de distin­guer la nature et la grâce 427.

Le quiétisme : abus de l'oraison de quiétude, ne peut exis­ter. Un contemplatif ne peut abuser de la grâce ; il peut, sans doute, en mésuser, non en abuser, puisqu'il doit aimer de toutes ses forces, de toute son âme et de tout son esprit, tendre vers l'infini. L'abus conduirait Dieu à lui accorder les grâces d'union... « à cause de son importunité » (Luc IX. 8).

Répétons-le, dans tous les ca. d'illuministes, bégards, alumbrados, dejados, molinosistes, etc... il ne s'agit en aucune façon d'oraison surnaturelle ni d'expérience mystique, mais soit de technique magique, soit de phénomènes médiumni­ques selon que l'adepte pratique le plein ou le vide.

L'Archevêque de Cambrai, lui, va chercher à justifier la pratique du farniente guyoniste. Il croira la trouver en la fa­meuse Xme Conférence de Cassien avec les Pères du Désert, qu'il va commenter à la lumière de Clément d'Alexan­drie 428...

Obsédé par « l'état fixe d'oraison continuelle », il ne voit dans le Deus in adjutorium meum de l'abbé Isaac qu'un sujet unique et inépuisable de méditation discursive au lieu d'un simple battement de cœur attentif exprimant l'aspiration amoureuse perpétuelle.

« Voilà donc une formule », déclare-t-il, « qui ne sera qu'un rudiment grossier, que les premiers éléments de la doctrine, que les caractères de cire qu'on donne aux enfants et qu'ils quittent dès qu'ils savent un peu épeler. La formule n'est donc que passa­gère : et c'est l'oraison très pure immobile et continuelle, sans image, sans mémoire, ni de parole, ni d'action qui lui sera substituée et qui est le terme où le solitaire doit s'arrêter par état... Si ce verset suffit parce qu'il contient tout éminemment, à plus forte raison l'oraison d'immobile tranquillité suffira-t-elle » car le « travail actif de la méditation de ce verset ne doit pas durer ».

Le problème est d'importance, nous y sommes sans cesse ramené, car l'art de l'oraison, comme dit saint Jérôme, est science expérimentale.

Nous avons déjà donné d'amples citations de Cassien dans le chapitre précédent. Nous n'insisterons plus ; tout ce que nous avons dit sur l'hésychasme suffit. Le Pèlerin Russe, de son côté, a amplement montré que le chapelet perpétuel à in­vocation unique, bien loin d'être un secret pour initié, loin d'être un mystère gnostique, une tradition secrète, était, de­puis longtemps en Orient, une dévotion populaire.

Comment Fénelon a-t-il pu escamoter la répétition du ver­set ? Comment ce célèbre humaniste a-t-il pu donner, dans un texte du IVme siècle, au mot : méditer, un sens du XIIme siè­cle ? Méditation, « en latin comme en grec, exprime l'idée d'exercice physique ou intellectuel », toute pratique destinée à se préparer et à s'assouplir ; mais plus tard, la langue a plu­tôt réservé exercere aux exercices physiques et meditari à ceux de l'esprit 429.

La méditation de Cassien signifie un exercice analogue « aux répétitions des soldats et des musiciens », cet exercice ne consiste point en des variations sur un thème connu, mais en une gamme continuelle en vue d'une parfaite exécution. L'auteur de Télémaque est d'autant plus inexcusable qu'il ob­servera que Clément, sur lequel il s'appuie, a écrit : « qu'on parvient à l'apatheia « par le grand exercice véritable et pur », mais n'explique point en détail en quoi consiste cet exercice »..., à la répétition du verset, parbleu ! Fénelon n'a donc jamais lu Harphius, répandu dans tout l'Occident, ni Be­noit de Canfeld dit l'Anglois, qu'a connu Madame Acarie, ni tout simplement François de Sales pour ne pas parler des mystiques espagnols ou rhénans.

Avouons cependant que Clément d'Alexandrie ne se départ point d'un certain « initiatisme » par crainte du montanisme sans doute 430. Il n'hésite pas à déclarer : « Cette instruction ne se peut faire qu'à l'usage de ceux qui sont éprouvés. J'en omets plusieurs à dessein, choisissant avec discer­nement et craignant d'écrire les choses que je me suis bien gardé de dire. Je ne garderai point ce silence pour moi, ce qui serait criminel ; mais je crains pour ceux dans les mains de qui cet ouvrage tomberait, de peur qu'ils ne tombassent en l'expliquant mal et que je ne parusse fournir un glaive à un enfant, selon le proverbe » 431.

