Après trois mois d'abandon, nos réunions de cadres ont repris aujourd'hui. Lassonde a ainsi devancé l'intervention que j'avais sollicité de monsieur Henry pour faire reprendre ces échanges du lundi matin. Cela nous a donné l'occasion de faire le point sur la situation actuelle du CIRTIL, mais, dès qu'il s'agit d'envisager des mesures pour remédier aux difficultés et anomalies rencontrées, on se retrouve face aux mêmes incohérences et à la même incapacité de traiter sainement les problèmes de relations humaines et de politique d'encadrement. Comme si l'on pouvait mieux cerner l'activité de ses employés avec des fiches qu'avec un dialogue quotidien! Mais quand il y a à la tête d'un établissement un ours mal léché qui agit selon l'humeur du moment et qui confond la fermeté avec les coups de colère, il ne peut pas y avoir une ambiance saine. Il manque chez nous tout autant une écoute des problèmes individuels qu'une véritable autorité.
L'absence de monsieur Henry et la répartition de sa suppléance entre les deux directeurs adjoints a provoqué entre eux des heurts auxquels Lassonde a fait allusion ce matin. Un retour assez rapide de notre directeur s'avère de plus en plus nécessaire. Espérons que d'ici là la situation n'aura pas le temps de se dégrader de façon irréversible.
Mardi 17 mars 1992 (20h.58)
Hier soir, j'ai fini la lecture de "L'homme au chapeau rouge". Comme dans ces tableaux dont il parle et où même les experts ne savent plus reconnaître l'authentique de l'apocryphe, les romans d'Hervé Guibert mêlent le vrai et le faux, sans que l'on sache ce qu'il faut en croire. Qui se cache derrière les noms du peintre Yannis ou de l'expert Vigo? Ne sont-ils rien d'autre que des fictions sorties de l'imagination de l'auteur? Mais le narrateur ne peut être que Guibert et son entrevue avec Balthus a bien eu lieu. Pourtant, c'est d'un roman qu'il s'agit, où toutes les libertés sont permises. Alors, on se laisse prendre au jeu. On suit Guibert dans son dernier voyage, dans ses derniers vagabondages, dans ses derniers jeux. Et l'on a le coeur serré de se dire que c'est un adieu, que la voix s'est tue désormais et qu'il ne nous restera que ces quelques livres pour retrouver la petite musique si attachante dont nous avons découvert trop tard tout le prix.
A la bibliothèque de Saint-Fons, j'ai pris un autre livre de Guibert: "Mon valet et moi".
Ce matin, mauvaise surprise: comme il faisait beau, je suis descendu à pied place Bellecour, ce qui ne m'était pas arrivé depuis longtemps, maintenant que la nouvelle ligne de métro me permet de faire tout le trajet sans efforts et que le temps hivernal n'incite pas à la flânerie. Mais après avoir attendu un moment l'autobus qui devait m'amener à Saint-Fons, j'ai dû me rendre à l'évidence: il n'y avait pas de transport en commun et il m'a fallu remonter à pied à la maison pour prendre la voiture. C'est l'inconvénient d'être tributaire de services qui, régulièrement, font inopinément défaut. Heureusement que nous avons maintenant deux voitures et que Joëlle ne m'a pas laissé démuni.
Comme prévu, Henri m'a de nouveau appelé aujourd'hui, profitant de la présence d'un téléphone dans le bureau où il travaille actuellement. Après cela, il va peut-être rester trois mois sans se manifester. Il est toujours aussi gentil et multiplie les protestations d'amitié, mais, avec les années, que restera-t-il de nos relations, si nous en sommes réduits à ces appels téléphoniques de loin en loin? Nos vies évoluent, suivent chacune leur chemin, et bientôt ce seront nos fantômes qui poursuivront une conversation engagée dans un passé à jamais figé.
Autre appel téléphonique: ma mère, qui m'annonce qu'elle part demain à Rumilly, invitée par Monique à l'occasion de son anniversaire, et que Bruno viendra la chercher demain. En fils indigne, je dis, en mon for intérieur: Bon vent!
