Gaston Bardet


MADAME GUYON, SOMNAMBULE ULTRA-NAIVE



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MADAME GUYON, SOMNAMBULE ULTRA-NAIVE.


Jeanne-Marie de la Motte Guion (1648-1717) était une jeu­ne femme poupine, aux yeux globuleux qui, à dix-neuf ans ­- étant en sa deuxième couche - admirait un chevalier de ses amis, lequel avait des « ligatures » en récitant le Petit Office de la Vierge. Elle nous confie qu'elle n'eut alors qu'un désir : arriver, elle aussi, à « ne penser à rien durant l'oraison ». Alors que la préparation à l'oraison consiste à « faire le plein », elle réussit si bien à « s'abstraire d'image et d'action », à « faire le vide » comme tout médium, « à ne penser à rien », qu'un jour elle connut une sorte de repos profond et obscur. Au lieu de conclure qu'elle était - peut-être - entrée en l'oraison de quiétude des IVmes Demeures, elle s'estima tout de suite en VIImes Demeures, en union transformante. Elle dé­crète : « C'est donc là l'oraison qui me fut communiquée d'abord, et qui est bien au-dessus des extases et des ravissements, des visions, etc... parce que toutes ces grâces sont beaucoup moins pures ».

Ce simple fait aurait suffi à la juger si son entourage ­- bien que son frère fut Chartreux - avait eu la droite con­naissance de l'ordinaire et de l'extraordinaire. Mais grâce à la peur du surnaturel, elle échappe aux critiques en se défen­dant de tout illuminisme et d'avoir connu des extases : « l'extase, [déclare-t-elle] vient d'un goût sensible (!) qui est une sensibilité spirituelle où l'âme se laissant trop aller, à cause de la douceur qu'elle y trouve, tombe en défaillance ».

Cette orgueilleuse pense : loin de moi ces faiblesses ! Ce prétentieux pathos la conduit à baptiser, sans plus, « Sainte indifférence » 421 sa paresse naturelle.

Cela n'empêche point « l'amante de Dieu » de se croire « transverbérée » par le séraphin, lors d'un prêche. Elle éprou­ve une forte émotion et traduit : « cette touche si profonde, cette plaie si délicieuse et amoureuse me fut faite à la Made­leine, en 1688 ». Elle intitule encore « mort mystique » (!) la nuit des sens qu'elle découvre lorsqu'elle est grosse de sa fille, et c'est « la sensation de l'abandon de Dieu, le réveil de la sensualité ». Elle se croit encore une mission d'apôtre souf­frante et se décrète dans « l'état apostolique ».

Un jour, au confessionnal, elle est - à cause de l'obscurité peut-être - en « état-second ». Elle traduit : « Ma tête se sentait comme élevée avec violence. J'étais comme tenue fort haut, hors de moi... je sentis cette fois cette élévation avec une si grande force que je craignois que tout mon corps allait s'élever de terre. Notre Seigneur se servait de cela pour me faire concevoir ce qu'est le vol de l'esprit... » 422.

Comment a-t-on pu l'écouter, sans rire, parler de lévitation corporelle et de vols d'esprit, sans être passé, au préalable, par les « faiblesses » des Vmes Demeures. Elle n'a jamais connu autre chose qu'une sieste particuliè­rement stable ; très exactement cette torpeur (embebecimiento) que Mère Thérèse redoutait chez ses nonnes, qu'elle soignait avec de bons beefsteaks et en supprimant le jeûne et la discipline. Cette torpeur qui est peut-être même un « état de stupeur » se produit « chez les personnes de nature pares­seuse », dont « l'esprit ou mieux dont l'imagination vive s'est à peine portée vers un objet qu'elle s'y arrête et ne s'en détourne plus ». Cette hypnose légère ne se peut confondre ni avec la quiétude, ni avec de soi-disant « suspensions prolon­gées », car il n'y a nullement suspension, c'est-à-dire ligature surnaturelle des puissances et sortie de l'âme ; il n'y a qu'en­gourdissement naturel.