Hélas, quel glaive n'a-t-il pas fourni à notre prélat-enfant ! Celui-ci est obsédé par le seul cas Guyon, ayant connu « d'abord » un état qui dépasse les extases et les ravissements. Et bien qu'il observe que les « choses que saint Clément [qui d'ailleurs sera exclu du titre de saint, en 1749] dit de la gnose sont si prodigieuses et incroyables », il ne va pas hé­siter à en dire de plus prodigieuses et incroyables. Qu'on en juge !

Voici, d'après lui - et son imagination perturbée par la jeune veuve - ce que doit être le gnostique, un être ayant non seulement atteint mais outre-passé... l'union transfor­mante, une « statue-vivante », un jivan-mukta, qu'on en juge : Le gnostique est « dans un état différent de celui du simple fidèle qui a la foi, l'espérance, la charité. Le gnostique contemple sans cesse, en tous temps et en tout lieu, sans image, ni diversité de pensée et par conséquent sans actes ni discours 432. Il est tou­jours dans la même disposition vis-à-vis des mêmes choses... il est consommé dans l'union inamissible et inaltérable, ayant passé au­ delà des œuvres aussi bien que de toutes purifications, il n'a plus qu'à se reposer avec Dieu, qu'il voit face-à-face par la contem­plation... ». « Il n'y a plus besoin de vertu, parce qu'il n'a plus aucun mal à combattre, qu'il est dans l'apathie et l'imperturbabilité. Il est inspiré et prophète, mais prophète par le pur amour qui lui rend l'avenir présent ; car c'est l'onction qui lui enseigne tout, et loin de pouvoir être enseigné, il ne peut être entendu, ni même compris » 433. « Nul chrétien pathique et mercenaire, quand même il serait doc­teur, ne peut le comprendre et encore moins le juger. Au contraire, c'est à lui de juger quels sont les fidèles dignes de son instruction sur la gnose ». « Il est dans l'état apostolique [ce que prétendait notre insolente] et suppléant à l'absence des apôtres, non seulement il enseigne ses disciples, mais encore il transporte les montagnes et aplanit les vallées dans l'âme du prochain... Enfin, il est bienheureux, suffi­sant en lui-même, déiforme ou Dieu sur la terre, vivant dans la chair comme sans chair, arrivé à l'âge de l'homme parfait et hors du Pèlerinage ».

Bref, on croirait un « délivré vivant » du yoga. Et notre évêque d'ajouter que les autres mystiques s'expriment « avec des termes plus précautionneux » 434 mais que le « lecteur qui lit ces choses n'entreprenne pas de les comprendre s'il n'en a aucune expérience ». Et lui donc !

Pas besoin d'être grand clerc pour être effondré à la lec­ture de telles hérésies...

Qu'un théologien puisse penser et écrire de telles énormités - même en ne connaissant qu'un Jean de la Croix interpolé - ne peut provenir que d'un aveuglement grave, d'une déviation dogmatique. La brèche a été faite par l'humanisme, qui a introduit le Dieu de Télémaque à la place du Dieu des Juifs, mais provient surtout d'une incapacité de juger les grossières erreurs expérimentales de la pseudo-nouvelle-Acarie.

En effet, redisons-le, Madame Guyon s'est crue, - et on l'a crue, ce qui est invraisemblable - du premier coup, en union transformante, comme elle dit dans un « état qui est au-dessus des extases ». Elle cite sans broncher - elle aussi - le fameux passage des VIImes Demeures où Mère Thérèse déclare : « que l'âme, une fois parvenue à cet état, n'a plus de ravissement » et qu'elle traduit à sa manière : « Les ravis­sements, quant à ce qui est des effets extérieurs et de la perte des sens (!) et de la chaleur ». Et notre présomptueuse de gloser : « Sainte Thérèse traite ici des extases de faiblesse : ce sont celles des puissances et de la perte du sentiment. Si je pouvais faire com­prendre combien il est dangereux de s'arrêter à ces choses et comme le Diable peut là s'insinuer (!) et se transfigurer en Ange de Lumière. Mais je ne serai pas crue ».

Certes non, car c'est très exactement le contraire, la porte étant fermée à toute influence extérieure. Elle confond l'état d'union transformante où Mère Thérèse écrit que l'âme « est pour ainsi dire, toujours dans la quiétude » avec sa fausse « oraison de quiétude » et la tranquillité béate de son engour­dissement de médium.

