Samedi 12 septembre 1992 (12h.40)
Les péripéties n'ont pas manqué durant notre voyage en Espagne. Nous sommes partis avec une voiture qui donnait déjà des signes de fatigue. J'avais eu le tort de différer - autant par paresse que par économie - une révision qui eut été bien nécessaire. Nous nous sommes vite aperçus que nous n'avions plus d'amortisseurs à l'arrière, ce qui a eu pour conséquence d'user prématurément les pneus. Une baisse du niveau de liquide de refroidissement, dont les premiers symptômes étaient apparus précédemment, m'a obligé à rajouter de l'eau dans le réservoir. Enfin, à Séville, la manette de lave-glaces s'est cassée. Heureusement que le voyage n'a pas duré plus longtemps, car nous n'aurions ramené que des lambeaux de notre véhicule!
Au total, la cohabitation avec ma belle-mère ne s'est pas trop mal passée. Certes, elle ne marche pas vite, c'est le moins que le puisse dire, et cela nous a fait perdre du temps dans le vaste espace de l'Exposition. Elle n'est pas entraînée comme nous à se passer de boire et de manger, et, lorsqu'elle a soif ou qu'elle est fatiguée, il faudrait tout de suite satisfaire ses envies. Mais elle a cependant enduré sans trop se plaindre nos longues journées que je n'étais pas le dernier à trouver fatigantes. Bien entendu, nous sommes plus libres et plus légers lorsque nous sommes entre nous, mais la mère mère de Joëlle n'est pas un poids mort comme la mienne.
Au chapitre des incidents, il faut ajouter les problèmes de paiement à Séville où il a fallu vider nos poches et changer tout l'argent français que nous avions pour pouvoir régler l'hôtel en liquide, puis la carte Visa de Joëlle oubliée dans un restaurant à Valdepeñas.
Mais à côté de cela, il faut retenir le repas pris chez Jordi à l'aller, les deux soirées passées à Saragosse, la visite de la mosquée de Cordoue et surtout de la tour Calahora, où Roger Garaudy présente sa vision, un peu idyllique, de l'islam. Et puis, bien sûr, l'Expo, malgré la foule, malgré la mauvaise nourriture. Nous avons revu certains pavillons qui nous avaient parus remarquables la fois précédente: le Canada, la France, le Chili, l'Australie et même Puerto-Rico. Nous avons découvert des pavillons thématiques, tels que l'Univers (spectacle remarquable), les Télécommunications (très intéressant et concret), le Quinzième siècle (un peu décevant); des pays que nous n'avions pas visités en avril: l'Autriche (simple), la Hongrie (remarquable: les deux heures de queue se justifient), le Maroc (très beau), le Mexique (très instructif) ainsi que d'autres pays d'Amérique latine regroupés dans la plaza de América (Pérou, Bolivie, Colombie - excellent café -, Brésil, Argentine...). Des autonomies espagnoles, nous n'avons vu que le pavillon de l'Extrémadure. Enfin, pour terminer cette énumération, nous avons visité le pavillon de la Croix-rouge et celui de l'Organisation nationale des aveugles. Et n'oublions pas Curro, la sympathique mascotte de l'Expo, dans une démonstration de moto aquatique.
En dehors de l'Expo, nous avons visité, à Séville, la maison de Pilate, très bel édifice néo-classique, et assisté, le samedi soir, à un spectacle de dressage de chevaux andalous. Nous avons emmené ma belle-mère un soir place d'Espagne, et nous avons pris le temps d'examiner en détail toutes les mosaïques qui ornent cet hémicycle. Enfin, nous avons pris le temps, sur le chemin du retour, avant de quitter l'Espagne, de nous arrêter à Figueres et de regarder de l'extérieur l'extravagant musée Dalí.
Voilà, cette fois-ci l'Expo est bien finie pour nous. Après avoir fait provision d'images et de souvenirs, il faut se remettre au travail. Au CIRTIL, les événements n'ont fait que détériorer les relations entre l'établissement de Lyon et celui de Saint-Etienne. Lassonde a un comportement déplorable et le Groupe Formation est pris entre le marteau et l'enclume, au point que j'ai pris contact avec monsieur Magnol pour essayer de préserver la collaboration que nous sommes arrivés à mettre en place.