C'est ensuite Joëlle qui m'a appelé, rapidement, de Vals-les-Bains où a lieu son stage. Pour ma part, j'ai téléphoné à madame Poupignon, toujours aussi affairée, mais qui promet de rechercher pour nous des documents sur Séville et souhaite nous (me?) revoir avant son départ pour l'Amérique latine, qui devrait intervenir au même moment que le nôtre pour l'Espagne (si les problèmes de vue ne viennent pas entraver nos projets, car j'en arrive à tout faire dépendre de l'examen du 2 avril, dont je redoute le verdict, comme l'année dernière au mois de mai, avec cette fois encore moins d'espoir d'un démenti. Au point que je serais prêt à tous les engagements, si pénibles soient-ils, dans le cas d'un bilan positif.)
Mercredi 18 mars 1992 (19h.25)
Monsieur Henry est mort la nuit dernière. Ainsi, à notre époque, un homme en pleine force de l'âge peut être enlevé, en moins de deux mois, par une infection bénigne, alors qu'il est suivi par le corps médical. Pourquoi l'a-t-on laissé sortir si tôt de l'hôpital? Pourquoi, depuis, n'avait-il plus aucun traitement? Le savait-on condamné, ou bien l'incapacité des médecins a-t-elle sous-estimé la gravité de son état? Ce qui est certain, c'est que lui-même ne se doutait de rien, car samedi, au téléphone, il faisait - encore et déjà - des projets qui sont maintenant devenus illusoires.
L'événement me touche sur trois plans: humainement, professionnellement et, si je puis dire, philosophiquement. En effet, un décès si brutal et dans ces circonstances nous contraint inévitablement à nous interroger et à réfléchir sur le sens de notre vie et sur sa fragilité. Le premier sentiment que l'on éprouve, c'est bien entendu la révolte. On se dit qu'il y avait certainement quelque chose à faire, que cette issue aurait pu être évitée, et qu'il aurait sans doute suffi de peu pour que cet accident ne soit bientôt plus qu'un mauvais souvenir. On s'en veut également de ne pas avoir agi, alors qu'il était encore temps, de ne pas s'être assez inquiété, de ne pas avoir préconisé, voire imposé, des mesures. Et l'on voudrait pouvoir faire marche arrière, réécrire l'histoire, effacer cette bavure du destin, imaginer un autre scénario. Mais les faits sont là, et leur terrifiante inertie proclame notre impuissance.
¿Quién arruga el sudario? ¡No es verdad lo que dice!
Aquí no canta nadie, ni llora en el rincón,
ni pica las espuelas, ni espanta la serpiente:
aquí no quiero más que los ojos redondos
para ver ese cuerpo sin posible descanso. 1
Ainsi s'achève une vie. Cinquante-trois années de luttes et d'espoirs, de petits bonheurs et de revers. Trente ans de travail pour en arriver à cette chute dérisoire. "Est-ce ainsi que les hommes vivent?" Sous cet éclairage, comme toutes les péripéties d'une carrière semblent vaines! Et l'on médite amèrement les paroles définitives de Malraux: "Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie.".
J'avais avec mon directeur des relations fort peu protocolaires, même si nous n'avions pas réussi à nous défaire, lui d'un certain paternalisme, et moi d'une scrupuleuse déférence. Mais notre commune réserve n'empêchait pas, à l'occasion, que s'expriment une profonde sympathie et un accord permanent. Son départ manqué m'avait donné l'opportunité de lui témoigner mes sentiments réels à son égard, et il m'est doux de me dire que les marques d'intérêt que je lui ai montrées ces jours derniers l'ont touché. Son sourire ironique, ses interminables conversations, ses allocutions improvisées vont me manquer. Il n'était pas toujours facile à vivre et il ne fallait pas heurter de front son obstination, mais nul doute que c'était une forte personnalité qui nous aura marqué de son empreinte.
Le problème qui va se poser maintenant, et de façon éminemment cruciale, c'est l'avenir du CIRTIL. Qui nous protégera de l'ACOSS, maintenant qu'il ne sera plus là pour taper du poing et parler haut? Qui maintiendra la balance entre les deux établissements et évitera que les énergies soient gaspillées dans des luttes intestines? Qui, surtout, reprendra ses projets avec la même hauteur de vue et une perspective aussi lointaine? Plus modestement, c'est ma position personnelle qui risque d'être compromise par cette disparition. Heureusement, ma place est maintenant bien assise et les privilèges que je lui dois sont suffisamment passés dans les moeurs pour que mon statut ne soit pas remis en question dans l'immédiat. Mais j'aurai perdu un soutien et une protection contre des adversaires plus ou moins déclarés.
