Gaston Bardet



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LA PRIERE DE JESUS.


Le secret des Pères du Désert, popularisé sous le nom de « prière de Jésus », s'est propagé sans interruption dans tout l'Orient byzantin. Au nom de Dieu, s'est substitué celui de Jésus, suivant cette parole de l'Evangile : « En vérité, en vérité, Je vous le dis : si vous demandez quelque chose à mon Père, en mon Nom, Il vous le donnera. Jusqu'ici vous n'avez rien demandé en mon Nom, demandez et vous recevrez afin que votre joie soit parfaite » (Jean 14.14).

Au Sinaï, du IIme jusqu'au XIme siècle, nous trouvons une spiritualité érémitique, essentiellement mystique, avec des hommes comme saint Nil, saint Jean Climaque. Cette spiri­tualité est colorée d'une tendresse particulière pour Jésus ; les Sinaïstes ne disent pas « Notre Seigneur Jésus-Christ », mais « Jésus » tout court, test d'une familiarité qui résulte de l'expérience mystique véritable 397. Cette effusion ne se trouvera pas dans les écrits basilaires et studites, qui influen­ceront davantage l'Occident.

Le monachisme cénobitique, inspiré de l'esprit basilaire, lui, s'appuie sur l'ascétisme, l'influence du corps sur l'esprit, le pouvoir de la Règle, beaucoup plus que sur l'adhérence directe à l'Esprit ; il se tourne vers la prière vocale en com mun et la psalmodie, plus que vers l'oraison mentale.

Au lieu de chercher la transformation par les gestes comme au Stoudion, les Sinaïstes, eux, attachent beaucoup plus d'importance « à la pensée comme génératrice des actes » 398. L'ascétisme s'y concentre sur la garde du cœur (c'est-à-dire des pensées) en vue de l'oraison mentale. C'est un ascétisme de l'intelligence ; c'est la voie de mortification intellectuelle retrouvée par Thérèse de Lisieux et opposée aux « pénitences de bête », comme dit Jean de la Croix.

En bref, au Sinaï, les ermites conservent la primauté du logos sur l'ethos, de la theoria sur la praxis, autrement dit le plus court chemin pour arriver à Dieu 399.

Jean Climaque, dans son Echelle du Ciel, (chap. XXVII), précise que pour fuir toute distraction, il faut éviter la varié­té des formules et s'en tenir à la monologia, « qui contribue beaucoup au recueillement de l'esprit ». L'oraison jaculatoire indéfiniment répétée a encore cet avantage d'entretenir le souvenir habituel de Jésus, autrement dit de nous faire sub­sister en la « mémoire de Jésus ». Il faut que la prière devien­ne ininterrompue comme la respiration ; mieux qu'elle soit « collée à la respiration ».

Jusqu'au VIIIme siècle ou IXme siècle, la tradition byzan­tine de la prière de Jésus est assez fluide ; les techniques psycho-somatiques - tant critiquées - n'apparaîtront que plus tard, vers le XIme ou XIIme siècle. « La forme même de la prière ne semble pas fixée, certains paraissent avoir pronon­cé le nom seul, d'autres paraissent l'avoir associé à quelques brèves invocations » 400. Les erreurs se cristalisèrent dans la « Méthode de la prière et de l'attention sacrée », due (par tra­dition) à Syméon, le Nouveau théologien, higoumène du mo­nastère de Saint-Mammas à Constantinople, lequel semble être le moine Nicéphore - d'après le P. Irénée Hausherr.

Vers 1340, Nicéphore dogmatise les notions erronées dont l'origine hindoue est probable - peut-être encore gnostique, alexandrine ? N'oublions pas que le soufisme venait lui aussi d'être gravement contaminé par la traduction, en langue ara­be, des Yoga-soutras de Patanjali, par Barouni 401.

Siméon (ou Nicéphore), qui a vu Jésus dans une extase, affirme la nécessité de l'expérience mystique lumineuse, ce qui est la négation même de la foi, et le contre-pied de l'ex­périence mystique ténébreuse, voie normale de l'union pour obtenir - par industrie - cette expérience, il préconise un double exercice ; le premier surnommé : l'omphaloscopie, puis la Prière de Jésus, mais accompagnée d'un refoulement de l'air respiré dans le cœur, afin de faciliter - comme il dit ­l'entrée de l'Esprit dans le cœur !

La « naturalisation » de la contemplation surnaturelle se produit progressivement. D'abord c'est l'omphaloscopie, c'est-­à-dire la fixation visuelle du nombril, comme dans le soufisme dégradé ou le yoga.

Il s'y ajoute une traduction physiologique, aussi pittores­que que périlleuse, de la « contemplation circulaire » du pseudo-Denys. « Pour empêcher les yeux d'errer de çà et là, il sera très utile, en imprimant à la tête un mouvement circulaire, de concentrer les regards sur la poitrine ou le nombril comme sur un appui solide. Le mouvement circulaire du dehors facilitera (!) l'enroulement de l'esprit dans son centre qui est le cœur... Si la force de la bête intelligente [la serpente] réside dans le nombril et le ventre où la loi du péché exerce son empire et trouve sa pâture, pourquoi ne pas opposer, sur ce point même, à la loi du péché la loi de l'esprit, en s'armant de la prière ».

A l'origine, il ne s'agissait simplement, étant assis, que d'avoir la tête basse, « barbe sur la poitrine », le milieu du corps n'étant qu'un axe de direction, non un point de fixation. Peut-être y eut-il ensuite balancement de la tête comme chez les jeunes musulmans apprenant le Coran - ce balancement rythmique qui aide à concentrer l'attention sur les versets.