Avant-hier soir, Viviane m'a téléphoné pour me souhaiter mon anniversaire. Hier soir, c'est Jean-Jacques qui m'a appelé, mais c'était pour avoir des nouvelles de toute la famille, et sans doute aussi parce qu'il devait se sentir seul et avait envie de parler.
Ce matin, je suis allé avec Catherine Spennato porter "notre" ordinateur à réparer et elle a obtenu, après presqu'une heure de discussions, une intervention moins onéreuse. Si seulement cela pouvait mettre un point final à ces problèmes... En attendant, me voilà privé de machine pendant une semaine.
Dimanche 13 septembre 1992 (21h.05)
Hier soir, nous avons fêté, avec une semaine de retard, mon anniversaire, en compagnie de Yaël, François et Lionel, mais, paradoxalement, pas Aurore, qui n'était pas libre et qui est venue déjeuner avec nous aujourd'hui. Ainsi donc, j'ai quarante-cinq ans. Combien d'anniversaires me reste-t-il à célébrer? Vingt, trente dans le meilleur des cas. Ou peut-être beaucoup moins. Et qu'aurai-je fait de ma vie? Rien. Les années passent et je perds toujours mon temps. Mes capacités restent inexploitées et, à mesure que les années passent, je crois de moins en moins à la possibilité de me sortir de ma torpeur. Et de moins en moins je crois en ma valeur.
Ai-je au moins mieux réussi ma vie sentimentale? Même pas. Je ne suis pas parvenu à me faire aimer et apprécier de ma femme ou de mes filles. Et mon coeur se dessèche à rêver d'impossibles amours et de tendresses interdites. A se demander pourquoi je vis encore...
Après avoir travaillé toute l'après-midi sur "Don Quichotte", j'ai eu le tort de montrer à Joëlle le fruit de mes efforts. Comme j'aurais dû le prévoir, elle l'a très mal pris, m'accusant de lui prendre ses idées et de ne m'être attelé à cette tâche que pour lui couper l'herbe sous le pied, alors que je n'ai fait que mettre en informatique des notes qui remontaient à dix ans en arrière. Ce fut pour elle l'occasion de me reprocher mon attitude durant le voyage à Séville et ma façon de m'interposer entre sa mère et elle en donnant à sa place les explications qu'elle commençait de lui fournir. Cela m'aura appris que l'espagnol est sa chasse gardée et qu'il ne faut surtout pas que je fasse reconnaître mes connaissances en cette matière, l'informatique étant le seul domaine où j'ai le droit de briller. Pour quelqu'un qui me reprochait de m'être éloigné de nos centres d'intérêt communs! Comment arriver à vivre encore ensemble sans tout refouler et nier ce qui me tient à coeur?
Mercredi 16 septembre 1992 (20h.58)
Comité technique à Nevers. Ce fut l'occasion d'une sortie agréable: je suis parti lundi après-midi avec Gérard et, comme ma voiture n'est pas encore réparée et que celle de Gérard a aussi quelques problèmes, nous avons pris celle de Joëlle, mais c'est Gérard qui a conduit. Nous sommes passés par Villefranche pour aller chercher mademoiselle Petit, et, malgré ce détour et tous les kilomètres que nous avons parcourus, nous sommes arrivés les premiers. Pour le dîner, nous nous sommes retrouvés à dix dans un restaurant - Le petit Caveau - où j'étais déjà allé avec Danve et où nous avons très bien mangé (mais moins bien bu).
De retour à l'hôtel à une heure relativement raisonnable, j'ai mis en marche la télévision dont était dotée ma chambre et, après la fin d'un film d'Hitchcock, "Le crime était presque parfait", j'ai suivi avec délectation une émission consacrée à un poète provençal que je ne connaissais pas: Mas-Felipe Delavouet.
Le lendemain, la réunion s'est très bien déroulée: le nouveau directeur de l'URSSAF de Nevers semble plus ouvert et plus accueillant que le précédent (ce qui n'est pas bien difficile). A midi - c'est-à-dire à une heure et demie - nous étions invités à déjeuner au restaurant de l'hôtel Climat où nous avons mieux mangé que dans les autres établissements de cette chaîne que je connaissais précédemment. Je dois même avouer que, pour le retour, je me sentais bien assez lourd.