Il y a moins d'un an, Antonio. Maintenant, monsieur Henry. Ce qu'il y a de plus redoutable dans la fuite du temps, c'est de se voir privé, tout à tour, de ceux qui nous ont accompagnés. Et à chaque fois, on se demande avec appréhension qui sera le prochain:
Celui qui vient à disparaître
Pourquoi l'a-t-on quitté des yeux?
On fait un signe à la fenêtre,
Sans savoir que c'est un adieu. 2
(Tout cela, je l'ai écrit au bureau, car après avoir appris la nouvelle, je n'avais guère l'esprit au travail. Je suis resté dans ma tanière où j'ai passé une heure à méditer. Puis, après le déjeuner, je me suis mis à rédiger ces pages que je viens de transcrire. J'ai passé le reste de mon temps à effectuer des tâches qui ne demandaient pas beaucoup de concentration, classement et rangement. Je n'ai revu personne, et je ne sais même pas qui est au courant. Demain, il sera temps d'affronter les questions et les opinions des autres.)
A part cela, la grève des transports en commun continue et cela m'a obligé à emmener Blandine au cheval, ce qui, avec la circulation qu'il y a actuellement, m'a pris une bonne heure. J'ai dû, encore aujourd'hui, aller travailler en voiture.
Vendredi 20 mars 1992 (16h.40)
Je reviens d'un bilan de santé (qui avait été décidé avant la maladie de monsieur Henry): tout semble normal, sauf - et ce n'est pas une nouvelle - mes yeux et ma colonne vertébrale. J'ai seulement découvert que j'avais perdu du poids: cinquante-cinq kilos, au lieu des cinquante-huit à soixante habituels. Rien d'inquiétant, d'autant plus qu'il faut compter un kilo de décalage entre la balance du Centre d'examens et la nôtre, mais - n'en déplaise à Joëlle, qui a un peu tendance, à l'inverse de ces matrones de jadis pour lesquelles il n'est de personne saine que grosse, à se réjouir dès que quelqu'un maigrit - il faut que je me méfie et que je n'abuse pas des jeûnes et des privations.
Le festival du film ibérique et latino-américain a commencé à Villeurbanne, et, hier soir, nous sommes allés (re)voir "El verdugo" le film de García Berlanga, qui était venu présenter lui-même son oeuvre. Ce film d'humour, mais grinçant, est bien sûr une dénonciation de la peine de mort, mais surtout une critique des conventions de la société et des compromissions auxquelles elle contraint l'individu.
Auparavant, j'étais allé à l'Assemblée des copropriétaires de la maison de Saint-Fons. Deux heures et demie passées à discuter de problèmes matériels qui ne m'intéressent pas et que je néglige pour notre propre domicile.
Ce matin, pour préparer Joëlle à toute éventualité, j'ai évoqué les perturbations que pourraient entraîner les résultats de ma consultation chez l'ophtalmologue le 2 avril, et, dans cette attente, l'incertitude qui entache tous mes projets. Elle a eu alors une réaction d'égoïsme spontané, déclarant que, dans ce cas, elle partirait seule en Espagne à Pâques. A dire vrai, je savais déjà à quoi m'en tenir, mais cet aveu ne manquerait pas de choquer madame Poupignon. Même si je ne vais pas demander à Joëlle de rester à Lyon au cas où je devrais être opéré, j'eusse aimé qu'elle ait la délicatesse de ne pas envisager d'emblée de m'abandonner.
Dimanche 22 mars 1992 (22h.25)
Mes impressions sur le film d'Antoni Ribas consacré à Dalí sont aussi ambiguës que celles que le peintre a toujours suscité en moi . Cette biographie inspirée des confessions, témoignages et entretiens de l'histrion mythomane a les mêmes défauts que son personnage. Il y a beaucoup d'esbroufe, de clinquant et de pathos dans cette évocation subjective et partiale de l'histoire artistique et littéraire du début de ce siècle. Si l'on prend ses distances avec cette oeuvre expressionniste et qu'on la regarde avec un oeil critique, elle permet une approche de la psychologie fascinante autant qu'irritante de celui qui a voulu faire de sa vie le chef-d'oeuvre qu'il n'était pas certain de réaliser avec sa peinture. Mais c'est un film qui peut être mal interprété par le public qui n'est pas forcément au fait des péripéties de la vie d'"Eungenio" Salvador Dalí. 3
On a tout dit sur "Huis clos", la pièce de Jean-Paul Sartre que nous sommes allés voir au TNP hier soir, et il n'est pas facile de renouveler la vision d'une oeuvre sur laquelle ont disserté plusieurs générations d'adolescents. Je dois avouer que, au départ, j'ai été un peu gêné par la violence de la mise en scène de Michel Raskine, mais, passée la première impression, on est pris par la présence et l'actualité de personnages qui ne sont pas seulement l'incarnation d'idées philosophiques.