Mais outre ces rêves de jour, notre languissante avait des songes de nuit... des « songes très mistérieux » durant des « demi-sommeils »... Elle pense : « On s'étonnera sans doute que faisant si peu de cas de l'extraordinaire, je rapporte les songes », mais ajoute aussitôt : « C'est la manière dont Dieu se sert [elle se croit dans l'Ancien Testament], ils ont des propriétés singulières, comme de laisser une certitude qu'ils sont mistérieux...» ! Par contre, ayant appris qu'il faut se méfier « des paroles intérieures et distinctes », il lui faut «  le Verbe même », en elle, qui l'inspire... Car elle est arrivée à « l'Union d'Unité en Dieu ineffable et par le Verbe même ». Bossuet n'en croit pas ses oreilles ! Certes - ne l'oublions pas - son premier directeur spirituel, le P. La Combe est mort fou, mais Fénelon, lui, a tout admis... y compris l'Union d'Unité... « Que restera-t-il alors pour la vision béatifique » ! soupire Bossuet.

Ignorait-on, à cette époque, « l'écriture automatique » pour lui laisser attribuer à l'intervention divine ces « impulsions irrésistibles qui la poussaient si violemment à écrire que sa résistance à cette force la rendait malade. Ce n'étaient point ses pensées, elle était tout à fait passive : C'étaient celles de cette force inconnue. Le P. Lacombe lui ayant dit d'obéir à cette im­pulsion, elle écrivit, sans se douter de ce que sa main écrivait, et à une vitesse étonnante, le Traité complet de la Vie intérieure, et à mesure qu'elle avançait, sa santé se fortifiait ; c'est de la même manière qu'elle écrivit ses Commentaires sur l'Ecriture Sainte qui lui furent dictés mot à mot... cette dictée se faisait rapidement et sa main était agitée si vivement qu'elle n'aurait pu copier, dit-elle, en cinq jours, ce qu'elle écrivit en une nuit » 423.

Il n'était point inutile de souligner les ridicules de cette pseudo-mystique - dotée « d'un orgueil du diable », écrit Bossuet - dont la conjonction avec le naïf Fénelon a causé tant de mal à la mystique authentique.

Après avoir fait trop longtemps des dupes, on l'invite à s'expliquer : Lorsqu'on a eu le courage de lire jusqu'au bout les « Justifications de Madame Guyon », on reste abruti, éba­hi d'une telle confusion mentale. On croirait un : « A la manière de... » ! Et nous en voulons moins à Bossuet d'avoir pla­cé les mystiques « à la dernière place parce que ce sont des auteurs sans précision ». Si l'Aigle n'a pas su la confondre au moyen de sa montagne de citations, opposée aux « torrents » des siennes, le Cygne a fait preuve de tant de puérilité qu'on en admire le solide bon sens de Monsieur de Meaux.

Toutefois, les déclarations d'une « jolie femme », aussi vaniteuse que paresseuse, assimilant sa torpeur naturelle, ses états-seconds, ses demi-sommeils à l'union transformante n'auraient pu être prises en considération sans l'appui d'un thélogien patenté. Il a fallu que l'évêque de Cambrai se fasse le théoricien d'une nouvelle manière d'union mystique.

Tout humaniste est exposé à la « convoitise des yeux » ; la curiosité fit découvrir à Fénelon en Clément d'Alezandrie, qu'il y avait une gnose chrétienne, une secrète tradition mystique « qu'il n'est pas permis de dévoiler et qui demande la même économie que les mystères fondamentaux du chris­tianisme » 424.

Et nous voilà retombés dans les mystères d'Eleusis, les mantrams hermétiques des gurus ou les initiations osiriennes. C'était là l'hérésie majeure. Bossuet n'a point tort de sur­sauter : « Vous êtes le premier qui l'avez dit, et j'espère non seulement que vous serez le seul, mais encore que vous cesse­rez même de le dire » 425.


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