Le soir,nous sommes allés, dans le cadre de la Biennale de la danse, consacrée cette année à l'Espagne, à un spectacle de la Maison de la danse: El Farruco et sa troupe, une famille de gitans qui, pendant deux heures, a dansé devant nous à un rythme endiablé, avec, notamment, un fabuleux gamin de huit ans à la grâce et à la technique prodigieuse. Mais, le spectacle se terminant à deux heures du matin, il ne nous est guère resté de temps pour dormir. Aussi, la journée a-t-elle été longue et ce soir je ne vais pas m'attarder, ce qui explique ce travail bâclé. Ce n'est pas encore cette semaine - ni la prochaine, sans doute - que je trouverai l'équilibre et la sérénité nécessaires à mon travail.
Jeudi 17 septembre 1992 (21h.07)
Fatigue physique. Lassitude morale, ce qui, chez moi, va souvent de pair. Je n'ai plus de courage, ni de goût de vivre. J'aimerais pouvoir me coucher au bord du chemin et renoncer à tout. Mais il faut encore avancer:
Otros esperan que resistas,
que les ayude tu alegría,
que les ayude tu canción
entre sus canciones.
Nunca te entregues ni te apartes.
Junto al camino nunca digas:
no puedo más y aquí me quedo.5
J'ai lu ce soir quelques poèmes de Paul-Jean Toulet dont j'avais emprunté un recueil à la bibliothèque. Que de déchets! J'avais été attiré par quelques vers splendides qui laissaient augurer une oeuvre mémorable. Et certes, je relis avec plaisir "Dans Arles, où sont les Aliscams..." ou
"Puisque tes jours ne t'ont laissé
Qu'un peu de cendre dans la bouche..."
Mais il y a vraiment trop de scories dans ces "Contrerimes" et que de fadaises il faut parcourir pour trouver quelques perles:
"Etranger, je sens bon. Cueille-moi sans remords:
Les violettes sont le sourire des morts."
"O Femmes, dites-moi, dans la nuit qui passez,
Ce qu'à travers vos yeux pleurent les trépassés."
"On rit, on se baise, on déjeune...
Le soir tombe: on n'est plus très jeune."
Dimanche 20 septembre 1992 (21h.37)
J'en ai assez de cette vie qui ressemble à une course vers je ne sais quoi. Quand prendrons-nous le temps de faire ce qui nous plaît? J'ai l'impression d'être poursuivi par des tâches matérielles sans intérêt, de crouler sous un fardeau d'obligations sans cesse croissant, d'être condamné à renoncer sans cesse à ce qui agrémenterait mon existence. Si cela continue, je vais prendre des congés ou me déclarer en maladie pour pouvoir avoir du temps pour moi, pour ne rien faire ou pour me lancer dans de grandes tâches, peu importe quoi, pourvu que je me sente vivre, que j'oublie le reste, la routine, la paperasse, les soucis quotidiens...
Vendredi soir, spectacle du "Ballet nacional de España". Cela commença mal, avec un massacre du Fandango du padre Soler orchestré par Claudio Prieto et dansé de façon artificielle. Heureusement, le reste de la soirée fut moins décevant: un superbe numéro de soliste sur l'Alborada del gracioso; une partie d'inspiration flamenca, très réussie; puis, en deuxième partie, "Ritmos" sur une belle musique de José Nieto; une danse de Granados, un des numéros les moins mémorables du spectacle; enfin, un Boléro de Ravel, magistralement interprété. Une belle synthèse de l'art musical et chorégraphique espagnol.
Hier, j'ai récupéré mon ordinateur, apparemment réparé. Mais il est dit qu'il manquera toujours un élément de ma configuration, car je ne sais quand et comment je récupérerai mon imprimante.
Aujourd'hui, fête espagnole à Saint-Jean: sardanes, ce matin, à la sortie de la messe; plats et boissons espagnoles dans certains restaurants; défilé et animations, cet après-midi. Malgré la présence de nombreux espagnols, cela faisait un peu rapporté. L'organisation laissait à désirer et il y a eu beaucoup de désordre et de temps perdu. En milieu d'après-midi, j'ai déclaré forfait et, lassé de cette foule, je suis remonté à la maison.