Hervé Guibert a sous-titré "Mon valet et moi": roman cocasse. C'est une histoire aussi sordide qu'humoristique qui est bien dans la manière réaliste de ses autres oeuvres, même si la veine semble avoir changé. L'idée de départ ne surprend pas de la part de quelqu'un à qui la maladie a appris à écouter son corps et à ruser avec ses défaillances. Mais le génie de Guibert, c'est de s'être projeté dans cette vieillesse dont son organisme avait atteint l'apparence et simulé les déficiences. C'est donc la fable de la fragilité humaine, le combat du corps et de l'esprit, de la décrépitude et de la dignité, de l'asservissement, aussi, à travers cette faiblesse de la chair et à travers les liens qui se créent entre les êtres, entre jeune et vieux, entre maître et serviteur. Un texte court d'une remarquable perfection.
Une fin de semaine passée en célibataire, Joëlle étant prise, depuis vendredi soir, par un stage de bio-danse qui se déroulait à Ecully, mais qui l'occupait toute la journée. Ce matin, je suis descendu à Saint-Fons avec Blandine, pour permettre à Lionel de faire le jardin de ma mère. Pour ma part, je n'ai pu m'empêcher de faire du nettoyage, tant j'ai trouvé la maison dégoûtante, en espérant que ma mère, qui m'a trouvé en train d'astiquer lorsqu'elle est arrivée avec Monique et Georges, reviendra sur son refus de prendre quelqu'un pour entretenir une maison qu'elle n'est plus capable de tenir propre. Bien que je n'eusse pas prévu si tôt ce retour, nous avons donc déjeuné ensemble tous les sept. Lionel a fait un très bon travail dans le jardin qu'il a entrepris de défricher, et je suppose qu'il a encore continué après notre départ, imposé par l'heure de la séance de voltige de Blandine. Si l'on arrive à rendre plus agréable ce petit coin de jardin et qu'il est possible d'en tirer parti, nous irons peut-être avec moins de déplaisir rue Raspail. Pour sa part, Georges semble décidé à intervenir dans la maison où il reste des travaux à faire. Ce n'est pas moi qui vais l'en empêcher. Et si de plus aptes que moi effectuent ces aménagements que je ne me sens pas le courage d'entreprendre, je serai plus disposé à m'occuper des affaires de ma mère.
Mardi 24 mars 1992 (18h.13)
Me voici loin des soucis et de l'ambiance du CIRTIL. Pendant une semaine, c'est à mon tour de suivre, à la CEGOS, une formation d'initiation à la micro-informatique. Le stage ne présente bien entendu aucune difficulté pour moi, mais il s'agissait autant de découvrir une démarche pédagogique que de faire le point sur mes connaissances. Nous travaillons dans des conditions idéales: un groupe de cinq personnes, plutôt hétérogène, mais de niveau élevé (directeurs ou responsables commerciaux d'entreprises privées), même si j'ai avec moi quelqu'un dont l'esprit me semble parfois déjà sclérosé. Bien que je me sente très à l'aise, je n'ai pas l'impression de perdre mon temps, d'autant plus que cette formation était un passage obligé pour faire reconnaître ma compétence.
La grève des transports en commun continue, ce qui ne facilite pas les déplacements, mais dans une mesure moindre que si j'étais à Vénissieux: si les autobus sont rares, les métros fonctionnent, et, au demeurant, je pourrais même me rendre à la CEGOS à pied. Le temps est désastreux et il s'est remis à faire froid, malgré l'arrivée du printemps. J'ai envoyé une carte à Marie-Odile pour lui souhaiter son anniversaire qui doit tomber cette semaine.
