Quelle(s) méthodologie(s) pour l’observation et l’action ?
Il apparaît très vite que si l’on privilégie une approche systémique, les études quantitatives s’avèrent relativement vaines, les variables étant trop nombreuses et comportant trop de paramètres différents. Restent alors, comme méthodologies de recueil de données, l’approche ethnographique (avec observation participante ou non, cf. Winkin, 1998) et, peut-être, certaines formes de recherche-action : Cardinal et Morin (non daté), suggèrent notamment que la recherche-action pourrait constituer une manière systémique de faire évoluer une situation éducative. Une troisième voie consiste à mettre des variables en relation a posteriori (après le recueil et le traitement des données par d’autres chercheurs), comme peuvent le faire des méta-analyses telles la présente étude (voir également Grégoire & al., 1996 et Bracewell & al., 1998).
Pour certains chercheurs, qui se réfèrent à des analystes du changement technologique comme Latour ou Perriault, cette approche est d’autant plus nécessaire que l’on s’intéresse aux effets des tic et que l’on vise à “ créer de nouvelles écologies informationnelles à l’école ” (Scavetta, 1997, pp. 139-140) :
“ D’habitude, machines, pratiques d’enseignement et d’apprentissage et fonctionnement de l’institution scolaire sont considérés comme des éléments indépendants, chacun faisant l’objet de savoirs et de pratiques bien distincts. L’approche ethnographique des processus d’innovation que nous avons suivie permet, au contraire, de saisir toujours et en même temps les aspects technologiques, pédagogiques et institutionnels, dans leurs imbrications qui sont rarement linéaires et ordonnées. Un regard ethnographique, en outre, est presque obligatoire dans la mesure où il est difficile d’établir des frontières, parfaitement définies une fois pour toutes, entre le domaine technique des fonctionnalités d’un hypertexte ou d’une interface de connexion en réseau, les objectifs d’un projet pédagogique et les contraintes multiples (horaires, programmes, espace-temps des activités, etc.) qui règlent le fonctionnement de l’institution scolaire. Cette approche ethnographique permet d’analyser et de maîtriser les processus selon lesquels les actants humains (enseignants et élèves) et les quasi-objets technologiques (hypertextes et réseaux télématiques) s’agencent, plus ou moins efficacement, au cours d’un processus d’innovation des pratiques pédagogiques d’une école. ”
Deux importantes recherches dites “ longitudinales ” nous semblent particulièrement bien correspondre à une étude systémique (ou écologique) de l’impact des technologies dans l’éducation, et nous nous y réfèrerons fréquemment dans ce chaptre : la recherche américaine Apple Classrooms of Tomorrow (acot, voir Haymore-Sandholtz, Ringstaff & Owyer, 1998) qui s’est prolongée de 1985 à 1995, et le projet européen Socrates-Mailbox (Barchechath & Magli, 1998), qui n’a duré que deux années mais s’est étendu à six pays et à dix-sept établissements scolaires différents132. D’autres sources d’informations ont été constituées par des descriptions de recherches-action (Rézeau, 1996, par exemple), par une enquête du cndp sur “ L’usage d’Internet au collège ” (cndp, 1999), par l’ouvrage de Pouts-Lajus et Riché-Magnier (1998) ou par des observations de terrain effectuées par l’auteur de ces lignes au Canada, en Italie et en France.
Voici la manière dont les auteurs du rapport Socrates-Mailbox (Barchechath & Magli, 1998, pp. 7-8) conçoivent l’approche ethnographique et ses apports :
“ L’ethnographie demande du temps : du temps pour l’observation, du temps pour l’immersion dans une culture et l’appropriation de ses codes culturels, du temps pour construire une narration traduisant la richesse et la complexité de ce qui a été observé. Comme la plupart des autres sciences, l’ethnographie a besoin d’un style propre. Décrire la réalité par des graphiques et des tableaux ou le faire par des croquis et au travers d’une narration sont deux choses différentes. […]
Nous voulons insister sur la valeur de l’approche ethnographique que nous avons choisie : nous croyons que seule une méthode explicitement descriptive et auto-réflexive peut libérer ce domaine de toute pensée prédictive et de questions implicitement prescriptives. Ces dernières sont des réflexions parasitaires qui passent à côté des profondes modifications sociales qui sont en train de se jouer. […]
Nous voulons également insister sur la valeur de l’approche ethnographique quand il s’agit de mettre en évidence ce qui n’est pas immédiatement visible. Nous doutons qu’un questionnaire ou une interview suffise à débusquer ce qui se cache dans l’épaisseur de la réalité. Aucun tableau, aucun schéma ne pourrait l’exprimer. En revanche, nous pouvons arriver à un certain niveau de compréhension par une observation patiente, en interrogeant notre propre expérience et en la comparant avec ce qui a été observé. L’équipe Mailbox a clairement choisi une position qui consiste à chercher de nouvelles configurations de ce que nous appelons l’apprentissage implicite (et que Dewey nomme “apprentissage collatéral”), celles-ci découlant de l’intégration des technologies de l’information et de la communication à l’école. ”
Pour résumer, l’approche systémique, qui ne constitue ni un domaine de recherches ni une méthodologie mais peut inspirer ceux-ci, nous semble pouvoir servir un triple objectif : un objectif descriptif permettant d’avoir un tableau plus exact des rapports entre pédagogie et technologie, un objectif de compréhension des facteurs décisifs pour une bonne intégration et un objectif de changement, l’examen croisé des variables permettant de mieux sélectionner les leviers sur lesquels agir133. Une telle approche nous amènera tout d’abord à constater que les tic sont rarement intégrées de façon satisfaisante, à énumérer ensuite les variables en présence en décrivant les obstacles, pour terminer par une réflexion sur les interactions entre différentes variables.
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