Mercredi 23 septembre 1992 (20h.18)
Cette année est celle de l'Espagne, et tout particulièrement à Lyon actuellement. Outre les spectacles de la Biennale de la danse, nous bénéficions de projections de films espagnols dont le seul inconvénient est d'être trop rapprochées. Lundi soir, nous sommes allés voir "Muerte de un ciclista" de Bardem, une oeuvre qui n'a pas vieilli et garde encore toute sa force. Hier soir, je suis allé avec Blandine voir "De prisa, de prisa", un film de Carlos Saura de 1980, d'un genre très différent, mais tout aussi prenant et réussi.
Aujourd'hui, je suis allé à Saint-Etienne, travailler avec Gérard à la préparation de la prochaine session de formation SNV2. C'est malheureux à dire, mais c'est sans enthousiasme que je me prépare cette reprise de nos cours. Heureusement que je ne suis pas seul et que cela me donne l'occasion de reprendre ma collaboration avec Gérard, sinon je devrais me faire violence pour m'intéresser à un sujet qui ne se renouvelle guère et dont je me suis lassé. En sera-t-il un jour de même de la micro-informatique? Je ne le pense pas, tant le thème est varié et personnel, mais on ne peut jurer de rien.
Lundi 28 septembre 1992 (21h.48)
La fin de semaine passée chez Nadine, à Grenoble, ne m'a permis ni de rattraper mon retard dans tous les domaines où je ne me suis pas encore remis de notre absence du début de mois, ni même d'effectuer le minimum indispensable pour ne pas accroître ce retard. Mais je ne veux pas recommencer comme l'année dernière où nous sommes restés plusieurs mois sans voir ni amis ni famille et nous avions toujours quelque prétexte pour ne pas sortir. Je préfère prendre mon parti de ce retard chronique et j'espère arriver à obtenir que nous sortions ou recevions une fin de semaine par mois.
Le temps n'était pas avec nous hier, et la pluie a empêché la promenade que Nadine projetait. Pour ma part, je ne vais pas m'en plaindre, car je n'avais que moyennement envie de sortir et je me satisfais très bien d'une fin de semaine passée à discuter autour du feu (c'est une image). Nous sommes seulement allés visiter une galerie d'antiquaires à Varces et "estirar las piernas" dans Seyssins.
Avec Pierre-Michel, j'ai pris une belle leçon d'humilité. Sans formation informatique, il écrit en "Basic" des programmes que je ne suis pas capable de réaliser. Et il connaît "Windows" beaucoup mieux que moi. Heureusement que j'ai le "DOS" pour sauver l'honneur. J'espérais rapporter plusieurs logiciels qu'il a sur son IBM, mais je n'ai pas pu relire sur mon ordinateur la disquette que nous avions copiée. Je n'aurais plus qu'à la refaire quand j'irai à Grenoble au mois de novembre.
Vendredi soir, dans le cadre de la "Biennale de la danse", je suis allé voir avec Joëlle le spectacle de Juana Amaya et son groupe. Musicalement et vocalement, ce fut la soirée la plus réussie de tout ce qu'il nous a été donné d'entendre.Aux guitaristes habituels s'étaient joints un violoniste et un flûtiste et leur interprétation des airs flamencos alliait la tradition juive à l'inspiration islamique. Nous étions vraiment au coeur de l'Espagne des trois religions. Les exhibitions de Juana Amaya ne m'ont par contre pas convaincu. Elle a certes un "taconeo" remarquable, mais sa danse n'est pas variée et elle devrait prendre des leçons de grâce auprès du "Farruquito".
Mardi 29 septembre 1992 (20h.27)
Comme le disait Catherine Spennato, ce n'est vraiment pas mon année pour l'informatique: après mon imprimante personnelle, disparue dans la nature, c'est maintenant mon imprimante professionnelle qui me fait faux bond. Le montant de la réparation est assez élevé pour que se pose le problème de la réparer ou non. Me voici donc sans imprimante, au moins provisoirement.