Hier soir, nous sommes allés voir deux films d'Almodóvar à la suite. Le premier, "Laberinto de pasiones", une des premières oeuvres du cinéaste, est gentiment immoral. On y trouve déjà certains traits caractéristiques de l'auteur: l'audace frisant la provocation, les situations échevelées, la présence de la ville, surtout la tendresse dans les rapports humains. C'est une oeuvre agréable, mais ni marquante ni inoubliable.
Voir immédiatement après son dernier film: "Tacones lejanos" permet de mesurer le chemin parcouru. J'ai déjà écrit, lors d'un premier passage, ce que je pensais de cette oeuvre accomplie, et une deuxième vision n'a fait que me confirmer dans mon opinion. Cette tragédie menée de main de maître est irréprochable. Tous les petits défauts d'Almodóvar ont disparu. Il ne reste que l'essentiel.
Mercredi 25 mars 1992 (19h.52)
Représentation de "Don Giovanni" hier soir au Théâtre du huitième. Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu cet opéra que je connais presque par coeur. La mise en scène de Tamás Ascher est un peu conventionnelle, malgré quelques trouvailles, mais l'image de Don Juan que donne Rodney Gilfry est assez convaincante. Le Leporello de Giovanni Furlanetto, sobre, est d'une grande tenue. L'ensemble de la distribution est de qualité, à l'exception d'Isabelle Vernet, Elvira sans distinction et à la voix criarde.
Je commence à penser sérieusement à proposer mes services à la CEGOS, si des problèmes de santé ne viennent pas mettre en l'air tous mes projets. Cela me permettrait de me consacrer à la micro-informatique et de continuer des activités de formation dont l'avenir, au sein de la Sécurité Sociale, est loin d'être assuré. Bien entendu, il me reste encore à faire pour pouvoir prétendre à un poste d'animateur du niveau exigé par ce centre de formation très réputé, mais je m'aperçois que le temps que j'ai passé devant mon écran n'a pas été perdu et que je serais capable d'intervenir dans des actions de base. Comme je n'ai pas l'intention d'en rester là, je devrais bien vite être à la hauteur. J'ai déjà commencé de poser quelques jalons et d'interroger notre animateur pour connaître les conditions d'embauche. Dès la semaine prochaine, je réfléchirai sérieusement au problème.
Que de choses vont dépendre du résultat de ma consultation chez le docteur Leynaud! Une fois de plus, je suis prêt à prendre des engagements dans le cas où mes craintes s'avéreraient infondées, ce qui me semble de jour en jour plus hypothétique. Comme ces esprits simples qui font toute sorte de promesses au ciel pour conjurer le sort et obtenir que leurs voeux les plus chers soient exaucés, je fais le tour de ce que je mettrai à exécution si je ne dois pas être opéré: je consacrerai une journée à ma mère et à la maison de Saint-Fons; je préparerai un plan de formation pour le CIRTIL; je rachèterai l'ordinateur de Catherine Spennato, afin de pouvoir me lancer à fond dans la micro-informatique et, notamment, de travailler sur de nouveaux logiciels que mon matériel ne me permet pas d'installer; enfin, j'irai proposer mes services à la CEGOS. Voilà tout ce que j'entrevois, pour l'instant, comme tâches que la levée d'une hypothèque sur ma santé me permettra ou me donnera le courage de réaliser. Mais il est peut-être trop tard pour prendre des résolutions.
Jeudi 26 mars 1992 (21h.29)
Je me suis aperçu que j'avais oublié, la semaine dernière, de noter plusieurs conversations que j'ai eues au téléphone. Vendredi soir, tout d'abord, c'est madame Genoux qui, ayant appris la nouvelle du décès de monsieur Henry, m'a contacté pour avoir des détails. Samedi matin, sachant qu'elle avait été absente toute la semaine, je me suis permis d'appeler mademoiselle Molus chez elle pour la prévenir de l'événement. L'après-midi, j'ai réussi à joindre Marie-Odile, elle aussi en formation à Paris toute la semaine, mais qui avait été informée le matin même. Chacune a reçu à sa manière une nouvelle qui donne à réfléchir, quels que soient les liens et les relations que l'on entretenait avec celui qui nous a quittés.