Nous comprenons que les ravissements ne l'intéressaient pas. C'est le lot des Vme et VIme Demeures (où ils alternent généralement avec les Nuits de l'Esprit) qu'elle ignore, étant restée tout bonnement au seuil des IVme Demeures, figée dans cet état de « torpeur » qu'à dénoncé Mère Thérèse. Mais la nuit, nous l'avons vu, son état somnambulique s'accentue. Elle nous confie dans ses Explications (!) du Cantique des Canti­ques, au verset : Je dors, mais mon cœur veille : « Les âmes fort avancées éprouvent souvent une chose surpre­nante, qui est qu'elles n'ont la nuit qu'un demi-sommeil et que Dieu opère plus, ce semble, en elles, durant la nuit et dans le som­meil que pendant le jour. L'âme, dans ce sommeil, entend la voix de son Bien-Aimé qui vient frapper à la porte ».

Malgré son étonnant pastiche du vocabulaire des mystiques canonisés, elle avoue une fois de plus ne rien avoir expéri­menté car elle n'appellerait pas demi-sommeil le sommeil extatique, plus profond que le sommeil ordinaire, car toutes les puissances y sont suspendues même lorsque, chez les très avancés, l'état léthargique n'offre plus de fortes contractures.

Ce fameux « Je dors, mais mon cœur veille » de l'Epouse est la pierre de touche du niveau d'expérience mystique... Hélas, ce pauvre Bossuet y achoppe de son côté, lourdement. « Les Pères, de Clément d'Alexandrie, de Cassien, de saint Au­gustin, même, qui parlent du sommeil des justes semblent dire que leurs exercices n'y sont point interrompus et il est vrai que l'im­pression en demeure, en un certain sens... savoir ce qui se passe dans l'âme et quelle force secrète rappelle, comme naturellement, dans le réveil, la pensée où le sommeil nous a surpris, je n'entre­prendrais pas de l'expliquer »... [heureusement] et Jacques Benigne d'ajouter maladroitement : ce n'est pas spécial aux mystiques, « c'est une disposition commune à tous ceux qui, fortement occupés de quelque objet, semblent en être jour et nuit toujours remplis » 435. Et de citer le géomètre... obsédé par sa géométrie. Pas de chance vraiment de choisir le pur abstrait comme analogue au pur concret ; mathématique et mystique étant les deux activités les plus opposées.

Allons ! Des deux côtés, l'inexpérience est patente 436 et cela nous permet de comprendre pourquoi la querelle entre Fénelonistes et Bossuetistes a continué. Il n'y a pas eu de quiétisme à vrai dire, car pas de quiétude, stricto sensu. Il y eut, d'une part, une pauvre femme mégalomane, atteinte de la manie de la persécution, à demi-somnambule mais ver­tueuse 437, de l'autre un prélat, fin et finassier, qui « pour l'amour du grec » faillit devenir gnostique. Pas trace de dia­blerie, tout au moins spectaculaire. Satan se garde de trop montrer la patte en cette affaire ; le péché capital, l'orgueil et sa bêtise suffiraient à tout expliquer sans l'écriture automatique et les propositions des « Torrents ».

Henri Brémond, porté à diminuer la gravité du quiétisme, déclare : « Leur quiétude n'est que la forme la plus élémentaire, le plus bas degré de l'oraison mystique. Leur nuit est moins noire que celle de Jean de la Croix. Ils ne dépassent pas l'humble phase cré­pusculaire où, le discours cessant, la contemplation s'éveille. De là est venu du reste, le succès de leur propagande » [cette quiétude] « à savoir une prière où cesse le discours ne peut nourrir d'aucune façon les illusions ou les folies des illuminés ».

Non, non, et non. Tout d'abord, il n'y avait pas quié­tude mais torpeur somnambulique, « état suggestif » stricto sensu - état trompeur aussi redouté des bhaktas que des chrétiens... Et par ailleurs, une fois le vide fait, s'il est vrai­ment vide, tout peut y entrer, tout reste à craindre. Bossuet le sentait instinctivement. Fénelon et Madame Guyon vivaient présentement dans les nuages, certes, mais rien ne les pré­servait de la boue, des obsessions de Molinos, voire d'un « tantrisme » intellectuel, si l'expérience avait duré.

En conclusion, s'il n'y avait eu que cette mégalomane, il n'y aurait jamais eu « d'affaire du quiétisme ». C'est Fénelon qui frôla la grande hérésie ; il fut d'autant plus dangereux qu'il abondait dans le sens de Pascal, lequel approuvait ­- dans ses Provinciales - « La défense du pur amour » de Ca­mus. En fait, il n'y a point de vague du quiétisme ; elle a été étouffée dans l'œuf. C'est par un véritable défi au bon sens que, traitant du quiétisme, le Dictionnaire de Théologie Ca­tholique met dans le même panier les comas cataleptiques des yoguins, les « états » des hésychastes, les obsessions des alumbrados et la torpeur de Madame Guyon. Chacun de ces cas correspond à un état psychosomatique différent.



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