Une fois de plus, et indépendamment de ces problèmes matériels, je suis amené à me poser la question de l'évolution de mon travail micro-informatique. J'ai l'impression d'avoir mis le doigt dans un engrenage impossible à arrêter. J'ai vu vendredi dernier Bernard Sanlaville qui m'a prêté les nouvelles versions de Windows et d'Excel. Sachant le travail que représentent l'installation et l'apprentissage d'un nouveau logiciel et surtout la place qu'il nécessite, j'hésite à me lancer dans une aventure dont je me serais volontiers passé. Mais puis-je renoncer à suivre l'évolution des techniques et des produits si je veux faire de la formation? D'un autre côté, avec les moyens financiers réduits dont je dispose, comment continuer de travailler avec un disque de capacité moyenne en utilisant des logiciels de plus en plus gourmands? Comment aussi arriver à mettre à profit l'outil informatique à des fins culturelles, s'il faut sans cesse gérer un système et résoudre des problèmes techniques? D'une manière plus générale, c'est l'éternel tentation du repliement sur soi-même pour enfin jouir des richesses que l'on ne cesse d'accumuler sans avoir le temps d'en profiter. Si je voulais approfondir tout ce que recèle mon logis, je pourrais rester sans sortir pendant des années. Mais pendant ce temps-là, le monde continue de bouger et de progresser.
Aujourd'hui et demain, formation interne sur le contentieux. Je le fais par devoir et sans réel plaisir, même si l'expérience me facilite la tâche et qu'il est bon pour moi de reprendre du service pour me sortir de mon indolence et me préparer pour la semaine prochaine.
Tout vient toujours trop tard: la nouvelle classification, dont monsieur Henry attendait tant, vient seulement d'être acceptée. Que m'importe maintenant que le jugement sur la compétence soit pris en considération?
Lu ce soir quelques pages du Journal d'Amiel. J'y trouve, à propos de son propre texte, quelques réflexions qui me conviennent tout à fait: " La plume va sans fin et à l'abandon. Les réflexions se croisent et s'entassent. Et le résultat pour l'auteur, c'est simplement de se mieux connaître. Procédé charmant pour la paresse; mais qui ne vaut sans doute que ce qu'il coûte. " .
Je suis frappé par la baisse de mes capacités de travail: difficulté de concentration, mémorisation déficiente, manque d'attirance pour la réflexion ardue... Est-ce l'âge ou le poids du labeur quotidien? D'autres conditions de vie me permettraient-elles de retrouver mon enthousiasme et mes facultés intellectuelles? Je ne sais, mais je crains bien que l'occasion ne me soit jamais donnée de le vérifier et que le problème ne fasse que s'accentuer.
Mercredi 30 septembre 1992 (21h.07)
Après six mois de silence, Henri m'a téléphoné aujourd'hui. Une amitié peut-elle survivre à l'éloignement et à l'absence de rencontres? Je n'en suis pas convaincu et je crains que nos relations ne deviennent un peu mythiques, comme la vénération d'un souvenir désormais obsolète. Nous échangeons nos impressions, la chronique de notre vie familiale. Ainsi nous ne nous perdons pas de vue, mais cela ne peut se comparer à nos échanges quotidiens d'antan. Nous projetons de nous retrouver lorsque j'irai à Grenoble au mois de novembre, mais d'ici là il y aura bien quelque empêchement qui viendra se mettre en travers de nos projets. Malgré l'insatisfaction que suscitait parfois en moi notre amitié, je n'ai jamais trouvé l'équivalent de cette relation originale qui ressemblait un peu à l'alliance de la carpe et du lapin.
Il semble que, malgré mon enthousiasme très tempéré, je me sois bien sorti de la formation de mes collègues, si j'en juge par leurs réactions favorables. Je crains d'être obligé de rééditer ce genre de session, mais ma liberté est à ce prix. A noter que j'ai perdu un stagiaire en route: j'ai appris que Tomas, qui était absent ce matin, avait été hospitalisé.
Vendredi 2 octobre 1992 (20h.03)
Hier soir, je suis allé avec Blandine voir "Las largas vacaciones del 36" de Jaime Camino, une vision assez convaincante de la vie quotidienne en Espagne au moment de la guerre. Dommage que la copie ait été en si mauvais état. L'oeuvre ne date pourtant que de 1976. Nous sommes ensuite allés dîner dans une crêperie où Joëlle nous a rejoints après ses cours d'espagnol.
Aujourd'hui, Bonnefoy offrait un apéritif en l'honneur de son mariage. La jeune épouse était là: on ne peut pas dire qu'elle m'ait fait une impression très favorable, mais, après tout, je n'en ai rien à faire.
A la bibliothèque de l'URSSAF, j'ai pris un roman de Simenon et un d'Yves Simon. Si je ne m'en donne pas l'occasion, je ne trouve pas le temps de lire, alors que, si je m'y contrains, je suis capable de terminer rapidement la lecture de livres même longs. Toujours le même problème de gestion du temps...