Aujourd'hui, au cours d'une pause, j'ai téléphoné à monsieur Declat, pour avoir des nouvelles du CIRTIL. Ce qui m'inquiète, c'est qu'il m'a appris que monsieur Lassonde pouvait prétendre à la succession de monsieur Henry au même titre que monsieur Magnol. Je souhaite de tout mon coeur qu'une telle calamité ne se produise pas.
Vendredi 27 mars 1992 (21h.32)
Voilà une semaine qui est passée trop vite. Je garderai un excellent souvenir de ce stage qui m'aura été fort utile et qui risque d'entraîner pour moi beaucoup de changements. Tout ce que j'ai vu au cours de cette formation va m'amener à modifier ma position, tant au sujet du matériel dont j'ai besoin que des logiciels sur lesquels je dois porter mes efforts. Il faut que je travaille à fond dans ce domaine, car il y a beaucoup à apprendre. Et si ma santé me permet d'envisager une reconversion, il est indispensable que je prépare l'avenir et que je n'attende pas d'être au pied du mur pour mettre au point des programmes de formation.
J'ai continué aujourd'hui de poser des jalons pour pouvoir, éventuellement, entrer à la CEGOS, et je pense que monsieur Michaut, notre animateur, m'y aidera. Nous nous sommes quittés en très bons termes, et il m'a remercié de l'aide que je lui avais apportée. Les autres participants du stage étaient eux aussi apparemment satisfaits, tant de la qualité de la formation que de l'ambiance qui avait régné entre nous durant la semaine. Il est vrai que les conditions étaient idéales, aussi bien en raison de l'effectif du groupe que de son niveau général.
Dimanche 29 mars 1992 (21h.01)
Hier soir, nous sommes allés voir "Caniche", un film de Bigas Luna. Le programme annonçait une version originale en catalan, et c'est ce qui m'avait décidé à me déplacer. L'année dernière, j'avais vu "Lola", du même réalisateur, oeuvre dure, souvent pénible à regarder, mais qui finissait par s'imposer en raison d'une certaine rigueur. On retrouve dans "Caniche" des traits caractéristiques de ce cinéaste qui ne recule devant aucune horreur et se plaît à montrer la déchéance humaine. Mais le résultat est, cette fois, moins convaincant, peut-être parce que l'on n'arrive pas vraiment à croire en ces personnages outranciers et trop schématiques. En tous cas, Joëlle, qui n'avait vu que les commentaires faisaient allusion à des scènes d'inceste et de bestialité, étaient furieuse d'avoir perdu deux heures et de s'être dérangée pour un spectacle qui l'a indisposée et dont elle n'a pas vu l'intérêt. Le film n'a pourtant mérité "ni cet excès d'honneur, ni cette indignité" 4 . J'ai seulement été déçu qu'il ne fût pas, comme prévu, en catalan, mais je dois reconnaître que c'est une oeuvre forte, même si le sujet n'est effectivement pas des plus captivants.
Je vais peut-être enfin pouvoir découvrir le trio avec piano de Max d'Ollone, dont la diffusion avait été annulée sans explications le mois dernier, et qui passe enfin ce soir à France-Musique. Vendredi, à la discothèque de la Part-Dieu, j'avais emprunté les quatuors de l'opus 17 de Haydn, la troisième symphonie de Tchaïkovski et un disque de Jane Birkin.
Hier après-midi, pour Joëlle Van Gontzen, j'ai enregistré quatre heures d'émission sur Séville. Je suis ensuite passé à Carrefour pour acheter, en promotion, des disquettes de trois pouces et demi, bien que je n'aie toujours pas reçu l'unité que j'avais commandée. Au retour, je me suis arrêté un instant chez Aurore. J'ai également téléphoné à Yaël pour l'avertir qu'il fallait, cette nuit-là, avancer montres et réveils pour passer à l'heure d'été, chose qu'elle a tendance à oublier. Ce matin, elle a rappelé pour me remercier et nous donner de ses nouvelles.
Je suis assez satisfait du travail effectué durant cette fin de semaine. J'ai même réussi à faire un peu d'assembleur et à écrire mon premier petit programme en ce langage ardu mais qui devient passionnant lorsqu'on arrive à surmonter ses premiers obstacles. Je continue de progresser, et, quel que soit l'usage que je pourrai faire de mes acquisitions, c'est cela qui est positif.
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