Soloviev, qui connut par Dostoïewsky le Père Ambroise, starets alors célèbre - bien avant de retrouver l'Eglise Ro­maine – observe : « Les hésychastes ont attaché une grande importance à maintenir l'esprit dans les « limites du corps » ; il s'agit d'empêcher l'esprit de se disperser dans les choses, ce qui arrive par l'exercice des fonc­tions visuelles, tactiles, locomotrices, etc... Si l'on retient sa respi­ration, si en même temps on reste immobile, les yeux fermés ou baissés, si cette attitude corporelle s'accompagne d'un effort psycho­logique pour « ramener l'esprit dans le corps », et ne pas dépasser les limites du corps, cette opération presque impossible à décrire, produit une impression de gêne (qui peut devenir douloureuse), mais aussi de coïncidence aiguë entre l'esprit et le corps et de concentration intense » 402.

Admettons avec un moine oriental contemporain qu'il faut être « très prudent, très réservé », quand on parle de cette méthode « qu'on n'approche que de l’extérieur, et dont on n'a pas l'expérience personnelle ». Mais c'est un hors-d'œuvre somatique nullement nécessaire et généralement dangereux.

Quant à l'utilisation magico-somatique de la respiration ralentie, à l'assimilation du souffle à l'esprit, elle est certaine à partir de 1270, mais n'offre aucun point commun avec le « quiétisme ».

« Toi donc, assieds-toi, recueille ton esprit, introduit de cet esprit, dans le passage nasal où l'air respiré entre dans le cœur, pousse-le et force-le à entrer avec l'air respiré dans le cœur. Chaque fois, entre-là ; ce qui suit ne sera plus que joie et délices... Il faut aussi que tu saches ceci... lorsque ton esprit est rentré là, il ne faut pas rester silencieux et inactif, mais avoir pour occupation et étude inin­terrompue, ce cri : « Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi » et ne jamais, jamais s'en lasser. Cette invocation, conservant l'esprit dans la fermeté, le rend inaccessible et intangible aux attaques de l'enne­mi, et le fait monter de jour en jour vers l'amour et le désir de Dieu » 403.

A partir de ce moment, l'hésychasme sinaïste et pur est bien mort ; l'hésychasme athonite commence avec son systé­matisme, et les déviations, introduites vers le XIIme siècle, s'accentuent, semble-t-il.

C'est l'époque de la célèbre controverse entre Grégoire de Palamas, archevêque de Thessalonique (1276-1359) et le moine calabrais Barlaam. Sans entrer dans des discussions doctrinales - qui restent à éclaircir - nous nous contente­rons de souligner la compénétration toujours plus grande des idées psychosomatiques infiltrées dans les communautés by­zantines et musulmanes.

L'hésychaste reconnait alors quatre centres de concentra­tion et d'attention différents, précise le Docteur André Bloom, moine orthodoxe 404. Le centre cérébro-frontal localisé à la région inter-sourcillère (autrement dit : le troisième œil) ; le centre bucco-laryngé ; le centre pectoral (partie supérieure et médiane de la poitrine) ; enfin le centre cardiaque.

Il y a là, peut-être, une longue expérience de l'intériorisa­tion de l'oraison. Sagement employée, cette descente de la concentration n'a - paraît-il - pour « but que d'apprendre au novice auquel elle est destinée est ce centre d'attention optima, pour qu'il puisse - le moment venu - reconnaître que c'est bien là que naît sa prière et s'y fixer. » Re-connaître seulement.

Certes, malgré l'analogie de localisation des centres psy­chiques, nous restons loin de l'apâna montant - comme la sève des rites de fécondité - à la recherche du prâna solaire. Seuls les quatre centres supérieurs sont utilisés, non les cha­kras au-dessous de la ceinture. Ce mouvement de descente, d'intériorisation, se rapprocherait davantage de celui préconisé par Gichtel, le disciple de Jacob Boehme. Et l'hésychaste se garde bien de réveiller la « Bête intelligente », la Kunda­lini, comme le freudien, par une concentration de l'attention sur ces régions. Il sait que toute erreur technique est infini­ment grave.

« Immédiatement au-dessous de la région du cœur... se trouve la région des « reins et des entrailles » où naissent et se développent toutes les sensations troubles qui souillent le cœur et l'intelligence. A leur plein développement, elles se traduisent par des manifesta­tions corporelles et mentales qui ne trompent guère ; ce sont les désirs effrénés de la chair et de l'esprit... le centre d'attention qui les libère et leur permet de remonter jusqu'à la conscience est très vaste, il comprend toute la région qui est immédiatement au-dessous du mamelon... et le tout aboutit souvent à l'aliénation mentale et aux désordres physiques », précise le Dr André Bloom.

« Des moines ignorants, sans guide et sans discernement, ont fait la cruelle expérience de ce qu'apporte dans la vie intérieure la concentration de l'attention sur ces régions. Ce sont leurs erreurs qui ont alimenté la critique anti-hésychaste de Barlaam, de Semi­naria, de Grégoire Acindynos, de Nicéphore Greogoras ».

Toujours est-il que si les erreurs somatiques d'adeptes du palamisme aboutissent à de graves déviations - sous l'influ­ence hindoue - il n'est pas inutile de mesurer combien ces dégradations restent encore tempérées comparativement à celles du soufisme.



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