Encore un coup de fil de Jean-Jacques! J'aurais parfois envie d'arrêter ce maudit téléphone qui sonne de plus en plus souvent, spécialement quand je suis seul. D'autant plus que c'est rarement moi que l'on appelle et que, de toutes façons, ce n'est jamais quelqu'un dont je souhaite entendre la voix et avoir des nouvelles qui me dérange (à dire vrai, en dehors de Véronique, je ne vois pas qui pourrait appeler sans que cela m'importune).
Dimanche 4 octobre 1992 (22h.24)
C'est déjà l'hiver. Il pleut presque chaque jour et le froid a commencé de pénétrer dans les appartements. "Le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle et nous verse un jour noir plus triste que les nuits". Qu'il est loin notre été sévillan!
La maison est en chantier. Joëlle finit la tapisserie de la cuisine dont les meubles doivent être installés mercredi prochain. Je m'efforce de supporter sans mot dire ce désordre dont j'ai horreur et qui va durer presque toute la semaine.
Aurore est revenue provisoirement vivre à Saint-Fons, mais il ne semble pas que ce soit de gaieté de coeur. Lionel a été hospitalisé quatre jours en début de semaine après une dispute avec Aurore. Qu'elle ait réintégré son appartement pour des raisons matérielles ou à cause du chantage au suicide que Lionel exerce plus ou moins consciemment à son égard, il est visible qu'Aurore n'est pas heureuse de cette situation. Hier soir, ils sont passés en fin d'après-midi et Lionel nous a aidés à déplacer les meubles, mais il n'a pas réitéré ses offres de service de la semaine dernière, soit en raison de son état, soit à cause de la présence d'Aurore.
Mardi 6 octobre 1992 (20h.57)
Reprise de la formation aujourd'hui. Malgré ma lassitude du sujet et la charge que cela représente, j'éprouve toujours un certain plaisir à me retrouver face à une salle et à renouer le dialogue avec un public. Cette fois-ci, c'est un public très hétérogène auquel nous sommes confrontés, les effectifs ayant été complétés par l'adjonction de techniciens auxquels ne s'adresse normalement pas notre cours. Il sera difficile, dans ces conditions, d'éviter que ne se créent des clans à l'intérieur du groupe. Il est question d'organiser une troisième session de formation. J'eusse préféré des sessions de formation micro-informatique, mais je n'ai pas le choix et je dois bien me résigner à faire mon devoir jusqu'au bout si je veux garder la possibilité de faire ce qui me plaît.
Le froid persiste et l'on commence à mettre du chauffage. Ma belle-mère, qui a téléphoné hier soir, commence à regretter la chaleur dont elle s'était plainte à Séville.
Mon expérience d'installation de la nouvelle version de "Windows" que m'a prêtée Sanlaville s'est soldée par un échec: après l'avoir mise en place, je l'ai vite retirée, ayant vu la place occupée par l'ensemble des programmes. Je ne peux pas me permettre de sacrifier ainsi un espace disque dont j'ai un grand besoin. Au demeurant, l'essai que j'en ai fait ne m'a pas convaincu de la nécessité de ce passage qui ne m'apporterait pas des avantages à la mesure du coût qu'il représente. De toutes façons, si ce n'était l'aspect pédagogique, je me contenterais volontiers des versions actuelles des logiciels avec lesquels je travaille et dont je n'ai pas encore exploré toutes les possibilités.
Jeudi 8 octobre 1992 (21h.37)
Il ne m'a pas fallu longtemps pour lire "Novembre", le roman de Simenon. Il est vrai qu'il ne mettait apparemment pas longtemps non plus pour les écrire. Et cependant, l'effet est assuré. Simenon réussit à créer une atmosphère, à nous attacher à des personnages insignifiants dont nous arrivons à partager les sensations et les préoccupations, dont nous nous sentons plus ou moins solidaires et dont nous ne mettons pas en doute l'existence tant elle ressemble à celle de milliers de nos semblables.
Fin des trois premières journées de formation. Je vais pouvoir un peu souffler, mais guère, car nous reprenons dès lundi. Ce stage ne présente pourtant pas de difficulté, et nos auditeurs ne posent pas de problèmes, mais cela représente tout de même une tension nerveuse et une charge de travail qui tranchent avec le calme de nos journées de relâche.
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